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Radios et télévisions arabes, autarcie et absence de liberté

Par Ahmed CHENIKI

 

Les responsables des radios et des télévisions arabes se gargarisent souvent de bavardages choses qui n’ont rien à voir avec les jeux qui marquent leur pays, ignorant totalement les vrais  problèmes, s’alignant, comme de vrais soldats, au garde-à-vous devant leurs gouvernants. On célèbre, bien entendu, le chef du jour. El Jazira, chaine qatarie, ne peut, en aucun cas, critiquer les dirigeants de ce pays dont les atteintes aux droits de l’homme sont légion. El Arabiya est incapable de dire un mot de trop sur l’Arabie Saoudite, un pays où les femmes sont interdites de volant et où la guillotine est toujours d’actualité. A Alger, ce sont d’interminables communiqués qui peuplent la télé. A Tunis et au Caire, les mêmes enterrent Ben Ali et Moubarak, devenus désormais indésirables, comme d’ailleurs Kaddafi à Tripoli. Une seule logique : le vaincu est voué à la guillotine tendue par le vainqueur portant désormais les oripeaux du dictateur. On reprend les mêmes techniques du prédécesseur, cherchant, au nom d’une trop peu sérieuse démocratie, à écraser l’autre. Aujourd’hui, en Libye, tout le monde sait que ce pays qui vient d’être recolonisé, après la mise à l’écart de l’ancien dictateur, on voudrait « pacifier » des villes considérées comme rebelles : Bin el Walid, Sebha ou Syrte. Pour les radios, les télévisions et les journaux arabes, relayant les média « occidentaux », c’est tout à fait normal, les Libyens, on les préfère morts alors qu’il serait peut-être plus humain d’éviter plus de morts en appelant à une véritable réconciliation. En fin de compte, l’Union Africaine et les BRICS ont eu raison d’appeler à une solution politique. On gamberge sans arrêt sur de nombreuses choses, évitant les questions qui fâchent comme cette absence chronique d’une certaine liberté d’expression dans les médias audiovisuels. Heureusement, les nouvelles technologies de communication permettent de gérer cet espace absent du discours des dirigeants trop obnubilés par leur propre image. Internet et quelques rares radios et télévisions privées arrivent à apporter une relative bouée d’oxygène et une sorte de coussin de sauvetage. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’on n’a pas arrêté d’évoquer un illusoire « dialogue » des civilisations alors que, à l’intérieur des sociétés arabes, les murailles des pouvoirs en place sont tellement épaisses qu’elles sont inaudibles. Ne fallait-il pas parler tout d’abord de la peur quotidienne de cet « infra-citoyen » qui craint d’exprimer son opinion ou de ces gouvernants trop enclins à ériger leur parole en vérité absolue tout en cherchant à faire plaisir aux « occidentaux » ? [1]Fanon avait déjà évoqué ce « complexe du colonisé » qui marque tous les dirigeants arabes, célébrant indéfiniment et hypocritement les vertus d’un « Occident » qui n’a jamais été aussi arrogant, tenté par une véritable recolonisation des pays arabes et africains.

Jusqu’à présent, les dirigeants en place construisent au futur antérieur des mondes virtuels et des espaces mythiques. Le mythe est le lieu privilégié de la chute du temps. Le passé et le futur deviennent des temps servant à effacer les instances historiques et à sacraliser une parole absente. Combien de fois n’a t-on pas entendu les dirigeants arabes célébrer un passé lointain et prédire un futur édénique tout en évacuant le présent trop décevant et trop lourd à porter ? Mais une fois en place, le nouveau responsable fait rapidement un état des lieux catastrophique cherchant ainsi à naniser son prédécesseur et à légitimer son règne.

