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UNIVERSITE DE ANNABA

 

DEPARTEMENT DES LANGUES ETRANGERES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ELEMENTS DE THEATRE

 

 

 

COURS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ahmed CHENIKI

 

 

 

 

 

 

 

                  ORIGINES   ET DEFINITION DU  THEATRE                                                                                                                                                                                                                                             Aujourd’hui encore, on continue à s’interroger sur les origines du théâtre dans un certain nombre de pays. On ne dispose pas de réponse claire et définitive  sur ce sujet. Les universitaires- qui ont travaillé sur l’image dans les sociétés islamiques- s’accordent à avancer des hypothèses difficilement vérifiables. Pour  Jacques Berque, on ne peut nullement parler de l’existence du théâtre dans les sociétés arabes. Dans une préface à l’ouvrage de Mohamed Aziza Regards sur le théâtre arabe contemporain, il écrit ceci : « De théâtre, il n’est point,au sens habituel du terme, dans le legs arabe. Et chacun de ressasser le contresens paradoxal de  cet Avérroès, génial interprète d’Aristote et qui, traduisant La Poétique,crut pouvoir rendre comédie par  satire et tragédie par panégyrique. Il est vrai que les philosophes arabes, ouvertement, insolemment disciples de l’Héllénisme, ignoraient  pareillement la poésie de ceux- là mêmes dont ils admiraient si fort, et dans une large mesure adoptaient les concepts.  Mais de théâtre, répétons-le point, encore que ça et là des mimes, des saynètes et même des mystères offrent un legs nullement négligeable et digne de prolongements.1

       Idée rejetée par certains chercheurs qui essaient de montrer que le théâtre a toujours existé dans les sociétés arabes mais la manière de jouer et le style ne correspondaient pas à la définition dominante de la notion de théâtre. Aujourd’hui, la majorité des universitaires soutient l’idée de l’inexistence de l’art scénique dans les pays arabes avant l’adoption du théâtre de type européen. Les mêmes arguments reviennent dans tous les travaux : interdiction de l’image par l’Islam, situation  géographique  et sociologique des arabes  (nomades), traduction maladroite par Ibn  Rochd des mots tragédie et satire. Cela ne semble pas résister à un examen sérieux. Nous essaierons de démonter  les mécanismes du fonctionnement de cette argumentation.

     C’est à travers le prisme du théâtre conventionnel  qu’on observe la représentation dramatique arabe. On est en présence d’un discours qui ne reconnaît la viabilité d’une chose que si elle obéit à sa propre conception. Le regard porté sur les formes dramatiques arabes est souvent empreint de marques puisées dans un européocentrisme négateur de toute autonomie culturelle des pays anciennement colonisés et encore prisonnier de schèmes sclérosés hérités de l’ethnologie et de l’anthropologie coloniale.

      L’unique source de référence demeure la Grèce antique comme si les autres cultures étaient mineures, incapables de donner vie à des formes culturelles mures et accomplies. Cette exclusion volontaire correspond au discours dominant sur les pratiques culturelles et l’universalité  qui considère que toute forme culturelle savante doit impérativement prendre comme point de départ les signes culturels de l’Occident. Les asiatiques, très attachés à leur production artistique, n’ont jamais accepté ce diktat de type idéologique. Aussi, le Nô et le Kabuki japonais ou le chéo vietnamien constituent-ils des formes autonomes obéissant à leurs propres normes, ayant des ressemblances avec le théâtre européen mais ne se fondent pas dans ce moule gréco-romain. Chaque peuple porte et produit ses propres signes artistiques et esthétiques. Les pesanteurs sociologiques et historiques engendrent des structures artistiques et des formations culturelles singulières.

    Certains chercheurs trouvent que les arabes ont toujours eu leur propre théatre. Michel Habart soutient que le théâtre est tout autre qu’un texte écrit.Il rejoint d’ailleurs Antonin Artaud qui, dans Le théâtre et son double, explique cette idée en se servant du théatre balinais. Une lecture sérieuse de la tradition et de la littérature arabe, de Ibn Khaldoun, d’Ibn Rochd, des Maqamat (séances) et des Mille et Une Nuits permettrait au chercheur de connaître et de découvrir des formes artistiques parfaites et fournirait des informations précieuses et très précises sur les instances esthétiques et les manifestations artistiques  et culturelles arabes. Pour Habart, on ne peut souscrire à l’idée de l’inexistence du théâtre. Cet auteur ne se démarque pas de cette propension à vouloir toujours considérer les formes dramatiques des peuples anciennement colonisés comme des structures préparant la plongée dans des arts "parfaits " (comme la tragédie grecque et le théâtre élisabéthain) excluant ainsi tout fonctionnement autonome,

différent et particulier et imposant un seul modèle artistique et esthétique. Il écrit ceci : « Les formes spontanées, originelles du théâtre populaire- celles dont sont     issus la tragédie grecque et le théâtre élisabéthain- fleurissent au Maghreb autant que partout ailleurs. Je pense aux conteurs itinérants, aux récitants des séculaires qacidas, aux mélopées dialoguées du klam melhoun, à celle des Ahouah et Ahidous de la montagne marocaine,où le chœur fait sans cesse rebondir les refrains de son rais, aux monologues mimés de ces troubadours berbères, les indiazen, si semblables aux shanashies irlandais, je pense aux récits épiques déroulés sur le mode du «  péonique » dans ces troupes d’aèdes saisonniers où l’homme au roseau, le bu-ghanim, dialogue avec les areddad, ses confidents.Toutes ces manifestations doivent en  principe soutenir l’existence d’un theâtre. Que dire des artistes ambulants qui jouaient des scènes de Djeha sur une place publique et se gaussaient de l’administration, du mufti,du cadi, de la police et de l’armée.1

D’autres chercheurs arabes comme le syrien Ali Akla Arsan ou  Ali Errai pensent que l’art théatral a toujours existé dans les sociétés arabes. Plusieurs points de vue s’affrontent et se confrontent . Nous tenterons d’entreprendre un voyage à travers les diverses définitions de la notion de théâtre.

   1-Définition (s) du théâtre

 

   La question fondamentale à laquelle nous allons essayer d’apporter quelques éléments de réponse est relative à la définition de la notion de théâtre     . Qu’est-ce que le théâtre ? Existe t-il plusieurs théâtres ?

   Si nous consultons La poétique d’Aristote, nous nous rendrons compte rapidement que l’élément essentiel du théâtre grec réside dans la mimésis. Le poète imite, reproduit une action construite et organisée par lui. Dans la poésie narrative ou dramatique, tout s’articule autour de la fable. Aristote écrit :  « Ainsi donc, improvisatrice à sa naissance, la tragédie comme la comédie, celle- ci tirant son origine des poèmes dithyrambiques, celle- là des poèmes phalliques qui conservent encore aujourd’hui une existence légale dans un grand nombre de cités progresse peu à peu, par le développement qu’elle reçut autant qu’il était en elle.2

 Pour Aristote, l’imitation a pour objet la vie humaine, l’homme, ses mœurs, ses coutumes et ses passions. Le théâtre serait donc un lieu de représentation d’évènements humains et sociaux, un espace de reproduction par les sentiments de la pitié et de la crainte de ce que J.Hardy appelle « la catharsis des affections ».

 Partout le théâtre n’existe souvent que grace aux spectateurs  qui viennent assister à une représentation. La théâtralité résiderait, selon Aristote, dans les actions des hommes répétées et racontées par des acteurs devant un public,

 une foule. Faire du théâtre, c’est pour reprendre Nietzsche dans La naissance de la tragédie: « Se voir soi- même métamorphosé devant soi et agir alors comme si on vivait réellement dans un autre corps avec un autre caractère. 1

C’est ce que l’auteur allemand appelle « le phénomène dramatique primordial ».Le théâtre est donc du domaine de la mimésis.Ce qui doit être d’ailleurs le cas de certaines manifestations rituelles et religieuses. Le théâtre, thèse unanimement adoptée, a une essence religieuse, en ce sens qu’il a commencé à être mêlé à une cérémonie religieuse : cela ne veut pas dire que le théâtre soit forcément religieux par essence, entendons par la nature même de la source qui, à chaque époque et dans les diverses civilisations, continue à lui donner vie, à susciter des vocations et à entretenir des besoins.

       Chaque peuple possède ses propres manifestations artistiques et ses codes artistiques. Chaque société engendre ses propres signes culturels, ses repères artistiques et ses différents espaces de représentation. Les instances sociologiques et historiques constituent des éléments importants dans la production des œuvres d'art. L'art ne peut nullement vivre en dehors de la société. Pour André Schaeffner qui tente d'esquisser une signification du mot théâtre, ce terme, si on reprend son acception étymologique, ne doit son nom qu'à la présence de spectateurs et à l'espace qui leur est dévolu, en grec, théâtron désignant uniquement le lieu où ils se tenaient, d'où ils voyaient. Dans toute représentation liturgique ou religieuse, existent un lieu, des accessoires et des conditions particulières. Les composantes de la représentation théâtrale énumérées par Schaeffner se retrouvent dans de très nombreuses manifestations rituelles. C'est le cas notamment des souks, des conteurs, du mouqallid, du théâtre d'ombres ,du garaguz , du drame égyptien ou d'autres formes investissant l'espace artistique et littéraire arabe. Cela ne veut nullement dire que des structures renfermant ces éléments sont assimilables à la forme gréco-romaine du théâtre. Ce serait ainsi faire fi des différences et des dissemblances qui caractérisent les grandes manifestations culturelles et artistiques et réduire le discours culturel de l'humanité à une sorte de voix monologique. C'est d'ailleurs, ce qui ressort de nombreuses thèses qui rejettent souvent toute forme ne correspondant pas à la norme dominante, épousant foncièrement l'idéologie  dominante qui reproduit le discours des puissances mondiales du moment accordant le statut d'universel ou de classique aux œuvres épousant les contours produits par leur culture hégémonique. Cette manière de faire péjore et dévalorise les cultures locales. Les formes dramatiques arabes sont souvent considérées comme des structures mineures, pré-européennes .

   Un espace religieux ou civil (place publique, marché d'un village, théâtre…) est décrit comme un lieu prédestiné  à la représentation théâtrale. Dans l'ancienne Athènes comme dans toutes les sociétés arabes, la place publique (le marché par exemple) est l'espace où se discutent et se règlent les affaires du pays et de la tribu. Dans certains comptoirs arabes, les places publiques accueillaient des poètes, des conteurs qui jouaient et narraient à un auditoire essentiellement composé de paysans et de gens de la ville des événements de leur village ou de leur tribu. Cette tradition se poursuit encore aujourd'hui dans certaines régions. Qui n'a jamais entendu parler du souk Okad et d'autres lieux célèbres où entraient en compétition des poètes qui faisaient l'événement transformant ainsi les joutes poétiques en un véritable phénomène social? Le bsat, la halqa, le hakawati, le muqallid…continuent toujours à alimenter la chronique de certaines contrées.

   C'est sur la place publique qu'on joue et qu'on narre des faits et des situations passés. Le meddah, ou le muqallid créent des personnages et les mettent en action dans un espace précis. La fonction d'imitateur, à l'origine du processus dramatique, existe dans la représentation arabe et africaine. Les arabes et les africains possèdent leurs propres structures et leure organisation particulière. Il est vrai que leur manière de faire ne ressemble pas beaucoup à celle du théâtre gréco- romain. Cela n'exclut pas la présence de certaines similitudes. Youssef Rachid Haddad pense que l'opposition entre le drame local et le théâtre importé s'explique par les dissemblances entre les systèmes arabe et européen.

« Cette opposition profonde entre le théâtre importé et l'art local du conteur nous impose une révision de la signification du terme de théâtre pour l'homme arabe. Les arabes n'ont pas nommé ces bâtiments, ces ruines, ils ne leur ont pas donné de noms. Par contre, il existe une multiplicité de mots pour nommer le conteur. L'arabe ne sait nommer que ce qui lui parle directement par les émotions, les sentiments et il utilise pour citer une même chose , autant de concepts qu'il éprouve de rapports différents à cette chose. En traduisant La Poétique d'Aristote, les traducteurs orientaux arabes des 2ème et 3ème siècles de l'Hégire(VIIIème -IXème siècle après J.C) n'ont pas trouvé d'équivalents pour les mots tragédie et comédie, excepté louanges pour le premier et pour le deuxième.1

Ces propos de Youssef Rachid Haddad qui reprennent en partie certaines idées de Jacques Berque faussent le débat en présentant les arabes comme incapables de réfléchir et de construire ,à partir de leur imaginaire, des structures parfaites. Cette incapacité congénitale dont parle Haddad est dangereuse puisqu'elle réduit l'arabe à une sorte de bombe d'émotions prête à être activée à tout moment et reproduit le discours raciste de certains orientalistes fait de clichés et de stéréotypes. Si on se réfère à l'histoire arabe, son propos semblera extrêmement léger. Ne serait-il pas intéressant de visiter et de revisiter les traductions initiales d'œuvres arabes faites par des européens et de s'interroger sur les nombreuses omissions caractérisant cette entreprise de traduction? Les Grecs n'avaient pas traduit toutes les grandes manifestations culturelles arabes , ils avaient opté pour l'essentiel, c'est à dire ce qui les arrangeait. Les transpositions linguistiques n'étaient pas toutes bonnes.

   Il se pose un problème de mots, de fonctionnement différent des systèmes lexico-sémantiques des langues arabe et grecque et de réalités culturelles dissemblables. Si l'on suit la logique de cette traduction, tragédien signifierait chanteur de louanges tragiques, conteur religieux tragique et "comédien", conteur comique. Chez les arabes, il n'existait pas de théâtre de type grec ou européen. Il y-avait un autre genre de représentation qu'ils  appelaient medh, mouqallid, bsat, hakawati, maqama …Il est très facile de dévaloriser une réalité quand on ne retrouve pas d'équivalent lexical. On veut à tout prix faire de telle sorte que toutes les formes culturelles obéissent au schéma occidental pour qu'elles aient le statut de structure parfaite.

   Les Arabes du Machreq adoptèrent le théâtre de type européen vers la première moitié du dix-neuvième siècle, c'est à dire durant ce qu'on a appelé La Nahda, période qui a succédé à la campagne de Napoléon en Egypte. Les Maghrébins n'ont assimilé cette nouvelle forme que vers les années dix- vingt. C'était une nécessité historique. Les cultures locales furent sacrifiées sur l'autel d'une modernité vite assimilée à l'Europe. Tout ce qui venait de France et d'Italie était sacralisée, élevée au rang de mythe. Une grave césure eut lieu. Mohamed Aziza parle à ce propos d'hypothèque originelle.

   Dans tous les pays arabes, les artistes- conteurs animaient des rencontres en utilisant de nombreux gestes et en imitant corporellement des personnages connus pouvant représenter des types sociaux. L'Egypte pharaonique produisit un drame dont le récit est très proche des tragédies grecques. Une sérieuse lecture d'Hérodote permet d'apporter de sérieuses informations. Il faut avoir à l'esprit les "pièces" poétiques, Akhnatoune et Néfertiti .Il serait intéressant d'examiner les multiples ressemblances entre la légende d'Œdipe- roi et celle de

Akhnatoune l'Egyptien. Le texte dramatique le plus ancien reste sans doute le drame d'Osiris. C'est l'histoire du meurtre de ce dieu par son frère Sitt qui n'hésita pas à mutiler le corps d' Isiris et à le jeter dans le fleuve. Isis se mit à sa recherche. Le fils d'Isiris finit par tuer son oncle. Ce récit ressemble aux tragédies grecques. Isis porte quelques traits propres à Antigone. Au Maghreb, existaient également des formes qui seraient héritées des grecs. Nous pouvons citer notamment les auteurs Tirnessius le carthaginois et Elius ou le poète épique Coripus (épopée historique). L'historien Al Bekri fait la description d'un théâtre carthaginois. Ibn Tofayl dans Hay Ibn Yaqdhan apporte de très précieux renseignements sur la représentation artistique.

   Dans le Sud Algérien, des manifestations, proches du style du théâtre européen, marquent la culture de l'ordinaire depuis fort longtemps. Trois ou quatre comédiens reproduisent des situations, des faits connus. Les spectateurs les entourent et peuvent éventuellement participer à l'action. Si le lieu n'est pas le même, cela ne veut nullement dire que ces spectacles ne procèdent pas d'une certaine théâtralisation tout en obéissant à leur propre logique. D'ailleurs les expériences de Peter Brook, de Lucien Attoun et d'Augusto Boal montrent que le lieu théâtral peut- être remis en question. Un peu partout dans le monde, on parle d'espace vide .De nombreux auteurs européens et américains se mettent à s'intéresser aux formes africaines et arabes. Antonin Artaud, le Living théâter, Kantor et bien d'autres reprennent au spectacle arabe certains de ses éléments. Un début de reconnaissance de la représentation dramatique arabe se fait jour ces dernières décennies contrastant avec les discours racistes développés par une certaine ethnologie coloniale.

   Si l'on consulte les dictionnaires, on se rend vite compte qu'on privilégie la fonction de "reproduction", de "représentation" et le lieu, l'architecture.

Le petit Robert (1984): Art visant à représenter devant un public, selon des conventions qui ont varié avec les époques et les civilisations, une suite d'événements où sont engagés des êtres humains agissant et parlant.

Larousse de la langue française: 1-Endroit, édifice où un spectacle est joué par des acteurs, pour un public…2-Scène, estrade où jouent les acteurs. 3-Art de représenter une action dramatique devant un public…

Oxford advanced learner's dictionary of current english : 1-Building or arena(open- air) for the performance of plays, for dramatic spectacles, etc…2-Hall or room with seats in rows rising one behind another for lectures, scientific demonstrations,etc. 3-Scene of important events. 4-Dramatic literature or art; the writing and acting of olays, esp when connected with one author, country, period, etc…

Dans ces définitions, la fonction du donner à voir est primordiale.

L'architecture n'est que le support d'une représentation , d'une reproduction de faits et d'événements précis. Le texte n'est pas considéré comme l'élément fondamental de la représentation. Même dans le théâtre du dix- neuvième au Machreq et des années dix- vingt au Maghreb, le texte était secondaire par rapport au jeu. On avait souvent affaire à des tranches de textes, à des canevas et à des performances improvisées directement sur scène.

   Chaque société a son propre théâtre et sa forme de représentation et d'investigation du réel. Dire que le gouwal, le mouqallid(l'imitateur), le hakawati

sont des formes pré- théâtrales, c'est soutenir l'idée de l'unicité de pensée et ne

pas reconnaître le droit à la différence des autres cultures et des autres peuples.

Nous avons essayé de démontrer, à travers cette tentative d'ordre    épistémologique et ontologique, que chaque société produit ses propres normes et puise dans son substrat culturel les codes esthétiques qui régissent la représentation. Il n'est nullement besoin de chercher par tous les moyens à plaquer des grilles sur des expériences artistiques particulières qui obéissent  rigoureusement à des instances sociologiques et historiques précises. Peut-on considérer que les drames égyptiens correspondent au modèle grec, tel qu'il est imposé par la vision européenne des choses ou répondent-ils à des besoins exprimés par la société pharaonique de l'époque? Le primat idéologique, nous semble t-il, marque le discours universaliste sur le théâtre et produit une sorte de vision « uniciste » qui rejette toutes les autres structures artistiques et esthétiques de peuples affaiblis  et dominés par la forte puissance de l'Occident.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                   

                              

 

 

 

 

                                       LA TRAGEDIE

 

1- NOTION DE TRAGEDIE

Du grec, tragoedia, chanson du bouc sacrifié par les Grecs aux dieux, la tragédie est un genre apparu dans des conditions historiques et sociologiques particulières. C’est une pièce représentant une action funeste souvent terminée par la mort. C’est Aristote qui, dans La Poétique, ouvrage de référence fondamental, apporte les éléments constitutifs essentiels de la tragédie qui serait une imitation faite par des personnages en action et non au moyen d’un récit et qui, provoquant pitié et crainte, opère la purgation propre à pareilles émotions. Patrice Pavis définit ainsi la tragédie dans son « Dictionnaire du théâtre » : « L’histoire tragique imite les actions humaines placées sous le signe des souffrances des personnages et de la pitié jusqu’au moment de la reconnaissance des personnages entre eux ou de la prise de conscience de la source du mal ».

Plusieurs éléments fondamentaux caractérisent l’œuvre tragique : la catharsis ou purgation des passions par la production de la terreur et de la pitié, l’harmatia ou acte du héros mettant en mouvement le procès le conduisant à sa perte, l’hybris, qui est représenté par la fierté et l’entêtement du héros qui poursuit sa quête malgré les menaces et les avertissements, le pathos qui est la souffrance du héros.

Une pièce tragique a généralement une structure fixe, les changements et les transformations sont minimes. Elle est constituée d’un certain nombre d’éléments constamment présents dans la structure d’une tragédie : le prologue, dialogue ou monologue, scène d’exposition, présente les événements, les faits et les personnages à l’origine de l’action ; la parodos ou chant d’entrée du chœur ; des épisodes (de longueur tout à fait différente) séparés par des chants du chœur appelés communément stasima, et se caractérisant par la présence de strophes chantées par une partie du chœur et les antistrophes chantées par l’autre partie du chœur, le dernier épisode est constitué par l’exodos, la sortie du chœur, les explications et les conclusions du dénouement de l’action.

