L’histoire de la parité et du masculin pluriel
Chez nous, il est exigé une autorisation paternelle permettant aux enfants de voyager avec leur mère, comme d’ailleurs pour les inscrire sur son passeport. On n’exige pas, bien entendu, d’autorisation maternelle aux hommes. Le territoire féminin est ainsi marqué du sceau de la suspicion. Les discours officiels regorgent, de manière extraordinaire, surtout lors de la journée du 8 mars, de formuules-fleuves célébrant l’indispensable « émancipation » des femmes tout en plongeant dans le passé, notamment celui de la guerre de libération, où, soit dit en passant, aucune femme, héroine soit-elle, n’a occupé un poste élevé de responsabilité. Frantz Fanon a ainsi surestimé la posture de la femme dans son ouvrage « Sociologie d’une révolution ». Parfois, on va plus loin en appelant à la rescousse Fatma N’soumer et bien d’autres. Le discours se conjugue constamment au futur antérieur. Dernièrement, l’UGTA n’a choisi que des hommes, les femmes, quand elles arrivent à être admises au conseil national, seraient, selon la logique de ce syndicat, incapables d’assumer des responsabilités au secrétariat national. Au gouvernement, elles occupent des postes faits sur mesure pour les femmes, loin, tout à fait loin des portefeuilles de décision, comme d’ailleurs dans d’autres sphères de décision (walis, présidentes ou vice-présidentes de l’APN, APW, APC, PDG d’entreprises publiques, presse…). Quand elles y sont, elles se comptent sur le bout de deux ou de trois doigts comme pour épater une galerie d’ailleurs peu regardante. Privé et public, même combat. Dans la presse, c’est la même chose, même si le nombre de journalistes a augmenté, les femmes semblent être considérées comme indignes de prendre des responsabilités. Comme j’ai trop lontemps exercé dans la presse, je peux témoigner que j’ai côtoyé plus de belles plumes du côté féminin que dans l’espace masculin. De très rares femmes ocupent des postes de direction ou de directrice de rédaction :Naama Abbas, dirige un journal public, Horizons et Hadda Hzam, officie à la tête d’EL Fedjr. A l’université, c’est la même chose, où on trouve presque pas de présidente (apparemment une seule), de vice-recteur ou de doyennes, alors que tout le monde sait que si on suit le cursus universitaire, on trouverait que les étudiantes ont de meilleurs résultats et se caractérisent le plus souvent par une plus grande maturité.
C’est en littérature où la qualité vient du travail proprement dit que les femmes sont reconnues et célébrées. C’est le cas de Assia Djebar, Ahlam Mostaghanemi, Malika Mokkedem, Yamina Mechakra, Leila Merouane, Zeineb Laouedj, Rabia Djalti, Maissa Bey et bien d’autres qui ont réussi à faire briller le nom d’un pays où les femmes n’occupent même pas les strapontins des cimes dirigeantes.
Ne serait-il pas temps de penser à instituer une certaine parité qui permettrait d’établir quelque justice, loin de ce discours masculin dominant, se dissimulant le plus souvent derrière une apparente virilité, trop nombriliste, péjorant tout ce qui est féminin, vocabulaire et vécu et se donnant tous les droits d’opter pour tels ou tels critères de sélection ? On me rétorquera que c’est la compétence qui prime. Dans ce cas, optons pour une commission paritaire mixte (femmes-hommes) de sélection des responsables. Tout est affaire de mentalité dans une société qui considère une femme qui fume ou qui boit comme une prostituée alors que l’homme, même s’il consomme plus de cigarettes et de boissons, serait un être normal. Drôle de logique, le tabac n’a pas de sexe, il est aussi nocif à la santé de la femme que de l’homme. Même le vocabulaire semble peu amène avec les femmes. Il y a un très beau livre de Marina Yaguello qui analyse les espaces linguistiques consacrés aux femmes qui arrivent, grâce aux luttes, à imposer un autre vocabulaire. Pourquoi ne dit-on pas « hommelette » alors que le mot « femmelette » est admis dans le jeu lexical ? Alors que tout le monde sait que les hommelettes peuplent la cité.
Arfia dans « La danse du roi » de Mohammed Dib, qui était chef d’un groupe de maquisards durant la guerre de libération est exclue du champ de la représentation et du pouvoir, une fois l’indépendance acquise. A l’UGTA, au-delà des manœuvres et des contre-manœuvres, les femmes sont absentes.
Ahmed CHENIKI