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Les Mille et Une Nuits, la culture populaire et les théâtres "arabes"

 Par Ahmed CHENIKI

 Le conte investit la représentation dramatique arabe. Même si l'art théâtral est une discipline récente, il est profondément imprégné de traces et de marques populaires qui lui permet d'entretenir une relation directe avec le public. La littérature écrite et les éléments de la culture populaire traversent la représentation artistique. Le modèle européen n'effaça/n'efface pas la présence des traits culturels populaires. L'adoption du moule occidental n'exclut pas la mise en œuvre d'éléments tirés de la culture orale et de la littérature arabe.

Les textes dramatiques, même s'ils reproduisent souvent la structure externe de pièces françaises et européennes, reprennent les lieux structuraux du conte. Aussi, retrouvons-nous au niveau de l'architecture formelle un fonctionnement en spirale, des répétitions et des personnages prototypes.

                                  L’usage des jeux du conte

     Les premiers auteurs ont souvent mis en scène des personnages tirés des contes  ou puisés dans l'imaginaire populaire. Djeha peuplait l'univers de nombreuses représentations. Antar se transformait radicalement et quittait en quelque sorte les sentiers battus de l'Histoire officielle. C'est autour d'un personnage central que s'articulait le récit. Djeha, Antar ou Samson par exemple fournissaient au texte différents lieux thématiques. Le comédien, dans de nombreuses représentations, se mettait à porter les oripeaux du hakawati, du qas ou du gouwal.

     Certes, les pièces obéissaient au moule d'agencement européen, mais empruntaient souvent les espaces dramatiques à l'univers du conte, comme d'ailleurs un certain nombre de sujets traités. Une pièce comme El Bakhil de Maroun an Naqqash, produite en 1848, même si elle reprenait des traces de textes de Molière, ne faisait finalement, notamment au niveau du jeu et du fonctionnement circulaire du récit, que reproduire, de manière implicite ou explicite, certaines techniques du conte. Ce n'est pas uniquement le cas de An Naqqash, mais de la plus grande partie des auteurs arabes qui ne peuvent effacer de leur mémoire toutes les traces de la culture populaire. Les différentes répétitions, la forme en spirale, la primauté du verbe sur le jeu, l'usage d'accessoires simples, la dictature du personnage central étaient les différents éléments qui caractérisaient la représentation. Mais tout reposait sur le comédien qui devait compter sur sa puissance et sa capacité de dominer la scène et de construire/déconstruire son propre univers en usant d'improvisations et de jeux de situations et de mots susceptibles d'engendrer une relation directe et spontanée avec le public.

     Le comédien arabe réutilisait, consciemment ou pas, des techniques extraites du jeu du conteur, à tel point qu'il arrive de confondre acteur "moderne" et hakawati, qas ou gouwal. D'ailleurs, de nombreux auteurs et metteurs en scène revendiquaient/revendiquent la récupération des différentes formes populaires et la contestation du lieu théâtral actuel qui altèrerait la communication. Ainsi, des hommes de théâtre comme Wannous, Alloula, Saddiki, Assaf et Idriss avaient toujours cherché à provoquer la mise en œuvre d'un nouveau moule d'agencement et d'un nouvel espace scénique. Cette quête d'un lieu ouvert, caractéristique essentielle du conte, est une tentative de redécouvrir et de restaurer des formes populaires longtemps en déshérence. C’est une entreprise impossible, d’autant que nous avons définitivement adopté les formes culturelles, politiques et économiques européennes.

      L'influence des techniques du conte est surtout importante dans les pièces des premiers hommes de théâtre qui, souvent, reproduisaient un certain nombre d'éléments épars issus du fonds culturel populaire. Le comique et le chant constituaient les espaces communs des formes dramatiques populaires et des premières pièces. Qabbani faisait appel au personnage de Antar qu'il investissait de nouvelles fonctions et qu'il transportait sur les places publiques et les cafés tout en évoquant la dernière partie de la vie de ce héros populaire, c'est-à-dire son mariage avec Abla.

     La satire sociale investissait la représentation populaire et marquait/marque le fonctionnement d'une grande partie des textes actuels. Les contes de Djeha ou de garagouz fustigeaient sévèrement les malhonnêtes, les hypocrites et les arrivistes et proposaient un discours moralisateur qui clôturait la représentation. Djeha de Allalou(Djeha,1926), de Ahmed Bakathir (Mesmar Djeha, 1951), de Mohamed Raja Ferhat(1972), de Kateb Yacine ou de Mustapha Kateb, personnages populaires par excellence, se permettaient le luxe de mettre à nu les travers sociaux et de s'attaquer à la corruption , à l'arrivisme et aux régimes en place. Djéha de Allalou s'attaquait à la cupidité des uns et à l'hypocrisie des autres. Bakhatir dénonçait l'opportunisme et l'arrivisme. Raja Ferhat proposait une parabole sur les comportements sociaux. Kateb Yacine tentait-tant bien que mal- de briser le quatrième mur et de mettre à nu les mécanismes du fonctionnement de l'exploitation capitaliste, donnant une dimension politique à ce personnage populaire. Mustapha Kateb mettait en scène un texte de l'Egyptien Nabil Bedrane (Djeha Ba' H'marou) et donnait à voir les attributs satiriques de ce héros légendaire. L'Algérien Kateb Yacine changea le nom de ce personnage: Nuage de Fumée (La poudre d'intelligence) et Moh Zitoun ou Mohamed dans les pièces écrites en arabe.

