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 MEHDI CHAREF

                                      Le cinéma au rendez-vous de l’Histoire

 

Par Chahinez SAHRAOUI

 

 

Du haut de ses 53 ans, le cinéaste et réalisateur d’origine algérienne  Mehdi Charef  est un personnage attachant, parfois maladroit. Il se dit réalisateur singulier et ne semble pas aimer la langue de bois. Autodidacte, fils d’émigré qui découvre enfant l’univers de l’exil, vivant dans une sorte de ghetto, d’ailleurs bien décrit dans son premier roman paru en 1983 à Mercure de France, « Le thé au harem d’Archi Ahmed » qui séduit vite l’un des plus grands cinéastes français, Costa Gavras qui l’aide à mettre en images ce texte de fiction qui va remporter le César du premier film et le Prix Jean Vigo. C’est une véritable consécration pour cet ancien ouvrier (il est tout de même titulaire d’un C.A.P) qui touche à tout, cinéma, roman et théâtre. Ainsi, il réalise plusieurs longs métrages pour le cinéma et la télévision (entre autres films, Miss Mona, 1986 ; Camomille, 1988 ; Pigeon vole, 1996 ; Marie-Line, 2000 ;Le fils de Keltoum, 2002), continue à fricoter avec le roman (Le harki de Meriem, La maison d’Alesina) et se lance dans l’expérience théâtrale avec 1962, le dernier voyage, paru dans L’avant-scène et mis en scène par Kader Boukhanef et Azize Kabouche. Son dernier film, « Cartouches gauloises », vient de sortir convoquant le regard d’un enfant sur la guerre d’Algérie. Ainsi, l’Algérie est au cœur de l’œuvre de cet homme qui sait parfois prévoir les séismes, donnant à voir dans son premier roman les lieux cataclysmiques de l’émigration et des banlieues, juste au moment de la marche des « beurs » de 1983. Visionnaire et auteur complet, Mehdi Charef  nous invite dans cet entretien à un voyage initiatique dans son univers intérieur, lui qui est venu au cinéma, grâce à son père à ces grands cinéastes Fellini, Buñuel, Gavras et Chahine qui ont nourri fondamentalement sa formation.  

 Rencontré  dans la ville de Béziers (France) il nous livre ses impressions à chaud juste après le débat qui a suivi la projection de son dernier long métrage «  Cartouches Gauloises ».

 

Vous voilà aujourd’hui en train de défendre votre  film « Cartouches gauloises » qui a mis beaucoup de  temps à venir au monde… quel était l’élément déclencheur  qui vous a fait décider enfin?

Chaque film que je faisais me tenait à une distance confortable de « Cartouches Gauloises », ce  film revenait, attendait que je m’en occupe comme un enfant qui attend son père et qui veut se faire raconter son histoire et son enfance.

 Je ne sais pas réellement ce qui a été l’élément déclencheur, je me suis senti un jour prêt à concrétiser mes mémoires et sentimentalement parlant, c’est encore dur jusqu'à aujourd’hui. C’est un film sur l’enfance, sur le désir d’être et une identité quelque peu meurtrie. L’enfant m’a toujours séduit, permis de plonger dans le monde de l’onirisme et de la fiction artistique. C’est une plongée dans la mémoire.  Mon film  est le récit d’un petit garçon de  dix ans qui a vu son monde autour de lui changer et perdre ses amis l’un après l’autre sans pouvoir faire grande choses, voila tout 

En parlant de sentiments, pendant le tournage, Comment avez-vous fait pour gérer ce concentré d’histoire et d’émotion caractérisant votre film ?

Même si le film n’est pas à100% autobiographique, Il y a beaucoup de scènes où sur le moment, je croyais faire du cinéma et le soir, le lendemain, j’étais très mal. Parce que j’étais allé dans quelque chose que j’avais vécu très fortement, très douloureusement. Lors des débats, je veux dire beaucoup de choses mais je suis souvent submergé par l’émotion. Mais pour ce qui est l’histoire, ce n’était pas dur car je ne voulais pas faire un film sur la guerre et donc je ne suis pas allé chercher des historiens ou des documentalistes, et cela pour garder l’âme d’enfant de ce film et bannir toute idée de documentaire. La dimension autobiographique n’est nullement absente, l’enfance te submerge d’images où la tendresse et l’émotion t’affectent. Je raconte, certes, à travers le regard de cet enfant l’indicible qui exprime une sorte de mémoire intérieure.

Le film  est-il une sorte d’auto thérapie ?

Vous savez, ce film est finalement une thérapie pour beaucoup de monde et cela se confirme avec les témoignages des pieds noirs ou les militaires français. Certes,  j’ai mis longtemps à le faire et j’ai beaucoup souffert de cette déchirure mais aujourd’hui je me considère comme indemne car je me suis réconcilié avec mon passé. Cette réconciliation avec le passé, l’enfance, les espaces identitaires fonctionne comme une véritable libération, une extraordinaire charge cathartique. A travers mes films, je cherche à retrouver une certaine tendresse, des lieux marqués par une certaine affectivité. L’émotion investit l’image et lui apporte un surcroit de crédit et de beauté.

