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Entretien
avec
Mehdi Charef

1/2Fluctuat: Je vous propose un entretien un peu inhabituel. Je vous donnerai des mots ou des titres de films, et vous me direz ce qu'ils évoquent en vous. Le premier mot est évidemment "Algérie".

Mehdi Charef: Pour moi, l'Algérie, c'est l'enfance. Quand j'y retourne, je ne vois pas l'Algérie, je la revois. Ce que je ressens le plus, c'est la Guerre d'Algérie. Je suis né en 1954, juste avant le début des combats. Et j'ai quitté ce pays pour la France en 1962. Je n'ai donc pas eu de chance, car je n'y ai vécu que la guerre. Pour moi, ce pays, c'est la peur. On avait peur tout le temps. Mon père n'était pas là. Il était dans l'immigration. Il revenait tous les deux ans. Avec ma mère et mon frère, nous avions peur en permanence. Des cousins ont été tués par l'armée française. Je suis un enfant qui a grandi dans la guerre. C'est pourquoi j'ai mis un temps fou pour y retourner de moi-même. J'avais alors 38 ans. J'avais l'impression qu'il y avait encore la guerre, que les mêmes craintes resurgiraient. C'était ancré en moi. J'y suis revenu à la fin des années 90, en plein intégrisme, et la peur est revenue très vite. Il y avait des barrages partout. On ne savait jamais s'ils étaient vrai ou faux. Je n'y suis pas retourné depuis. J'avais fait le déplacement parce que je voulais faire un film sur mon enfance, sur un gamin au milieu de la guerre. Je voulais donc voir si l'Algérie de mes souvenirs existait encore, si mon école, le terrain de foot étaient encore là. J'ai alors revu une tante avec qui j'avais grandi et qui venait de se faire répudier par son mari. Une très belle femme. Je me suis mis à regarder les autres femmes et j'ai alors changé de scénario. Cela a donné La Fille de Keltoum. Initialement je voulais faire un film plutôt drôle sur un enfant. Pendant la guerre, vers 1961, je vendais des journaux. J'allais chez les gens, je voyais plein de monde. Je les vendais dans les camps militaires, chez les flics, le coiffeur, aux bourgeois, aux pauvres. J'ai donc beaucoup d'anecdotes. Je ferai ce film. J'en ai toujours envie. Je désire montrer mes amis, des juifs, des arabes, des français. J'étais assez privilégié, car dans mon quartier cohabitaient les trois communautés, d'habitude isolées les unes des autres. On jouait ensemble. Après je les ai vus partir un par un. Je souhaite raconter ça, l'horreur du retour en France. Les jeunes rentraient, mais les vieux voulaient mourir là-bas, en Algérie. A l'époque, un homme s'est tué avec une grenade pour que ces gosses ne l'emmènent pas de force au port d'Ouahran. Il y avait aussi des histoires amusantes, comme le type qui a brûlé sa voiture pour ne pas la laisser aux arabes. J'aimerais que ce film soit un mélange de tragique et d'humour. L'Algérie, c'est tout ça. Mais ce pays ne donne pas l'impression d'exister. Elle n'est pas encore sortie du ventre de sa mère. On sent que c'est un pays jeune qui ne demande qu'à s'épanouir. Les possibilités sont immenses. Il faut attendre que les anciens militaires s'en aillent. Ils ont 65-70 ans. Il faudrait que leurs enfants comprennent que l'Algérie n'est pas à vendre. Parce qu'ils ont combattus, ils pensent qu'elle leur appartient. Il s'est passé des choses horribles durant la guerre. J'ai connu un algérien qui exécutait ceux qu'il fallait supprimer. Il était dans les rouages. Il a vraiment fait la guerre pour l'Algérie. Il travaillait en usine en France et, tous les ans, il revenait au pays. Il était gradé mais après la guerre, il n'a rien voulu. Il a balancé son grade et est retourné en usine. A son départ, il a refusé les bonne places et l'argent qu'on lui proposait. C'est un des rares qui n'a pas fait cette révolution pour l'argent.

Nombre de jeunes nés en France, qui ont aujourd'hui 25-26 ans, pensent trouver là-bas une femme et un travail et y "terminer" leur vie partir de 35-40 ans.