    Les attributs de ce type de personnages populaires se retrouvaient dans un grand nombre de pièces, notamment celles qui tournent autour d'un prototype comique comme les textes de Ali Kassar, Rihani, Allalou, Bakathir…Nous avons souvent affaire à un discours moralisateur ponctué de surprises et de nombreux coups de théâtre. Le récit n'est pas construit de manière logique ou cohérente, mais correspond souvent aux multiples pérégrinations des personnages,  statiques, marqués par un un manichéisme mécaniste Bons/ Méchants. C'est d'ailleurs autour de cette opposition que se construit/se déconstruit le récit. Coups, bastonnades, surtout entre les époux, constituent des éléments importants tirés du Khayal eddhal et du garagouz. Hadj Klouf, personnage populaire tunisien, par exemple, remettait en jeu les frasques de Djeha et articulait le récit autour de nombreuses oppositions: bourgeois dégénéré, rusé/ paysan naif, Hadj Klouf/ Hattab, intelligence/niaiserie, indiscrétion de Hadj Klouf, réserve de Hattab…

     Les instances spatio-temporelles sont souvent puisées dans des paysages mythiques. Les hommes de théâtre mettent en scène une expression syncrétique qui "marie" deux formes différentes d'agencement dramatique. Ils utilisaient le moule européen (découpage en actes, entrées et sorties, décor, costumes) tout en gardant certains attributs du conte populaire comme l'a-temporalité et l'a-spatialité du récit, usage de plusieurs variétés dialectales, le chant). Le chant qui constituait un élément important de la représentation populaire investissait/investit la représentation dramatique. Déjà, Abou Khalil el Qabbani, très nourri de culture populaire, introduisit le chant et la musique dans le corps de la pièce. Salama Hijazi et Rachid Ksentini firent de la dimension lyrique une partie importante du texte.

     Les auteurs utilisaient les procédés narratifs du conte (grossissement, exagération, distance, circularité…), privilégiaient le comique des mots et du verbe et employaient également diverses variétés dialectales. On retrouvait des personnages  et des sujets directement puisés dans l'imaginaire populaire : femme méchante à la langue pendue, le voleur, l'officier, le roi, le mufti, le valet, l'amoureux et la fille frivole…Saadeddine Bencheneb parlait ainsi de la présence de la culture populaire dans le théâtre en Algérie; ses propos s'appliquent à de nombreux théâtres arabes: « L'histoire à laquelle puisent les auteurs algérois est constituée de récits merveilleux et de légendes dorées transmises depuis des siècles de bouche à oreille, non par des textes. Cette particularité tient sans doute au caractère purement populaire du théâtre algérois(qui est un théâtre comique) dont les auteurs ne sont pas des érudits.(…)Les œuvres algéroises ne sont pas des reconstitutions car les auteurs puisent toujours leurs sources dans le fonds commun que le peuple a constitué de la civilisation et de l'histoire arabe. »1  

       La présence des traces du conte et de l'imaginaire populaire est manifeste. De nombreux textes présentent des personnages et des situations tirés du patrimoine culturel. Aujourd'hui, les hommes de théâtre tentent de réexploiter de manière explicite et consciente un certain nombre d'attributs de la culture populaire. Le lieu est remis en question. Des metteurs en scène comme Saddiki, Alloula et Assaf essayent des expériences dans des espaces ouverts (arènes, stades, places publiques, villages) et "convoquent" des personnages et des situations du hakawati, du mouqqalid, du qas, de khayal eddhal, du bsat ou de la halqa. Ils insistent sur la participation active des spectateurs. Le théâtre dans les pays arabes ne peut facilement se libérer de cette dimension syncrétique qui caractérise son fonctionnement. Le mélodrame et le vaudeville, aujourd'hui en vogue dans les troupes privées, emprunte de nombreux éléments à la tradition populaire (types-modèles, personnages statiques souvent sans profondeur, grossissement, exagération, insistance sur les faits et les événements, archétypes, manichéisme).

     D'autres sources d'inspiration caractérisent la structure dramatique arabe. Tewfik el Hakim puise un certain nombre d'éléments de son récit d'Ahl el Kahf(Les gens de la caverne) dans le texte coranique. Histoire d'Ayoub de Farouk Khorchid, Zir Salem de Alfred Faraj et Souleymane el Hakim de Tewfik el Hakim réutilisent la même référence religieuse. Le palestinien Mou'in B'sissou, par exemple, réexploite, de manière intelligente l'histoire de Samson et de Dalila et  fait un procès original de Kalila et Dimna.

                           L'empreinte des Mille et Une Nuits

       Les Mille et Une Nuits est le texte dramatique, par excellence, qui associe dialogues, intrigues, attentes d'un dénouement, suspens et merveilleux. Les actions participent d'une dramatisation qui donne aux situations et aux personnages une dimension fantastique. C'est une suite de contes qui visent le même objectif: faire reculer une fin imminente. Deux personnages, un couple Shahrayar - Shehrazade, articule le récit. Le personnage féminin est condamné à pousser à l'infini une fin qui semble presque consommée. C'est en utilisant un subterfuge qui consiste à raconter des histoires que l'échéance est différée. Ainsi, Shahrayar se trouve piégé par cette multitude de contes plaisants narrés, avec un art de raconter extraordinaire par Shehrazade qui tente de faire aboutir sa quête: convaincre le roi de ne plus tuer les femmes qu'il s'était promis de liquider, une fois le jour levé, après avoir veillé avec elles. Ces histoires constituent, en quelque sorte, une sorte de thérapie pouvant libérer progressivement Shahrayar de cette envie pathologique de dissimuler son mal. Les contes transgressent de nombreux espaces langagiers et se fondent sur une structure circulaire qui fait fonctionner de nombreux personnages dans un univers clos. Nous sommes en présence de plusieurs espaces et de plusieurs temps qui déplacent souvent le discours dans des instances esthétiques plurielles. Le fantastique côtoie le merveilleux et le réaliste. Le langage scatologique peuple le récit et lui donne un statut ordinaire.

