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Le couffin virtuel de la rumeur

                                          

L’été est vraiment propice aux rumeurs de toutes sortes. Au milieu de cette saison de pénuries où l’eau déserte les robinets dans certaines contrées, où les hôpitaux se trouvent privés de l’essentiel, on n’arrête pas de supputer sur telle ou telle décision possible. L’été est de toutes les possibilités virtuelles. La rumeur nourrit et alimente un quotidien trop ordinaire et lui apporte une certaine animation. Elle provoque beaucoup de bruits d’autant plus qu’elle survient dans un univers où la question de la nature du mode de gouvernement reste encore sujette à de multiples interrogations et à de suspectes spéculations. Quand la transparence est absente et les jeux de pouvoir trop opaques, la rumeur, en bonne courtisane comble un trou appelé à s’élargir et à apporter parfois de cruelles vérités. Qui gouverne le pays ? Quels sont les véritables acteurs de la vie politique nationale ? Ce sont deux questions-clé qui articulent les discussions et les commentaires des Algériens comme des étrangers. Ainsi, convoque t-on des expressions comme « décideurs réels » ou « pouvoir occulte ». Le vocabulaire se laisse dompte par les jeux trop réglés des manœuvres et des contre-manœuvres.

Il est évident que dans des pays comme l’Algérie, le pouvoir réel ne se décèle pas dans les travées du jeu formel, mais se cantonne dans des instances informelles. Certes, les structures légales existent et donnent l’impression de fonctionner de manière autonome, mais dans la plupart des cas, se distinguent par une propension à vouloir apporter une certaine légitimité, souvent biaisée, aux décideurs qui ont le pouvoir de nommer et de dégommer les responsables. Ainsi, les nominations et les dégommages obéissent-ils à une profonde opacité, convoquant clientélisme, tribalisme et népotisme, excluant le plus souvent la compétence. L’usage du CV, ordinaire dans des Etats normaux, est banni.

Les choses n’ont pas fondamentalement changé aujourd’hui où le jeu politique reste essentiellement travaillé par les jeux de coulisses servant d’élément central de toute la pratique politique. Les départs et les arrivées n’ont nullement changé la réalité des choses. Le secret et l’informel traversent le territoire politique. Les instances formelles constituent très souvent des espaces de couverture de la pratique informelle. Nous sommes dans un pays où les structures partisanes restent souvent marquées du sceau de l’ambigüité, à tel point que le Président, lieu central, est l’espace essentiel autour duquel s’articulent les jeux de nombreux partis qui doivent y prêter allégeance. C’est une sorte de parti unique à plusieurs structures formelles, monologue et voix unique. Belkhadem et Ouyahia sont, à quelques écorchures près, interchangeables, faisant fi des « scores électoraux », même si le premier reste drapé du sceau du conservatisme alors que le second est présenté comme moderniste et quelque peu rationnel.

D’ailleurs, le gouvernement a toujours été constitué de deux à trois collèges. Il y a ceux qui ont le pouvoir de décider, ils sont parfois plus importants que le chef du gouvernement lui même et les autres qui, souvent, attendent un soutien et un acquiescement à leur action. C’est la logique de tout système autoritaire. Les susceptibilités, les rancunes et les rancœurs non contenues, les luttes et les chamailleries des clans héritées trop souvent des pratiques du mouvement national ont toujours marqué le jeu politique national.  Déjà, par le passé, des crises larvées ont éclaté mettant en avant cette réalité qui a déjà déstabilisé les structures dirigeantes perçues comme des relations personnelles et privées tirant leur légitimité d’un rapport de forces arbitraire. Ainsi, dès la constitution du GPRA, les complots avaient commencé pour le désarticuler et le dépouiller de tout réel pouvoir. En 1962, l’Algérie a évité de justesse un carnage généralisé à tel point que le congrès de Tripoli ne fut pas clôturé et les insultes et les invectives faisaient office de débat politique. Il y a donc une certaine continuité dans le regard porté sur le pouvoir considéré comme un lieu où s’établissent les différents clans et où s’équilibrent les différentes strates des forces et des appareils en cohabitation forcée en dehors de  la dynamique sociale.

Les jeux de pouvoir ne correspondent pas aux pratiques traditionnellement admises dans les sociétés dites démocratiques, mais demeurent marqués du sceau de l’oralité et des lieux peu diserts d’une culture juxtaposant zaouia et structure partisane « moderne ».

Les choses sont plus complexes exigeant un extraordinaire travail d’exploration et d‘investigation et une véritable révolution des mentalités trop empreintes d’un discours rural, conservateur et marqué du sceau de l’oralité. Ce n’est pas sans raison que les jeux informels (change, travail au noir, marché…) arrivent à dominer les espaces économiques, sociaux et politiques. Il ne sert à rien de vouloir combattre le marché parallèle si on n’interroge pas sérieusement les causes ayant présidé à son émergence. Au niveau local comme au niveau national, c’est autour du wali ou du président que tout tourne. Les espaces médiateurs fonctionnent comme des lieux d’enregistrement et de légitimation du pouvoir informel. Ainsi, l’APN, l’APW ou l’APC n’a aucun poids devant la puissance du président ou du wali. Il est clair que le départ d’un homme, quelle que soit sa puissance et son influence, a une portée limitée dans le contexte sociologique et politique actuel où les uns et les autres cherchent à tout prix à gagner les faveurs du nouveau chef tout en fustigeant le partant. C’est la cruelle réalité du pouvoir.

                                                                          Ahmed CHENIKI


 



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