Je l'ai entendu dire. On sent qu'il y a une possibilité là-bas. On sent qu'on peut amener quelque chose. A force de voir cette misère dans le Maghreb, on se dit qu'on peut faire quelque chose. Moi, je me sens plus banlieusard. Je me sens plus investi dans l'immigration. J'en veux encore à l'Algérie de m'avoir laissé tomber. Je n'ai jamais été heureux en France quand j'étais môme. C'était dur. Pendant des mois, je repensais à ce que j'y avais laissé. C'est seulement depuis 10 ans que je considère que mon père a bien fait. Il voulait qu'on aille à l'école, qu'on ait un métier. Dans ma famille, on a eu de la chance. On était une des rares familles algériennes où il n'y a pas eu de gars drogué, mort du sida ou passé par la prison. De nombreux enfants ont été perdu dans l'immigration. Je ne ferai d'ailleurs jamais de film sur ce sujet. C'est trop dur.

Un deuxième mot: "Autodidacte".

Je ne l'aime pas, car il fait un peu "intello". Comme j'ai été très peu à l'école, je n'ose pas l'utiliser pour moi. Je ne me suis pas fait tout seul, je me suis aussi fait à l'école. J'adorais lire. J'ai été sauvé par l'orthographe, le français, les lettres. Je rêvais, même sans m'en rendre compte. Gamin, je rêvais d'écrire. En Algérie, j'allais à l'école, mais les français sont partis trop tôt. L'école était obligatoire. J'y suis allé à partir de 6-7 ans. Et c'est à cette époque que ça a commencé à canarder. Les enseignants avaient peur et partaient. On avait de moins en moins de cours, car il n'y avait plus de professeurs. La dernière année, en 61-62, il n'y avait plus d'école. J'ai vraiment commencé l'école à 10 ans. J'avais beaucoup de retard. C'est le français qui m'a permis de tenir le coup. Un jour, une de mes rédactions a été lue devant la classe. Une autre fois, un prof m'a dit que je devrais écrire. Inconsciemment j'ai été encouragé à le faire.

"Cinéphilie".

J'avais 8-9 ans et on passait devant le cinéma, un endroit dans une jolie rue du quartier français. On voyait les gens faire la queue. On regardait les grandes affiches avec les cowboys. C'était extraordinaire. Mon frère avait une dizaine d'années et travaillait au marché. Avec ses économies, il m'a payé une place au cinéma et j'ai vu un western. C'était incroyable. On était assis dans des fauteuils, nous qui étions toujours assis par terre. Et à l'école, un jeudi par mois ou tous les jeudis, je ne sais plus, un film était projeté. On payait trente centimes. Je tannais ma mère pour les avoir. Quand la lumière s'éteignait, j'en avais le souffle coupé.

C'était une manière de s'évader ?

Oui. Et j'étais plus trouillard que les autres. On avait peur. Ma mère nous racontait des histoires le soir, pour que nous ayons moins peur et que nous nous endormions. Cela aussi m'a donné envie d'écrire, ces histoires pour s'endormir. On entendait les bottes des gens qui couraient. Des coups de pieds, des rafales de mitraillettes. Le cinéma, et plus tard l'écriture, me permettaient de me libérer. Quand on a débarqué du train à Austerlitz, on a pris un taxi et on a traversé Paris. Nous sommes passés devant un cinéma et mon père nous a dit: "tous les dimanches, vous irez au cinéma". Et il l'a fait. Pas tout le temps, car c'était un franc cinquante chacun. Il nous payait le cinéma et c'est resté. Le cinéma m'a suivi toute ma vie. Comme pour mon frère, d'ailleurs. On voyait des westerns, des péplums. Les films psychologiques, ça m'est venu plus tard, même si cétait un peu plus tôt que pour les autres.

"Influences".

Los Olvidados de Luis Bunuel. Ce film m'a rappelé l'enfance que j'avais eu en Algérie. Gare centrale de Youssef Chahine, aussi. Après il y eut Il Bidone et La Strada de Fellini. Ces deux-là m'ont encouragé à écrire ce que je voulais.

Ces quatre films ont pour point commun une inspiration néo-réaliste.

Tous les quatre se passent dehors, dans la rue. Enfants, on vivait dans la rue. A la maison, on n'avait rien. Seulement du pain pour manger, le midi et le soir. Pas de télévision, pas de jouets. Aussi on était toujours sorti. On vivait comme des sauvages. Je me retrouve donc dans ces films. Si j'avais fait ces quatre films, il y a longtemps que j'aurais arrêté. Ils contiennent toute mon enfance.

Le Thé au harem d'Archimed.