Le chœur qui commente les événements représente en quelque sorte la collectivité humaine, le peuple et donne à voir sur un mode à la fois lyrique et intellectuel sa position. Il est en dehors e l’action, il commente ce qui s’est passé tout en s’interrogeant sur les péripéties à venir. Le chœur a vu son importance diminuer au fil des siècles. La tragédie fait appel à douze à quinze choreutes alors que la comédie en emploie vingt-quatre, y compris le coryphée. Il dialogue avec l’acteur par le biais du coryphée (personnage conduisant le chœur, une sorte de narrateur et de récitant) qui, souvent, lui prodigue des encouragements et lui apporte son soutien ; il est présent dans l’action mais paradoxalement sans agir, mais en commentant l’événement. Avec le temps, la parie chorale a perdu de sa puissance à tel point qu’elle s’est transformée en intermèdes souvent sans lien avec la pièce.

La tragédie grecque apparaît dans des conditions historiques et sociologiques particulières. Elle est très précisément circonscrite et datée. Née à Athènes il y a plus de vingt cinq siècles, elle a connu son épanouissement et sa dégénérescence en l’espace d’un siècle. Le tragique traduit une conscience déchirée. La tragédie qui apparut en Grèce à la fin du sixième siècle (avant J.C) et succéda à l’épopée et à la poésie lyrique n’était pas seulement une forme d’art, mais une institution sociale que la cité place à côté de ses autres organes politiques et institutionnels. Elle fonctionnait en utilisant les mêmes normes institutionnelles que les Assemblées ou les tribunaux populaires. Se déroulant dans un espace urbain, le spectacle était ouvert à tous les citoyens, il était dirigé, joué et jugé par les représentants qualifiés des différentes tribus, la cité se faisait théâtre tout en se prenant comme objet de représentation, se jouant elle-même devant le public.

Les représentations théâtrales ne pouvaient avoir lieu que trois fois par an, à l’occasion des fêtes données en l’honneur de Dionysos. Il y avait par ordre d’importance : Les grandes dionysies, une fête se déroulant à Athènes, comportant trois concours (tragédie, comédie et dithyrambe) ; les lénéennes, exclusivement athéniennes et les dionysies champêtres qui n’étaient qu’un simple cortège réservé aux pauvres de la cité.

 

2- AMBIVALENCE ET AMBIGUITES

La tragédie apparut quand on se mit à observer le mythe avec l’œil du citoyen. Ainsi, allait émerger l’opposition de deux entités (volonté humaine et puissance divine) qui constituèrent le réseau conflictuel essentiel de la tragédie. Le mythe de Prométhée est significatif de cette situation antagonique et d’un conflit né de la volonté de se comporter en acteur, c’est-à-dire en citoyen. C’est le temps de la démocratie. Cette situation mit en œuvre des situations duales se caractérisant par la présence d’un dédoublement au niveau du personnage, du temps et de l’espace. Le héros tragique et le chœur se manifestaient par une double existence, une quête double et des désirs duaux. Nous sommes en présence d’une tension entre les deux éléments occupant la scène. A l’intérieur de chaque personnage, se retrouvait une extraordinaire tension entre le passé et le présent, l’univers du mythe et celui de la cité. Le personnage tragique est tantôt plongé dans un lointain passé mythique, héros d’un autre âge, marqué par une puissance religieuse effrayante et tantôt vivant à l’age de la cité, du temps historique. Il y a une sorte de dualité dans la psychologie des personnages. Le conflit est insoluble. Comme d’ailleurs l’opposition entre Créon et Antigone condamnée à une fin sans conciliation possible, ni communication éventuelle. Deux types de religiosités, deux conceptions de l’existence et de l’univers s’affrontent. Le dialogue n’a nullement pour fonction de susciter la communication, mais de placer plus de barrières et d’obstacles à toute rencontre possible. Les mots échangés sur l’espace scénique éloignent les personnages les uns les autres. Il y a une tension entre le mythe et les formes de pensée propres à la cité, le temps des hommes et le temps des dieux. Nous sommes en présence d’une « zone-frontière où les actes humains viennent s’articuler avec les puissances divines. Deux aspects opposés mais complémentaires, les deux pôles d’une réalité ambiguë ».

 

3-QUELQUES ELEMENTS DE LA TRAGEDIE

a) La catharsis : Il ne faut pas confondre catharsis avec identification. C’est une surexcitation de tous les sens, une mise en liberté de toutes les forces vitales. Ainsi, l’homme prend conscience de ses possibilités et de sa puissance. La catharsis aristotélicienne se fait à partir d’une action. L’existence des éléments de la crainte et de la pitié détermine la présence de la catharsis. Antonin Artaud soutient dans son ouvrage, Le théâtre et son double, que la catharsis est l’expression d’une prise de conscience des forces du subconscient, la découverte d’un moi collectif qui est en soi. Là où il y a pitié, il y a différence entre moi et l’objet de ma pitié. Pitié implique une distance psychologique. La catharsis procure soulagement et plaisir. « La tragédie permet d’éprouver les émotions de crainte, de pitié sans dommage ».

2- La mimésis : C’est l’imitation des actions humaines, une imitation qui n’est nullement une servile copie de la réalité, mais une reproduction exigeant la présence créatrice de l’artiste. C’est un travail personnel de structuration et d’agencement du poète.

3- Le conflit : C’est l’élément fondamental de l’action tragique. Le conflit est à la source de la tragédie. Dans « Origines de la tragédie », Nietzsche souligne le fait que la situation conflictuelle rejaillit sur le théâtre. C’est le héros tragique, par qui le scandale arrive, qui est le lieu central autour duquel s’articule la situation conflictuelle. Souvent, la tragédie met en opposition deux instances : volonté humaine contre volonté divine, la spontanéité humaine et le fatum. L’exemple de Prométhée est significatif. Un autre type de conflit est représenté par l’opposition d’un individu aux lois de la communauté (Antigone). Il y a aussi de conflit du dedans où s’affrontent deux forces caractérisant le même personnage. C’est également la lutte d’une âme avec un au-delà mystérieux.

Jean Duvignaud dans son livre, Sociologie du théâtre, tente de mettre en relation la réalité sociale et les différents types de conflits.

Premier type : conflit entre le lien d’appartenance patriarcale et le rôle du citoyen dans une cité. Ce type de conflit est celui qui existait dans la société grecque traversée par de novelles exigences.

Deuxième type : c’est l’opposition entre les hiérarchies religieuses et les hiérarchies laïques dans le cadre des sociétés féodales. Cette opposition correspond au théâtre religieux ou liturgique. Par ces pièces, le système religieux veut mettre en œuvre ses valeurs.

Troisième type : conflit entre les liens de dépendance sociale, justification des valeurs d’une classe qui tend à s’imposer par son type d’existence pour favoriser ses intérêts économiques.

 

                                           

 

LA TRAGEDIE AU 17ème SIECLE

 

L’existence d’un genre est marquée historiquement. Il n’est nullement opératoire de définir les genres en termes moraux. Ils sont souvent l’expression d’une époque, de besoins et de nécessités historiques. Il n’est pas trop malaisé de comprendre la réprobation du pouvoir en place pour toute forme théâtrale. Les hommes de théâtre ont vécu des moments difficiles dans un univers marqué par l’absolutisme et la pensée unique. Cette réprobation s’étendait également au jeu et aux acteurs. La condamnation est aussi assumée par les Jansénistes qui visaient à limiter la liberté humaine la considérant accordée à certains dès leur naissance et exclue pour d’autres. Aussi considèrent-ils le théâtre comme pernicieux et nocif. Cette position est essentiellement idéologique partant du principe que le théâtre est un espace privilégié de la liberté et de la contestation, pouvant remettre en question l’ordre terrestre. C’est pour cette raison qu’il était combattu et considéré comme un art vulgaire.

Le dix-septième siècle a connu des formes hétéroclites de théâtre. Mais seules la comédie et la tragédie s’étaient imposées dans une société trop inégalitaire et peu tolérante. Le théâtre cherchait souvent à imiter la nature, usant de décors trop « naturalistes ». Après la tragi-comédie, le dix-septième siècle va voir le tragique prendre le dessus en rompant avec le fonctionnement de la tragédie athénienne. Ainsi, vont émerger la fameuse règle des trois unités (temps, lieu et action) et la propension à rejeter la couleur locale tout en évitant de remettre en question l’ordre terrestre. Il y a aussi ce qu’on appelle le respect de la bienséance. Dans son « Art poétique », Boileau apporte quelques précisions.

 

Quelques aspects du système dramatique de Corneille

Un des premiers aspects du système dramatique de Corneille est la prise en charge par le théâtre de ce qu’il appelle la « moralité ». Pour Corneille, un des objectifs de son théâtre est le divertissement. Le théâtre correspondrait, selon lui, à un double plaisir, celui de l’illusion arrachant le spectateur à lui même et l’admiration devant la production du poète, ce qu’a réalisé l’artiste. Cette double quête est constitutive de la conception cornélienne mettant en avant la dimension ludique. Le Bien est un élément essentiel du plaisir esthétique. C’est ainsi que l’auteur dramatique est appelé à donner à voir des événements graves et à mettre en scène des situations rehaussées à un « niveau supérieur »  donnant à voir des personnages puisés dans le milieu aristocratique. Le discours idéologique est clair. Les personnages sont sûrs des valeurs qui sont les leurs. Le doute est absent. L’ordre établi n’est jamais remis en question ou contesté.

 

Quelques éléments de la tragédie racinienne

Ses pièces sont mieux construites, plus dépouillées, marquées par la présence d’événements et de faits complexes. Tous les événements extérieurs sont exclus du champ de la représentation pour présenter une situation tragique pure : la situation d’un être humain se trouvant placé devant un choix, choix de valeurs contraignantes, d’un côté, la passion et les sentiments amoureux et de l’autre, le devoir et la volonté patriotique. Le pathétique n’y est pas exclu. Il constitue un élément central du théâtre de Racine. Cette situation ambivalente et duale (dilemme) engendre un conflit subjectif, intérieur, excluant toute remise e question de la société. Le conflit tragique va s’intérioriser et va marquer l’intérieur du personnage, son immanence. Toutes les contraintes sont considérées comme naturelles, allant de soi. Il n’y a, certes, pas cette exaltation du roi et de la puissance royale caractérisant le théâtre cornélien, mais jamais Racine ne va au delà du tolérable. Dans le combat entre le fort et le faible le tyran n’a pas le dernier mot. C’est l’un des aspects qui rapproche Racine des tragédiens grecs. Le pessimisme traverse toutes les pièces. Le faible est condamné à la disparition et à la mort au terme de la pièce. L’ambiguïté est fortement présente. Racine donne à voir un ordre social injuste mais paradoxalement éternel et inchangeable. La seule possibilité de s’en sortir réside dans une plongée et une exploration  intérieure. Cette manière de faire correspond à la situation générale du dix-septième siècle où l’ambiguïté parcourt une société qui, d’un côté, s’oppose à certaines injustices, mais, d’un autre côté, cherche à intégrer cette société.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA COMEDIE

 

Du grec Komedia, chanson rituelle lors du cortège en l’honneur de Dionysos, la comédie cherche à faire rire, puisant ses personnages dans des situations quotidiennes finissant toujours par e tirer d’affaire. Marmontel définissait ainsi la comédie à la fin du dix-neuvième siècle, en 1887 : « C’est l’imitation des mœurs, mise en action : imitation des mœurs, en quoi elle diffère de la tragédie et du poème héroïque ; imitation en action, en quoi elle diffère du poème didactique moral et du simple dialogue ».

 

Séquence minimale de la comédie

La fable se déroule selon les phases d’équilibre, de déséquilibre et d’un nouvel équilibre. C’est un monde normal qui juge et se moque de l’univers anormal des personnages jugés différents, ridicules. Ils incarnent souvent une vue inhabituelle. Nous avons toujours affaire à une suite d’obstacles et de retournements de situation. Le moteur essentiel de la comédie est le quiproquo ou la méprise.

 

Il faut savoir que la comédie est aussi ancienne que la tragédie. Elle est apparue à Athènes, il y a vingt cinq siècles, représentée par deux grands auteurs, Aristophane (5ème siècle avant J.C) et Ménandre (4ème siècle avant J.C). Les pièces d’Aristophane sont souvent violentes, obscènes et grotesques tandis que celles de Ménandre dépeignent la vie domestique tout en présentant des situations et des caractères stéréotypés.

 

Certains critiques pensent que le théâtre comique est sorti du drame liturgique par un processus de développement parasitaire. Le théâtre comique français est apparu surtout au 13ème siècle de la rencontre d’une tradition populaire et d’une tradition littéraire affermie par un siècle de poésie courtoise. Le 13ème siècle a rempli de scènes comiques le drame religieux ; il a engendré les premiers modèles de la plupart des genres ultérieurs : la moralité, la farce, le monologue, la sotie, la pastorale et la commedia dell’arte.

1)La moralité : Elle développe un sujet fictif et met en scène des abstractions visant à enseigner une vérité et la rendre évidente par l’image. Patrice Pavis la définit ainsi dans son Dictionnaire du théâtre (Editions sociales, 1980): « Œuvre dramatique médiévale (à partir de 1400) d’inspiration religieuse didactique et moralisante. Les « personnages » sont des abstractions et des allégories du vice et de la vertu ; l’intrigue est insignifiante, mais toujours pathétique ou attendrissante. La moralité participe à la fois de la farce et du mystère. L’action est une allégorie montrant la condition humaine comparée à un voyage, à un combat incessant entre le bien et le mal : la psychomachia met en scène les conflits entre les sept péchés capitaux, les vertus, les vices, tandis que l’homme, éternel pêcheur, est invité à se repentir et à se soumettre à la pitié divine.»

2)La farce (du latin farcire, remplir), terme employé pour la première fois au Moyen Age : Elle s’inscrit dans le registre de la réalité. C’est une comédie du désir amoureux. Tous les personnages sont des médiocres, moralement et intellectuellement, ils n’évoluent pas, mais représentent des types sociaux. C’est une pièce bouffonne cherchant essentiellement à faire rire en usant de tous les moyens. On la retrouve chez Aristophane ( période grecque) et Plaute ( époque latine). Son impact est présent dans les pièces de Molière, Labiche, Feydeau, et Beckett.

3)Le monologue (du grec monologos, discours d’une seule personne) : Il y a le monologue proprement dit et le sermon joyeux. Nous avons affaire à une double parodie, celle des orateurs d’église et celle des mystères

4)La sotie : Elle se caractérise par le goût de la fantaisie gratuite du coq à l’âne et recourt souvent au jeu de mots. C’est une farce sociale sous le déguisement de la folie. On emploie des plaisanteries cocasses et on se lance dans des tirades qui font rire par leur absurdité. Elle aborde volontiers le sujet de l’actualité politique et sociale.

5)La pastorale : L’amour est l’objet exclusif des préoccupations. On parle d’amour, on vit d’amour, l’amour devient roi.

6)La commedia dell’arte (appelé aussi commedia all improviso ou commedia a soggetto): C‘est un genre de comédie fondamentalement populaire. Les personnages, originaux, sont identifiables à leurs costumes et à leurs masques. Divertissement à l’état pur, la commedia dell’arte qui s’oppose au théâtre littéraire, ce genre, apparu au 16ème siècle en Italie, fait appel à 10 à 20 comédiens par troupe, qui improvisent verbalement et gestuellement à partir d’un canevas et qui mettent en scène des types fixes définis par quelques traits physiques et psychologiques(Arlequin, Scapin, le Docteur, Scaramouche, Pantalon…). L’acteur réemploie des thèmes connus, des plaisanteries et un jeu corporel codifié. « La commedia dell’arte se répand en Europe et fleurit jusqu’à la fin du 18ème siècle, influençant Molière et Marivaux et tout le théâtre « officiel » et « sérieux ». Forme populaire où s’exprime la hardiesse des scénarii et des corps, la Commedia connaît en tant que technique de jeu, un renouveau au 20ème siècle, en quête d’une théâtralité immédiate et vivante. »(Patrice Pavis)

 

Les premières comédies de Corneille : Elles sont rattachées très étroitement au genre pastoral. Corneille peint avec réalisme et n’obéit dans ses choix qu’à un goût pour un monde raffiné et élégant. C’est le réalisme des mœurs. Il choisit des jeunes gens de l’aristocratie, éliminant tout ce qui s’identifie au « vulgaire ».

 

Les pièces de Molière : Parfaitement au courant des courants littéraires et dramatiques de son temps, Molière sait, de manière magistrale, réutiliser les procédés de la farce et les techniques et les thèmes des comédies de Plaute. L’œuvre de Molière qui recourt à la satire directe des mœurs contemporaines est un retour aux procédés de la farce (symétrie, répétitions, grossissement, comique mécanisation). Molière introduit la conception d’un théâtre engagé. Le rire devient une arme aux mains d’un satirique engagé dans un combat moral. Il emprunte à la farce sa structure. Nous sommes souvent dans ses pièces d’une opposition marquée entre des personnages sympathiques et des personnages antipathiques. La pièce est souvent construite autour d’un seul personnage. Pour l’auteur, la comédie exprime une morale collective, le rire est la réaction commune de tout le parterre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE DRAME

 

Du grec drama, action, ce mot n’a été employé pour la première fois qu’au 18ème siècle. Diderot l’a beaucoup employé dans son ouvrage, Paradoxe du comédien, le considérant comme l’expression d’un « genre sérieux » alors que d’Aubignac considérait que « le drame signifiait tout le poème ».

Le 18ème siècle, obsédé par la problématique de la morale puritaine et du Beau, va remettre en question l’objectif du théâtre comme divertissement en insistant sur le fait de rendre la vertu aimable et le ridicule odieux. Le drame qui seveut une imitation fidèle de la réalité est un genre se situant entre la comédie et la tragédie. Le but du drame est d’attendrir la bourgeoisie, la moraliser. Il y a peu de place à la psychologie, à la peinture du caractère et aux relations familiales. Ce genre correspond à la montée de la bourgeoisie. Au 18ème siècle, le drame se donnait comme synthèse (« intermédiaire » ou « dépassement ») de la comédie et de la tragédie. L’action pathétique n’exclut pas les éléments comiques et réalistes. Diderot parle de « genre sérieux » où la bourgeoisie fait appel à la sensibilité larmoyante et à l’esprit philosophique. Les auteurs puisent leurs sujets dans leur époque, veillant à produire un effet d’illusion et d’authenticité.

Victor Hugo définissait ainsi le drame dans sa préface de Cromwell : « Shakespeare, c’est le Drame, et le drame, qui fond sous un même souffle le grotesque et le sublime, le terrible et le bouffon, la tragédie et la comédie ; le drame est le caractère propre de la troisième époque de poésie, de la littérature actuelle ».

« Aujourd’hui, pour désigner le « genre théâtral », précisément caractérisé par le mélange des genres et sous-genres, certains critiques (Lioure, 1973) emploient drame pour toute pièce ne correspondant pas à un sous-genre défini et mêlant tous les styles et moyens scéniques, semblable en cela à un théâtre total. » (Patrice Pavis, Dictionnaire du théâtre)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                           

 

LE  THEATRE  DE  BOULEVARD

 

Le genre « théâtre de boulevard » est actuellement très répandu à la télévision (feuilletons égyptiens ou brésiliens ou même américaines et les pièces égyptiennes et « Au théâtre ce soir » ou à Multivision) et même dans certains films de cinéma et des collections de livres (comme Harlequin par exemple ou El Manfalouti ou Jurgi Zaydane). C’est pour cette raison que nous avons essayé de lire ce genre et de cerner son fonctionnement.

Comment et dans quelles conditions apparurent les premières pièces de boulevard. Il y eut tout d’abord les théâtres des boulevards. Tout avait commencé au boulevard du Temple à Paris. En 1860, le pluriel tombe et marqué l’émergence réelle d’un genre dramatique nouveau qui est l’émanation de la bourgeoisie. C’est le théâtre de la libre entreprise, un théâtre commerçant obéissant aux impératifs de la rentabilité. Il a permis la naissance de nouveaux genres comme la féerie, le vaudeville et le mélodrame. Nous avons affaire à un extraordinaire conservatisme esthétique et à un moralisme abusif de la quasi-totalité des auteurs. C’est avant tout un théâtre commercial cherchant à tout prix le divertissement, reproduire la même structure et la même organisation. Les préoccupations littéraires sont placées au second plan.

Le premier âge de ce genre est daté de 1759 à 1789. Il y avait durant cette période au boulevard du Temple des attractions et la présentation de courtes comédies (parades, farces, vaudevilles). Prolongeant la tradition des théâtres de la foire, les auteurs leur empruntèrent leurs sujets et récupérèrent leurs publics. Mais ce n’est que vers 1791 que les choses allaient réellement changer, c’est-à-dire après le décret du 13 janvier 1791 abolissant le monopole des théâtres nationaux, les petites salles de boulevards connurent une extraordinaire embellie et des moments agréables qui allaient se terminer quand Napoléon restaurera en 1807 les anciens privilèges. Avant cette date, les théâtres étaient pleins à craquer. C’est le mélodrame qui, le premier, allait rompre avec la règle des trois unités en 1819 dans la pièce, La fille de l’exilé, de Pixerécourt, le père fondateur de cette nouvelle forme et qui permit dès 1805 un mélange adéquat des genres et l’introduction de la couleur locale (Robinson Crusoé de Pixerécourt). Mais le bel âge va venir entre 1814 et 1848 avec la Restauration qui allait permettre au théâtre de boulevard de s’exprimer pleinement. Des troupes et des théâtres vont s’imposer comme Le Gymnase (se transforme en Théâtre de Madame vers 1820) qui obtient ses grands succès grâce à un auteur, Eugène Scribe. Alexandre Dumas ouvrit, dans ces conditions, son théâtre, Le théâtre historique où on montait la pièce, La reine Margot.