    Ce n'est pas pour rien que de nombreux auteurs et metteurs en scène arabes et étrangers adaptèrent ces contes ou s'en inspirèrent. Nous pouvons citer, entre autres, le Syrien El Qabbani, les Egyptiens Tewfik El Hakim, Bakathir ou Najib Er Rihani et l'Algérien Allalou. La composition de ces récits permet à l'homme de théâtre de ressortir les éléments dramatiques essentiels, de puiser l'essence thématique et de mettre en branle les différents "jeux" suggérés par la parole de Shéhrazade, à la fois conteuse et actrice, metteur en scène et technicienne. Elle organise tous les ressorts dramatiques, structure les instances spatio- temporelles et met en œuvre sens et significations, lieux métaphoriques et réseaux thématiques. Nous avons affaire à deux mises en abyme, à plusieurs cercles concentriques qui font appel à une pluralité de genres reflétant et mirant les différents plans de signification. L'opposition entre Shehrazade, porteuse de vie et Shahrayar, synonyme de mort articule le macro- récit et structure les micro- récits ou contes qui se caractérisent par une autonomie relative. D'ailleurs, les adaptateurs puisèrent surtout dans ces histoires (nuits) la substance de leurs pièces. Le narrateur prend de la distance avec ses personnages, il reste en retrait par rapport aux situations et au discours qu'il a pourtant mis en forme. Il installe les  deux personnages centraux dans l'univers de la représentation et laisse le soin à Shehrazade de distribuer la parole aux locuteurs qui investissent ses contes et qui fonctionnent comme des types sociaux. On a affaire à deux conteurs et parfois une pluralité de narrateurs interviennent dans le texte global. La caractéristique commune à tous ces textes réside dans la présence d'une série d'oppositions qui consolident la portée dramatique et renforcent le suspens qui travaillent toute l'œuvre. Les nombreux  effets de reconnaissance et de focalisation, les leitmotive, les différentes péripéties, les rebondissements successifs de l'action, les motifs de retardement  et les profondes tensions dramatiques donnent au conte une puissance et une disposition latente à la mise en scène théâtrale.

       Les contes des Mille et Une Nuits parcourent la représentation dramatique arabe. De nombreux auteurs puisèrent leurs sujets dans ce texte et s'inspirèrent souvent des intrigues et des ressorts dramatiques caractérisant l'univers diégétique. Il est clair que certains éléments de ces contes investissent profondément le territoire dramatique arabe qui emprunte souvent sa structure à ce type de textes.

      Dès les débuts de l'adoption du théâtre, les premiers auteurs s'intéressèrent sérieusement  au récit-cadre des Mille et Une Nuits et mirent en scène des nuits tout en recourant parfois à des situations tirées de la littérature orale. Il faut signaler que les contes écrits des 1001 Nuits prirent une autre dimension, une fois pris en charge par les conteurs et l'imaginaire populaire. C'est souvent, la culture populaire orale qui alimentait les pièces.

     Ce texte mythique n'intéresse pas uniquement les hommes de théâtre arabes, mais également des Européens séduits par la dimension dramatique, la souplesse des ressorts et la présence manifeste d'intrigues et de conflits qui structurent la représentation. Le personnage de Ali Baba a été réutilisé par quelques écrivains. Guibert Pixerécourt, le plus illustre auteur de mélodrames avant Dumas, mit en forme en 1823 Ali Baba ou les quarante voleurs. Eugène Scribe, de son côté, a intitulé sa pièce, tout simplement, Ali Baba(1833). Albert Vanloo et William Busnach ont créé en 1867 un opéra qui a largement inspiré Tewfik el Hakim à tel point qu’il a repris quelques erreurs contenues dans cet opéra. Il s'intitulait Ali Baba et les quarante voleurs.

    Les auteurs arabes, comme les Européens, ont commencé précocement à adapter les récits merveilleux et fabuleux d'Ali Baba et les quarante voleurs, de Qamar Ezzamane et Boudour, de Khalifa le pêcheur, du fameux barbier bavard, de Ma'rouf le savetier et bien d'autres qui éveillèrent la curiosité du public et donnèrent à voir de véritables pièces comiques.  Les Mille et Une Nuits séduisaient les spectateurs et leur permettaient de faire une sorte de voyage initiatique dans le passé glorieux des arabes, oubliant le temps d'une représentation les malheurs du présent. Les aventures de Haroun ar Rachid intéressaient grandement les publics arabes qui avaient inventé autour de ce personnage légendaire mythes et histoires invraisemblables. Ce n'est pas pour rien que les auteurs alimentèrent leurs pièces en puisant dans ce chef d'œuvre de la littérature arabe.

     Le Libanais Maroun an Naqqash est le premier à mettre sur scène une des nuits de ce merveilleux  texte: la 153ème nuit. Il a procédé à une sorte d'alliance entre la forme européenne à laquelle il a emprunté la structure externe (fonctionnement en actes) et le conte qui lui a fourni les éléments narratifs. An Naqqash a apporté un certain nombre de transformations au contexte du récit et à certaines situations dramatiques. Ce qui est particulièrement nouveau, c'est cet étrange amour que porte Abou Hassan à Da'd et cette compétition un peu spéciale entre son frère et lui pour l'appropriation de ce territoire féminin. Da'd est l'espace d'une sérieuse et absurde confrontation. L'auteur humanise ses personnages en les évacuant de l'univers clos du récit et en en faisant des êtres à part entière doués de jalousie, d'amour, de regret et de grandeur d'âme. Le chant tenait une part importante dans cette pièce.