Ce sont justement ces dirigeants qui vont monopoliser les moyens audiovisuels, radios et télévisions, excluant de cet univers toute parole différente tout en privilégiant le mimétisme, le conformisme et l’inflation des adjectifs qualificatifs servant à donner une image mythique, inaccessible de celui qui gouverne. Les radios et les télévisions arabes participent de cette entreprise de mythification du chef et de négation de la société, absente des univers rédactionnels insipides reflétant tout simplement une gestion d’Etat trop univoque. Ce n’est pas sans raison que toutes les radios et les télévisions gouvernementales arabes ouvrent leur journal avec la présentation, trop longue, des activités du président suivies de ses ministres. Bouteflika, Mohamed VI, El Assad, Abdellah ou l’Emir du Qatar et tous les autres chefs monopolisent leurs médias publics à tel point que les radios et les télés se confondent avec l’image du grand dirigeant qui sait tout, qui pense à tout et qui intervient en « connaisseur » éminent dans toutes les manifestations politiques, culturelles et scientifiques. Changer les télés et les radios, c’est forcément transformer l’image du chef et la relation qu’il entretient avec les instances institutionnelles et la société, opérer de radicales réformes, en direction de leurs « peuples », sans chercher à faire plaisir exclusivement à l’Europe.

Ce fonctionnement trop peu démocratique incite les intellectuels et les artistes arabes à émigrer en Europe et aux Etats Unis pour pouvoir exprimer leurs points de vue. Ce n’est pas nouveau. Déjà, dans le passé, de nombreux intellectuels et artistes syro- libanais émigrèrent vers le début de la seconde moitié du dix-neuvième siècle en Egypte, un pays qui offrait, à l'époque, quelques possibilités d'expression. L'ère de Mohamed Ali Pacha suivie par celle du Khédive Ismail allait permettre à l'Egypte de s'ouvrir à l'Europe et de libéraliser le système politique et culturel. C'était aussi une période de profonds bouleversements et de grandes réalisations. On inaugurait l'Opéra du Caire et on lançait le grand chantier du Canal de Suez. Les Libanais et les Syriens qui étaient à l'étroit dans leur pays étaient fascinés par tous ces changements qui caractérisaient la vie égyptienne et ne rêvaient que d'une possible participation aux manifestations marquant les festivités de l'inauguration du Canal de Suez. Ces émigrés d'un autre type allaient apporter leur contribution à cet édifice qui manquait quelque peu d'une note culturelle et approfondissait cette relation tant désirée avec l'Europe en amenant, si on peut dire, dans leurs valises, les formes de représentation européennes. Des intellectuels comme Antoun ou Nicolas Haddad provoquèrent des débats passionnants sur les questions culturelles et eurent un important impact sur les élites cairotes. Durant la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, de nombreux intellectuels, ne pouvant plus supporter la répression des Ottomans et les menaces de certains cheikhs conservateurs, décidèrent d'émigrer en Egypte et de poursuivre leur métier d'artistes et de producteurs culturels. Le Caire allait séduire toute la fine fleur de l'intelligence syrienne.

Si au 19ème siècle et au début du vingtième, au Machrek, on pouvait se permettre une certaine sorte d’exil au Caire, quelque peu bienveillante et relativement ouverte, aujourd’hui, les intellectuels et les artistes préfèrent s’installer dans des pays européens permettant une certaine liberté de ton et probablement une meilleure vie. [2]De nombreux journaux et télévisions arabes sont installés à l’étranger, apportant souvent une information, certes différente, mais trop marquée par les sollicitations du pays d’accueil. L’Arabe, dans de nombreux cas, se transforme en Arabe de service, c’est-à-dire, celui dont la fonction serait de cautionner le discours de l’Autre. Souvent, les textes ou les films réalisés dans les pays d’accueil obéissent au discours dominant dans les appareils de production et de diffusion européens. Les derniers films de Chahine ou de Allouache, les romans de Boualem Sansal et des reportages sur le monde arabe et l’Algérie donnent à voir un regard assimilationniste, favorisant clichés et stéréotypes et présentant un monde arabe digne des mauvaises cartes postales d’un temps révolu. La lecture de nombreux textes, empreints de mépris et de dédain pour les populations algériennes et marqués par un réalisme de pacotille font penser aux premiers romans des écrivains « assimilationnistes » algériens qui considéraient leurs compatriotes comme des « barbares » et des « sauvages » bons à civiliser et à « franciser ». La presse écrite reprend également les clichés et les stéréotypes des médias « occidentaux » sur le « monde » arabe, oubliant de prendre une certaine distance avec les faits, en recoupant les informations. Le cas d’El Watan, truffé de clichés et de stéréotypes, est symptomatique de ce contexte trop peu marqué par la prudence et la critique des sources.

