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Le cinéma, c’est (bel et bien) fini ! Pas le film

 

Par Belkacem AHCENE-DJABALLAH

 

Belkacem Ahcene Djaballah est, avec Brahim Brahimi, l’un des plus grands spécialistes de la communication et de l’information au Maghreb. Il propose ici une riche et éclairante de l’état actuel du cinéma en Algérie.

 

 

L’industrie cinématographique a été un des grands ratages de notre économie nationale et, bien menée au départ  puis aboutie aujourd’hui, elle aurait pu être une des sources de recettes, et d’emplois, «hors hydrocarbures» appréciable à l’image de ce qui se fait au Maroc et en Tunisie pour ne parler que des plus proches, géographiquement parlant,  des pays frères.

Dans les années 60-70, des centaines de salles de cinéma (424 exactement en 1962 et 304 en 1979 dont 154 pour la seule agglomération algéroise) et des millions de spectateurs/an (45 000 000 d’entrées en 1973 date du décollage de la télévision et 22 500 000 en 1980), ce qui en faisait le marché le plus important d’Afrique et du Monde arabe, une école de formation, une cinémathèque enviée par le monde entier, une critique cinématographique de qualité au sein d’une presse pourtant limitée quantitativement et contrôlée politiquement… et des projets ambitieux dont le plus important était la réalisation d’un complexe cinématographique avec ses  studios de tournage de films pouvant accueillir tant la demande nationale qu’étrangère… L’argent était disponible ainsi que la volonté politique, ce qui n’était, à l’époque, pas rien. La dynamique était là, bien présente, partout. Mais, hélas, on eut, en coulisses, une lutte sourde entre les partisans de studios au Nord du pays, et les partisans de studios au Sud du pays, entre les partisans de studios «fermés» et ceux qui offraient le «plein air» du Sud du pays… Comme d’habitude, des combats, pour la plupart intéressés, qui firent perdre du temps ainsi que de l’argent, et qui, échéances des Plans de développement de l’époque obligeant, mirent définitivement le projet aux archives. Entre-temps, le savoir-faire déjà acquis à différents niveaux de la chaîne de l’«industrie cinématographique» (production, distribution, exploitation), étouffé par la bureaucratie ou  acculé à ne rien faire, s’était éteint ou exilé. Avec le «meurtre» sur ordonnance de la pompe à oxygène, en l’occurrence les salles… seules pourvoyeuses  solides et sûres de finances, la cause était entendue.

Les Tunisiens et les Marocains, toujours  à l’affût de la moindre faille du voisin, à défaut de productions nationales, en profitèrent largement en ouvrant leurs portes et leurs grands espaces aux productions étrangères, entre autres, et entamèrent  ainsi une dynamique qui permit à leurs cinéastes et à leurs techniciens, de se «mettre à niveau», et de mettre en place une véritable industrie cinématographique, modeste certes, mais bel et bien présente et productrice d’emplois, de revenus, puis d’oeuvres et de rêves authentiquement nationaux. La télévision et la parabole « trouvèrent à qui parler» et les salles ne furent pas totalement désertées. Aujourd’hui, leurs festivals, leurs films (produits ou coproduits ou tournés chez eux), leurs acteurs, leur parc de salles et même le nombre de consommateurs de films  tiennent le haut du pavé du cinéma, et la relève est là, bien présente.
Pis encore, il semble que la perception même du concept de cinéma (classique ou moderne) est de plus en plus mal comprise par l’ensemble des citoyens, pour la plupart déshabituées de la vision en salle, à l’exception d’une mince couche de jeunes qui ont une conception idyllique de la chose filmée.

Le dernier film sur Ben Boulaïd, de Ahmed Rachedi, au-delà de la polémique liée à la manière de traiter un tel sujet ce qui est déjà un grand problème tant il  est vrai que beaucoup de spectateurs (dont les décideurs)  ne savent pas encore ce que c’est qu’un film de fiction, est (re-)venu (re-)poser la lancinante problématique du cinéma algérien, un cinéma pourtant déjà bel et bien mort et que l’on tente, par appareils administratifs interposés (communes, entreprises…) et autres années culturelles (Année de l’Algérie en France, Alger, Capitale de la culture arabe, et demain Tlemcen, Capitale de la culture  islamique), dispensateurs de grosses subventions et d’aides multiples et multiformes, de ressusciter.
Dans une ambiance quelque peu mortifère, les projets et les projections des uns et des autres, cinéastes sur le retour, critiques en panne de papiers, spécialistes lassés de se répéter, passent de plus en plus inaperçus au niveau du large public… seuls restant en course quelques jeunes courant après les rêves et les illusions perdues de leurs papas, et les amoureux qui souhaiteraient bien que le nombre de salles de qualité s’accroisse afin de pouvoir proposer à la dulcinée du jour un éventail large de lieux sûrs où se bécoter.