     Un autre auteur syrien installé au Caire s'est intéressé très particulièrement à ces contes. Il s'agit, bien entendu, de Ahmed Abou Khalil el Qabbani qui puisa souvent les sujets de ses pièces dans les Mille et une Nuits. Il transposait fidèlement les situations et les actions principales du récit et reproduisaient des dialogues et des expressions intégraux. Le personnage qui revenait sans cesse fut incontestablement celui de Haroun ar Rachid qui gardait sur scène de nombreux attributs du conte. Haroun Er Rachid, l'Emir Ghanem Ben Ayoub et Qawt el Qouloub(cinquante deuxième nuit) et Haroun ar Rachid avec Ans el Jalis(quarante cinquième nuit) reprenaient les éléments principaux du conte, articulaient la représentation autour de certains personnages centraux et obéissaient à une forme en spirale. Qabbani ne prenait pas de grandes libertés avec les textes originels, mais ne s'empêchait pas de reprendre la structure externe(pièces en cinq actes) du théâtre européen. Ce n'étaient pas uniquement An Naqqash et Al Qabbani qui puisèrent dans ces trésors littéraires, mais également d'autres auteurs parfois peu connus comme Mahmoud Wacef (Haroun er Rachid avec Qawt el Qouloub et Khalifat es Sayyad), Amin Sidqi(Aladin ou la lampe merveilleuse, le barbier de Baghdad, Ali Baba, Ma'rouf le savetier…), Mohamed Abdelqaddous(Al hallaq al faylasouf) et l'algérien Allalou(Aboul Hassan el Moughafal, Le pêcheur et le génie, El Khalifa wa essayad) qui transforma les situations, écorcha les noms des personnages(Haroun er Rachid devint Qaroun er Rachiq) et changea les lieux. Najib er Rihani(1892-1963) et Badi' Khairi mirent en scène des récits tirés de ce classique de la littérature arabe et les enrichirent en ajoutant des scènes et des personnages tirés d'autres contes des Mille et Une Nuits, de l'actualité et en puisant dans des sources européennes (Al Ghandour  wa Qawt el Qouloub, Al layali al milah aw al hallaq al faylasouf…).

      Comme souvent, les pièces étaient une sorte d'assemblages de textes épars, sans fil d'Ariane ni discours plus ou moins organisé, il était facile d'entreprendre un collage d'éléments ne correspondant nullement à une construction logique et à une structure narrative cohérente. Ces œuvres étaient souvent accompagnées de chants et montées parfois avec un impressionnant dispositif scénique, statique, et des costumes extraordinaires. Le succès de ce type d'adaptations était assuré. Une pièce comme Al Layali el Milah de Najib er Rihani a tenu l'affiche durant six mois à raison de trois représentations par jour. Qui dit mieux? Les Mille et Une Nuits s'y prêtent facilement à une écriture dramatique. Les plots, les intrigues, le fonctionnement des personnages, les coups de théâtres, les différents ressorts dramatiques et les effets de reconnaissance constituent des éléments déjà présents dans la représentation dite "moderne".

      La manière d'adapter s'enrichit avec l'apparition de quelques noms qui ont retravaillé ces textes et leur ont apporté une dimension universelle. Tewfik el Hakim, Ahmed Bakathir, Alfred Faraj, Saadallah Wannous et bien d'autres dramaturges arabes d'après les années trente donnèrent au récit une nouvelle dimension en dépassant les limites du texte littéraire et en l'intégrant dans une logique consistant à la mise en œuvre d'un autre type de représentation. Rachid Bencheneb décrivait ainsi cette nouvelle relation avec les Mille et Une Nuits, apparue à partir des années trente: « Cependant, aux alentours de 1930, quelques hommes de théâtre conçoivent une ambition nouvelle. Ils nourrissent une vive curiosité pour toutes les manifestations de la vie et de l'âme, ainsi qu'un désir ardent d'initier les spectateurs arabes tant aux recherches de la pensée qu'aux découvertes de la science européenne. Il leur arrive aussi de s'interroger sur la condition humaine. Leurs réponses portent l'empreinte non seulement de leurs convictions philosophiques, mais de leurs opinions politiques et sociales. C'est dans cet esprit qu'ils abordent à leur tour Les Mille et Une Nuits. Or, renonçant aux contes populaires auxquels leurs devanciers s'étaient si longtemps intéressés, ils s'inspirent du récit qui en forme le cadre: l'histoire du couple Shahrayâr-Shéhérazade. »1

       Les noms qui viennent directement à l'esprit en évoquant l'adaptation des Mille et Une Nuits sont Tewfik el Hakim, Ahmed Bakathir, Saadallah Wannous et Alfred Faraj. Ils s'inspirent, certes, des Mille et Une Nuits, mais intégrent d'autres éléments qui font parfois éclater l'écriture traditionnelle. Le récit-cadre devenait un prétexte pour aborder des thèmes sociaux, philosophiques et politiques. L'opposition Shahrayar-Shahrazade articulait le récit et permettait la mise en forme de nouveaux rapports et l'émergence de réseaux thématiques originaux. Tewfik el Hakim, même si dans Ali Baba(1925) qui n'était qu'une reprise de l'opéra de Vanloo et Busnach, était prisonnier du texte des deux auteurs français, il démontra dans Shéhrazade(1933) qu'il pouvait transgresser le texte originel et se lancer, en prenant comme prétexte dramatique, le couple Shahrayar-Shahrazade, dans une aventure dramaturgique originale mettant en œuvre de nouveaux espaces esthétiques et une approche thématique originale alimentant des débats philosophiques et humains. La pièce commence par la fin des Mille et une Nuits: Shahrayar inquiet qui s'en va à la quête d'une impossible vérité. Ce long voyage qui le mènera dans de lointaines contrées et qui lui fera découvrir en quelque sorte certains secrets de l'univers humain lui révèlera, en fin de compte, son impuissance et sa faiblesse. Sa volonté de surpasser l'homme est demeurée comme suspendue, non satisfaite. Son expérience est à la fois un échec et une réussite. Cette quête de la connaissance et la mise en condition d'une sorte de surhomme, cher à Nietzsche, le mèneront au néant et à l'échec. La chute de la pièce est révélatrice de l'inquiétude et de l'angoisse de ce héros déchu qui veut, à travers l'effacement de son expérience antérieure, découvrir une sorte de Nirvana, lieu de connaissance et de vérité. Shahrayar perd son âme et sa liberté. Shahrazade conforte finalement cette idée de l'insaisissable et révèle ainsi la complexité du personnage.

