Le patchwork des courbettes de l’été
On n’arrête pas ces dernières années de pérorer sans fin sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication et de nous noyer de discours sur les efforts entrepris, parait-il, pour généraliser Internet. Cette semaine, mon téléphone est tombé en panne, en dérangement, ce qui arrive régulièrement dans notre pays. Ce n’est nullement une affaire singulière. J’ai été obligé de revenir aux méthodes traditionnelles de transmission. Ainsi, les discours ronflants ne peuvent, en aucun cas, se substituer à la dure réalité d’un terrain marqué par les circonvolutions des uns et les vicissitudes d’un quotidien broyé par d’incommensurables difficultés d’être. Ce qui pousse de très nombreux jeunes à vouloir tenter l’aventure ailleurs, au risque de leur vie, apparemment comptant pour des prunes, quêtant paradoxalement une possible, mais idyllique, donc trompeuse, manière de retrouver la vie. Se pose pour eux un sérieux problème de déficit de citoyenneté. Privés de voix dans leur propre pays, au milieu d’un tintamarre de bruits inaudibles sur les nécessaires devoirs des uns, mais pas de quelques autres, se permettant en quelque temps d’amasser des fortunes extraordinaires et de narguer de haut cette populace qui vit comme une agression le pouvoir de ces gens d’user tout simplement du téléphone pour se permettre toutes les lubies alors qu’on exige des uns, trop nombreux, des devoirs et parfois des droits de parler, mais souvent pas de posséder. On parle pour eux.
Ce n’est pas sans raison que les pouvoirs publics viennent d’effacer les dettes de journaux peu rentables, parfois inconnus, leur donnant encore la possibilité de participer à ce tintamarre ambiant qui n’arrête pas de donner l’illusion que les uns et les autres s’expriment alors que, pour reprendre notre ami Pierre Bourdieu, la parole est vide si elle n’est pas efficace. Ainsi, il fait la différence entre parler et dire. Nos journaux parlent, ne cessent de parler, mais qui les écoute. Au temps du parti unique, au moins quand quelques rares journalistes avaient le courage de parler, ils étaient quelque peu écoutés. Le droit sert parfois d’espace de dénégation du vécu.
Tout est fait de telle sorte qu’on a l’impression de vivre d’interminables mises en scène où la foule est exclue et où la logique de gouvernement obéit toujours aux nécessités anciennes de la clandestinité et de l’opacité. Ainsi, les nominations à des postes de responsabilité ne correspondent à aucune marque de compétence, mais sont souvent suscitées par les jeux étroits des relations familiales et d’allégeance. Le CV qui devrait être le lieu central de toute nomination ne fait toujours pas recette. Le président Zeroual allait systématiser l’usage du CV anonyme, mais…Ce n’est pas en faisant appel à une sorte d’exhibition du drapeau qu’on peut régler le problème du patriotisme, mais en changeant de mentalités et de mode de gouvernement, plus démocratique, où les uns comme les autres se sentiraient des citoyens à part entière et non comme des locataires à vie d’un pays qui appartiendrait aux autres.
A propos de nominations, le ministère de la culture a innové ces dernières années, en n’avertissant nullement la personne dégommée, mais en remettant en mains propres au nouvel élu au poste de responsabilité sa décision de nomination qu’il exhiberait, par la suite, au responsable en place, devant quitter les lieux illico presto. Les désignations se font de plus en plus, après de sérieuses courses aux relations. On joue ainsi à celui qui a le bras le plus long, à tel point que la fabrique des bras en caoutchouc est montée en flèche. Situations cocasses dignes d’une nouvelle de Gogol. Dans certains festivals où pleut beaucoup d’argent, l’opacité est totale, comme si le Pacha-commissaire du festival qui fait ce qu’il veut, pouvait tout faire sans tenir compte du fait qu’il utilise l’argent public. Ainsi, commencent les courbettes des directeurs des autres structures et de certaines personnes, trop nombreuses, pour profiter de cette rente tombée de la poche du contribuable. Notre propos ne vise nullement la disparition des festivals, mais la mise en œuvre d’une bonne gestion de ces manifestations dont les objectifs devraient être clairement définis pour servir la culture, l’économie et le tourisme de notre pays.
Mon téléphone est, bien entendu, toujours en dérangement. On glosera encore et encore sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication.
Ahmed CHENIKI