Dans « Cartouches Gauloises »vous avez évité de parler des choses qui fâchent …

Je suis conscient de cela mais je le dis à chaque fois, c’est un film avec un regard d’enfant de dix ans  qui ne savait  absolument pas ce que voulaient dire l’OAS ou le FLN ou je ne sais quoi. Il est bercé par son innocence, ses instincts d’enfant qui court derrière les choses qui le séduisent.

Passons, si vous le voulez bien à un autre sujet, le cinéma algérien que vous semblez affectionner. Ce cinéma qui a connu, lors des années de terrorisme, des moments dramatiques a permis la production de films s’inspirant de cette période, comme ceux de femmes réalisatrices, Chouikh et Sahraoui. Qu’en dites-vous ?

Je pense que ces femmes ont fait un travail remarquable même si je  crois qu’il n y pas assez de femmes cinéastes qui parlent de l’Algérie, ces femmes là ont eu un courage extraordinaire  car elles ont su  avec brio  rendre   un hommage à la femme algérienne.

Pour ce qui est  du terrorisme, je serais intéressé par réaliser un film  sur  les événements qui touchent le pays  mais il n’y a rien de concret pour l’instant.

Est-ce que tous les réalisateurs algériens sont obligés de partir à l’étranger  pour faire de  bons films ?

Franchement oui, car même si l’Etat m’a aidé avec  du matériel  pour réaliser « Cartouches Gauloises », il reste toujours la problématique du financement et cela ne se trouve pas en Algérie, on ne dépense pas l’argent pour produire des longs métrages. Donc les réalisateurs n’ont pas réellement le choix, entre rester ou partir, ils choisissent naturellement la deuxième option qui sera  dans la majorité des cas  bénéfique pour eux.

Ces dernières années, on parle de plus en plus de repentance de la France par rapport aux crimes commis en Algérie. Est –ce que vous êtes d’accord avec les gens qui disent  qu’il n’y aurait pas  d’amitié sans pardon ?

Non, je ne suis pas d’accord  puisque en demandant pardon, à la France l’Algérie s’auto humilie, mais ce n’est guère admissible de supplier la France pour qu’elle fasse des excuses.

Je ne cesse de répéter depuis toujours que l’histoire franco-algérienne est un pur gâchis et à cause de cela Algérien et français ont passé à coté de beaucoup de choses. Harkis, pieds noirs, immigrés, on doit s’aimer et puis c’est tout.

Arrêtons de chercher des faux coupables à nos malheurs ! Il vaut mieux commencer par le seuil de notre porte.

Poursuivi  depuis un an et demi pour injure raciale, après avoir traité des harkis de "sous-hommes", le président de la région Languedoc-Roussillon, Georges Frêche,  a finalement été relaxé jeudi par la cour d'appel de Montpellier. Vous dites quoi  de cette affaire?

Je pourrais vous répondre  sincèrement mais j’ai peur que cela déplaise à plus d’un.(Sourire) Si  j’étais un  fils de harki, sincèrement j’aurais massacré cet homme car pour qui il se prend pour les juger ainsi, je pense que les harkis ont beaucoup souffert et ils ont payé pour ce qu’ils ont fait, donc, qu’on arrête de les malmener. 

Il y a eu, ces derniers temps,  la réalisation du film « Cartouches Gauloises »,  et sa sélection  hors -compétition au festival de Cannes ainsi que la réalisation  d’un court métrage avec des réalisateurs mondialement connus. Coup de chance ou finalement ce n’est que du mérite ?

On peut dire les deux…  Cartouches Gauloises, est un film qui m’est très cher même s’il n’est pas à 100% autobiographique car il fallait que je rajoute de la fiction pour en faire un film.

J’ai participé également à la réalisation d’un  projet associant  plusieurs réalisateurs.

 « Les enfants invisibles »  est un film  qui parle du destin d'enfants issus des quatre coins du monde vu par Spike Lee, Ridley Scott, John Woo, Jordan Scott, Emir Kusturica, Katia Lund, Stefano Veneruso et moi-même. Mon travail consistait  à mettre de la lumière sur  des enfants qui sont en guerre en Afrique. Franchement, je ne sais même pas quand le film  sortira !

Des projets en cours ?

Une pièce de théâtre qui se jouera  en France, elle évoquera des phénomènes de  la société contemporaine.

Vous seriez prêts à vous déplacer afin de   promouvoir et défendre votre film quand il sortira en Algérie ?

Oui, sans aucun doute, j’irai en Algérie pour le présenter, je pense qu’il sortira dans 7 ou 8 salles algériennes très prochainement.

Selon vous, si on devait changer, éliminer ou rajouter quelque chose à l’Algérie pour qu’elle aille mieux, cela serait quoi ?

Rouvrir toutes les salles de cinéma et relancer  le théâtre.

 

                                                              Entretien réalisé par Chahinez Sahraoui

 

 

 


 
 



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