J'ai commencé à l'écrire vers 17 ans, dix années avant sa sortie en 1984. J'écrivais cinq, dix, vingt pages. L'histoire grossissait et parfois j'arrêtais d'écrire, je n'y croyais plus. Et je la reprenais. Sa rédaction a débuté en 1975. Les professeurs dont j'ai parlé m'avaient laissé entendre indirectement que mes écrits étaient amusants et attachants. Quand je rédigeais le scénario du Thé au harem, j'étais sûr que ça pouvait intéresser. J'écrivais anecdotes sur anecdotes, ce qui arrivait à nous et aux gens de la cité. Pendant la rédaction, un changement s'est produit. Au début, j'écrivais pour me distraire, pour faire un scénario. Après il y eut de la colère. Vers 1978, je me suis aperçu qu'on s'adressait à moi d'une façon choquante. J'ai décidé de reprendre ce scénario, car je trouvais déshonorante, surtout pour nos parents, la manière dont les journaux et les gens parlaient de nous. Il m'a semblé bien de dire ce qu'était l'immigration en France à cette époque, de transcrire l'image des cités que j'avais en tête. Je voulais montrer qu'il y avait de la tendresse. Eux, ils voyaient la façade. Je voulais leur signifier que nous étions autre chose que ce qu'ils disaient.

"Intégration".

L'intégration s'est faite en 1983 ou 84, le jour où ils ont tué pour la première fois un immigré parce qu'il était immigré. C'était un môme de 14 ans. Il habitait Nanterre. Il passait et un voisin lui a tiré dessus. L'intégration a débuté avec cette mort. Le français a tiré parce qu'il savait que l'enfant était intégré et qu'il mourrait ici. Tant qu'on était de passage, on ne nous tiraient pas dessus. Les gens disaient: "ils viennent, ils bossent et repartent en Algérie". Puis ils ont compris, et nous avec, que nous allions rester. Alors ils se sont mis à tirer. Les partis politiques d'extrême droite sont apparus. Pour moi, l'intégration existe depuis ce jour. Elle est repoussée par certains. Les immigrés ont peur de dire qu'ils sont intégrés. Par culpabilité vis-à-vis de l'Algérie. Ils la refusent parce qu'ils ont peur d'y perdre quelque chose, leur identité dans le mélange. Mais ils savent qu'elle existe.

Vous aviez vingt ans dans les années 70. Comment les avez-vous vécus, en autre par rapport à vos racines?

Vous aviez vingt ans dans les années 70. Comment les avez-vous vécus, en autre par rapport à vos racines?

Avec difficulté. Nous étions très culpabilisés par nos parents. Ils nous rappelaient sans cesse que nous étions venus ici pour faire des études. J'avais un CAP. Et il fallait trouver un travail. Il y avait toujours l'issue de secours, l'Algérie. Je n'aimais pas cette idée, car je n'ai jamais cru dans le retour. Nos parents n'ont pas raté leur intégration. Ils avaient trois buts: que l'on ait des diplômes, que l'on soit avec une algérienne, et qu'on aille vivre dans la maison qu'ils avaient achetée là-bas, pour y travailler. Ils ont perdu sur les trois tableaux. C'est pourquoi le père immigré marche le dos courbé. Je prends l'exemple de mon père. Il s'est endetté pour venir en France. Il n'était pas heureux de quitter le pays, mais il pensait y gagner de l'argent. Pourquoi? Parce que les gars qui revenaient de France portaient des costumes. Mais en fait, ceux-là habitaient dans les bidonvilles. De plus, on ne s'est pas marié avec des algériennes et nous ne sommes pas retournés en Algérie. Et ses enfants ne le suivaient pas à la mosquée, comme le prescrit pourtant le Coran. Tout cela, je le raconte dans Le Thé au harem d'Archimed. Avec ce film, j'ai voulu montrer qu'on avait les mêmes problèmes que les autres, les français.

Miss Mona.

Miss Mona, c'était la liberté de faire autre chose. J'habitais alors Montmartre, qui n'était pas encore envahi par les touristes. Je connaissais des travestis. Je sortais de l'usine et eux, ils allaient bosser au Bois. Je me suis aperçus que ceux de 45-50 ans, on ne les voyait plus. Ils ne plaisaient plus. Seuls les jeunes continuaient à travailler au Bois et à Pigalle. Les vieux disparaissaient. J'ai donc imaginé ce que pouvait devenir un travesti quand il ne faisait plus recette sur le trottoir, comme Jean Carmet dans le film. A l'époque, j'avais un pote allemand, un clandestin, qui me faisait très peur et qui travaillait sur des chantiers. Et j'ai inventé la rencontre de ce travesti avec un type aussi fort que cet allemand, en faisant de ce dernier un maghrébin.

Comment s'est déroulée la rencontre avec Jean Carmet?