     Ahmed Bakathir, dans Ser Shahrazade(Le secret de Shahrazade) qui commence avec la scène du meurtre, met en scène le couple et donne à voir une sorte de séances de psychanalyse conduites par le médecin du Sultan et Shéhrazade qui feront défiler devant le roi tout son passé et ses erreurs. Chahrayar est malade, incapable d'entretenir des relations sexuelles et extrêmement malheureux. La découverte de ses méfaits le pousse à la fin à solliciter le pardon de ses victimes et à entreprendre un long voyage qui serait peut-être libérateur.

      D'autres auteurs contemporains comme Alfred Faraj, Saadallah Wannous et Khalil el Handawi donnèrent à ces contes une dimension extraordinaire, d'autant qu'ils faisaient obéir les récits des 1001 Nuits à une logique dramaturgique ouverte aux courants "modernes" représentés notamment par Bertolt Brecht. Ali Janah Ettabrizi et son valet Qoffa de Alfred Faraj conserve les grandes artères du récit initial, mais le place dans une structure ouverte empruntée à la pièce de Brecht, Maitre Puntila et son valet Matti. C'est justement cet extraordinaire "mariage" de deux formes apparemment peu communes qui marque l'originalité du travail de Faraj qui reprend les lignes générales du conte et les installe dans un univers dramaturgique cohérent et obéissant à une logique narrative qui ne répudie nullement les techniques du conte( forme circulaire). Hallaq Baghdad correspond également à ce discours, même si, dans ce texte, Alfred Faraj s'empare sérieusement des procédés narratifs et accorde à la parole un statut à part. C'est la parole qui fait fonctionner le récit et structure la représentation. Saadallah Wannous, lui aussi, recourt à l'expérience brechtienne dans sa réappropriation des contes des Mille et Une Nuits. El Malik houa el Malik conserve le récit initial déjà pris en charge par Maroun an Naqqash(un "citoyen" que Haroun er Rachid fait roi pendant vingt-quatre heures, 153ème nuit) et intègre certains procédés brechtiens. Sahra avec Abou Khalil el Qabbani  qui est surtout une sorte de présentation de la vie de Qabbani illustre le propos en faisant jouer des extraits d'une pièce de l'auteur tirée des Mille et Une Nuits(Haroun ar Rachid avec Ghanem ben Ayyoub et Qawt el Qouloub).

      Les contes des Mille et Une Nuits sont une source inépuisable pour les auteurs arabes qui reprennent souvent les procédés narratifs des récits tout en conservant les caractères des personnages et certaines situations tout en produisant un texte original, actuel. C'est du moins ce qu'entreprirent des auteurs comme Tewfik el Hakim, Ahmed Bakathir, Alfred Faraj et Saadallah Wannous.

       Le travail sur le texte est le résultat de sérieuses concessions à l’imaginaire populaire. Ainsi, les auteurs conservaient le récit-cadre des Mille et Une nuits, mais reprenaient souvent les récits transformés par les poètes populaires et la voix collective. Certes, les « nuits » obéissaient à la structure théâtrale, mais apportaient une sorte de caution populaire à des contes retranscrits et marqués par une sorte de transmutation sémiotique. Ce glissement structural et linguistique correspondait à un discours idéologique et esthétique particulier et mettait en œuvre de nouveaux signes et de nouvelles significations. Le peuple prenait sa revanche sur la culture savante. Les Mille et Une Nuits étaient drapés d’oripeaux populaires et côtoyaient d’autres éléments de la culture populaire. Cette contagion des formes engendraient une extraordinaire métamorphose au niveau discursif et diégétique, déplaçait les instances spatio-temporelles et désarticulaient les personnages qui, évoluant, dans u autre univers, perdaient ainsi le statut originel, c’est à dire celui des Mille et Une Nuits. L’Algérien Allalou recourut énormément à la littérature orale et à la vie quotidienne. Ses personnages étaient essentiellement tirés de légendes et de contes populaires. Nous avons affaire à une association de type « syncrétique » qui fait rencontrer deux formes apparemment dissemblables et radicalement différentes : la structure théâtrale et la culture populaire. Ainsi, cette situation d’hétéroculture sert en quelque sorte de lieu d’articulation de la représentation dramatique. Dans son œuvre, on retrouvait les thèmes et les situations pris en charge dans ses sketches. Il utilisait le chant et la musique. C’est grâce à sa première grande pièce, Djeha, qu’il fut connu et apprécié. Quand on parle de théâtre en Algérie, Djeha, considérée par de nombreux chercheurs comme le premier texte dramatique algérien en langue populaire,  devient un passage obligé et un espace incontournable.