Entre 1850 et 1914, les théâtres nationaux et les salles des boulevards s’entendent. La comédie française produira un répertoire classique tandis que le Boulevard fera du divertissement. On y monte avec une grande réussite et une extraordinaire affluence du public Labiche, Dumas, Augier, Victorien Sardou, Gémier, Copeau. Dans ces spectacles, on fait appel à beaucoup de psychologie et de vraisemblance, mais manque l’imagination. On peut citer des titres de pièces qui ont connu un énorme succès : Le chapeau de paille d’Italie (1951) de Labiche, La dame aux camélias (1854) de Dumas fils, Cyrano (1897) de Rostand.

« Après la première guerre mondiale, le Boulevard commence à connaître un sérieux déficit. « Aux aristocrates, aux filles entretenues et aux salons luxueux d’avant 1914 succède le studio, le téléphone, la robe courte et même le maillot de bain. C’est l’époque où le triangle boulevardier « mari, femme et amant » s’impose comme situation dominante » (Daniel Zarka, Encyclopédie Universalis) .

GENRES NES DU BOULEVARD

1)    Le vaudeville : Il est issu du théâtre de la foire. C’est une comédie mêlée de couplets souvent repris en chœur par le public. Scribe va lui apporter une relative aura en en faisant une comédie de salon coupée de quelques chansons. Labiche va essayer de recourir au comique de situations tout en terminant ses pièces par des couplets. Ayant rompu avec la musique et la chanson, il va se perdre à partir de la fin du 19ème siècle dans le théâtre de Boulevard. Patrice Pavis dans son dictionnaire du théâtre parle ainsi du vaudeville : « (De « Vaux de Vire », mot utilisé à la fin du 16ème siècle, puis voix de villes, chansons populaires urbaines.). Comédie contenant des chansons et des ballets, à la fin du 17ème siècle. Aujourd’hui, comédie légère sans prétention intellectuelle. Le « vaudeville est à la vie réelle ce que le pantin articulé est à l’homme qui marche, une exagération très artificielle d’une certaine raideur naturelle des choses » (Bergson, 1899).c’est une pièce comique optimiste dont l’intrigue est fort complexe et qui brille par les bons mots ou les mots d’auteur ».

2)    Le mélodrame : Du grec, mélo, drama, drame chanté le début du 17ème siècle en Italie.

Le mélodrame était une pièce où la musique intervenait pour exprimer l’émotion d’un personnage silencieux (Pygmalion de Jean Jacques Rousseau, 1775). A partir de la fin du 18ème siècle jusqu’à nos jours « le mélodrame est un drame (ou une tragédie) populaire, le plus souvent en prose, mettant aux prises des « bons » et des « méchants » dans des actions cherchant par tous les moyens à apitoyer le public. La vertu des personnages y est toujours récompensée et la morale y est sauve. L’atmosphère est sombre et tendue, inspirée souvent du roman noir anglais. ». Le mélodrame se retrouve aujourd’hui dans les romans de cœur, des feuilletons à l’eau de rose, des films et de nombreuses pièces présentées à la télévision.

 

LES THEMES DOMINANTS

1-L’argent, le bourgeois, le parvenu : Comme l’argent était le moteur essentiel de la bourgeoisie et des rapports marchands, le Boulevard ne pouvait l’ignorer, en en faisant l’un des principaux ressorts dramatiques et thématiques. Il était marqué par la présence de l’argent d’autant plus que ses clients se recrutaient parmi les commerçants, les bourgeois, petits ou gros et les rentiers. Le bourgeois est prompt à l’enrichissement. Il gagne très rapidement et facilement l’argent. Scribe met en scène des bourgeois, rehaussés de patronymes aristocratiques, qui n’hésitent pas à étaler leurs richesses dans des salons dorés de châteaux luxueux donnant à voir un univers idyllique et des personnages trop beaux et trop riches. Labiche fait de l’argent le ressort essentiel de son théâtre. Tout s ‘articule autour de la richesse. On y trouve les personnages du rentier, du commerçant et du nouveau riche. C’est surtout le personnage du parvenu qui s’impose dans ce théâtre. Comme décor, nous sommes en présence d’un salon et de son attirail, de la garçonnière ou de la résidence secondaire.

2- L’amour, le mariage et l’adultère

A côté de l’argent, mais toujours marqué par l’argent, on trouve le thème de l’amour où domine la fausse pudeur. Nous avons souvent affaire à l’amour contrarié de deux jeunes gens. A la fin, cela va de soi, tout s’arrange, tout rentre dans l’ordre. C’est le retour à la stabilité de départ. Le jeune homme bénéficie d’un héritage et le mariage clôture la pièce. L’idée de mariage amène celle de l’adultère et de l’infidélité. Après des larmes, c’est la réconciliation et le retour à la phase de départ. A partir de la fin du dix-neuvième siècle, l’adultère va dominer tout le théâtre du Boulevard et imposera sur scène le triangle « mari-femme-amant » qui constituera l’espace central de ce théâtre. Une obsession fondamentale va marquer ce genre: tromper ou être trompé. On a recours à des procédés et à des techniques revenant comme des leitmotive dans toutes les pièces : grossissement exagération du rait, caricature. Les redondances, les clichés et les stéréotypes caractérisent ce théâtre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LE THEATRE EPIQUE

 

BERTOLT BRECHT (1898-1956)

 

Evoquer le parcours de Bertolt Brecht, c’est plonger inéluctablement dans les profondeurs de la pratique théâtrale. Certes, Brecht remet en cause les conventions dominantes du théâtre aristotélicien, mais ne se laisse pas aller à un rejet total de l’expérience dramatique. C’est une autre manière de faire le théâtre qu’il propose. Ainsi, nourri des expériences du théâtre élisabéthain, chinois, japonais ou indien, profondément marqué par les différents jeux des chœurs de la tragédie grecque et le théâtre populaire autrichien et bavarois, il tente de mettre en œuvre un théâtre qui correspondrait, selon lui, aux « nécessités du combat ». Il s’insurge contre cette idée dominante de concevoir le théâtre comme une fidèle reproduction du monde et va en guerre contre le théâtre dit dramatique. Il va s’attaquer au théâtre naturaliste et impressionniste trop marqué idéologiquement et en porte à faux avec la conjoncture historique. Il  rejette l’illusion et les jeux hypnotiques du théâtre naturaliste incapable d’exprimer le présent et de rendre compte des grands événements humains et de l’actualité. Dès ses premiers textes théoriques, il annonçait la couleur . En 1931, il écrivait ceci : «  Aujourd’hui, alors que la personne humaine doit-être considérée comme une « totalité de conditions sociales », la forme épique est la seule qui puisse fournir englober tous les processus, qui puisse fournir au théâtre la matière nécessaire pour créer une image du monde pleinement représentative. ». Ce sont les conditions socio-politiques qui vont donc déterminer les contours de son théâtre et les lieux esthétiques de la représentation théâtrale.

       Avant de découvrir le théâtre épique, Brecht a connu pendant les premières années de son aventure dramatique l’expérience du théâtre didactique. C’est l’époque des « pièces didactiques » et des « opéras pour écoliers ». Ainsi, à la suite de ses premières tentatives, il se lance dans un théâtre de contestation où il écrit des textes développant une réflexion politique. D’ailleurs, ses premiers textes sont profondément marqués par la guerre et le refus de la morale bourgeoise de l’époque. Brecht considérait, à ses débuts, qu’un nouveau théâtre est possible en partant des formes déjà existantes et des conditions de production et de consommation de l’époque. Il faut tout simplement, selon lui, pervertir les formes et les structures existantes. C’est le cas du travail effectué dans L’opéra de quat’sous. Il prenait un thème, un sujet et s’employait à le remodeler en fonction de son discours idéologique et esthétique. C’est l’idée de transformation qui va marquer toute son expérience dramatique.

L’épique chez Brecht : L’épique ne constitue nullement une forme concrètement élaborée mais fonctionne comme une série de procédés techniques et artistiques employés dans la mise en œuvre de la représentation théâtrale. Epique vient d’ épos qui veut dire narrer, raconter. Ainsi, Brecht oppose son théâtre épique au théâtre dramatique (drama=action). Le théâtre dramatique substitue les actions au récit, ce qu’on montre est conforme à la nature des choses.

                             

                 Dramatique

                    Epique

-Déroulement devant nous de l’événement dans un présent immédiat

-Faire revivre l’événement

-Coïncidence du temps et de l’espace de l’action et sa reconstitution, présentées sous la forme d’un échange je/tu

-L’action se déroule devant moi, s’impose à moi

 

-Spectateur=Soumission

-Reconstitution par l’acte de narration de l’événement passé

-Exposer l’événement « posément »

-Le narrateur s’efface devant le « il » fictif des personnages. Il prend ses distances par rapport aux personnages

-Le narrateur n’est pas pris dans l’action, il conserve toute liberté de manœuvre pour l’observer et la commenter.

-Spectateur=Liberté

 

Il faut savoir que le drame contenait déjà des éléments épiques bien avant l’expérience de Brecht. On retrouve des procédés épiques dans le théâtre du Moyen âge et les manifestations artistiques asiatiques. Ces procédés, employés dans les espaces classiques ne remettaient nullement en question la direction globale de l’œuvre et la fonction du théâtre dans la société. Brecht reprend ces éléments et les retravaille en fonction de son discours esthétique et idéologique. Il les utilise contre le théâtre naturaliste qui considère les passions et les comportements des personnages comme des expressions immuables d’une « nature humaine », invariable, idée fortement rejetée par Brecht qui insiste sur la notion de changement et de transformation de la société et du théâtre. Les personnages sont trop peu individualisés. Il écrit ceci : » Le personnage émerge de la fonction sociale de l’individu et change avec cette fonction. Le personnage ne doit pas être considéré comme une tache de graisse sur un pantalon et qui reparaît en dépit de tous les efforts qu’on fait pour supprimer la trace. En fait, la question se pose toujours de savoir comment une certaine personne agira dans des circonstances et des conditions particulières. »

Quelques éléments du théâtre épique brechtien

1-La scène : doit avoir un caractère démonstratif, elle doit afficher sa matérialité. Le comédien n’incarne pas l’action, mais prend à distance l’événement, le montre. L’effet de distanciation (« Verfremdungseffekt » ) est l’élément central de son théâtre. Bernard Dort parle ainsi de ce procédé brechtien : « Autant que ce qu’il montre, ce qui importe, c’est la façon dont Brecht le montre. Ici intervient la notion de « Verfremdungseffekt » (effet de distanciation, d’éloignement ou d’étrangeté). IL s’agit comme il le dit lui même d’amener le spectateur à considérer les événements d’un œil investigateur et critique. Distancier ne signifie pas pour Brecht, éloigner de façon uniforme et immuable l’acteur du personnage, la salle de la scène. (…) La distanciation, dans son théâtre épique, résulte bien plutôt de l’intervention, à tous les niveaux de la représentation théâtrale, d’une série de décalages, d’effets de recul ».

  C’est dans la relation de la scène et de la salle que s’opère la fonction primordiale du théâtre épique.

2-L’action et la fable : Le récit est fragmenté et constitué de séquences relativement autonomes tendant vers le même objectif. IL ne repose nullement sur une évolution progressive de la courbe dramatique. Les tableaux sont souvent interrompus par des songs ou des explications et des commentaires. Ainsi, l’action fonctionne comme citation ? mettant en œuvre de manière explicite le fonctionnement du récit.

Le jeu épique :  Le comédien doit éviter et empêcher par tous les moyens l’identification du spectateur au personnage. Il doit jouer son personnage en prenant ses distances par rapport à lui. Il ne l’incarne pas. Le narrateur doit avoir une attitude critique face à la fable. Toute la machinerie théâtrale est exhibée, au lieu d’être effacée, dans le but de produire l’illusion. Par sa gestuelle, l’acteur explicite la construction artificielle de son personnage :ruptures de ton, mouvements brusques, refus d’incarner une figure sans faille.

Walter Benjamin parle ainsi du théâtre épique brechtien : « Le théâtre épique, semblable en cela au film, avance par à-coups. Les situations isolées, détachées s’y heurtent les unes aux autres, donnant à ce théâtre sa forme fondamentale qui naît du choc. » (Walter Benjamin, Essais sur Brecht, Maspéro, 1969).

Le spectateur : Il est actif, dynamique, pourvu d’un sens critique aigu. C’est la place du spectateur qui a déterminé la mise en œuvre du discours théorique brechtien. Brecht écrit ceci : Le spectateur du théâtre dramatique dit : « Oui, j’ai éprouvé cela-je suis tout à fait pareil- c’est tout naturel. Cela sera toujours ainsi. Les souffrances de cet être humain m’émeuvent parce qu’il n’y a pas d’issue pour lui. C’est là du grand art marqué du sceau de l’inévitable. Je pleure avec ceux qui pleurent sur le théâtre, je ris avec ceux qui rient. »

  Le spectateur du théâtre épique dit : « Je n’aurais jamais cru cela. Ce n’est pas ainsi que cela se fait. Voilà qui est très surprenant, à peine croyable. Il faut que cela cesse. Les souffrances de cet être humain m’émeuvent parce qu’il y aurait eu une issue pour lui. C’est là du grand art : rien ici ne semble inévitable. Je ris de ceux qui pleurent sur la scène, je pleure sur ceux qui rient. »

 

Brecht s’insurge donc contre le théâtre conventionnel. Dans le théâtre aristotélicien, ce qu’on montre au spectateur est conforme à la nature des choses. C’est un théâtre fixiste, conformiste. C’est cette idée de nature que réfute Brecht. IL lui oppose celle de culture, c’est-à-dire une activité humaine pouvant transformer les choses. Il ne s’agit plus de se reconnaître dans les images, mais de s’étonner.. Tout est susceptible d’être transformé. Pour Brecht, le passage de la forme dramatique à la forme épique n’est pas motivé par une question de style mais par une analyse nouvelle de la société. Le théâtre dramatique n’est plus capable, selon Brecht, de rendre compte des conflits de l’homme dans le monde ; l’individu n’est plus opposé à un autre individu, mais à un système économique. Le style brechtien est exposé pour la première fois dans « Remarques sur l’opéra de Mahagonny » (1931) et trouve dans « Le petit organon »(1948), « L’achat de cuivre »(1937-1951), « La dialectique au théâtre » (1951-1956) son expression définitive.

       Distancier un événement ou un personnage signifie tout simplement dépouiller cet événement ou ce personnage de ce qu’il a d’évident et provoquer à son sujet l’étonnement et l’étrangeté. Distancier signifie historiciser, c’est à dire que les événements et les hommes sont présentés dans leur nature historique et donc éphémère. Nous n’avons plus affaire à des hommes immuables ou à des instances temporelles mythiques. La dimension historique est fondamentale. Le théâtre est avant tout un ensemble d’artifices. Brecht s’en prend à l’illusion et à la magie théâtrale et insiste sur le notion de distance.

       Le spectateur doit éviter l’identification et il est appelé à s’étonner de la façon dont la pièce représente le monde. L’illusion est évacuée du processus théâtral : la scène s’exhibe comme artifice et montre qu’elle est tout simplement une scène. Le public sait qu’il est au théâtre et qu’on est en train d’user d’artifices.

 

 

 

Tableau mettant en lumière le discours théâtral brechtien

 

Drama (action)

Epique (epos)-Récit (sens de narratif)

-Substitution des actions au récit

 

 

-fixiste, conformiste, conforme à la nature des choses

 

-reconnaissance dans les images

-hommes immuables non influençables livrés sans défense à leur destin

-Pitié et crainte, purgation propre à pareille émotion

 

 

-Mimésis

-Destin

-Eternité

-Règle des trois unités

-Absence de séparation de l’homme avec son destin

 

-Primauté de l’être sur la conscience(pensée idéaliste)

-Adhésion sentimentale et affective du spectateur résultant de l’illusion d’une entente entre l’esthétique et l’éthique

-Statique (représentation des faits comme découlant de lois naturelles)

-Entrer dans la peau des personnages

-Clos

récit

 

 

-culture, c’est à dire une activité humaine qui peut transformer les données humaines

-Etonnement

-Hommes et société transformables

 

 

-Prise de conscience (prise de conscience n’est pas en opposition avec l’émotion, rapport dialectique, donne à réfléchir)

-Distance, explication, abstraction

-Homme

-Temporalité

-Rupture

-L’être humain conçu comme l’ensemble de tous les rapports sociaux

-Primauté de l’être sur la conscience(pensée matérialiste)

-Attitude responsable et critique

 

 

 

-Dynamique, historique

 

-Jouer les personnages

 

-Ouvert

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Propos de Brecht

 

De l’acteur

«  Ses muscles doivent demeurer détendus, sinon il lui suffirait de tourner la tête pour entraîner « magiquement » les yeux et même les têtes des spectateurs-ce qui aurait pour effet de les rendre moins capables de refléter ou d’éprouver une émotion suscitée par ce geste…Même s’il joue le rôle d’un être possédé, l’acteur ne doit pas sembler lui-même possédé ; sinon comment les spectateurs pourraient-ils découvrir ce qui possède le possédé ? »

 

« Le jeu de l’acteur permet au public de découvrir les autres possibilités, si bien que toute action peut-être considérée comme faisant simplement partie de multiples variantes. »

 

« Le comédien doit jouer les événements de la pièce comme des événements historiques. Un événement historique est un événement qui est lié à une certaine époque ; il n’a eu qu’une fois et ne dure qu’un temps. Dans cet événement, le comportement des individus n’est pas un comportement simplement humain, immuable ; il est singulier sur plus d’un point, il présente des aspects qui dans la marche de l’histoire se sont trouvés dépassés ou pourront l’être, il est soumis à la critique de toutes les époques ultérieures. L’évolution constante de l’humanité nous rend étranger le comportement de nos devanciers. Cette distance que l’historien prend devant les événements et les comportements du passé, le comédien doit la mettre entre lui et les événements et comportements du présent : il doit éloigner de nous faits et personnes. »

 

« Donne-nous la lumière sur le théâtre, électricien ! Comment pouvons-nous,

Auteurs et acteurs, présenter nos images du monde

Dans une demi-obscurité ? Une pénombre nébuleuse

Incite au sommeil. Or nous avons besoin que les spectateurs

Demeurent éveillés et même vigilants. Qu’ils rêvent

Dans une clarté éblouissante ! »

 

« A une époque où la science est capable de transformer à tel point la nature que le monde peut paraître presque habitable, l’homme ne peut-être plus montré à l’homme sous l’aspect d’une simple victime, assujettie à un milieu inconnu, mais immuable…Le monde d’aujourd’hui ne peut-être présenté aux êtres humains d’aujourd’hui que sous l’aspect d’un monde qu’il est possible de changer. »

 

 

 

 

LE THEATRE DE LA CRUAUTE

ANTONIN ARTAUD (1896-1948)

 

    « Je me connais, et cela me suffit et cela doit suffire, je me connais parce que je m’assiste, j’assiste à Antonin Artaud. »

 

Œuvres : L’ombilic des limbes (1925) ; Le Pèse-nerfs (1925) ;  Fragments d’un discours d’enfer (1927) ; Le théâtre et son double.    

 

1-La tentative surréaliste :

Artaud est surtout connu comme un poète très anti-conformiste, rebelle qui se refuse à toutes les conventions. Ce n’est pas sans raison qu’il se retrouve vite au mouvement surréaliste qu’il a marqué de son empreinte et qui a, à son tour, été marqué par ce mouvement. D’ailleurs, sa pratique théâtrale est travaillée par l’expérience surréaliste. Son adhésion au mouvement surréaliste n’est pas fortuite. Il est séduit par la recherche systématique des surréalistes de l’inconscient, expérience lui paraissant proche de ce qu’il voulait pratiquer. Il avait donc pour objectif d’adhérer à un groupe qui ne se voulait pas uniquement littéraire et artistique mais prétendait agir dans la vie et sur la vie (L’art et la mort).

       Artaud a fait quelques tentatives au cinéma. Un seul de ses scénarios a été réalisé. A u cœur du surréalisme, un conflit entre l’impulsion créatrice tendant à se manifester dans des œuvres d’art et une exigence morale conduisant à une révolte contre les valeurs dominantes. Plusieurs textes, collectivement signés des surréalistes portent fortement l’empreinte d’Artaud, notamment l’apport et ses manifestations contre le rationalisme occidental. L’un des facteurs de la rupture avec le mouvement surréaliste fut la décision du groupe d’assumer des tâches politiques précises.