Les hirondelles filmiques représentées par les courts métrages, les films en amazigh… et les films documentaires destinés beaucoup plus à la télévision qu’au public des salles obscures, ne feront jamais une industrie cinématographique telle que l’on s’imagine.
On a des films, nous avons eu et nous avons encore  des réalisateurs, nous avons des cinéphiles, nous avons des critiques… mais point d’industrie cinématographique : celle-ci nécessite des salles fréquentables, des laboratoires modernes, des techniciens spécialisés, des studios de tournage aérés, des scénaristes de talent,  peut-être même une grande école de bon niveau… mais, aussi et surtout, des oeuvres littéraires (romans, nouvelles, mémoires…) et  théâtrales écrites, pouvant et devant quasi-nécessairement servir de plate-forme aux idées et aux scénarii.

Les deux bouts de la liste. Les deux nœuds d’une seule problématique : les salles et  la création littéraire et intellectuelle. Hors cela, point de salut et nos publics, mis à part  les films de circonstance qui naissent tous les trente-six du mois,  se suffiront des courts métrages, des films documentaires faits pour la télé… et des films coproduits avec des organismes étrangers par des réalisateurs pour la plupart binationaux  dont on s’en va vite s’approprier… en cas de succès, la «paternité». Entre vacuité et bricolage, pour emprunter à un spécialiste désormais totalement dégoûté, Abdou Benziane. Pauv’ de nous !

Le cinéma algérien, c’est fini, selon un autre spécialiste plus tranchant  (Ahmed Cheniki)… mais l’Algérie a besoin de films, longs, courts, documentaires, de fiction, nationaux, importés ou non… car l’Algérien a besoin de rêves, de mythes, d’ambitions, de projets, d’évasion, de rencontres… Vu en salle ou seul, peu importe. Sauf pour ceux qui persistent à vouloir faire peur ou faire jouir les gens collectivement. Le cinéma de grand-papa ! Le cinéma socialiste !
En attendant la réanimation du comateux, ce qui est fort peu probable, le coma étant plus que profond, il serait heureux que l’Etat fasse ce qu’il  doit faire comme minimum. Non, par la « viagratisation », c’est-à-dire se lancer dans des subventions à l’aveuglette pour se faire plaisir ou pour faire plaisir à telle ou telle organisation ou personnage, non dans la «restauration de luxe», à grands frais, des anciennes salles déjà toutes pourries ou «liquidées» ou, désormais, infréquentables car mal situées (ajoutez-y l’impossibilité généralisée  de stationner) mais, dans une première étape, dans l’aide à l’ouverture, par les communes et surtout les privés, avec l’aide de l’Andi ou l’Ansej,  de petites et moyennes salles polyvalentes (où on peut aussi bien visionner un film qu’assister à une représentation théâtrale ou à une conférence ou à un concert), au niveau, peut-être de chaque grande ville. Pour ré-apprendre aux moins jeunes et apprendre aux plus jeunes, seuls ou en couple ou en famille, l’amour du film et  du spectacle. On a bien des salles de fêtes et des cybers-cafés partout ! Au départ, personne, les appareils de l’Etat y compris, n’y croyait.
Seule cette démarche ramènera, surtout les nouveaux publics algériens, à la fréquentation des salles pour rêver… et, peu à peu, l’organe créera la fonction. C’est rare, c’est difficile, mais c’est possible.

Quant à la création littéraire… peut-être en commençant par ne soutenir ou n’aider que les films, de nationalité algérienne avec certitude (cela permettra, par la suite, de faciliter les participations aux festivals… de rapatrier un peu de devises et de les enregistrer à la Cinémathèque algérienne),  et dont les scénarii sont inspirés, exclusivement, par des écrits du cru (romans, mémoires, nouvelles, pièces de théâtre… et Dieu s’il y en a, chaque page d’un livre étant une histoire à elle-seule), édités en Algérie. Il faut seulement lire, et savoir lire.
Post-scriptum : Le film sur Ben Boulaid, le héros de la guerre de Libération nationale n’a pas manqué — comme prévu — de susciter des observations critiques de «la famille révolutionnaire», chacun des anciens trouvant qu’il manquait quelque chose quelque part. Je pense que le noeud de la problématique est dans la perception du produit filmique par les uns et par les autres :  ainsi, Rachedi devrait expliquer aux publics, avant  chaque présentation de son film et pas après, ce que c’est qu’un film de fiction dans lequel les faits historiques ou autres (réels) peuvent être présentés d’une manière qui les fasse accepter, et ce que c’est qu’un film (historique ou autre) documentaire. Sans cette «leçon introductive», l’incompréhension de la démarche du réalisateur de film restera grande et, de ce fait, la production (à venir) sera freinée par le boulet du «réalisme révolutionnaire» ou inexistante. «Un seul héros, le peuple», c’est (presque) passé…  mais des individus comme héros, ça risque de casser… chacun voyant, aujourd’hui, la Révolution, à sa porte, et chacun voulant que l’on (d-)écrive l’Histoire selon ses canons et son vécu… et, aussi, ses intérêts ! Dommage, car ce  dont ont le plus besoin nos jeunes ce sont  des mythes et des repères ou balises. Des mythes avec des héros… qui, si possible, ne doivent pas mourir (ou mourir tout de suite)… tout du moins à l’écran. 

B. A. D.


 
 



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