Allalou puisait ses sujets et ses personnages dans la culture populaire qu’il transformait en l’investissant de sens et de contenus nouveaux. Il adapta des contes tirés des Mille et Une Nuits et fournit aux légendes populaires une substance originale. Il prenait d’extraordinaires libertés avec l’Histoire ; il transformait les noms des personnages et leur attribuait des traits et des caractères tout à fait contraires à l’idée qu’on se faisait de ces « héros » paradoxalement craintifs mais généreux et tolérants. Ce théâtre parodique entraînait le rire et l’adhésion du public et impliquait un jeu de miroirs brisés avec l’Histoire, une histoire subjectivée, c’est-à-dire différente de celle des livres, mais à l’écoute de la quotidienneté et de la culture populaire. Dans Aboul Hassan el moughafal ou le dormeur éveillé, le prince Haroun er Rachid, célèbre pour sa force et sa générosité, devenait Qaroun Ar Rachiq (Qaroun le corrompu), son porte-glaive, Masrour portait le nom de Masrou’(l’abruti), son vizir se voyait appeler Ja’far al Markhi(Ja’far le ramolli). Antar, héros légendaire et poète de grand talent, portait les habits d’un pauvre barbier, fumeur de kif. Allalou subvertissait le discours de la légende d’Antar. L’auteur qui n’arrêter pas de « titiller » l’Histoire annonçait déjà la couleur dès le titre, Antar lehchaichi (Antar, le fumeur de kif) et orientait la lecture de la légende dans le sens de la péjoration du héros populaire. Ce jeu avec les noms, les situations et l’Histoire obéissait surtout au souci de faire rire et d’interroger l’Histoire en la parodiant. Allalou interpellait le quotidien, lui fournissait une dimension artistique et esthétique. Il introduisit la danse et le chant et permit à Rachid Ksentini de faire ses premiers pas dans le théâtre. Les Mille et Une Nuits se mettaient à porter un costume populaire. Le texte originel subissait un très sérieux glissement de sens. Il quittait l’espace de la classe et de l’idéologie dominantes pour retrouver l’univers populaire. Ce travail subversif sur les contes originels est la résultante d’une mise en œuvre de nouveaux espaces sémiotiques et de la « convocation » de la langue populaire et de réseaux thématiques ancrés dans le présent. Allalou n’apporta pas de grands changements au texte initial. Il conserva toute l’architecture de la pièce de Maroun en Naqqash. D’ailleurs, il garda le même titre.

        La source essentielle est sans aucun doute Les Mille et Une Nuits qui inspira énormément d'hommes de théâtre. Maroun an Naqqash adapta un des contes de ce chef d'œuvre de la littérature arabe en 1851. D'autres comme Abou Khalil el Qabbani, Allalou, Tewfik el Hakim ou Ahmed Bakathir s'inspirèrent grandement de cet étonnant texte qui permettait aux auteurs de tirer intrigues, retournements de situations et effets tragi-comiques. Il faut également savoir que certaines similitudes sur le plan historique sont sensibles.

       An Naqqash, dans sa pièce, ne se suffit pas uniquement du texte de l'auteur français mais intégra également un certain nombre de traits et de caractéristiques tirés de la culture arabe. Certains éléments des Maqamate, des contes des Mille et Une Nuits et du Khayal eddal (théâtre d’ombres) ne sont pas absents de la représentation qui, certes, reprend, parfois de manière maladroite, l'architecture dramatique de Molière  mais produit essentiellement une structure circulaire, espace privilégié des récits des conteurs populaires. Après El Bakhil, Maroun an Naqqash, très à l'écoute de la culture populaire, décide de mettre en scène un conte des Mille et Une Nuits et de montrer la force dramatique d'un texte qui allait, par la suite, inspirer de très nombreux opéras et pièces arabes et européens.     Le 13 janvier 1850, il monte une pièce sur une scène installée à la va- vite dans un lieu contigu à sa demeure. Ce fut Aboul Hassan el Moughafel ou le dormeur éveillé, adapté d'un conte très célèbre des Mille et Une Nuits. Aboul Hassan est un personnage gagné par des rêves impossibles et des désirs peu communs. Il veut devenir Sultan pour uniquement une journée et il transformera les choses. Haroun Er Rachid et son ministre, de passage du côté de son domicile, entendent ce vœu étrange. Ils décident de s'arrêter et d'exaucer le désir de ce personnage lui donnant la possibilité de devenir roi. Après avoir été drogué, il est emmené au palais où il est intronisé à la place de Haroun Er Rachid qui voulait s'amuser à ses dépens. Une fois, les vingt- quatre heures passées, on le déplaça à son lieu d'origine. Eveillé, il se crut toujours roi et ne put admettre l'idée que c'était uniquement un stratagème de Haroun Er Rachid et son ministre qui voulaient s'amuser à ses dépens. Ne pouvant pas accepter de revenir à son ancien statut, le malheureux sombra dans la folie. Aboul Hassan connut également un échec amoureux. Il aime Da'd, une très jolie fille, qui lui préfère son frère. Ainsi, collectionne t- il les malheurs et les mésaventures.

      Maroun An Naqqash a fait appel à un texte emblématique de la littérature arabe: Les Mille et Une Nuits. De nombreux auteurs vont, à la suite de l'auteur libanais, puiser dans cette extraordinaire source. Ils cherchaient, en quelque sorte, à mettre en relief l'héroïsme arabe et un certain passé glorieux. Rachid Bencheneb expliquait ainsi ce choix: « Œuvres à grand spectacle, où la part du chant, de la musique et de la danse était très importante, la plupart n'étaient, à vrai dire, que de simples divertissements. Mais avec leur mise en scène parfois éblouissante, leurs décors et leurs costumes d'une prodigieuse richesse, elles étaient propres à satisfaire les goûts de faste et de grandeur d'un public qui, échappant momentanément aux contraintes de la réalité, allait retrouver au théâtre le souvenir     de son passé glorieux, des vertus des Arabes d'avant et d'après l'Islam ».1