Cette manière de faire caractérise une bonne partie de nouveaux romanciers et de certains universitaires bons à marchander leurs pays ou leur culture contre une reconnaissance « métropolitaine ». Il faut signaler que dans cet univers engendré en grande partie, par l’absence de liberté d’expression et de ton dans le monde arabe, donc dans les radios, les télévisions et la presse publique, se signalent aussi d’anciens responsables, ministres, PDG, diplomates, officiers supérieurs ou ambassadeurs qui, une fois dégommés se retrouvent le lendemain même avec leur marmaille à l’étranger, occupant parfois le poste tant envié de « consultant » ou d’ « hommes d’affaires » et retrouvent une langue trop critique qui leur manquait à Alger. L’Algérie n’est bonne que pour gratter. Comme d’ailleurs, tous les autres pays arabes. Comme l’ancien ministre marocain Driss el Basri, aujourd’hui décédé qui, après avoir fait le mauvais temps et rénové les outils de la répression au Maroc, torturant et verrouillant tous les canaux d’information, s’est retrouvé  dans son exil doré en France, se plaignant de la répression du locataire actuel du Palais Royal.

L’information est encore prisonnière des lieux trop sacralisés des différents pouvoirs en place. La libéralisation du champ audiovisuel n’est pas encore à l’ordre du jour dans des pays où les chefs ont peur de perdre le contrôle de cet appareil considéré comme primordial dans l’entreprise de maintien et de contrôle de tous les pouvoirs. En Tunisie, les choses commencent à changer dans un ciel trop peu serein, l’avenir restant sombre et incertain. Certes, le Liban dispose d’une législation ouverte, mais reste néanmoins quelque peu timide au niveau de la gestion de l’information politique. De nombreux « leaders » arabes justifient la fermeture du champ audiovisuel par le manque de maturité de leurs populations estimant que les équipes au pouvoir sont seules à détenir la vérité et à posséder une certaine maturité. Mais la véritable raison de leur frilosité réside dans la peur de perdre leur véritable instrument de propagande, la télévision et la radio. Déjà, les gouvernements en place ont de sérieuses difficultés à faire taire les voix discordantes dans la presse écrite, manquant tragiquement de vrais journalistes professionnels, usant de tous les stratagèmes possibles pour limiter son expression. Aujourd’hui, la parabole est le point central unissant toutes les populations arabes. Les télévisions gouvernementales n’étant plus seules ou uniques, l’individu arabe a le choix de regarder les chaînes étrangères lui convenant et divorçant ainsi avec la télévision de son pays, trop peu compétitive et trop éloignée de ses préoccupations. Comme la presse publique, les média audiovisuels se caractérisent par un manque de professionnalisme aberrant. L’information, trop encadrée par une explosion de paroles, ne dit plus l’événement, mais, bavarde, elle le neutralise. La hiérarchisation des news ne correspondant le plus souvent à aucune logique éditoriale. Certes, les rédacteurs en chef et les réalisateurs du JT et des émissions d’information cherchent à singer les journaux des télévisions européennes, mais le résultat est décevant ; le JT d’une grande chaîne européenne ou américaine obéit à la ligne éditoriale du média.

La question qui pourrait se poser aujourd’hui est la suivante : est-il possible de mettre en œuvre une sérieuse politique de libéralisation des moyens audiovisuels en dehors de l’ouverture réelle du champ politique, idéologique  et culturel ? La réalité du terrain infirme cette hypothèse dans la mesure où les gouvernants, en place, nouveaux ou anciens, trop aphones, ne se permettraient jamais de perdre l’un des instruments primordiaux de leur puissance et le symbole de leur règne et de leur « sacralité ». Le vernis démocratique investit largement les différents discours marqués par les obsédantes redondances de mots et d’expressions désormais trop à la mode comme « réformes », « démocratie », « liberté d’expression »…Ce jeu avec les mots reflète l’impuissance des gouvernants à mettre en application des réformes pouvant favoriser la contestation de leurs pouvoirs et de leurs privilèges. Il est donc normal qu’ils continuent à considérer leurs populations comme « mineures ». Ce mépris est général et participe d’une logique de justification et de légitimation de décisions foncièrement politiques en porte à faux avec leur propre discours. Rares sont les fois où le dirigeant arabe met en adéquation ses paroles et ses actes, notamment dans le domaine de l’information et de la culture, encore trop sensible et très délicat.[3] Les dirigeants savent que le « peuple » est une abstraction, incapable de mener une quelconque révolution, condamnée à suivre le cours des événements. Aucune révolution depuis Athènes n’a été dirigée par la foule, celle-ci est utilisée, le plus souvent, à ses dépens, comme pendant la sanglante révolution française qui a vu le « peuple », exclu des travées de la décision et de la direction et condamné à vivre la marge, massacré et exilé après la Commune de Paris de 1871.