 

2-Le théâtre de la cruauté

       Artaud voyait dans le théâtre un moyen de sortir de la littérature dans laquelle lui semblaient se complaire ses amis surréalistes. Ainsi, il décide de rompre avec le groupe. Le théâtre allait lui permettre de mettre en œuvre ses idées. La découverte de l’Orient et du théâtre balinais allait lui permettre de lancer son théâtre  de la cruauté et de rompre avec le théâtre européen, trop bavard à son goût. Il définit ainsi son théâtre de la cruauté : « C’est pourquoi, je propose un théâtre de la cruauté. Avec cette manie de tout rabaisser qui nous appartient aujourd’hui et cruauté, quand j’ ai prononcé ce mot, il a tout de suite signifié sang pour tout le monde. Mais théâtre de la cruauté veut dire théâtre difficile et cruel d’abord pour moi même. Et sur le plan de la représentation, il ne s’agit pas de cette cruauté que nous pouvons exercer les uns contre les autres en nous dépeçant mutuellement les corps, en sciant nos anatomies personnelles, ou tels des empereurs assyriens, en nous adressant par la poste des sacs d’oreilles humaines, de nez ou de narines bien découpés, mais de celle beaucoup plus terrible et nécessaire que les choses peuvent exercer contre nous. Nous ne sommes pas libres. Et le ciel peut nous tomber sur la tête. Et le théâtre est fait pour nous apprendre d’abord cela. »

       Artaud insiste donc sur l’idée d’une prise de conscience des forces vitales de l’individu et de la libération de toutes ses énergies. Aussi remet-il en question la fonction de la dramaturgie. Le théâtre correspond à un besoin de dépassement qui ne peut pas être réalisé  par la logique et le rationnel. Son théâtre suggère la représentation d’un événement d’ordre cosmique où représentation ne signifie pas imitation (mimésis), mais nouvelle présentation. Le théâtre devient une aventure permettant à l’homme de se connaître d’entrer en contact avec lui-même, avec les énergies nouvelles et le cosmos. Cette situation provoque une sorte de manifestation cathartique favorisant l’émergences des forces de l’inconscient. Donc, Artaud rejette la mimésis, mais donne un autre contenu et une autre fonction à la catharsis.

a)     Gratuité de l’acte :  Chez Artaud, l’acte est gratuit, c’est une fin en soi. Ce n’est pas comme le théâtre classique, conventionnel. Il écrit ceci : « L’action dramatique porte en elle une gratuité immédiate qui pousse à des actes inutiles sans prit pour l’actualité. » . Ici, on peut parler de transcendance de la raison et de la psychologie. C’est la dimension métaphysique du théâtre.

b)    Temporalité : C’est une temporalité de l’immédiat. C’est un acte instantané. Il y a absence de distance entre le sujet et l’objet. On parle à ce propos de fusion. Ni passé, ni futur. Le dépassement de la réalité est indispensable, « condition nécessaire pour donner au théâtre ce caractère collectif et contagieux typique à la peste. » 

c)     Mise en question de la scène telle qu’elle fonctionne. Ainsi, il appelle à la démolition de la barrière scène-salle, acteur-spectateur. Le spectacle se déroule au centre et aux quatre coins de la salle.

« Une vraie pièce de théâtre bouscule le repos des sens, libère l’inconscient et…impose aux collectivités rassemblées une attitude héroïque et difficile. »

d)    Catharsis : La catharsis signifie chez Artaud la surexcitation de tous les sens et une mise en mouvement de toutes les forces vitales de l’homme. C’est la manifestation libre de tous les sens. Ainsi, la catharsis permet à l’homme de prendre conscience de sa force et de ses potentialités. Si  la catharsis aristotélicienne se fait à partir d’une action avec la présence des réactifs crainte et pitié, chez Artaud, catharsis n’est rien d’autre qu’une prise de conscience des forces du subconscient, découverte d’un moi collectif qui est en soi. Dans la catharsis aristotélicienne, il y a distance entre moi et l’objet de ma pitié. Pour Artaud, il y a fusion.

e)     Scène : C’est un lieu physique et concret exprimant un langage destiné aux sens. La parole s’efface . L’univers que le théâtre se doit de créer est un univers qui ne peut s’orienter ni dans le temps ni dans l’espace.  Comique et tragique se mêlent dans ce processus de libération des forces de l’inconscient.

f)      Le personnage : Ce n’est qu’un moyen d’expression permettant la libération des forces inconnues. Artaud dépouille l’homme de tout ce qui le caractérise en tant qu’être social ancré dans un contexte historique.

Le conflit : C’est la lutte d’une âme avec un au-delà mystérieux. Artaud veut exprimer l’inexprimable. On passe de l’idée au concret. Le conflit du créateur se transforme en conflit du spectateur qui recevra d’abord le concret, c’est à dire la manifestation théâtrale de cette force et de là  prend conscience de la force elle-même.                                               

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                        PROPOS D’ARTAUD

 

-« Je me connais, et cela me suffit et cela doit suffire, je me connais parce que je m’assiste, j’assiste à Antonin Artaud. »

 

-La scène est un lieu physique et concret qui demande qu’on la remplisse et qu’on lui fasse parler son langage concret. Ce langage concret, destiné aux sens est indépendant de la parole, il doit satisfaire d’abord les sens.

 

-Un théâtre qui soumet la mise en scène et la réalisation, c’est à dire tout ce qu’il y a en lui de spécifiquement théâtral, au texte est un théâtre d’idiot, de fou, d’inverti, de grammairien, d’épicier, d’anti-poète et de positiviste, c’est à dire d’occidental ;

 

-Dans ce théâtre, toute création vient de la scène et trouve sa traduction et ses origines dans une impulsion psychique secrète qui est la parole d’avant les mots. C’est un théâtre qui élimine l’auteur au profit du metteur en scène.

 

-Dans le « théâtre de la cruauté », le spectateur est au milieu tandis que le spectacle l’entoure. Dans ce spectacle, la sonorisation est constante : les sons, les bruits, les cris sont cherchés d’abord pour leur qualité vibratoire, ensuite pour ce qu’ils représentent. Dans ces moyens qui se subtilisent la lumière intervient à son tour. La lumière qui n’est pas faite seulement pour colorer, ou pour éclairer, et qui porte avec elle sa force, son influence, ses suggestions.

 

-Il importe avant tout de rompre l’assujettissement du théâtre au texte, et de retrouver la notion d’une sorte de langage unique entre le geste et la pensée.

 

-Le spectacle : Tout spectacle contiendra un élément physique et objectif, sensible à tous. Cris, plaintes, apparitions, coups de théâtre de toutes sortes, beauté plastique des costumes pris à certains modèles rituels, resplendissement de la lumière, charme de l’harmonie.

 

- Les instruments de musique : Ils seront employés à l’état d’objets et comme faisant partie du décor.

 

 

 
 
 
 

 

        

LA MISE EN SCENE

 

Avant tout, il serait intéressant pour ce point de lire, entre autres textes théoriques, les travaux de Brecht (Ecrits sur le théâtre et Le petit Organon), de Grotowski (Vers un théâtre pauvre), de Kantor, de Meyerhold, de Bablet, de Pavis et de Anne Ubersfeld (chapitre consacré à la mise en scène dans L’école du spectateur).

 

       Naturellement, toute mise en scène implique une lecture d’un texte selon deux directions :

-Dans les mises en scène de type traditionnel, la lecture va se nier elle-même ou pose le texte comme premier.

-Dans les mises en scènes contemporaines, la lecture du texte est considérée comme une partie constituante devenue tout simplement interprétation du texte théâtral.

       Comment les exigences sémiotiques peuvent-être productives au niveau de la mise en scène ? Cela permet de considérer le texte dans sa matérialité de texte de théâtre et non de reproduction de la mimésis. Du point de vue de la mise en scène, cela peut –être productif, plusieurs personnages sont parfois joués par un seul acteur. La mise en scène organise tous les éléments concernant la pratique théâtrale, enchaine et rythme les épisodes et les situations, les dialogues et les éléments visuels et musicaux. C’est l’organisation du texte spectaculaire.

 

       La notion de mise en scène est récente. Elle ne date que de la moitié du dix-neuvième siècle lorsque le metteur en scène devient le responsable de l’organisation du spectacle. Avant, c’était le régisseur ou parfois l’acteur principal qui fait fonction d’organisateur du spectacle. André Antoine dans son « Théâtre Libre » (1887)jouait en faisant appel à des décors naturalistes des œuvres naturalistes. Stanislavski mettait en scène dans son « Théâtre d’Art » de Moscou les pièces de Tchékhov, son auteur préféré. Il passait de la mise en scène à la formation de l’acteur. D’ailleurs, il a un livre intitulé « Formation de l’acteur » Le suisse Adolphe Appia cherchait à trouver une relation organique entre l’acteur et son environnement.. Il construisait ainsi une extraordinaire architecture scénographique et met en œuvre de nouveaux styles d’éclairage renouvelant et rythmant la configuration de l’espace.

 

Stanislavski considère que monter une pièce, c’est rendre évident le « sens profond du texte dramatique ». Il use, pour ce faire, de différents moyens scéniques (dispositif scénique, éclairage, costume, musique…) et ludiques (jeu du comédien, corporalité, gestualité). Apparaît sérieusement avec Stanislavski la technique de la direction d’acteurs qui consiste en un travail pratique et continu avec les acteurs qui devraient étudier les personnages qu’ils interprètent tout en cernant leurs motivations et leur parcours.

 

L’apparition du metteur en scène va transformer la relation qu’on entretenait avec le théâtre. Ainsi, on a depuis son émergence une nouvelle attitude en face du texte théâtral. Le théâtre va revendiquer son autonomie. C’est l’émergence d’un art autonome. A côté de la mise en scène, apparaît également la scénographie qui est « un élément concret et décisif du discours de la mise en scène qui contrôle et surdétermine le mode de production et d’énonciation de l’œuvre textuelle et scénique.

 

Texte/représentation : Plusieurs manières de voir cette relation s’affrontent :

 

-Traduction/illustration : fidélité illusoire comme si le texte pouvait être traduit directement sur scène

-Certains spectacles n’ont pas de texte, le réfutent : Le regard du sourd de Bob Wilson, Acte sans parole de Beckett. La commedia dell’arte utilise un canevas et base son travail sur l’improvisation. Certes, les personnages, l’espaces et les situations fondamentales sont prévus à l’avance. C’est Goldoni qui « codifie » en quelque sorte ce théâtre.

     Le metteur en scène organise l’espace, avec l’aide du scénographe et des autres métiers du théâtre.

Il y a différentes façons de mettre en scène. Peter Brook tente de confronter ce qu’il appelle le théâtre « sacré » et le théâtre « brut » mettant ainsi en opposition les formes liées à un rituel fixe et les formes populaires marquées par la fête ou les cérémonies conjoncturelles.

         Strehler du Piccolo teatro de Milan parle de la théorie des trois boites : celle du « vrai », de « l’histoire » et de « la vie ».

           Brecht met en œuvre son théâtre épique.

 

   On parle aujourd’hui même de formes denon-représentation qui fondent essentiellement l’entreprise théâtrale sur l’improvisation (happenings, Acto, living…)

 

Certains accordent une grande importance au texte, d’autres non. Ainsi, les américains Foreman et Bob Wilson considèrent que la fable n’est pas importante : tout doit-être, selon eux, événement scénique et la fiction s ‘évanouit dans le présent de la performance. Pour Grotowski, la fable devrait servir le travail et l’action physique du comédien.

 

Donc, comme je l’ai déjà dit, il y a deux types de fonctionnements : le premier type veut en quelque sorte « reproduire » et « imiter » le réel et le deuxième type qui affirme que tous les éléments et tous les signes produits sont tout simplement théâtre et sont de ce fait significatifs. Foreman, Grotowski et Wilson unissent performance et théâtralité.

Ariane Mnouchkine du « Théâtre du Soleil » utilise la richesse du clown et la commedia dell’arte tout en cherchant à transformer le lieu théâtral.

 

Quelques expériences :

-Max Reinhardt tente de produire des effets de masse en employant de nouveaux équipements (la scène tournante par exemple).

-Meyerhold ou la Biomécanique : ce sont les techniques du cirque qui ont inspiré sa manière de faire considérant le comédien comme «un ouvrier de la scène » constituant ainsi l’élément central du travail.

-Piscator introduit les techniques cinématographie dans son théâtre militant et politique. Il remplace le héros par la collectivité. Ce sont des spectacles d’agitation et de propagande. L’acte de mise en scène est dicté par les nécessités politiques et son impact sur le public et la nature du message politique. Il définit ainsi son théâtre : « La mission du théâtre aujourd’hui ne doit pas consister seulement à relater les événements historiques pris tels quels. Il doit tirer de ces événements des leçons valables pour le présent, prendre une valeur d’avertissement en montrant des rapports politiques et sociaux fondamentalement vrais et tenter ainsi dans la mesure de nos forces, d’intervenir dans le cours de l’Histoire. Nous ne concevons pas le théâtre comme le miroir de l’époque mais comme un moyen de la transformer. » (Piscator, Le théâtre politique, L’Arche). Piscator et Brecht tentent, selon eux, de rompre avec l’organisation du théâtre établi conçu comme divertissement. Ils ont introduit une nouvelle forme et un nouveau contenu conformes aux normes d’un nouveau théâtre. Erwin Piscator est le partisan d’un théâtre-tribunal ouvert au monde ouvrier. Les acteurs sont anonymes et savent durant le spectacle qu’ils participent à une action de propagande et d’éducation politique et idéologique. Piscator utilise des textes existants mais les modifie en ajoutant un prologue ou un épilogue ou un texte éclairant le point de vue politique. Il s’exprime en ces termes sur le théâtre politique : « l’idée fondamentale où toute action théâtrale réside dans l’élévation des scènes privées au niveau de l’histoire, il ne peut s’agir que d’une élévation au plan social, politique et économique ». Dans une de ses « revues » politiques, Erwin Piscator déclare avoir voulu « faire suivre par les spectateurs le déroulement des siècles et vérifier ainsi la légitimité des révolutions et de leurs défenseurs ». D’où d’ailleurs son recours au mythe de la Révolution comme fin de l’Histoire- et  aussi du théâtre-. Piscator considère que l’art ne pouvait avoir quelque valeur que s’il était un moyen parmi tant d’autres dans la lutte des classes ». Le théâtre devient un instrument et un moyen politique et de propagande.

       Bertolt Brecht met en question tout le système théâtral. Il veut écrire pour les masses et les instruire. Pour ce faire, il a recours au théâtre dialectique traitant de l’Histoire à travers une action mettant en lumière les contradictions et les antagonismes de classes. A un théâtre clos, Brecht substitue u théâtre ouvert. A un processus d’identification, il substitue un processus de compréhension et de réflexion. Aucune pièce ne se termine réellement. Le débat reste ouvert : « le conflit fondamental n’est pas résolu. Il ne fait au contraire qu’apparaître en clair ». Brecht décrit une société en pleine transformation et en pleins bouleversements. Il met le spectateur par le moyen de l’art au cœur de la réalité, une réalité excluant la fatalité et apte à être transformée ». L’élément essentiel dans le théâtre épique de Brecht est l’effet de distanciation.

 

Edward Gordon Craig fait appel à « l’imagerie scénique » comme fin en soi. Il accorde une importance fondamentale à la peinture et d’ailleurs n’arrêtait pas de réaliser essais et esquisses. Il s’insurge contre la pratique naturaliste, lieu de l’illusion. Ainsi le décor des peintres règle le problème du décor naturaliste illusionniste. C’est une entreprise exclusivement esthétique évacuant tout objectif politique ou social. C’est surtout le travail sur les nombreuses possibilités de la lumière qui marque le travail de Craig (décor, jeu architectural…). Craig rejette la primauté du texte et celle de l’auteur qu’il remplace par la mise en scène et la surmarionnette. Il emploie énormément les règles géométriques dans ses constructions scéniques. Il fait cohabiter deux types d’architectures : fixe et mobile.

    Jerzy Grotowski, c’est surtout le corps du comédien. Toute l’expérience du laboratoire de Wroclaw (fondé en 1959) tourne autour des performances physiques et athlétiques de l’acteur qui doit se dépouiller de toute dimension sociale acquise.

 

 

 

 

 

 

                                                                                           

 

 

      

 

 

 
 
 
 

 

 
ELEMENTS DE SEMIOLOGIE DU THEATRE

 

Avant de parler de la sémiologie du théâtre, il serait plus judicieux d’interroger la sémiologie et de cerner les contours de cette discipline, certes, nouvelle, mais puisant sa matérialité et sa substance dans les temps anciens. Ainsi, Aristote, Saint Augustin, Ibn Rochd, Baudelaire et bien d’autres ont évoqué le signe, chacun à sa manière. Tout notre environnement est traversé de signes. D’ailleurs, même la médecine use du terme « sémiologie » défini comme l’étude des symptômes. Tout geste, toute parole, tout acte est marqué par la présence d’une multitude de signes. Parler, manger, s’asseoir, crier sont des signes donnant à voir une attitude, un comportement, un sentiment. Charles Baudelaire trouve que le quotidien est peuplé de signes. Ainsi, dit-il, en utilisant un style imagé que « tout l’univers visible n’est qu’un magasin d’images et de signes ».

Souvent, on propose cette définition générale du signe : « Quelque chose qui tient lieu d’autre chose ». C’est à la fois un objet et une action, une structure statique et dynamique à la fois, une sémiose. Si Ferdinand de Saussure(1894-1911) définit la sémiologie comme l’étude des signes au sein de la vie sociale, distinguant signifié et signifiant, Charles Peirce (1863-1911), Ogden et Richards (1920-1923), entre autres auteurs, proposent d’autres configurations du signe.

 

Signe          =    

Quelque chose

Qui tient lieu d’

Autre chose

Pour quelqu’un

Saussure

Signifiant

Signifié

(chose ?)

 

Ogden-Richards

Symbole

Idée ou référence

Référent

 

Peirce

Représentation

Interprétant

Fondement

Objet

(pour quelqu’un)

Haris (1938-1964)

Véhicule du signe

Interprétant

Signification

Denotatum

Interprète

      

Ce tableau montre les différentes définitions du signe proposées par des auteurs considérés comme les représentants attitrés de la sémiologie. Dans les différents cas, on insiste sur la nature du signe : arbitraire ou motivé, selon Ferdinand de Saussure (1857-1913), naturel vs artificiel chez Ogden et Richards. Charles Peirce ( 1839-1914) suggère la présence de trois éléments : icônes, indices et symboles. Nous sommes dans tous les cas en présence de signes naturels et de signes artificiels. Emission et réception correspondent à différentes instances du signe :

 

                                                   

                                              

 

                                                SIGNE

 

Référent

Signifié E

Signifiant

Signifié R

Référent R

 

          CÔTE     EMISSION

   COTE   RECEPTION

 

 

 

             

La question du référent constitue un élément fondamental de la sémiologie. Même chez Saussure, contrairement à ce qui est souvent avancé, les traces du référent ne sont pas absentes. Il y a une distinction entre le signe linguistique, la pensée signifiée et l’être désigné. On pourrait parler de « référent voilé ». Platon évoque l’objet de la connaissance ou la réalité existante. Aristote propose une triade du signe : les signes linguistiques (sons), les pensées signifiées (entités psychiques) et les choses ou les êtres désignés.

A propos de référent, ce n’est nullement Peirce qui l’a utilisé, mais Ogden et Richards. Certes, Peirce qui n’a employé qu’une seule fois dans ses travaux, le mot « référence » a usé de mots comme refer to ou is reffered to.

Nous tenterons dans ces deux tableaux repris des travaux de T.Kowzan de montrer les différences entre signe linguistique et signe non linguistique :

 

                                          SIGNE  LINGUISTIQUE

 

Référent  linguistique

Référent non linguistique

 

Intra-textuel

Inter textuel

Intra-scénique

Extra-scénique

 

 

Intra-fictionnel

 

Extra-fictionnel

             

    

 

                                         SIGNE NON LINGUISTIQUE

 

Référent linguistique

Référent non linguistique

Intra-scénique

Extra-scénique

Intra-scénique

Extra-scénique

 

Intra-fictionnel

 

Extra-fictionnel

 

Intra-fictionnel

Extra-fictionnel

                 

 

         

  Référent

 

        Se

 

        Sa

 

 

 

 

 

   Référent

 

       Se              

 

       Sa

 

 

 

 

Référent

 

       Se

 

       Sa

 

 

 

 

    Se

 

 

    Sa

 

                   

«                  Personnage     (Pierre le Grand)

 

 

 

 

Acteur

 

                                  

 

        « Pierre »                                                                                   
                                                            « il »

Même le spectateur, au théâtre, au même titre que les signes scéniques et textuels, constitue un ensemble de signes à déchiffrer, à interpréter dans leurs rapports syntagmatiques et paradigmatiques.