       Le choix de ce conte s'expliquerait par son côté comique et l'étonnant jeu de situations qui caractérise les différentes séquences. Le récit est très riche sur le plan dramaturgique. Les personnages sont, outre leur profondeur psychologique, marqués socialement. Aboul Hassan est excessivement naïf, trop rêveur et ambitieux. Le récit est traversé par la présence de figures historiques comme Haroun ar Rachid et son ministre qui perdent, dans Les Mille et Une Nuits, leur statut initial d'être humain normal pour se transformer en espaces légendaires. Ce n'était pas l'histoire "historique" qui intéressait Maroun an Naqqash, mais le prétexte dramatique. Il n'avait que faire de la précision et de la rigueur scientifique; il était homme de théâtre qui cherchait surtout à faire connaître l'art dramatique et à faire rire le public qui découvrait ce nouveau-né qu'était l'art scénique. Haroun ar Rachid n'est donc nullement l'homme réel mais son simulacre en quelque sorte, c'est-à-dire celui fabriqué par les Mille et Une Nuits et l'imaginaire populaire. Aboul Hassan est maladroit, malchanceux, qui ne réussit jamais à réaliser ses désirs ni à mettre en œuvre ses projets. Il est épris de Dad qui ne semble pas s'intéresser à lui, son serviteur, réalisant que son maître a besoin d'aide, accourt à son secours, mais tous ses plans finissent par être ridiculement sabordés par Aboul Hassan qui ressemble à certains personnages des contes populaires. C'est autour de Haroun ar Rachid et Aboul Hassan que s'articule toute le récit.

       Deux intrigues s'imbriquent dans le processus narratif : Aboul Hassan calife et Aboul Hassan amoureux fou de Dad. Dans les deux cas, l'énigme se dénoue à son désavantage et sa quête n'aboutit pas. La malchance est comme attachée à son chevet. Sa vie est faite de maladresses, de faux pas et d'échecs. De désillusion en désillusion, il finit par ne plus se reconnaître, c'est-à-dire pris  au piège de l'aliénation. Ici, folie rime avec ambivalence. Encore une fois, Maroun an Naqqash emploie quiproquos, jeux de mots et dictons  populaires. Quand Said, son frère, parlait de Dad que tous les deux aiment, il pensait qu'il l'encourageait à lui faire la cour.

Molière traverse toute la représentation et semble merveilleusement bien s’adapter à l’univers mythique des 1001 Nuits.

       Il est également intéressant de relever le travail élaboré sur le texte original condamné à épouser les contours de la culture populaire et de cerner les traces de structures populaires dans l'organisation centrale de la pièce. Les auteurs surent, de manière aussi extraordinaire, marier les formes savantes et populaires et reformuler les lieux d'articulation des structures européennes et arabes. An Naqqash, Allalou, Baakathir ou Tewfik el Hakim employaient le récit- cadre des Mille et Une Nuits, introduit certaines situations tirées des Maqamate et s'appropriaient les techniques du rawi ou conteur. Cette prise en charge des formes littéraires écrites fournit à la représentation théâtrale un cachet original et l'investit d'une sorte de légitimité culturelle populaire. Si les décors et la mise en espace sont empruntés au théâtre européen, le récit et les personnages sont puisés dans le terroir. Même les costumes reproduisent les réalités arabes.  Ce qui renforce l’originalité de ces textes, c'est ce mélange explosif de nombreuses variétés linguistiques et stylistiques: prose, poésie, dialogues et chants.

       Mais l'homme de théâtre qui a profondément marqué la scène théâtrale syrienne et qui a régulièrement adapté des contes des 1001 Nuits, malgré l'opposition des cheikhs qui redoublaient de férocité à son égard était incontestablement Abou Khalil el Qabbani (1833-1902) qui a réalisé de nombreuses pièces à Damas avant son départ en Egypte en 1884. Il a repris en quelque sorte le travail de Maroun an Naqqash. Il a monté d'ailleurs une de ses pièces et a adapté avec bonheur des contes tirés des Mille et Une Nuits. Il a  magistralement mêlé formes populaires et structures européennes. Il conservait dans la construction de ses pièces le récit- cadre des Mille et Une Nuits  et employait la structure ou l'architecture du théâtre européen. Il jouait ses pièces devant un public qui appréciait énormément ses œuvres: Haroun er rachid avec l'émir Ghanem ben Ayoub et qawt el qouloub, Haroun er Rachid avec Ans et Jalis ou l'Emir Mahmoud ou Antar Ben Cheddad. Ses personnages étaient directement puisés dans l'histoire des Arabes. Antar, l'Emir Mahmoud ou Haroun er Rachid représentaient des espaces d'affirmation de l'identité et de la personnalité arabe. L'auteur qui s'est inspiré des Mille et une Nuits et des contes populaires conservait le récit-cadre, reprenant un certain nombre de personnages et la logique narrative tout en transformant quelques situations et en intégrant des dialogues et de longs monologues qui, parfois, fragilisaient le récit et lui ôtaient sa force originelle. Trois de ses pièces (Haroun er Rachid avec l'Emir Ghanem ben Ayoub et Qawt el Qouloub, Haroun er Rachid avec Anis el Jalis et L'emir Mahmoud) sont donc tirées des récits des 1001 Nuits. Qabbani semble prisonnier du schéma narratif  et des limites au niveau du dialogue. Les répliques, les tirades et les monologues sont parfois trop longs. L'architecture des textes, comme d'ailleurs celle de ses prédécesseurs, manque de profondeur et de puissance et insiste surtout sur la dimension littéraire. Dans toutes ses pièces, le récit se termine par une fin heureuse. Tout s'arrange dans une sorte d'univers stable où les  fautifs et les méchants sont éliminés. Cette purification de l'espace obéit au discours moralisateur de l'auteur et met en œuvre toute une série de médiations qui tentent de justifier ce happy -end parfois tiré par les cheveux. C'est un univers stable, cohérent et sans sérieuses contradictions  que nous propose El Qabbani. Tout rentre dans l'ordre à la fin. Les coupables sont chatiés. La mort ou l'exclusion les attendent. e n'est d'ailleurs pas pour rien qu'il utilisait le fantastique et le merveilleux dans ses pièces. Le djin et l'ange se retrouvaient dans certaines de ses pièces. Il usa beaucoup de la danse et de la chanson. On peut parler à son propos de théâtre chanté. On ne peut qu'être étonné par la technique d'agencement des textes dramatiques et des représentations employée par Qabbani qui cherchait à engendrer une sorte d'"agrégat syncrétique" primordial. La multiplicité des instances spatio-temporelles, l'association de personnages réels et légendaires, la lecture populaire de l'Histoire et le choix conscient ou inconscient de la circularité du récit constituent autant d'éléments mettant en relief le caractère novateur et original de son théâtre. Dans Haroun er Rachid avec l'Emir Ghanem Ben Ayoub et Qaw el Qouloub, une pièce en cinq actes, nous avons affaire à cinq différents lieux:inauguration du protocole de la représentation avec l'exposition d'un terrain vide peuplé de tombes où se trouve Ghanem Ben Ayoub, le palais du roi et une vieille à côté d'une tombe, la demeure de Ghanem Ben Ayoub et de Qawt el Qouloub, une prison où est installé Ghanem et d'un édifice commercial. Cette diversité spatiale présuppose l'emploi d'un attirail scénique important et d'un semblant d'exercices scénographiques suggérant la reconnaissance des différents lieux. La masse temporelle éclatée, même si elle se caractérisait par la linéarité, justifiait tous ces changements au niveau de l'espace et du dispositif scénique.