Cette triste réalité de radios et de télévisions, chloroformées et stérilisées à l’extrême, est l’expression d’un sérieux déficit démocratique caractérisant les sociétés arabes encore marquées par la présence de systèmes autocratiques. Une telle situation a poussé de nombreux journalistes, souvent les plus talentueux, à émigrer et à travailler dans des radios et des télévisions installées en Europe, beaucoup plus professionnelles et moins contraignantes sur le plan de l’information, mais trop marquées idéologiquement et politiquement. La liberté de la presse en Europe et aux Etats Unis est une chimère..

 L’Union des radios et des télévisions arabes qui, comme les autres organisations de cet univers, l’ALECSO par exemple, n’a aucun pouvoir sérieux, pourrait se réunir indéfiniment sans résultat dans ce contexte actuel qu’investissent les conflits entre personnels dirigeants des différents pays et une absence totale de perspectives politiques sérieuses. Comment dès lors peut-on parler d’une association pertinente des radios alors que l’organisation-mère, la ligue arabe, n’a qu’une existence aléatoire et illusoire, aujourd’hui prisonnière des pays du Golfe et fonctionnant comme espace-lige ?

           

                                                                                AHMED CHENIKI

 

[1] Les responsables glosent énormément sur le « dialogue des civilisations » alors qu’ils évitent d’évoquer l’absence de dialogue et de conduites démocratiques dans leurs pays. Ainsi, plusieurs artistes et intellectuels produisent, souvent avec les moyens du bord, à l’étranger. Cette situation engendre l’apparition de comportements parfois racistes à l’égard de leurs propres populations. Certains romans, marqués par un discours nihiliste et désenchanteur, investissent le terrain artistique et littéraire. Le cinéaste, le romancier ou l’homme de théâtre tentent de conforter le discours de l’éditeur ou du producteur en reproduisant le discours de la mode du moment. Cette tradition ne caractérise pas uniquement le monde littéraire et artistique, mais domine également l’univers des politiques ui vivent souvent par procuration à l’étranger. D’ailleurs, une fois dégommés de leurs postes, ils se retrouvent le lendemain même de leur limogeage à Paris ou à Londres où ils se fabriquent parfois un discours d’opposants taillé sur mesure.

[2] L’exil des intellectuels est la simple expression de l’absence du statut de citoyen dans les sociétés arabes. L’exil a aussi ses situations cocasses. Il faut savoir qu’en 1963, Révolution Africaine que dirigeait Harbi a reproduit un entretien avec Lacheraf suivi d’un débat et d’attaques contre l’ancien ministre de l’Eduation de Boumediène et membre du Comité central du FLN. Lacheraf vivait l’exil en France qualifié de « doré » par Mourad Bourboune dans les colonnes de ce journal. Personne n’osa évoquer en termes clairs le cas Lacheraf injustement exilé, du temps de Ben Bella. Après le coup d’Etat de Boumediene, Lacheraf qui était rentré en Algérie et avait occupé des postes de responsabilité, ne parlera pas du cas des prisonniers et des nouveaux exilés qu’étaient Harbi, Zahouane, Boudia,  Bourboune et bien d’autres…Les droits de l’homme et la liberté devraient être indivisibles.

[3] La culture est un terrain délaissé par les gouvernements arabes. La funeste ALECSO (conçue au départ comme une sorte d’UNESCO arabe), à l’ombre de régimes autocratiques, a toujours cherché à apporter une enveloppe trop officielle, donc médiocre, de la culture dans les pays arabes. C’est une structure qui attribue des salaires à des privilégiés. En Algérie, il est vain de parler de culture (le budget alloué est très minable, sans compter l’absence d’un projet et de perspectives sérieuses) . Certes, le Président a fait, en principe, des discours sur la question à Beyrouth et ailleurs, sans réalisations concrètes pour le moment sur le terrain. Ne serait-il pas temps d’accorder une certaine importance à cette délicate question ?

 
 
 



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