           

La sémiologie du théâtre reste encore à l’état embryonnaire. De nombreux linguistes admettent mal l’application des outils de la sémiologie au langage non verbal. Ainsi, la difficulté majeure réside essentiellement dans la délimitation des unités minimales, chose qui est presque naturelle dans la langue où le découpage est facile à faire parce qu’on a affaire à des signes figés. Ce qui n’est pas le cas pour le théâtre qui fait appel à des signes mobiles, mouvants. Il serait intéressant de voir les travaux de Barthes (Œuvres complètes), notamment sur Brecht. Il ne faut pas oublier son ouvrage : L’aventure sémiologique qui est très intéressant. Le livre de Christian Metz sur la sémiologie du cinéma est aussi intéressant : Langage et cinéma. Barthes construit une éthique du signe théâtral. Ce qu’il faut faire, c’est de définir les termes employés et les contours de la communication théâtrale en faisant appel à Jakobson qui apporte de très sérieuses contribution à l’analyse de la communication littéraire et artistique. Un autre texte synthétique est aussi important à lire parce qu’il apporte de nombreuses informations surtout la première partie, L’Univers du théâtre de G.Girard, R.Ouellet et C.Rigault. Ce livre peut permettre de mieux asseoir la problématique et de mieux poser la démarche et vos interrogations secondaires et subsidiaires. Qu’est-ce que le signe ? Qu’est-ce que le signe théâtral et quelle différence entre ce signe et le signe, tel que défini par Saussure ou Peirce (qui ajoute un troisième élément, le référent).

          

   Tout le monde sait que la sémiotique littéraire permet l’analyse des contes, des poèmes et des nouvelles, mais trouve de grandes difficultés devant les textes longs. La sémiotique théâtrale aidera à analyser u texte dramatique mais aussi une représentation théâtrale. Tout discours produit des effets de signification. L’une des difficultés majeures pour la sémiotique théâtrale, c’est que la pièce théâtrale met en relation des textes longs. On est loin des modèles narratifs simples qui ont été dégagés jusqu’à maintenant. Il faut analyser les structures narratives et les instances discursives. Le texte théâtral pose le problème du passage de l’analyse sémiotique pas à pas à une analyse de la représentation mettant en relief les « trous » du textes (les silences sont chargés de sens).

       La difficulté supplémentaire pour une analyse  se retrouve dans le fonctionnement structural du texte théâtral lui-même : un texte théâtral est découpé selon des ensembles d’énoncés correspondant  à une énonciation spécifique, supportée par un personnage ou par un chœur ou par une voix off ou non. Ce découpage s’appelle la structuration performantielle.

        Les points centraux de l’analyse d’un texte théâtral sont la prise en compte de tout le texte comme texte unique et la mise en lumière de la stratégie d’énonciation et de communication qui se surimposent à cet unique énoncé. On a des voix diverses supportées par des acteurs, cela suppose une pratique de la communication. Ainsi, on peut parler de la complexité du jeu théâtral qui convoque plusieurs instances matérielles et physiques (voix, décor, texte, éclairage…). La question qui se pose à tous les sémioticiens est de savoir s’il faut prendre en considération chaque élément du langage théâtral ou chercher à lire la représentation dans sa globalité d’autant plus que tous les éléments (musique, décor, éclairage…) convergent vers le discours théâtral global. Le théâtre est un art paradoxal : texte et représentation. Le texte devient un simple élément de la représentation. La mise en scène qui est une écriture scénique autonome ne peut reproduire de manière mimétique le texte théâtral qui paradoxalement fonctionne comme unité et comme élément d’un tout à construire (la représentation). A travers un élément, il est certes possible d’avoir une certaine lecture. C’est le cas de la pièce de B.Brecht, Mère courage : nous avons un tableau initial relatif à la guerre. A partir de ce tableau, nous avons des lignes de structuration performantielle qui se développent autour des interprétations à donner à ce tableau. A l’opposé du texte classique, le spectateur seul sait que le fils de mère courage est mort et que la guerre et la paix sont identiques pour le capitaliste.  La place du spectateur est marquée dans la structure du texte.

       Il y a une évolution de l’écriture scénique qui a pour corollaire une affirmation de la théâtralité. Barthes parlait de « cette épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit » (Essais critiques). La production théâtrale renonce à paraître comme un succédané de la réalité. Elle exhibe ses artifices, sa spécificité. Patrice Pavis écrivait ceci : « il faut traiter le théâtre comme un art, c’est à dire comme un système artificiel et non comme une nature ou une imitation de la nature. ». « On sera, continue Patrice Pavis, donc amené dans cette théorie sémiotique à travailler sur le monde théâtral considéré non comme copie de la réalité mais comme système modelant secondaire, c’est à dire comme un monde parallèle, clos et logique en lui même. » (Patrice Pavis, Problèmes de sémiologie théâtrale, Presses de l’Université du Québec).

 

       La sémiologie théâtrale est une méthode d’analyse du texte et/ou de la représentation, à l’écoute de l’organisation formelle du texte ou du spectacle, à l’organisation des systèmes signifiants et de construction du sens . La sémiotique s’intéresse donc à l’analyse du texte proprement  dit en passant par sa mise en images par le metteur en scène jusqu’à l’action d’interprétation du spectateur. Qu’est-ce que la sémiologie ? Saussure donne la définition suivante : « Science qui étudie les signes au sein de la vie sociale ». Il faut que tu saches que l’application au théâtre remonte au Cercle linguistique de Prague.

       Peirce ajoute un troisième élément, le référent (liens entre le signe et le référent). Pour Greimas, le théâtre met en œuvre plusieurs langages de manifestation..

       La sémiologie théâtrale est encore à l’état embryonnaire. De nombreux linguistes admettent mal l’extension de l’analyse sémiologique aux disciplines artistiques où la part de mobilité dans l’organisation  des oppositions et des relations signifiants/signifiés est grande.

La sémiologie théâtrale reste encore marquée par une série de paradoxes. Mais ce qui est fondamental, c’est le fait de prendre en compte le texte et la représentation et de ne négliger aucun élément dans l’analyse du processus de communication qui va de l’émission à la réception de l’œuvre dramatique. Chacun sait que le texte dramatique appelle souvent un second texte, scénique celui-ci qui a une présence latente (ou implicite dans l’espace du texte dramatique). Donc, texte et représentation sont intimement liés. Deux approches marquent cette relation : les uns soutiennent que la mise en scène ou la représentation n’est en fait qu’une simple traduction du texte dramatique alors que d’autres, notamment les sémioticiens, considèrent que le texte n’est en fait qu’un simple élément de la représentation. Il serait intéressant d’utiliser le premier chapitre des deux ouvrages d’Anne Ubersfeld, Lire le théâtre et L’école du spectateur.

       Comme nous l’avons déjà signalé, la sémiologie théâtrale est encore à l’état embryonnaire. Ce qui est à l’origine de nombreux malentendus. Déjà pour commencer, il faut définir son champ d’action : C’est une méthode d’analyse du texte et/ou de la représentation, de l’organisation générale du texte et de la représentation et la mise en œuvre des processus de sens et des performances sémantiques et discursives.

       Tout cela ne va pas sans problème : Déjà, il faut insister sur l’absence d’une stabilité dans l’agencement des signes et d’une convention reconnue et similairement reçue par tous les récepteurs. Ce qui créerait une communication presque parfaite au niveau de l’encodage et du décodage. Ici, la référence à Roman Jakobson et à son schéma de la communication est indispensable. Ce serait bien de citer Umberto Eco qui explique ainsi la manifestation des signifiés : « les signifiants acquièrent des signifiés appropriés seulement pare interaction contextuelle » (La structure absente).. Ce qui pose également problème, c’est l’absence d’unités nécessaires à la formalisation de la représentation. Il n’est nullement possible pour le cas du théâtre de diviser la représentation en micro-unités temporelles. Ce qui n’est nullement opératoire. Si dans la langue, la question du découpage en unités minimales est réglé, dans les disciplines artistiques et principalement le théâtre, les choses sont plus complexes. Au théâtre marqué par un sérieux bombardement provenant de diverses sources (décor, éclairages , jeu des acteurs, musique, texte…), le récepteur est dans l’incapacité d’identifier les unités signifiantes, de les grouper en classes paradigmatiques tout en les confrontant à la commutation permettant de mettre en évidence le jeu des combinaisons. Qu’est-ce qu’une unité ? C’est le plus petit signe émis dans le temps. Tout le monde sait que l’unité minimale est prisonnière du sens global que le récepteur donne à la scène. Au théâtre, on peut parler d’unité synthétique. Toute unité s’intègre dans un projet discursif global. Pour paraphraser Pavis, je dirai que les unités de sens théâtrales ne sont plus minimales mais synthétiques et globales.  Nous avons affaire à une autre typologie des signes. Le signe est conçu comme la relation de plusieurs éléments, même s’il se définit traditionnellement comme corrélation entre plan de l’expression et plan du contenu (Eco). Dans le théâtre, le signe est mobile, mouvant, charriant une série de contradictions et de paradoxes. Il est à la confluence de la lecture de l’auteur dramatique et du metteur en scène et du regard du spectateur. Il est donc à la confluence de trois regards qui contribuent activement à la production du sens. Ainsi, Barthes a raison de parler d’ « espèce de machine cybernétique ». Le lecteur-spectateur reçoit en même temps plusieurs informations qui, certes, convergent vers un discours théâtral global, mais qui fonctionnent aussi de manière relativement autonome.

       Le texte théâtral n’est nullement la représentation. IL est certes partie prenante de la représentation sans qu’il soit réductible à la mise en scène ou à la représentation. Le texte nécessite la présence obligatoire de la scène et de la représentation qui accomplit le travail du signe.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION AU THEATRE EN ALGERIE, DANS LES PAYS

ARABES ET EN AFRIQUE NOIRE FRANCOPHONE

 

1-La question des origines

       Il est inévitable d’interroger les débuts de l’art théâtral et les conditions d’émergence de cet art. Cette question des origines revient souvent comme un leitmotiv dans le discours des chercheurs et des hommes de théâtre. Chacun cherche à démontrer que les sociétés arabes et africaines connaissaient le théâtre bien avant la rencontre avec l’Occident. Ce problème pose essentiellement la question de l’altérité. Ainsi, de nombreux chercheurs ont tenté de répondre à la question de savoir s’il existait un théâtre en Afrique Noire et dans les pays arabes. Pour Bakary Traoré, les choses sont claires [1]: «Si l’on considère le théâtre comme trouvant principalement matière dans le folklore, c’est à dire dans un ensemble de mythes, de légendes, de traditions, de contes, il existe un théâtre spécifiquement africain remontant aussi loin que les civilisations africaines. »

   Traoré considère que toutes les manifestations rituelles, mythologiques et culturelles de sociétés organisées relèvent de certaines formes de théâtralisation. Ce discours se retrouve également développé par un certain nombre de chercheurs n’hésitant qui n’hésitent pas à convoquer un lointain passé pour situer les origines du théâtre dans leurs pays excluant souvent l’apport de l’Occident en matière culturelle. Jacques Berque qui réfute l’idée de l’existence d’u théâtre arabe écrit ceci[2]: « De théâtre, il n’est point au sens habituel du terme, dans le legs arabe et chacun de ressasser le contresens paradoxal de cet Averroès, génial interprète d’Aristote et qui, traduisant La Poétique, crut pouvoir rendre comédie par satire et tragédie  par panégyrique. Il est vrai que les philosophes arabes ouvertement, insolemment disciples de l’Héllénisme ignoraient pareillement la poésie de ceux-là mêmes  dont ils adoptaient dans une large mesure les concepts. »

       Les formes populaires renferment, certes, des éléments de théâtralité, mais ne constituent nullement, dans leur fonctionnement et leurs structures, un art théâtral. Les formes africaines et arabes obéissent à des schémas et à des normes correspondant à leur propre culture. Chaque société possède ses propres manifestations artistiques et ses catégories esthétiques, produit ses propres signes et puise dans le substrat culturel les codes esthétiques régissant la représentation.

       Le regard porté sur les représentations artistiques arabes et africaines est ambivalent. La minoration des formes culturelles populaires conduit parfois inéluctablement parfois à une sorte d’atrophie du moi et suscite paradoxalement des réactions de repli. On veut à tout prix donner une origine arabe et/ ou africaine au théâtre comme si c’était un passage obligé pour affirmer son identité. Aussi, voit-on se développer tout simplement des troupes qui tentent de reprendre d’anciennes formes , ignorant tout simplement qu’ils sont piégés par le primat de l’appareil et des conditions qui ont présidé à l’adoption de la représentation culturelle européenne.

       Cette tentative d’appropriation des formes de représentation européenne comme originellement et éminemment africaines et/ ou arabes facilite finalement l’assimilation des structures empruntées à l’Europe. C’est ce qu’explique Maxime Rodinson[3]: « L’idéologie de résistance d’ailleurs se contente souvent de proclamer l’origine indigène en dernière analyse des éléments empruntés. DE telles revendications d’antériorité peuvent en faciliter l’emprunt puisqu’elles attribuent aux éléments empruntés une origine authentiquement nationale. »

       Ce discours attribuant une origine arabe et/ ou africaine au théâtre est largement répandu. De nombreux chercheurs insistent sur cette idée d’antériorité du spectacle théâtral en Afrique et dans les pays arabes. Nous pouvons citer les auteurs suivants qui ont beaucoup travaillé sur cette question: le syrien Ali Akla Arsan, l’égyptien Ali Erra’i, le malien Bakary Traoré...La pratique théâtrale montre l’importance des influences européennes et reste marquée par la mise en jeu de divers discours dramatiques européens. L’interrogation des traces implicites et explicites marquant la représentation théâtrale donne à voir une réalité qui fait de la pièce une construction syncrétique, à deux têtes, mais le modèle européen s’impose fortement.  Cette attitude qui convoque l’identité se manifeste dans des périodes de crise et l’investit d’une signification particulière.

 

2-L’emprunt

 

       On ne peut parler de l’art théâtral en Afrique et dans les pays arabes sans évoquer la question de l’emprunt qui traverse sérieusement la représentation théâtrale. Le théâtre, comme les autres formes de représentation artistiques européennes, fut adopté dans des conditions historiques particulières. Les problèmes d’ordre artistique sont souvent déterminés par la position de l’homme de théâtre africain vis à vis de son patrimoine culturel et du patrimoine français, producteur de la structure théâtrale.

       La colonisation a été l’élément essentiel , à l’origine de l’adoption des formes de représentation européennes. L’appareil scolaire a, en quelque sorte, été le catalyseur de toute cette entreprise d’assimilation.  Mais le théâtre n’est approprié que parce qu’il correspond à une certaine réalité culturelle et parce que la société possède des formes lui ressemblant quelque peu. On n’adopte selon H.A.GIbb[4] , que les éléments pour lesquels il y aurait des dispositions à admettre une nouvelle forme dans la société emprunteuse. L’analyse des conditions historiques nous amène à déceler les marques qui ont facilité l’adoption de la représentation théâtrale. La présence de structures proches du théâtre et le contexte de crise ont favorisé l’appropriation des modes de représentation occidentaux. En Egypte par exemple, il y avait une certaine disposition à adopter l’art théâtral, il est avéré qu’il existait des textes comme ceux d’Isis et d’Osiris ressemblant sensiblement à la tragédie grecque. En Algérie, comme en Afrique Noire également, des éléments de théâtralité marquaient quelques représentations cultuelles et rituelles.

       En Afrique, comme dans les pays arabes, ce furent les élites qui firent connaître la représentation artistique et littéraire européenne. Au Moyen Orient, juste après l’expédition de Napoléon (1798-1801), un courant puissant et fort allait revendiquer une sorte de plongée dans la « modernité » en s’appropriant les formes culturelles françaises. Pour Mohamed Ali Pacha, le vice-roi d’Egypte de l’époque, il fallait reproduire le modèle français en Egypte. En Syrie, durant le dix-neuvième siècle et notamment à Beyrouth (le Liban faisait partie de la Syrie à cette époque), de nombreux lettrés appelaient ouvertement à en finir avec l’Empire Ottoman (turc) et à adopter les formes de représentation européennes. Ce n’est donc pas un hasard si la première pièce fut jouée en 1848 à Beyrouth par un maronite, Maroun an Naqqash. En Afrique Noire, ce fut grâce à une école dirigée par un certain Charles Béart vers les années trente que les premières pièces furent montées. C’est dans cet établissement que Coffi Gadeau, Amon d’Aby, Bernard Dadié, Keita Fodéba et bien d’autres découvriront l’art de la scène. Au Maghreb, les populations résistèrent longtemps avant d’adopter aux charmes de la culture occidentale, souvent par nécessité historique, ses formes. La loi Jules Ferry qui rendait l’école publique obligatoire permit notamment aux enfants de notables de fréquenter les établissements scolaires. Ce furent les anciens élèves des écoles françaises qui écrivirent et jouèrent les premiers textes au début du vingtième siècle.

       L’emprunt s’était donc fait par l’intermédiaire des élites. Dans la plupart des cas, ce fut la domination coloniale qui favorisa les emprunts et facilita l’assimilation accompagnant souvent ces nouvelles acquisitions. Les pièces de théâtre réalisées depuis le début  opéraient souvent sur deux registres: structure théâtrale et forme orale.

       Les premières représentations faisaient appel à ces deux pôles culturels engendrant une sorte d’assemblage syncrétique. El Bakhil (L’Avare) montée par Maroun anNaqqash associait Molière et la forme du conte . Les Maghrébins, également, mettaient en forme des pièces  où la dimension populaire (personnages, forme du conte populaire, circularité du récit, structure répétitive...) était importante.  En Afrique Noire, la direction de l’école William Ponty obligeait les élèves à recourir  aux formes traditionnelles. Ainsi furent créées des pièces mêlant moeurs, traditions et coutumes locales et structure théâtrale.

       L’emprunt ne veut nullement dire exclusion totale de la culture maternelle, celle-ci, même s’il existe une volonté de l’annihiler, ne disparaît pas entièrement et apparaît sous de nouvelles formes. L’écriture dramatique est marquée par une bipolarité active qui favorise, certes, l’appareil théâtral occidental, producteur de la structure scénique, mais également alimenté par des résidus de la culture populaire. La plupart des pièces sont travaillées par une juxtaposition d’événements, de personnages et d’actions assumant une double paternité révélant des situations singulières (dédoublement du personnage, multiplication des monologues, temporalité ambivalente...). La parole est un élément central de la représentation. Elle est sens et signification. C’est le cas du conteur populaire ou du griot qui favorise la parole. Sur le plan pratique, la pièce de théâtre fait valoir cette écriture double, certes obéissant au schéma occidental (le primat de l’appareil), mais convoquant comme noyau central  la parole et quelques objets ou accessoires et lieux suggestifs ou ersatz du dispositif scénique allégé à l’extrême.

 

3- L’adoption du théâtre: les débuts

 

       Parler de la genèse de la représentation, c’est parler du rôle joué par la colonisation dans l’adoption du théâtre et des autres formes culturelles par les pays colonisés. Le théâtre est un art importé, que les sociétés arabes et africaines ont, par le truchement de leurs élites, tardivement adopté. Le théâtre est venu de l’extérieur, de France. Même si les formes dramatiques dites traditionnelles comportent un certain nombre d’éléments de théâtralité, elle ne correspondent pas aux mêmes besoins et aux mêmes lois de l’art théâtral.

       Le phénomène d’acculturation permit à tous les pays colonisés d’adopter la représentation européenne. Les premières pièces n’empruntèrent que trop peu d’éléments aux formes « traditionnelles », du moins au niveau de l’écriture dramatique. Ce qui, naturellement, allait exclure de la représentation théâtrale le large public non habitué à subir le jeu ni à s’isoler dans un lieu clos. Seule l’élite lettrée pouvait fréquenter ce type de spectacle employant certains éléments matériels que l’on ne retrouve pas dans la représentation locale.

       La colonisation introduisit de nouvelles formes de représentation dans les pays du Maghreb et d’Afrique Noire, mais en Egypte et dans les autres pays du Moyen Orient, ce furent les élites de ces pays , lassés de la domination turque, qui revendiquèrent une ouverture à l’Europe et plus particulièrement à la France. Les missionnaires chrétiens, venus d’Amérique et de France, établirent des liens très étroits avec les libanais qui, les premiers, adoptèrent les formes de représentation européennes. L’Egypte entreprit, dès la première moitiés du dix-neuvième siècle, sous la direction de son vice-roi, Mohamed Ali Pacha, l’édification d’un Etat central et la constitution de structures économiques, administratives et politiques centralisées imitant ainsi le modèle français. Des missions furent envoyées en France et en Italie dans le but de traduire des textes et de s’informer sur les réalités de ces pays. A leur retour, les boursiers devinrent de grands diffuseurs de la culture française. Rifa’a Tahtawi qui fut le premier à diriger une mission  en France où il séjourna plus de quatre années  écrivit un ouvrage au titre significatif:  Du raffinement de l’or au résumé de Paris. , évoquait ainsi sa découverte du théâtre[5]: « Sache que ces peuples, après les travaux indispensables de la vie quotidienne, ne s’occupent pas des choses divines ou des oeuvres de piété ; mais ils passent leur temps dans les choses de ce monde, dans les jeux et les divertissements, et ils varient ceux-ci en cent manières avec une ingéniosité merveilleuse. Parmi leurs lieux de plaisir, il en est un qu’ils appellent le théâtre. On y présente l’imitation de tout ce qui peut arriver. En réalité, ce jeu est sérieux sous forme de plaisanterie, car les spectateurs en tirent des leçons. Ils y voient figurer les actes bons et les actes mauvais, ils y entendent louer les premiers et blâmer les seconds. C’est  pourquoi les français disent que le théâtre châtie et corrige les mœurs, et quoique le théâtre soit compris parmi les choses qui font rire, on y trouve cependant  beaucoup de choses qui font pleurer. Sur le rideau que l’on baisse à la fin du spectacle, il est écrit en langue latine: la comédie améliore les mœurs. »

       Au Moyen Orient, le théâtre fut adopté de manière douce. Cette situation se manifeste d’ailleurs dans le fonctionnement des textes dramatiques reproduisant carrément l’architecture et la structure des pièces françaises considérées comme des modèles à imiter.