Il ne voulait pas faire le film. J'avais pensé à lui, à Michel Bouquet et à Philippe Noiret. Pour porter ce rôle, il fallait un monstre. J'en ai parlé à Bouquet et à Jean. Il en avait peur. Il ne voulait pas le faire. Il se demandait ce que les gens allaient penser de lui. Après le film, il s'est sauvé en Suisse. Il m'a laissé seul pour la promotion. Je lui en ai voulu, car le film aurait certainement mieux marché s'il avait été là. Il craignait peut-être que son côté féminin resurgisse. Il était déboussolé. On s'est engueulé gentiment deux ou trois fois sur le tournage. On s'aimait beaucoup. Ce film m'a énormément aidé. A la projection au Festival de Berlin, je voyais les personnes sortir dix minutes avant la fin. Et les gens m'ont dit qu'ils avaient trouvé le film dur. Moi, en toute sincérité, je ne m'en rendais pas compte. Il y a une anecdote terrible autour de ce film. On tournait avec les travestis la nuit. On leur donnait 500 ou 1000 francs pour une nuit. L'un d'entre eux est venu nous voir. Il m'a dit: "je ne suis pas venu pour l'argent, mais parce que j'aime le cinéma et que je vous apprécie". Alors je lui ai demandé s'il avait vu Le Thé au harem. Il m'a répondu: "oui, mais je suis venu parce que je vous aimais bien quand on était petits. On a joué ensemble dans les bidonvilles". Et là, il m'a donné son nom.

Il y a un mot qu'on trouve dans la plupart des articles qui ont été consacrés à vous ou à vos film: "Marginal".

A ce mot je préfère celui de "singulier". Un marginal refuse la société. Mes personnages, eux, sont plutôt singuliers. Ils ont été virés de la société. Ils veulent y revenir et il y a toujours quelque chose qui les repousse. Ils sont à la rue. J'aime cette expression.

Camomille.

J'avais envie de travailler sur un personnage affreux, comme cet adolescent qui vit avec sa mère, et sur ce qui ressort de leur relation. Elle n'a plus que son fils et elle veut le garder pour elle. Elle a peur de se retrouver seule dans cette maison au fond du jardin. Cet adolescent accepte car il aime sa mère. Il veut voir jusqu'où il peut aimer. C'est mon premier film sur Paris. J'avais découvert la solitude de certains au milieu de la capitale. Des millions de personnes les entouraient et ils étaient plus seuls que s'ils avaient vécu dans un coin perdu des Cévennes. J'avais envie de faire un film sur cela. Comment ils se raccrochent à la vie? Quelles sont leurs habitudes? On y retrouve aussi la même idée que dans Miss Mona, l'absence du père. Dans Camomille, celui-ci est dans un asile ou un hôpital. Dans Miss Mona, le père de Jean Carmet est hébété, il met des miettes partout sur son lit et se prend toujours pour un jeune travesti. Dans Le Thé au harem d'Archimed, on va le chercher au bistrot. Dans les bidonvilles, beaucoup d'hommes n'avaient pas leurs épouses. Aussi, quand ils avaient le mal du pays, ils se rendaient au café où ils buvaient.

Au pays des Juliets.

Ce sont les femmes. J'écris pour les femmes. Mon dernier film parle des femmes et le prochain sera encore sur les femmes. Elles nous ont élevés. Ma mère, ma grand-mère, ma tante... Je n'arrive pas à avoir de héros masculins. Quand le premier rôle est tenu par un homme, c'est un anti-héros. C'est certainement dû à l'absence de mon père. Dans mes derniers films, on voit les choses à travers les femmes. J'aimerais faire un film où le personnage principal serait un homme, comme dans Le Thé au harem.

Marie-Line.

Je voulais faire se rencontrer des femmes venant de différents horizons, et parler de cette nouvelle immigration issue de l'est. Par des silences, des regards, des approches, je voulais voir comment des femmes du Maghreb et de l'est peuvent vivre ensemble. Marie-line, c'est une rencontre. L'important est que ces femmes ont réussi à se connaître. On ne sait pas quel souvenir elles conserveront l'une de l'autre. Mais elles garderont en mémoire leur rencontre. Elles se souviendront qu'elles ont vécu quelque chose ensemble. Quand je repense à ce film, je m'aperçois que c'est ça que je voulais faire. Elles sont cinq ou six, toutes ensemble dans ce bistrot, au bord de la mer. Je voulais en arriver à cela, finalement. Après, il y a ces histoires d'immigration, de passages clandestins qui se paient très cher.

Plusieurs années séparent Au pays des Juliets de Marie-Line.