Le palais, surtout dans les pièces tirées des Mille et Une Nuits et de la littérature arabe, est un élément scénique qui revient sans cesse sans pour autant qu'il constitue un espace de mise en question de ses occupants. Entreprise exclue. Même si dans certains espaces, quelques contradictions surgissaient, les personnages positifs tenteraient tout pour remédier à la situation et stabiliser l'univers en sanctionnant et en excluant du champ de la représentation les mauvais garçons. Dans Haroun er Rachid avec Ans el Jalis, le sultan mit fin aux pratiques illicites et répressives de son ministre en le remplaçant par el Fadhel, comme son nom l'indique si bien. Mahmoud, le neveu du chah, dans la pièce du même nom, qui, après s'être follement épris d'une image féminine, la rencontra, au terme de nombreuses mésaventures, en Inde et finit par épouser cette fille précédemment possédée par le djin et qui se trouvait être la fille du roi. L'espace du pouvoir était souvent positivement décrit par l'auteur qui ne daignait nullement associer des personnages appartenant à des groupes sociaux différents. Le cercle du pouvoir et de la richesse était hermétiquement fermé aux catégories populaires. La parodisation de l'Histoire participe d'une certaine manière d'enclencher une lecture politique, quelque peu exceptionnelle, du fait social et subvertit un certain nombre d'espaces souvent considérés comme lieux communs. Des problèmes du passé sont mêlés à des situations présentes. Les auteurs ne se conforment nullement aux détails de la "vérité" historique, mais proposent une lecture très personnelle de faits considérés comme évidents.

          Les Mille et Une Nuits et les contes populaires ont souvent fourni le cadre à cette reprise en charge du passé. Des auteurs comme Qabbani, An Naqqash et Allalou, par exemple, utilisèrent des personnages tirés de l'Histoire, telle que conservée par l'imaginaire populaire, et des rôles fictifs. Haroun er Rachid de Qabbani (Haroun Er Rachid avec l'émir Ben Ayoub et Qaout el Qouloub, Haroun er Rachid avec Ans el jalis) ou d' An Naqqash (Abou Hassan el Moughafel) diffèrent radicalememt du personnage historique. L'Algérien Allalou l'affuble du qualificatif "corrompu" et transforme son nom(Qaroun er rachiq). De nombreux auteurs ont utilisé des personnages et des situations tirés des Mille et une Nuits et des contes populaires et modifièrent souvent le discours et les intrigues. Saadallah Wannous a retravaillé ces contes et leur a donné une dimension esthétique et politique nouvelle. Dans ses pièces, il y a une sorte de confrontation directe entre le passé, la légende et le présent. L'intervention du hakawati, les protestations et les commentaires des clients du café et le récit pris en charge par le conteur construisent un discours théâtral original qui obéit à une logique politique et idéologique précise. Cette manière de faire n'est pas du tout absente chez d'autres auteurs comme Alfred Faraj, Mamdouh Adouane ou Kateb Yacine.

    Alfred Faraj n'hésite pas à recourir aux contes des Mille et une Nuits; il conserve le récit-cadre, mais transforme les éléments constituants du discours théâtral donnant à voir une représentation originale. Hallaq Baghdad(Le barbier de Baghdad) s' inspire des 1001 Nuits, mais reprend également un certain nombre d'éléments de deux textres de Beaumarchais: Le Figaro et Le Barbier de Séville. Aboul foudoul, le personnage central de la pièce, bavard et envahissant, n'arrête pas de construire et de déconstruire un univers dramatique qui charrie en lui toutes les contradictions sociales.

 

                                                  Ahmed CHENIKI

      

 

 



1 Saadeddine Bencheneb, Le théâtre arabe d'Alger, Revue Africaine, 1935.

1 Rachid Bencheneb, Les dramaturges arabes et le récit-cadre des Mille et Une Nuits, Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, N° 18, 2ème semestre 1974, P. 9.

1 Rachid Bencheneb,Les dramaturges arabes et le récit-cadre des Mille et une nuits, Revue de l'Occident Musulman et de la  Méditerranée, n° 18, 2ème semestre 1974.


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