       Au Maghreb et dans les pays d’Afrique Noire, les formes de représentation furent acceptées difficilement. C’est vers le début du vingtième siècle que les Algériens et les Tunisiens commencèrent à adopter, beaucoup plus par nécessité, les disciplines artistiques importées de France. Paradoxalement, la rencontre des élites du Maghreb avec celles du Moyen Orient  modifia le regard que portaient les maghrébins sur les représentations européennes. Il existait dans les principales villes d’Afrique du Nord des théâtres construits par des architectes français au dix-neuvième siècle. L’école, théoriquement obligatoire depuis 1883, même si elle était sélective, favorisa la formation d’une élite. C’est dans ces conditions que fut adopté le théâtre.

       En Afrique Noire, les années vingt virent la manifestation des premiers embryons de l’intelligentsia de type « moderne ». C’est dans les années vingt que commencèrent à être formés les premiers lettrés en langue française. Ceux-ci allaient prendre en charge la mise en place des nouvelles structures théâtrales. Les premiers romans étaient également publiés durant cette période: Force Bonté de Diallo Bakary en 1926, L’esclave de Félix Couchoro en 1929 et Karim, roman sénégalais de Ousmane Socé en 1935. Les premiers textes poétiques écrits en langue française furent édités durant cette période. La revendication de l’assimilation était prise en charge par de nombreux textes dramatiques.

       Le contact avec la France fut donc déterminant. Les premières pièces montées furent toutes des adaptations de textes français. La première pièce jouée sur une scène arabe s’intitulait tout simplement El Bakhil (L’Avare), ce qui fait immanquablement penser à Molière.  Dans les pays du Maghreb, les Algériens et les Tunisiens et plus tard les Marocains découvrirent l’art scénique (de type européen) vers le début du siècle et jouèrent des pièces tirées du répertoire dramatique français.

       En Afrique Noire, la période coloniale favorisa la naissance d’un théâtre d’expression française (introduit par les missionnaires) qui, après 1930, connut une rapide évolution. C’est à Bingerville (Côte d’Ivoire) que se manifestèrent les premières représentations théâtrales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 

LE THEATRE EN AFRIQUE NOIRE

 

       Evoquer le parcours du théâtre dans les pays d'Afrique Noire n'est pas chose aisée. Tous les chercheurs connaissent les innombrables problèmes documentaires qui entravent toute étude sérieuse sur ce domaine encore tout à fait récent dans le monde africain. C'est vrai qu'on confond souvent un certain nombre de formes artistiques africaines avec le théâtre qui est avant tout une production européenne. Ce  malheureux malentendu traverse la plupart des travaux sur l'art dramatique en Afrique noire.

       On s'efforce souvent, on ne sait pour quelles raisons, à faire des manifestations rituelles et artistiques africaines une sorte d'appendice du théâtre européen comme si ces peuples étaient incapables de produire leurs propres structures artistiques. Ce qui est affligeant et tragique, c'est le fait que des auteurs et des universitaires africains considèrent ces formes comme des structures pré-théâtrales, emboîtant ainsi le pas à des anthropologues européens qui ne pouvaient accepter une autre culture que si elle correspondait aux normes de leur propre culture. Cette façon de voir, sous-tendue par d'évidentes marques idéologiques et entretenue par un racisme latent qui parcourt l'espace de l'altérité, provoqua d'irréparables dégâts dans l'univers intellectuel et imposa un discours culturel exclusif, c'est à dire installant dans l'univers de la marge et de la péjoration toute représentation différente.

     Le fait de ne pas considérer les formes artistiques africaines comme n'obéissant pas sérieusement aux normes du théâtre, même si ces structures comportent quelques éléments de théâtralité, ne constitue nullement une sorte de péjoration de ces manifestations culturelles. Bien au contraire, les formes africaines correspondent à la réalité des peuples de cette région qui, comme toutes les autres populations, possèdent leurs représentations artistiques propres. Quelle logique poussent certains chercheurs à considérer que les instances culturelles africaines ou arabes sont des formes pré-théâtrales comme si ces sociétés étaient toujours plongées dans un système de développement primitif. Pourquoi cherche t-on souvent à "coller" à l'Europe et à emprunter son discours sans l'interroger et sans tenter de comprendre le fonctionnement de sa propre culture sans tomber dans le piège des éloges du folklorisme aliénant et passéiste. N'est -il pas plus utile de re-voir les formes dites traditionnelles comme par exemple le griot, le mvet, le gouwal ou le kotéba et les appréhender comme formes artistiques à part entière?

     Il serait utile, pour ne pas tomber dans les travers de la subjectivité, de tenter de définir la notion de théâtre et de déceler les différences avec les formes dramatiques populaires. Ainsi, les questions d'ordre épistémologique et ontologique sont importantes, elles permettent de déblayer le terrain et d'apporter des définitions sérieuses des instances et des structures artistiques en jeu.Les formes africaines obéissent à des normes et à des logiques discursives qui leur sont particulières. Elles ne peuvent donc, en aucun cas, être considérées comme des structures pré-théâtrales, c'est à dire soumises au schéma de type européen. Le regard porté sur ces représentations populaires, prises en charge le plus souvent par des artistes particuliers et adoptées par la communauté, est étranger, extérieur, c'est à dire marqué du sceau de l'étrangeté et de la minoration des autres cultures. Ainsi, l'Occident, dans de nombreux cas, veut se regarder dans son propre miroir et ignorer royalement les autres civilisations. Tout doit obéir à l'image que l'Europe se fait d'elle-même et des autres. Cela ne veut nullement dire que tous les chercheurs occidentaux péjorent les formes de représentation des diverses ethnies, peuples et sociétés non européenne. C'est vrai que la Grèce comme le souligne si bien Jean Duvignaud est une création européenne, réalité qui marginalise et dévalorise de grandes civilisations comme celles de l'Egypte ou de la Mésopotamie par exemple. Le fonctionnement des représentations dramatiques populaires se caractérise par une singularité opératoire et une légitimité populaire certaine. Le griot, par exemple, est à la fois acteur, metteur en scène, décorateur et auteur. Il est porteur et producteur d'une parole qui donne à l'espace une certaine réalité et met en branle toute une série de médiations. Ces formes orales participent de tout le système social qui inclut dans son fonctionnement ces performances artistiques qui contribuent à la cohésion des groupes sociaux et à la manifestation de vérités et d'espaces esthétiques souvent latents. La parole est donc un  lieu de liberté et un univers marquant les différents échanges qui s'opèrent dans la société.

       Le théâtre est, à notre avis, une discipline encore récente en Afrique Noire. C'est grâce à la colonisation que les africains ont découvert l'art théâtral et ont adopté une autre manière de faire, ce qui a, dans un certain nombre de cas, marginalisé les formes populaires. C'est vrai que les responsables de l'Ecole William Ponty, une institution scolaire spéciale qui permit aux africains de se familiariser avec l'art théâtral, insistaient le plus souvent sur l'exploitation par les élèves des formes populaires. D'ailleurs, les textes écrits par les étudiants de cette école obéissaient à cette logique qui consistait à recueillir les différentes structures artistiques populaires marquant l'univers des pays africains. La colonisation a permis la manifestation de l'altérité et l'adoption de formes nouvelles qui, il faut le dire, séduisirent essentiellement les élites.

     C'est donc grâce aux écoles de Bingerville et de William Ponty que les africains ont commencé à faire du théâtre. Les missionnaires contribuèrent également à faire connaître cet art en mettant en scène des pièces à caractère religieux et didactique. L'objectif de ces missions est d'assurer un enseignement biblique et de soutenir la présence coloniale. On se limitait souvent à la reproduction de scènes tirées de la bible. Mais c'est l'école de Bingerville et surtout William Ponty qui permirent aux africains de se familiariser avec le théâtre. Un homme, Charles Béart, directeur de l'école normale supérieure de Bingerville en Côte d'Ivoire en 1931 et de l'établissement William Ponty(au Sénégal) en 1934, permit l'introduction de l'art dramatique dans les programmes scolaires. C'est grâce à lui que les élèves qui allaient par la suite animer le mouvement théâtral africain, découvrirent la pratique théâtrale. A la fin de chaque année scolaire, les élèves, sur les conseils de leurs enseignants, présentaient des spectacles mettant essentiellement en scène les rites et les traditions de la région et du pays d'origine des étudiants. Ce furent les dahoméens qui montèrent la première pièce; elle était intitulée, La dernière entrevue du roi Béhanzin et de l'explorateur Bayol. Cette troupe présenta d'ailleurs une de ses productions à la comédie des Champs Elysées à Paris en 1937, Sokamé et les ivoiriens mirent en scène un texte intitulé les prétendants rivaux. L'administration coloniale encourageait les africains à monter des pièces de théâtre qui ne devaient nullement, cela allait de soi, contester la présence coloniale ou poser des problèmes sociaux ou politiques.

     Ce type de spectacles soutenus par les autorités tentaient de mettre en situation les formes dites traditionnelles et la structure européenne de représentation, mais celle-ci conservait la primauté en "broyant" les lieux de l'espace populaire. La forme dramatique "traditionnelle" perdait ainsi son essence et  se transformait en un simple lieu d'illustration ajoutant peut-être à la représentation "moderne" une dimension folklorique.

     L'école William Ponty permit l'éclosion d'un groupe de futurs animateurs du mouvement théâtral africain. Bernard Dadié, Amon d'Aby, Coffi Gadeau, Keita Fodéba et bien d'autres auteurs et metteurs en scène, formés dans l'établissement dirigé par Charles Béart, marquèrent de leur empreinte l'art scénique et donnèrent le ton à la pratique dramatique qu'ils orientèrent grandement sur les plans thématique et esthétique, du moins durant une assez longue période. C'est vrai qu'après les indépendances, de jeunes dramaturges et metteurs en scène, nourris des nouvelles techniques de représentation et influencés par les nouveaux courants dramatiques de l'époque représentés par Brecht, Piscator, Beckett, Artaud, Craig…apportèrent une dimension sociale et politique à la représentation dramatique et essayèrent de nouvelles méthodes de mise en scène. C'est d'ailleurs dans ces conditions que les premières pièces techniquement abouties commencèrent à voir le jour. Avant cette période, on ne pouvait nullement parler de mise en scène puisque on ne se souciait que de la mise en place des comédiens et des entrées et des sorties qui constituaient d'ailleurs les seuls éléments qui mettaient en valeur en quelque sorte la notion d'acteur. Le lieu théâtral n'était pas stable. C'est vrai que durant la colonisation, l'administration s'intéressa quelque peu, non sans arrière- pensées à la pratique culturelle. Elle institua d'ailleurs des concours, ouvrit des cercles culturels et accorda des subventions à certaines troupes d'amateurs qui commençaient à naitre un peu partout en Afrique. Les indépendances acquises, certains Etats Africains ont tenté de prendre en charge l'activité théâtrale. Ils ont construit des salles, formé des comédiens et des metteurs en scène. Mais il en est autrement dans certains pays qui considèrent le théâtre comme non prioritaire, c'est à dire marginal. Au Mali par exemple, dans le cadre des semaines de la jeunesse qu'organisait le gouvernement, l'Etat prenait en charge l'élaboration de compétitions théâtrales à tous les niveaux: quartier, village, ville. Mais ces dernières années, des troupes "indépendantes ont vu le jour grâce à des animateurs de renom qui ont permis l'existence de ces structures quelque peu singulières. Tchikaya U Tamsi et Sony Labou Tansi, des écrivains de renom, créèrent leurs propres troupes. De nombreuses formations d'amateurs virent le jour un peu partout dans les pays africains. En France, quelques ensembles théâtraux  sont constitués.

     Le théâtre en Afrique  noire traversé par la présence de traces de formes populaires et marqué par la prééminence de l'appareil du théâtre de type européen  ,  allait après les indépendances commencer à traiter de sujets politiques et sociaux et à mettre en scène les bourgeoisies arrivistes.  On peut délimiter quatre grands thèmes qui dominèrent la représentation dramatique africaine:

1)    la critique de certains éléments de la vie "traditionnelle"

2)    La contestation du système colonial

3)    la critique de certains travers de la société et désenchantement après les indépendances

4)    Remise en question du pouvoir politique considéré comme le responsable de tous les maux des sociétés africaines.

L'Afrique noire, mal partie, selon l'heureuse expression de René Dumont, allait être l'objet de nombreuses pièces d'auteurs résidant essentiellement en Europe. L'Histoire et la politique constituent les sujets de choix des dramaturges qui tentent  une plongée dans le passé pour dénoncer un présent décevant. On peut distinguer deux types de pièces:

a)     des pièces ayant pour supports essentiels l'Histoire et la mythologie. Ces œuvres ont pour objectif la reconstitution et la réhabilitation du passé. C'est le cas de Hadj Omar de Gérard Chenet et de Tarentelle noire et diable blanc de Sylvain Bemba.

b)    Des pièces liées à l'actualité: ces pièces mettent en scène les nouvelles bourgeoisies africaines qui exploitent toujours leurs peuples, expliquent les contradictions et les équivoques des pouvoirs africains. C'est le cas notamment de Continent-Afrique de Condetto- Nénékhaly Camara et du Président de Maxime N'débéka. Le président met en scène les courtisans hypocrites et opportunistes qui grouillent autour du tyran.

 Mais cela ne veut nullement dire que les sujets sociaux et moraux n'occupent pas une importante place dans ce théâtre. Le nom de Bernard Dadié constitue à lui seul tout un programme. La dénonciation de certaines coutumes et traditions compose une grande partie des sujets abordés. D'ailleurs, les élèves de l'école Wiilliam Ponty ont été les premiers à aborder ce thème. On peut citer, entre autres, les pièces suivantes, Kwao Adjoba, Entraves et La sorcière de Amon d'Aby, Mini Adjao de Bernard Dadié et Trois prétendant, un mari de Guillaume Oyono.

     L'absence de liberté d'expression et de démocratie dans les pays africains pousse les auteurs à s'exiler en Europe, ce qui pose un sérieux problème de communication avec le public auquel ils sont censés s'adresser. Les textes les plus contestataires sont édités à l'étranger(en France essentiellement). Les dramaturges vivant à l'extérieur du pays dénoncent les bourgeoisies arrivistes et mettent en scènes des problèmes socio-politiques. L'Ivoirien Charles Nokan, par exemple, dans Les malheurs de Tchakô et La traversée de la nuit dense tente de démonter les mécanismes du fonctionnement des structures sociales et politiques. Ce type d'attitudes thématiques est aussi perceptible dans la production romanesque et cinématographique. D'ailleurs, la plupart des textes sont édités à l'étranger alors que les films sont souvent produits par des européens.  Alexandre Kum'a N'dumbe III(Le soleil de l'aurore, Amilcal Cabral, Lisa, la putain de…, Kafra Biatanga, etc.)évoque lui aussi les problèmes nés après les indépendances. Cette phrase tirée de Kafra-Biatanga donne une idée sur cette réalité thématique qui caractérise une bonne partie de la production dramatique: "Nous avons appris quelque chose, une leçon que personne n'oublie: les pauvres deviennent pauvres, les riches deviennent riches".

       Ce discours du désenchantement et de la désillusion nés après les indépendances traverse une grande partie des œuvres artistiques. Les romans de Kourouma, Ouologuem, Sony Labou Tansi, Mongo Béti, Fantouré et burope?d'autres écrivains mettent en situation des personnages, déçus, désabusés, gagnés par une amère désillusion après des indépendances déçues. La corruption, le pouvoir absolu, le charlatanisme, le clientélisme constituent les éléments- clé de la situation post- coloniale. Les cinéastes comme Souleymane Cissé, Sembène Ousmane, Oumarou Ganda, Ouedraogo posent également les mêmes problèmes. Comment est inscrit dans les textes le processus d'indépendance? Comment fonctionnent les personnages? Comment se traduisent les conflits culturels, produits du contact avec l'Europe? Quels sont les réseaux thématiques  les plus abordés?

     Le théâtre de langue française est souvent un théâtre de dénonciation et de mise à nu des diverses oppressions subies par les peuples africains. Il prend en charge, de manière explicite, les nouveaux problèmes surgis après les indépendances. La répression, le pouvoir absolu, la corruption sont les attitudes les plus manifestes dans les textes. Le soleil de l'aurore d'Alexandre Kum'a N'dumbé III et Le président de Maxime N''débéka présentent un président de la république, cruel, dictateur qui refuse de partager son pouvoir(L'Etat, c'est moi, dit le président dans la pièce du même titre de N'débéka). "Je  veux un pouvoir sans limites et je m'en servirai sans limites pour le mal parce que le mal est la seule vérité de ce monde "1. Ainsi, le leader révèle t-il ses véritables intentions. Il fonctionne comme un véritable psychopathe qui n'admet nullement que les autres se mêlent de "ses" affaires. La même logique se retrouve dans le discours du président, corrompu et charismatique, qui ne reconnaît même pas son propre peuple: " peuple, un mot aussi creux que la vallée de la mort".2

     La lecture de nombreuses pièces africaines nous permet de comprendre qu'elles mettent souvent en question le pouvoir du président, du chef, du dictateur. Ce personnage chargé de plusieurs qualifications négatives représente l'Etat dans ce continent toujours marqué par une absence de liberté d'expression et de parole. Ce personnage qui figure comme élément rhétorique. Il est la métonymie de l'Etat. Dans Le Président, il déclare à plusieurs reprises: " L'Etat, c'est moi"3. Il est Dieu: " le règne du Dieu de l'héroïque vérité"4, "L'Etat, c'est le président"5. Le personnage dans le théâtre est l'unité de base du texte. Le président est donc la métonymie d'un référent historico- social précis. Tout un fonctionnement connotatif du mal sous- tend le discours du personnage du leader. Deux types de déterminations différentielles caractérisent l'organisation du personnage:

1)    Un certain nombre de déterminations qui font du personnage un acteur avec quelques caractéristiques communes aux autres personnages du texte ou d'autres textes. Ainsi, dans Les malheurs de Tchakô, Kouaménan, Miézou et Kakou ont quelques traits communs( en relation oppositionnelle avec ceux de Tchakô).

2)    Le personnage est un acteur individualisé: Tchakô est laid, le personnage du président dans Le président de N'débéka n'est pas nommé.

Notre travail prendra en charge la situation de parole qui permet de mettre en valeur le discours textuel et de souligner les espaces dramatiques primordiaux, c'est à dire les moments forts du récit et les différentes intrigues. Nous emprunterons certains aspects théoriques à la méthode élaborée par Anne Ubersfeld dans son ouvrage Lire le théâtre: « Une procédure féconde indispensable est celle de la détermination des paradigmes, ou plus exactement des ensembles paradigmatiques auxquels appartient le personnage( en relation et/ou en opposition avec d'autres personnages ou d'autres éléments du texte théâtral. » [6]

      L'inventaire de ces ensembles paradigmatiques va nous permettre de rendre compte du fonctionnement référentiel du personnage et de dresser une liste de ses traits distinctifs (relation et opposition avec les autres personnages). Les personnages sont parfois situés et non localisés dans un lieu géographique précis. Le président, personnage de la pièce du congolais Maxime N'débéka, n'est ni nommé, ni décrit physiquement. Il s'approprie parfois le langage de Proudhon ("La propriété, c'est le vol"); il ne vit que pour faire du mal. C'est un tyran marqué par une mégalomanie extrême, espace névrotique caractérisant de nombreux dictateurs africains( " homme gonflé de tous les pouvoirs possibles et impossibles, maître des hommes, maître des choses). A côté de pièces se revendiquant du théâtre dit politique, existent d'autres textes qui posent surtout des problèmes sociaux. C'est le cas des œuvres de Bernard Dadié qui privilégie surtout la problématique sociale. Mais cela ne veut nullement dire que cet auteur ne traite pas des questions politiques. Monsieur Thôgô Gnini est une très subtile et intelligente critique des pouvoirs absolus en Afrique.

     Mais en Afrique noire, comme d'ailleurs dans d'autres pays anciennement colonisés, la question linguistique traverse tous les débats et sous-tend  même la notion de spectacle et des choix esthétiques. Ecrire des pièces implique la rencontre avec un public qui , souvent, ne maîtrise pas la langue française utilisée par la plupart des hommes de théâtre qui, dans de nombreux cas, préfèrent l'exil dans les pays européens à une vie morose, sans éclat dans leurs pays marqués par une absence manifeste de la liberté d'expression et des pratiques démocratiques. Il faut ajouter à tout cela l'existence de plus d'une centaine de langues parlées mais souvent ne disposant pas de tradition textuelle et d'écriture. Les choix  linguistiques déterminent fondamentalement les publics- cibles. Ainsi, écrire en français , c'est convoquer une élite, un public ayant fréquenté l'école française et exclure le public populaire auquel on veut , en principe, s'adresser. Les intentions des auteurs qui veulent mettre en place un théâtre populaire sont vite contredites par la réalité. Le peuple ne fréquente pas le théâtre. Il  préfère de loin les formes populaires. Ainsi, le griot, le mvet ou le kotéba, espaces populaires utilisant les lieux linguistiques et esthétiques de la cité, séduisent encore, même si leur diffusion rétrécit dramatiquement, et réussissent à drainer un certain nombre de personnes, d'autant plus que le lieu où se déroulent les spectacles est ouvert, non clos. Ce qui facilite la communication et renforce l'idée de la proximité qui convoque un spectateur actif qui n'hésite pas à participer à l'action.

