Les silences pesants d’une Algérie qu’on ne veut pas voir
Le pays profond est extrêmement oublié. On vit à constamment à l’heure d’Alger et des quartiers résidentiels comme si l’Algérie s’arrêtait à ces lieux dits privilégiés. Nos dernières escapades dans quelques villes de l’Est du pays nous ont révélé l’extrême niveau de dénuement et de pauvreté atteignant de plein fouet des daïras comme Collo ou Azzaba dans la wilaya de Skikda. Dans ces contrées, on a soif, il n’y a plus une goutte d’eau depuis plus d’une quinzaine de jours, les routes sont impraticables, on se résigne aux jerricans et aux graffiti célébrant el Harga et la révolte passive contre les injustices qui plaquent sur le trottoir plus de 50% des jeunes condamnés à regarder un futur trop incertain, vivant un chômage invalidant dans ce qui reste de la fameuse wilaya2 qui a connu de grands baroudeurs comme Zighoud Youcef, Filali, Ali Kafi et Boubnider. Le passé se rétracte devant la culture de l’ordinaire marquée par des attitudes peu amènes donnant à voir une société profonde en déphasage réel avec un discours euphorisant, culpabilisant des jeunes qui n’arrêtent plus depuis le fameux discours du président à chercher les adresses des sociétés d’agriculture ou de travaux publics qui pourraient les employer. La quête, jusqu’à présent, s’avère vaine, d’autant plus que les indicateurs du chômage sont toujours au rouge, surtout, après les incendies de forêts.
Que devraient faire ces jeunes qui attendent, à Collo, à Azzaba, à El Arrouch, à Frenda ou à Msila un hypothétique boulot et un brin d’espoir qui repeuplerait leur vécu d’investissements réels et de joies bien entretenues, à l’aune de discours culpabilisateurs qui semblent méconnaitre l’état lamentable de bourgades désormais sans vie. C’est vrai que les déplacements du président à l’intérieur du pays donnent à voir une gigantesque mise en scène bien réalisée par toutes les autorités de la contrée visitée, dissimulant sans retenue, toutes les misères de la cité, dépensant pour une visite présidentielle des sommes faramineuses, à même de permettre de maquiller une ville trop heurtée par une mauvaise gestion tant dénoncée, mais jamais réellement remise en question. Les choses, après des replâtrages de circonstance, redécouvrent leur état initial et les émeutes pour une eau trop manquante ou pour un travail improbable, prennent le dessus, sans crier gare. L’état réel des petites bourgades, trop cachées au regard des chefs, pose sérieusement le problème du mode de gouvernement qui évacue des instances de réflexion et de transformation, cette culture de l’ordinaire trop marquée par des décisions trop bureaucratiques, des routes aux crevasses infinies, des silences suspects et des bruits, certes encore aphones, mais qui devraient être sérieusement entendus par des pouvoirs publics réellement responsables.
Aujourd’hui, de nombreux coins de l’Algérie profonde ne semblent pas concernés par les discours des officiels, regardant d’en haut les jeunes et moins jeunes, quêtant, jerricans en bandoulière une eau absente sans que réagissent les autorités, et lorgnant d’une possibilité trop problématique d’un emploi trop virtuel qui ferait peut-être ouvrir les portes de l’espoir. Ce sont des villes mortes que nous avons visitées, trop perdues, vivant une absence totale de perspectives, comme Collo, ville d’Anna Gréki et de Nabile Farès, désormais chauve, sans liège ni bois, victimes des incendies trop suspects des années 90, ni de poissons, désertant la côte, comme ces sardines désormais séduites, elles aussi, par le phénomène de la Harga.
Il est encore temps de réfléchir sérieusement à prendre en charge ces douars reculés, ces villes de plus en plus pauvres qui n’ont ni bibliothèques, ni usines, ni eau qui ont vécu le martyre durant la colonisation et qui revivent aujourd’hui une sorte de désenchantement fort déstabilisant.
Ahmed CHENIKI