Je me suis arrêté pour écrire deux livres, Le Harki de Meriem et La Maison d'Alexina. Et parce que je ne pouvais alors plus continuer. Ce que j'avais vécu avec ces films avaient été trop rapide, trop intense. Je souhaitais prendre du recul.

La Fille de Keltoum.

C'est le retour au source. C'est la question: qu'est-ce qu'il me reste là-bas? Ai-je encore besoin de savoir des choses de là-bas pour pouvoir continuer ici? Ou dois-je retourner là-bas? Afin de me rééquilibrer, je voulais savoir ce qui, en Algérie, restait et m'était cher. Quand on est en France et qu'on veut aller de l'avant, si l'on repense à l'Algérie, c'est qu'il y a encore des choses à aller chercher et qui manquent. On retourne aux sources pour peut-être reprendre des forces. Aussi l'expression "il ne faut jamais oublier d'où l'on vient" doit être bonne. Moi, je l'ai toujours reniée. En fait, ça doit être vrai. Il n'est pas nécessaire que ce soit physique. Pour un enfant né en France, c'est ne jamais oublier d'où viennent ses parents et ce qu'ils ont été. Quand j'y suis retourné, je me suis senti mieux. Il y eut une petite lueur. Quand la Rallia du film revient en France, elle n'a rien connu, elle a juste compris que sa mère l'avait vendue. Mais elle sait maintenant d'où elle vient. Elle a vu des gens. Elle connaît le visage de ses ancêtres, elle sait qu'ils marchaient pieds nus et a vu cette montagne. Ce sont des petites choses sans importance qui deviennent considérables. On ne revient pas avec un discours. "Il ne faut jamais oublier d'où l'on vient", cela signifie aussi qu'il ne faut jamais oublier son enfance.

Votre enfance a surtout été urbaine. La Fille de Keltoum, au contraire, se déroule dans un paysage de montagnes désertiques.

J'ai des cousins qui vivent encore comme dans le film. Ils n'ont pas d'eau, pas de toilettes. Ils vont à la rivière. C'est extraordinaire. Cela n'a pas changé depuis mon enfance. Quand j'y suis retourné, mon oncle se promenait encore avec son âne et un poignard.

"Le désert".

C'est la méditation. Je suis fasciné par ces gens qui continuent à vivre dans le désert. C'est rude, invivable. La vie fait des cadeaux, pas le désert. Mais il y a une beauté extraordinaire. Le désert se flatte de cela. Il est d'une prétention incroyable. On s'extasie devant lui. Il l'entend, à chaque pas. De plus, l'expiation est une idée très musulmane. Plus c'est dur, plus on a envie d'y vivre. On voit ainsi que les arabes ne sont pas fatalistes.

"Littérature".

Dans La Fille de Keltoum, certaines scènes sont littéraires, parce qu'il y a beaucoup de silences, de regards et de portraits. Ces femmes, ces hommes, je les trouve beaux. Et le désert m'a hanté. Sans trop bouger la caméra, il s'agissait de surprendre quelque chose.

Comment associez-vous votre travail d'écrivain à celui de cinéaste?

Il y a des sujets que je sens plus dans un livre, que le public doit recevoir assis dans un fauteuil, seul, dans le silence. Pour d'autres, au contraire, il faut qu'ils soient ensemble dans une grande salle. On m'a demandé d'adapter le Harki, mais j'ai refusé. Je préfère qu'il reste comme il est.

"Montage".

Quand j'écris, je vois les scènes montées. J'imprime un rythme au scénario, en arrêtant la scène sur un mot précis, car je vois la scène qui vient de se faire. J'écris aussi en faisant du montage. Quand je rédige le scénario, je monte déjà. A partir du moment où une scène est écrite, on se balade avec des gestes, avec la façon dont le comédien devra dire son texte.

"Le cinéma beur".

Il n'y en a pas assez. Le cinéma algérien, marocain... Comme celui des femmes. Les femmes maghrébines ne font pas assez de cinéma et ça me manque. Un ami tunisien, un cinéaste, m'a dit que cette année, il y a avait eu de nombreux films en Tunisie. J'étais content. En Algérie, on attend encore. Quand un pays est en crise, la culture est rejetée. On repousse le cinéma à plus tard.

"Projet".

Un scénario sur un affrontement entre mère et fille, plutôt copié sur les rapports de ma mère avec mes soeurs. Ce lien est assez étrange. On a l'impression qu'à côté, le garçon est roi.

Entretien réalisé par Samir Ardjoum en mars 2002


> - Texte extrait du site fluctuat

 


 
 



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