     Le problème linguistique demeure encore posé. Des tentatives d'écriture en langues locales n'ont pas connu le succès attendu. Le théâtre reste encore une discipline récente, étrange et étrangère, réservée surtout à une élite occidentalisée qui épouse les valeurs européennes. Ecrire en ouolof ou en bambara implique la présence de réseaux de distribution fiables, encore indisponibles en Afrique.

    Les problèmes artistiques sont déterminés par la position de l'écrivain vis à vis de son héritage culturel et de l'appareil culturel occidental, producteur de la structure théâtrale et romanesque. Dualité des formes. Ambivalence. Syncrétisme latent. L'adoption des formes européennes s'est souvent accompagnée d'une marginalisation des structures locales et la valorisation des espaces culturels européens. Les formes africaines portent ainsi, dans une situation conjoncturelle confuse, les oripeaux du conservatisme et de la péjoration.

     Le théâtre dans les pays d'Afrique Noire rencontre surtout de sérieux problèmes matériels: manque de salles, aides presque inexistantes des pouvoirs publics, absence de formation et de recyclage. Les conditions d'ancrage de cette discipline artistique, nouvellement installée,  restent très aléatoires et marquées par une sorte d'anomie qui maintient l'art théâtral dans une semblant d'asphyxie provoquée par les limites économiques et le manque flagrant de moyens matériels et financiers. C'est souvent grâce à des structures extérieures comme le festival international de la francophonie, l'ACCT ou la radio R.F.I, entre autres, que  certaines troupes arrivent à vivre et à présenter leurs productions à des publics  souvent peu conformes avec leurs intentions de départ.  Ce théâtre d'élite est en quelque sorte sérieusement piégé par les conditions d'élaboration du spectacle qui correspondent à des réalités étrangères aux formes culturelles africaines: lieu théâtral, outil linguistique, techniques de jeu…Certes, les dramaturges réutilisent certains éléments de la tradition orale mais les façonnent de telle sorte qu'ils correspondent au schéma de la représentation théâtrale de type européen. Les formes populaires deviennent des espaces d'illustration, des "instantanés " folkloriques et  des marques locales d'identification. Nous avons affaire à un simulacre formel, à un masque .

      Jusqu'à présent, les travaux relatifs au cinéma et au théâtre ne sont toujours pas légion. Aucun pays africain ne possède de centre de documentation spécialisé chargé de la centralisation de la masse documentaire existante. Paradoxalement, c'est en France que se trouvent les grands espaces s'intéressant à la culture de ce continent. Même les textes les plus sérieux sont édités en France (Présence Africaine, P.J. Oswald, Le Seuil…). Les films sont souvent également produits par des structures françaises. On ne  peut être reconnu dans son pays que si on est édité à Paris ou à Bruxelles. C'est un passage obligé. Une fois consacré, le dramaturge peut rentrer sans trop de risque. Mais parfois, la réputation et la consécration internationale ne semblent pas décourager les pressions et la persécution. C'est le cas de l'écrivain nigérian Wole Soyinka qui fut condamné à mort par le pouvoir en place.

     La parole est souvent clandestine, ce qui pose le problème du rôle et de la fonction sociale de l'art théâtral dans les pays d'Afrique Noire. Que peut un texte dramatique s'il n'est pas diffusé dans le pays qui sert d'espace thématique? Quel est l'impact réel d'une pièce jouée en français dans des sociétés à majorité analphabète? Les intentions explicites de l'auteur ne sont-elles pas contredites par les dures réalités de la pratique concrète? Ce sont toutes ces questions qui vont constituer les éléments- clé de notre cours.

 

 

 

 

Théâtres arabes : l’aventure de l’écriture dramatique

 

L'institution théâtrale dans les pays arabes connut une histoire mouvementée et un développement progressif correspondant aux différents moments historiques et obéissant à une logique issue d'une sorte de mouvement social marqué par l'adoption graduelle des différents modes de représentation européenne. Notre souci est d'analyser, de manière succincte, les différentes médiations régissant la représentation théâtrale et d'interroger l'entreprise théâtrale, à travers les éléments matériels et les paramètres symboliques qui la régissent et qui lui permettent d'exister comme œuvre d'art autonome. L'art théâtral "convoque" un certain nombre de métiers et de disciplines qui contribuent à la mise en branle du discours scénique et qui lui fournissent ainsi son autonomie et sa légitimité.

      Avant et après la fameuse représentation finale existent d'autres étapes qu'on oublie souvent d'énumérer. Le théâtre est avant tout une activité collective qui mobilise de nombreuses potentialités et qui associe de nombreux métiers. C'est vrai que les arabes ignorèrent pendant très longtemps un certain nombre d'emplois, pourtant nécessaires à l'exécution d'une bonne œuvre dramatique. Aujourd'hui, les choses commencent à changer. L'ère de l'homme -orchestre qui prend en charge l'écriture, la mise en scène, les décors, les costumes et l'interprétation semble révolue, même si cette pratique sévit encore dans certains pays.

     Les premières scènes jouées dans les pays arabes étaient essentiellement improvisées et ne correspondaient nullement à un schéma dramatique préétabli. Cette vision des choses restreinte et peu informée avait marqué les hommes de théâtre arabes durant une longue période. On comptait surtout sur l'improvisation et l'habileté des comédiens qui pouvaient remédier à l'absence d'un texte écrit. L'essentiel était de jouer et de faire aimer cet art nouveau qu'était le théâtre. Avant 1848, il n'y avait pas de texte écrit. Ce n'est qu'après les écrits dramatiques de Maroun en Naqqash au Liban et de Abraham Daninos en Algérie, qu'on découvrit l'écriture dramatique. Les pièces de ces deux auteurs furent éditées au dix-neuvième siècle. Daninos publia son texte en 1848 bien avant An Naqqash.

      Mais même si les premiers auteurs avaient joué des textes écrits, nombre de leurs successeurs allaient se contenter de simples canevas, à la manière de la commedia dell'arte. Peut-on considérer les Egyptiens Errihani ou Kassar comme des auteurs dramatiques? C'est vrai que pour la plupart des textes qu'ils interprétèrent, ils firent appel à des auteurs attitrés. Trop peu d'hommes de théâtre arabes maîtrisaient l'art d'écrire une pièce et ignoraient totalement les techniques élémentaires de l'écriture. De nombreux acteurs plagiaient continuellement les auteurs français et jouaient leurs textes sans jamais citer leurs noms. Cette détestable pratique qui n'a pas encore disparu caractérisait la représentation. Notre investigation nous permit de découvrir que de grands noms de la scène arabe ne firent que reproduire des pièces ou l'architecture structurale. Souvent, les chercheurs, quand ils osent le faire, citent le cas de certains "auteurs" qui reprenaient littéralement des mélodrames ou des vaudevilles français, mais n'osent pas aller au fond des choses en comparant objectivement des textes dramatiques d'un Tewfik el Hakim par exemple avec des pièces françaises. Molière, Racine, Brecht, Mrozek et bien d'autres furent sérieusement malmenés par des écrivains arabes qui trouvent cette manière de faire tout à fait normale. Jusqu'à la fin des années trente, il n'est pas possible de tomber sur des textes qui s'illustrent par une certaine autonomie et une construction rigoureuse et sérieuse. Certes, les Egyptiens Tewfik el Hakim ou Ahmed Chawqi par exemple montraient des capacités réelles de maîtrise d'une écriture encore nouvelle dans le monde arabe, mais de nombreux hommes de théâtre, encore peu familiers à la pratique dramatique, continuaient à rédiger des textes qui ressemblaient beaucoup plus à des morceaux "littéraires" qu'à des textes dramatiques.

     Le cas de Ahmed Abou Khalil el Qabbani est révélateur d'une tendance qui, aimant pourtant l'art scénique, n'arrivait pas à se départir de cette dangereuse propension à soumettre le dialogue à une sorte d'examen littéraire. D'ailleurs, les monologues étaient légion. Le discours des personnages était obsessionnellement inondé de paraboles et d'images qui brouillaient la communication et alourdissaient le ton de la pièce. Ce n'est pas uniquement El Qabbani qui privait ses textes de cette dimension dramaturgique primorduiale.

      Cette confusion entre deux genres apparemment similaires(théâtre et littérature) entretenait de sérieux malentendus et alourdissait la structure d'images et de monologues proprement littéraires. Aujourd'hui, encore, on assiste dans les pays arabes à la réédition de cette "faute"originelle. Les Mille et Une Nuits, texte génial soit-il, ne pouvait combler les failles d'un texte ne respectant pas les normes de l'écriture dramatique et ne ferait que révéler ses véritables récepteurs et sa différence. La dramaturgie, un mot très usité ces dernières décennies, pour désigner l'écriture dramatique, renferme des lois, des techniques et des critères.

     La lecture des textes de Iskandar Farah nous permet de savoir qu'il maîtrise plus ou moins bien les techniques d'écriture, apprécie, à leur juste valeur, les "trous" et les ellipses et n'encombre pas ses pièces de logorrhées inutiles et d'envolées lyriques et emphatiques. Les traductions et les adaptations reprenaient, certes, la construction initiale des textes de Molière, Shakespeare ou Corneille, mais ne désactivaient pas la dimension dramatique en les peuplant de monologues et d'images parfois inutiles. C'est ce qui faisait la force de cet auteur prolifique et honnête qui fit connaître magistralement les œuvres des dramaturges européens. Farah égyptianisait les textes de Molière ou de Shakespeare sans neutraliser leur puisance dramatique. Ses textes ne furent réellement appréciés à leur juste valeur qu'après sa mort. D'ailleurs, ce fut le grand Georges Abiad qui avait une très bonne maîtrise des techniques théâtrales qui monta ses pièces.

     Iskandar Farah était en quelque sorte une hirondelle dans un printemps plutôt morose. Ce n'est nullement surprenant que les pièces de cet auteur ne furent connues qu'après sa disparition. Durant cette période, on montait essentiellement des textes écrits pour des acteurs précis et des mélodrames. Même un homme comme Abiad ne put résister à cette tendance qui, en plus, attirait le grand public. Un argument de taille qui poussait les auteurs à se consacrer à ce style qui marchait très bien. 

     Les années trente permirent à de jeunes étudiants et artistes, souvent formés à l'étranger, de se familiariser avec l'art dramatique et de fréquenter la lecture des classiques et les théâtres européens. C'est le cas de Tewfik el Hakim qui fit des études en France et qui fut séduit par la vie théâtrale française. D'ailleurs, l'influence des auteurs français sur son œuvre est très perceptible. Ahmed Chawki, lui aussi formé à Paris, reproduisait des textes français. Dans les pays du Maghreb, on commençait à écrire des textes obéissant aux normes de l'écriture dramatique. Mais l'Egypte était le seul pays arabe qui encourageait la production théâtrale et récompensait les auteurs. En 1932, fut institué le concours de la meilleure pièce. En 1962, l'Union des dramaturges égyptiens. Elle était dirigée par des écrivains prestigieux, Taha Hussein, président et Tewfik el Hakim, vice-présidents.

      Au niveau de l'écriture dramatique, l'influence française était évidente dans un premier temps, ensuite, l'ouverture à d'autres courants et écoles étrangers, permit aux auteurs de découvrir d'autres sources d'inspiration. Molière, par exemple, dominait le genre comique. Ceux qui optaient pour ce genre reprenaient forcément les procédés comiques de l'auteur français. L'exemple de Sanua, Allalou, Ksentini, Alj, Kanoua, pour ne citer que ces seuls hommes, est frappant et confirme notre thèse, d'autant plus que chaque pays arabe possède  son Molière. James Sanua fut surnommé le "Molière égyptien" par le Khédive Ismail en personne. Tayeb el Alj au Maroc et Touri et Ksentini en Algérie furent également gratifiés de ce nom. Maroun An Naqqash qui orienta, du moins pour un temps, le théâtre danss le monde arabe fut le premier à adapter des textes de Molière. En Algérie, la première pièce en arabe "dialectal", Djeha, se référait implicitement à l'auteur français et reproduisait le schéma structural qui fournissait une certaine force au travail de l'auteur algérien. Coups de théâtre, jeux de situation et de mots, quiproquos, malentendus, bastonnades, fins heureuses, réconciliations, amours perturbées puis alliances… investissent le théâtre comique.

      Un grand nombre d'adaptations fut réalisé dans les pays arabes depuis l'adoption de l'art scénique. Souvent, on ne cite pas le nom de l'auteur originel à tel point qu'on se pose des questions sur l'"originalité" des produits. Les auteurs "algérianisent", égyptianisent, "tunisianisent", "arabisent" l'auteur européen en les habillant de costumes locaux, en les faisant s'exprimer en langue arabe, en arabisant les noms des personnages et des lieux et en expurgeant et en ajoutant des scènes qui, semble t-il, conviendraient au public arabe. Les auteurs conservent la structure de la pièce initiale, mais multiplient parfois les intrigues et transforment le dénouement. C'est le cas de nombreux auteurs dramatiques, de Naqqash, du Tunisien Mohamed Zorgati, de l'Algérien Mohamed Touri, des Egyptiens Othmane Jalal et James Sanua, du Libanais Amine Boustany, du Marocain Ahmed Tayeb El Alj et de bien d'autres dramaturges arabes. En Algérie, vers le début des années soixante, une grande polémique éclata à propos de l'adaptation. Les uns la rejetaient, les autres estimaient que c'était unbe étape obligée. En Tunisie, en 1966, le manifeste de onze dénonçait de manière virulente cette tendance facile et confortable à arabiser des textes européens. Cet extrait cité par Mohamed Aziza, illustre bien les idées de ce courant: « Peu nous importe que Molière retrouve une nouvelle jeunesse. Il n'a pas spécialement besoin de nous pour cela et nous avons, quant à nous, de bien autre chose que de jouer les bains de jouvence pour classiques transis. Il ne suffit pas de donner des noms et des habits tunisiens à des personnages pour en faire les protagonistes d'un théâtre tunisien. Molière lui-même, agissait différemment avec Plaute, et Racine réinventait Euripide. Le grand danger consisterait à croire que c'est par le biais de ces adaptations qu'on arrivera à un théâtre authentiquement national. Et, ainsi, à multiplier à l'infini ces expériences en attendant qu'une bien hypothétique mue se réalise…1

   Une lecture attentive des textes dramatiques arabes nous permet de découvrir qu'une grande partie des pièces ne fait qu'adapter des œuvres d'auteurs européens. Les traces des autres textes sont visibles et explicites. Que dire d'El Guerrab wa Essalhine(Le porteur d'eau et les Trois marabouts), d'El Farafir de Youssef Idriss, d'El Malik houa el Malik de Saadallah Wannous, de Ali  Baba de Tewfik el Hakim et de très nombreux autres textes d'écrivains arabes. On reprend l'idée ou la structure du texte. La pièce tire souvent sa source du texte européen. Tewfik el Hakim ne fait que transposer les faits et les événements de l'opéra de Vanloo et de Busnach. L'Algérien Ould Abderrahmane Kaki reproduit l'architecture et les grands éléments diégétiques de La Bonne Ame de Sé- Tchouan de Brecht. L'Egyptien Youssef Idriss emprunte des moments importants à Brecht. Le Syrien Saadallah Wannous réexploite de nombreux espaces de la pièce Homme pour homme. Certaines adaptations se réfèrent explicitement à l'auteur originel. C'est le cas des travaux du Marocain Tayeb Saddiqi tirés des textes de Molière: L'école des femmes et Les Fourberies de Scapin.

       Jusqu'à présent, de nombreux auteurs arabes, en dehors de la présence de territoires intertextuels naturels et normaux, reprennent, parfois volontairement, des textes d'auteurs européens et ne reconnaissent nullement avoir puisé directement dans des pièces précises. Cet état d'esprit découle d'une mauvaise foi et d'une flagrante malhonnêteté intellectuelle. Brecht, Molière et Shakespeare revendiquaient ouvertement leurs sources et n'étaient nullement gênés de citer leurs "inspirateurs". Ce qui, malheureusement, fait souvent défaut dans les pays arabes.

     Les adaptations et les traductions étaient légion. Certes, souvent, elles n'étaient pas signalées, mais permettaient, malgré tout, aux jeunes arabes de se familiariser avec l'expression dramatique. Des textes français et anglais furent transposés dans la langue arabe. Quelques pièces furent traduites de l'italien et du turc. Comme nous l'avons déjà signalé, on enlevait, on ajoutait et on contractait des scènes. La fin était souvent modifiée, ce qui, parfois, altèrait la logique narrative de l'œuvre et l'endommageait sur le plan esthétique. On intégra, de manière forcée le chant et on supprima certaines allusions à la religion. Les traductions furent souvent mal entreprises, à tel point que le sens de la pièce originelle se transformait radicalement et réduisait la dimension artistique. On se mit dans la seconde moitié du dix-neuvième et dans les débuts du vingtième siècle, à traduire et à adapter, à tort et à travers, surtout les textes français. L’Egyptien Najib el Haddad se mit à "arabiser" Victor Hugo et Corneille. Molière n'était pas du reste. Les auteurs prirent trop de libertés, perturbèrent le texte et multiplièrent à l'envi les intrigues. On changeait les noms, on intégrait des poèmes, on enlevait certains personnages et le tour était joué. Abou Khalil el Qabbani ne signala nullement que sa "Mithridate" n'était qu'une simple traduction. Ce qui est à signaler, c'est le renversement de certains réseaux esthétiques et l'introduction de péripéties mélodramatiques. La traduction de Ishaq Adib de la  pièce  Andromaque manquait dramatiquement de force, même si l'auteur conserva la structure externe de la pièce originelle. Ce fut d'ailleurs le cas de toutes les pièces traduites, adaptées ou actualisées qui subirent ce type d’électrochoc. La fin de Hamdane (Hernani) fut complètement transformée. Comme dans la très grande partie des pièces de cette époque, le dénouement devait être heureux. Hamdane, contrairement à Hernani qui, impuissant assistait à l'inaboutissement de sa quête et décida ainsi de se suicider, finit par triompher de tous ses malheurs et épouser la princesse Chems. L'usage de ces pièces entrait parfois dans le cadre de la mise en relief de l'héroïsme arabe et de la célébration du passé. Les Burgraves de Victor Hugo, devenue par la grâce de Najib el Haddad, Tharat el Arab, mettait en scène deux intrigues, l'une romanesque, l'autre historique.

     Cette tradition de l'adaptation et de la traduction se poursuivit, certes, mais avec moins de dégâts. Ainsi, les hommes de théâtre maîtrisent-ils mieux aujourd'hui les techniques de l'écriture dramatique et tentent-ils de réfléchir aux meilleurs moyens leur permettant de construire des pièces neuves et originales.

     C'est vrai que les choses changèrent sérieusement ces trois dernières décennies, d'autant plus que les sources d'inspiration se diversifièrent et se multiplièrent. L'auteur est au courant des derniers changements techniques et des nouvelles tendances dramaturgiques. Les hommes de théâtre se mirent également à adapter au théâtre des textes romanesques. Najib Mahfouz, Mohamed Zefzef, Tahar Ouettar, Mohamed Dib et bien d'autres écrivains assistèrent à la transposition dramatique de leurs œuvres. Brecht alimenta pendant un moment l'écriture dramatique. Juste après la défaite de Juin 1967, l'absurde imposa sa présence. Cela ne veut nullement  dire qu'il n'existait pas avant cette date de pièces "absurdes". Beckett et Ionesco investirent le paysage dramatique. De nombreux courants et plusieurs auteurs traversèrent le paysage scénique arabe. Leur influence est manifeste sur la production dramatique. Il n'est nullement possible d'évoquer le théâtre dans les pays arabes sans parler de la présence obsédante d'espaces d'auteurs étrangers dans l'univers de la représentation. Molière hante énormément d'espaces dramatiques. Brecht séduisit surtout les auteurs qui se revendiquaient de la vulgate socialiste. Artaud semble être beaucoup plus adopté dans les pays arabes qu'en France. Beckett et Ionesco ont surtout marqué une génération d'hommes de théâtre, surtout  en Egypte après 1967.

