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Les ciseaux de la censure

 

Décidément, la censure a la peau trop dure dans notre pays. Les médias publics ne cessent de censurer toute information suspecte de non conniven,ce avec les circuits gouvernementaux. Ahmed Mahiou, ancien doyen de la faculté de droit d’Alger, juriste mondialement reconnu, n’a jamais été invité à Alger ni convié sur les plateaux de l’ENTV, un colloque sur Messali el Hadj censuré, des moudjahidine interdits de rendre hommage à deux martyrs de la révolution, le cinquantième anniversaire de la constitution de la troupe du théâtre du FLN honteusement boudé. Ce sont ces nombreux exemples  qui marquent apparemment la culture de l’ordinaire fortement caractérisée par un retour en force de l’autocensure, notamment dans la presse qui, exception faite de très rares titres, est tombé dans le travail du politiquement correct, trait fondamental du conformisme  et de la médiocrité. Le discours se fait trop nuancé, sans aucune saveur, occultant dangereusement les espaces clés d’un vécu qui semble voguer entre lame et lamelle, émeutes et chômage, silences pesants et bavardages obscurs, paranoïa et attitudes suicidaires.

La parole vraie déserte les contrées du réel pour se construire un espace virtuel. La censure n’est pas un sport récent, mais investit toutes les contrées d’une Histoire condamnée à vivre le mutisme comme un moment de vérité. Ces derniers temps, les langues commencent à se délier, à travers une « réhabilitation » paradoxale de Ben Bella, pour évoquer un 19 juin qui ne fut, en fin de compte qu’un simple putsch pour une question de pouvoir faisant écrire et dire aux uns sans convaincre les autres qu’il s’était agi d’un « sursaut » ou d’un « redressement » révolutionnaire. Mais la censure a toujours été présente, déjà bien avant l’indépendance, avant qu’elle reprenne du service après 62 sous les différents gouvernements. Certes, avant l’indépendance, il y avait peut-être des vérités à taire nécessairement. Ce qui fut, bien entendu, le cas. La présence coloniale incarnait, par sa cruauté, une effroyable censure. Beaucoup pensaient qu’une fois, indépendants, les Algériens allaient inventer la liberté. Le désenchantement n’était pas loin. Les différentes chartes restreignaient encore davantage le champ des libertés. Le colloque national de la culture de 1968 allait être le point de départ d’une politique d’embastillement de la parole qui vit l’organe central de l’UGTA, Révolution et Travail, suspendu pendant une année en 1968, des intellectuels prendre le chemin de l’exil et les journaux investis d’une mission de neutralisation de toute voix différente.

Mais dans cet univers singulier, les censeurs d’hier se retrouvent, par la suite, eux-mêmes, victimes de ce mal qu’ils vont dénoncer une fois évacués des postes de responsabilité. Kaid Ahmed, Boumaza, Messaadia, Taleb, Yahiaoui, Chadli et bien d’autres ont revêtu les oripeaux, certes vieillis, de grands démocrates devant l’Eternel.

La télévision est le lieu par excellence où s’opère une censure extrêmement dure. Tout propos considéré comme peu élogieux à l’endroit du gouvernement est supprimé. Ainsi, les mêmes responsables qui faisaient les éloges de Boumediene ont effacé son visage pendant de longues années. Ils le font aujourd’hui pour Chadli, Kafi et Zeroual qui disparaissent du petit écran. Baaziz a surpris tout le monde en chantant en direct une chanson censurée. Aujourd’hui, ce média lourd, fermé à toute parole différente, vit en vase clos réduisant son journal télévisé aux défilés protocolaires et aux visites ministérielles, réduisant la société à une suite d’appareils. Les débats agitant la société sont tragiquement absents des travées de la télévision « nationale » qui n’est plus « l’unique » aujourd’hui, où les télespectateurs peuvent zapper à outrance.

Même la presse « privée », souvent piégée par la singularité de sa situation, n’est pas épargnée par la censure. Ses prises de position sont, par endroits, empreintes d’un trop plein de subjectivité omettant souvent la parole de l’autre. Cette manière de faire participe de l’effacement d’une source importante dans la recherche de la « vérité ». Ce qui est assimilé à une véritable censure. Omettre un fait, c’est tout simplement mentir, c’est-à-dire orienter sciemment l’information. Les choses ont fondamentalement changé par rapport au passé où il n’était même pas question de parler librement de sujets simples. En 1986, j’avais été lynché par El Moudjahid, Echaab, An Nasr et L’Unité pour avoir osé tout simplement couvrir les événements de Constantine dans Révolution Africaine. Il m’avait été ainsi demandé de censurer l’événement. En plus, l’article a été fondamentalement censuré avant sa parution.

Si la presse vivait une situation angoissante, le monde de l’édition et de l’art connaissait les mêmes réalités. Ainsi, de nombreux écrivains ont été obligés de quitter le pays pour fuir la censure. Les livres édités à l’étranger étaient interdits de vente. Le livre de Rachid Mimouni « Le Fleuve détourné » avait été refusé par la SNED avant de connaître un extraordinaire succès de librairie, une fois édité en France chez Laffont.

Est-ce le retour aujourd’hui de cette pratique qui n’aurait pas du tout quitté la culture de l’ordinaire? Paradoxalement, le discours social justifie cette grave réalité.

                                                         Ahmed CHENIKI


 
 



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