      De nombreux auteurs et metteurs en scène s'étaient mis à réfléchir à la mise en œuvre d'un autre théâtre plongeant ses racines dans l'humus populaire. Un homme comme le Syro-français Chérif Khaznadar est un grand adepte d'une sorte de retour aux sources et d'une certaine rupture avec le théâtre occidental. Le Tunisien Azzedine Madani, pour sa part, manifeste ses positions par un travail sur la langue et une "convocation" de thèmes historiques, mais reste encore prisonnier du schéma conventionnel. Ce théâtre dit du patrimoine n'est en fait qu'une tentative de relire les éléments de l'histoire et de l'héritage arabe. D'autres auteurs et metteurs en scène (Abdelkader Alloula, Tewfik el Hakim à un certain moment de sa vie, Youssef Idriss,Saadallah Wannous, Ould Abderrahmane Kaki, Roger Assaf, Tayeb Saddiqi, Abdelkrim Berchid…) recouraient aux différentes formes populaires et tentaient de les exploiter tout en centrant le discours autour d'un conteur-narrateur qui provoquait une sorte d'effet de distanciation. Les uns et les autres visaient le même objectif même si on pouvait retrouver certaines petites différences. Le public était au centre de ces recherches qui ne réussissaient pas à voir concrètement le jour. C'étaient surtout des tentatives de rompre avec le théâtre conventionnel. Mais ce type d'expériences étaient également menées par des européens et des africains qui travaillaient sur la prise en charge des formes dramatiques dites traditionnelles. Déjà, Antonin Artaud esquissait une ébauche de ce théâtre de la fête ou cérémonial pour paraphraser le Marocain Abdelkrim Berchid. Cette manière d'appréhender l'acte théâtral s'était exprimée par la publication de manifestes. Nous allons tenter d'en citer quelques uns et d'en faire une présentation succinte.

1-Manifeste  du Contrat et de notre moule dramatique de Tewfik el Hakim qui expose les idées-clé de l'auteur qui consisteraient en la réexploitation du conteur populaire et de diverses formes autochtones.

2-L’Egyptien Youssef Idriss (Vers un théâtre arabe, Beyrouth, 1974) tente, lui aussi, de recourir aux manifestations populaires et à une remise en question de la pratique dramatique dominante. Il fustige la pratique théâtrale actuelle qui ne serait qu'une simple adaptation et une reproduction mimétique des schémas Chekhoviens, Ibséniens et américains. Il serait donc temps, soutenait-il, de chercher une expression arabe autonome. Déjà dans son manifeste de 1963, il développait ces thèmes qui mettaient en exergue cette nécessité de produire un nouveau théâtre.

3-Manifestes pour un nouveau théâtre arabe(El Fikr el jadid, 1970):le Syrien Saadallah Wannous considère que le postulat de base de toute représentation théâtrale est le public. C'est à partir et autour de cet élément que s'articulent tous les réseaux sémantiques et les lieux thématiques. L'auteur insiste sur la relation dialectique entre le discours théâtral et le spectateur qui doit devenir actif et se libérer de toute attitude passive. Le théâtre est un acte collectif élaboré par un groupe qui devrait être suffisamment engagé politiquement pour éclairer la voie. Le théâtre est donc considéré comme un instrument politique.

4-Manifeste du Diwan ezzenj du Tunisien Azzedine Madani(1973) se propose de récupérer l'identité arabe encore égarée dans une culture occidentale dominante en usant de jeux et de tournures linguistiques et stylistiques et en plongeant dans le patrimoine culturel arabe. Cette manière de faire semble beaucoup plus une entreprise rhétorique et ne permet en aucun cas d'interroger les éléments-clés de la culture populaire arabe.

4-Le Théâtre cérémoniel du Marocain Abdelkrim Berchid tente de faire éclater le lieu théâtral "traditionnel" et de recourir à un espace ouvert tout en réutilisant les différentes formes populaires. Tayeb Saddiqi travaillait dans ce sens en mettant notamment en scène certains de ses spectacles dans des lieux ouverts et en puisant dans le fonds populaire maghrébin(Bsat, Halqa, Gouwal…).

5-Manifeste du théâtre d'Adonis qui met au centre de la représentation une sorte de point osmotique qui associerait les différentes manifestations dramatiques.

6-Le théâtre Hakawati du Libanais Roger Assaf qui articule toute son expérience autour du conteur(le hakawati) tente de donner au rawi une dimension multiple. Deux éléments fondamentaux semblent guider l'orientation de Assaf: le public et le lieu théâtral.

7-Les positions de l’Algérien Abdelkader Alloula: Il fait appel aux formes populaires comme la Halqa et le Gouwal et cherche à remettre en question le mode de représentation conventionnel(ou "aristotélicien") tout en optant pour un espace ouvert. L'expérience pratique ne put aboutir.

8-Le manifeste des onze (Tewfik Jébali, La Presse de Tunisie, 30 aout 1966) s'inspire essentiellement de Brecht, du TNP et de l'expérience du théâtre de Villeurbanne et s'insurge contre l'appareil théâtral dominant incarné notamment par la troupe municipale de Tunis.

9-L'expérience du nouveau théâtre (Tunisie, 1975), Théâtre et Culture (Alger,1970) et Le Théâtre de la mer(Algérie, 1970) faisaient un travail de réflexion autour de la nécessité de mettre en œuvre de nouveaux réseaux stylistiques et de nouvelles configurations scéniques.

10-Le théâtre de Kateb Yacine(Algérie) a donné à l'œuvre théâtrale une dimension esthétique nouvelle en intégrant des éléments de la tradition orale et des fragments de l'expérience européenne tout en exprimant ouvertement Les options politiques de son théâtre. Le théâtre était en quelque sorte un espace de dévoilement des réalités politiques et sociales et une instance populaire.

   Toutes ces expériences visaient donc à promouvoir un théâtre arabe ou maghrébin autonome fondé essentiellement sur les formes populaires et les diverses manifestations dramatiques comme le conteur, les festivités, le bsat et les cérémonies. Trois éléments-clés constituent l'ossature de ces recherches qui, d'ailleurs, se rejoignent, à plusieurs niveaux: le public, le lieu et le personnage.

     C'est le spectateur qui détermine le choix de toutes ces expériences qui semblent pour le moment inabouties, d'autant plus que même si elles n'étaient pas "théorisées", certaines pratiques similaires furent réalisées. On peut citer à titre d'exemple les pièces de Abou khalil el Qabbani ou Allalou qui recouraient souvent aux formes populaires ou à la littérature: Djeha ou Les Mille et Une Nuits. Aujourd'hui, certes, les choses changent, les auteurs maîtrisent les éléments techniques de l'écriture dramatique et scénique, ce qui n'était nullement le cas avant. C'est une sorte de prise de conscience de la perte de certaines valeurs qui fait agir des dramaturges voulant souvent récupérer les restes de formes condamnées au silence lors du choc avec l'Occident. Le rapport souvent étrange et étranger du spectateur arabe avec la représentation théâtrale pousse donc les auteurs et les metteurs en scène à chercher une forme populaire pouvant lui faire retrouver ses propres manifestations culturelles et ses mythiques senteurs. Tentative, jusqu'à présent, vaine. Ainsi, le "retour aux sources" pouvait parfois servir à réconcilier l'éventuel spectateur avec un spectacle autrefois désiré, aujourd'hui, souvent folklorisé et tétanisé. La parole du conteur est-elle à même de mobiliser les différentes énergies et de reconquérir le public populaire? Saddiki et Berchid voulaient, en quelque sorte, retrouver le public de Djema' Lefna de Marrakech ou d'autres places publiques. Roger Assaf, à travers les performances du hakawati cherchait à élaborer une relation étroite avec ces gens du peuple qui ne s'identifiaient nullement au théâtre conventionnel. Saadallah Wannous mettait en selle de nombreux fragments de la culture populaire pour mieux atteindre "son" spectateur actif et qui doit déchiffrer consciemment les différents signes de la représentation. Yousef Idriss et Abdelkader Alloula reprenaient des formes dramatiques populaires et leur donnaient une nouvelle dimension esthétique. Kateb Yacine se déplaçait vers son public et mettait en scène les réalités politiques arabes dans un moule dramatique populaire. Azzedine Madani, trop prisonnier de son texte et de sa gymnastique linguistique, n'accordait pas beaucoup d'importance à cet élément primordial de la représentation.

     La logique du spectateur impliquait inéluctablement la présence d'un autre lieu scénique. La plupart des auteurs(parfois doublés de metteurs en scène) avançaient explicitement l'idée de l'ébranlement de l'entreprise théâtrale européenne et de la mise en œuvre d'une nouvelle forme scénique s'articulant autour des manifestations populaires, des performances du conteur et de la loi souveraine de la parole. Ainsi, chacun voulait remettre en question le lieu théâtral conventionnel. Le recours à l'espace ouvert permettait de faire voler en éclats tous les paramètres du bâtiment à l'Italienne et de mettre en branle de nouveaux réseaux discursifs et de nouvelles ressources scéniques. Mais trop peu de ces auteurs et metteurs en scène entreprirent concrètement leurs expériences et mirent en scène leurs productions à l'extérieur de la salle de type européen. Le Marocain Tayeb Saddiqi joua dans des stades, des places publiques et des hangars. L'Algérien Abdelkader Alloula interpréta El Meida (La table ronde) au milieu de paysans dans un village. Le Libanais Roger Assaf fit la même chose dans le cadre de son expérience d'El Hakawati.

       Le troisième élément constituant de ce type d'expériences est tout naturellement le personnage, notamment celui du conteur autour duquel s'articulaient souvent les récits. Le Rawi, le Mouqallid, le Gouwal, le Meddah, le Hakawati, le Qas, des conteurs articulaient les lieux de la représentation et faisaient fonctionner le récit. Fonctionnant comme acteurs et narrateurs, ces personnages affichaient leur présence de manière très forte et investissaient tous les espaces du texte.

     Le théâtre dans les pays arabes connut dans de nombreuses pièces le personnage-pivot(ou unique) qui contrôlait toutes les péripéties du récit et qui était le centre de toutes les manifestations diégétiques. Tous les autres personnages tournaient autour de lui et l'inondaient d'informations. Leur présence servait exclusivement l'acteur principal qui ne manquait pas de distribuer les rôles et de récupérer les propos et le travail des autres, en quelque sorte valets"dramatiques". Le théâtre en Egypte utilisa ces personnages fixes: Kech kech, Oumdat Kafr el balas et Othmane, le barbarin. Kateb Yacine et Alfred Faraj employèrent, tous deux, Djeha, mais l'utilisèrent différemment. On retrouve ce type de personage statique dans de nombreux textes notamment ceux de Wannous, de Faraj, de Abdelqoudous (Le barbier philosophe), de Mahmoud Taymour. Il n'est nullement possible d'oublier le légendaire Hadj Klouf qui marqua durant longtemps la scène comique tunisienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le théâtre en Algérie, état des lieux

 

       Parler du théâtre en Algérie, c’est poser préalablement le problème de la définition du théâtre. Tous les travaux universitaires et les articles de presse considèrent que les premières pièces ont vu le jour vers les années vingt après la tournée égyptienne de Georges Abiad en 1921, groupe qui présenta à l’époque deux drames historiques en arabe « classique », Salah Eddine el Ayyoubi, une libre adaptation du Talisman de Walter Scott et Thorâtou el arab, inspirée du Dernier des Abencérages de Victor Hugo. Ce qui ne fut nullement le cas d’autant plus que les premières troupes égyptienne  séjournèrent en Algérie en 1907-1908 : Al koumidia el Masria (La Comédie Egyptienne) de AbdelQadir el Masri et Jawq Souleymane Qradahi. Le passage de ces deux troupes poussa de jeunes lettrés algériens à s’intéresser à l’art théâtral. Qradahi joua essentiellement Salah Eddine et Antara qui touchèrent le public constitué essentiellement de lettrés en langue arabe . Ceux-ci, grâce à l’apport des associations culturelles et religieuses, commencèrent à monter des pièces théâtrales. La date de 1921 est donc sérieusement remise en cause. D’ailleurs, un témoin de l’activité théâtrale en Algérie, Mahboub Stambouli, avance, lui,  1910 comme année de naissance des premières pièces algériennes1. Des associations culturelles et religieuses existaient un peu partout à travers le territoire national (Constantine, Médéa, Blida, Oran, Sidi Bel Abbès…). On jouait des pièces mettant en scène des personnages historiques1. L’arabité et l’islamité, deux thèmes fondamentaux qui  marquaient le territoire dramatique et qui séduisaient un public constitué essentiellement de lettrés en arabe. Leur nombre était restreint. D’autres recherches s’imposent pour déterminer avec exactitude la date de naissance et les conditions d’émergence de l’art théâtral en Algérie. De nombreux chercheurs qui ne semblent pas entrepris un sérieux travail d’enquête et de terrain optent pour les années vingt comme les premiers moments du théâtre dans notre pays. Cette confortable et facile position pose le problème de la recherche et des moyens mis en œuvre pour arriver à ces fins. Il est certain aujourd’hui que les premières pièces furent jouées vers le début du siècle, non dans les années vingt comme semblent le croire de nombreux chercheurs sans aucun travail préalable d’exploration. Ainsi, les choses commencent donc à rentrer dans l’ordre, même si trop peu de travaux de recherche sérieux ont été réalisés ces derniers temps. L’université est encore trop défaillante et prisonnière de schémas trop sclérosés en matière de recherche théâtrale et littéraire.

       L’élément essentiel qui permit aux algériens de pratiquer l’art scénique fut incontestablement les tournées de AbdelQadir el Misri et Souleymane Qardahi qui ont été considérés comme des espaces de légitimation du discours artistique européen, longtemps marqué par la méfiance et la suspicion.

-Le passage de la troupe de Georges Abiad : Moins d’une quinzaine d’années après AbdelQadir el Misri et Souleymane Qardahi, Georges Abiad qui organisa une tournée en Tunisie, débarqua à Alger en 1921 avec deux pièces historiques, Salah Eddine el Ayyoubi et Thorâtou el arab. A partir de cette année, d’autres associations culturelles, marquées par le passage de cette troupe, commencèrent à produire des pièces en arabe « classique », d’ailleurs vite boudées par le public qui ne pouvait pas apprécier un genre qui lui était totalement étranger. L’Association des Etudiants Musulmans, l’ensemble Al Moutribiyya, l’association al Mouhaddiba (L’Educatrice) furent constituées. Les expériences égyptiennes, ne laissèrent pas les élites algériennes indifférentes à la pratique théâtrale. Bien au contraire, quelques algérois se mirent à monter des pièces. Ali Chérif Tahar écrivit trois textes représentés entre 1921 et 1923. Ces pièces qui ne furent pas de grands succès populaires traitaient essentiellement du thème de l’alcoolisme. Il s’agit de Achifa’ ba’d al manâ (La guérison après l’épreuve), pièce jouée en 1921 et reprise en 1923 à l’Opéra d’Alger avec, bien entendu, de nombreuses modifications, de Badi’, une tragédie en trois actes présentée au Nouveau Théâtre et de Khadi’at el gharam (Passions trahies). En 1922, fut donnée une pièce sans nom d’auteur mais vraisemblablement puisée dans le répertoire égyptien, Fi sabil el watan (Au service de la patrie). Celle-ci fut aussitôt interdite parce que considérée comme subversive. D’ailleurs, le titre suggère la logique nationaliste du texte. Les autorités coloniales qui veillaient au grain ne pouvaient laisser passer un texte qui risquait d’éveiller les consciences.

       D ‘autres pièces furent montées vers le début des années vingt : Al Mouslih (Le réformateur) de Ahmed Faris el Andalous, adaptée d’un roman de Georges Zaydan. Jouées en arabe « littéraire », ces pièces ne pouvaient pas séduire le grand public, souvent analphabète et qui découvrait un genre trop peu familier à son mode de vie et à ses manifestations culturelles. Cette absence du public s’expliquerait donc par plusieurs raisons : taux très élevé d’analphabètes, absence de traditions en matière théâtrale, premiers balbutiements de l’art scénique, problèmes d’ordre linguistiques, etc.

-Déjà la question des langues : La question linguistique est posée. Les discussions sur ce point vont connaître des moments extrêmement chauds et des heurts interminables surtout après l’apparition du théâtre en arabe « dialectal » qui avait l’avantage de toucher le large public qui retrouvait ainsi certains liens avec ses formes populaires. Djeha de Allalou constitua une véritable bombe et orienta définitivement le théâtre en Algérie qui rompit ainsi avec l’usage de l’arabe « littéraire » qui arrivait uniquement à intéresser les élites. Cette pièce allait paradoxalement accentuer le conflit linguistique substantiellement idéologique qui opposait les défenseurs de l’arabe « classique »-unique moyen, selon eux, d’exprimer l’authenticité du théâtre, instrument qui ne devrait pas être « souillé » par l’usage de « la langue de la rue »1- aux partisans des idiomes populaires, outils plus adaptés et plus appropriés pour attirer le grand public qui demeure de loin l’élément essentiel de la communication théâtrale.

       L’échec des représentations en arabe « littéraire » sonna le glas de cette expression au théâtre et permit, par contre, aux auteurs d’opter définitivement pour la langue populaire. Déjà, bien avant Djéha, il y eut des pièces en arabe « dialectal » qui connurent un relatif succès. Durant cette période, l’élite, sortie souvent des médersa, possédait une certaine puissance et réussissait souvent à imposer ses vues. Ce qui ne fut nullement le cas pour le théâtre.

-L’aventure de la théâtralité : Djeha va orienter définitivement la production dramatique pendant une assez longue période, imposer l’usage de l’arabe « dialectal » et intégrer la dimension comique dans la représentation théâtrale. Allalou recourut à la structure du conte et à des « traditions » artistiques populaires ainsi qu’à la forme « classique » européenne, introduite en Algérie par les troupes françaises et égyptiennes. Le fonctionnement de la structure dramatique est souvent marqué par une certaine ambivalence qui donne l’illusion d’un texte à deux niveaux et à deux structures. Djeha de Allalou, même si le texte n’est pas disponible, nous révèle la mise en relation des médiations et des articulations logiques qui travaillent le texte dramatique. De Djeha de Allalou, il ne reste qu’un canevas et quelques résumés faits par Bachetarzi et l’auteur.

       La question de la structure dramatique marqua et marque encore les débats sur la représentation dramatique. Les travaux de Alloula et de Kateb Yaceb Yacine, des expériences à part, s’inscrivaient dans le cadre de la mise en œuvre d’un autre système de représentation engendrant de nouvelles relations avec le spectateur appelé à « regarder » activement le déroulement spectaculaire. Le lieu scénique conventionnel considéré comme contraignant est sérieusement remis en question. Le texte est ouvert et reste tributaire de la nature de l’espace, u temps et de la disponibilité du public. Ainsi, les auteurs cherchaient à revoir l’architecture scénique et à créer de nouveaux espaces pouvant prendre en charge une nouvelle thématique et satisfaire les nouveaux besoins du spectateur. La disparition de Kateb Yacine, de Abdelkader Alloula et de Ould Abderrahmane Kaki n’a nullement mis fin à ce type d’expériences qui se poursuivent aujourd’hui, peut-être autrement, mais dans la même perspective. Cette « convocation » d’une nouvelle manière d’agencer le récit et de réutiliser les formes populaires n’est pas du tout récente, mais reste marquée par l’aventure dramatique des premiers hommes de théâtre. Ainsi, Rachid Ksentini jouait ses pièces comme un meddah (conteur). Il réagissait en fonction des mouvements des spectateurs. La parole investissait la scène et devenait elle-même, lieu de formation d’un nouvel espace, produit de l’imaginaire du comédien et du public. Comment s’opère cette remise en question du dioscours théâtral classique ? La parole du meddah et du gouwal (conteur) réussit-elle à mettre en branle son propre espace ?

       La forme « classique », difficilement adoptée au début, va dominer les édifices structurels et apporter une sorte de légitimité et de caution à cette nouvelle forme. La scène à l’italienne, lieu clos, ne favorise nullement la présence d’un rapport direct avec le public et désarticule les éléments de la culture populaire contenus dans l’œuvre dramatique. Les traces de la culture populaire s’imposent souvent dans la représentation de manière indirecte et sans un travail préalable permettant leur mise en œuvre dans le processus narratif et discursif.

       L’influence de l’école italienne et de Molière sur les premiers hommes de théâtre orienta profondément la manière d’écrire et de jouer des troupes et inscrivit l’art scénique dans un cadre « comique ». Plusieurs pièces de Molière furent souvent jouées par des groupes qui, souvent, oubliaient de citer le nom de l’auteur français, réalité qu’on retrouve d’ailleurs au Liban, en Syrie et en Egypte. Ainsi, nous tentons de voir comment se présente la présence de Molière dans les textes dramatiques algériens. Nous avons surtout entrepris une plongée dans les adaptations de l’Avare (par Bachetarzi et Touri).

       En parcourant  les rares textes disponibles et les résumés des pièces, nous découvrons la présence de plusieurs formes dramatiques cohabitant dans le texte théâtral et lui insufflant une certaine richesse marquée par la diversité des points de vue. Les Mille et Une Nuits, Corneille, Molière, Goldoni, Plaute et le conte populaire investissent les pièces de Ksentini, Allalou et Bachetarzi. Ce phénomène est aussi perceptible dans la production des auteurs dramatiques du Machrek. C’est pour cette raison que nous interrogeons succinctement les rapports qu’entretenaient les hommes de théâtre du Proche-Orient avec leurs homologues algériens.

-Apparition du théâtre et contexte historique : Le théâtre est apparu au début du siècle grâce au contact avec des troupes moyen-orientales qui ont apporté une certaine caution et une certaine légitimité à la représentation artistique européenne. Ainsi, l’art scénique a été adopté dans une période particulière, époque qui a vu l’avènement du nationalisme, suite à la naissance d’une organisation politique, l’Etoile Nord Africaine (ENA), la publication de romans, de textes politiques, historiques et religieux correspondant sur le plan de la structure au schéma européen. C’est aussi l’époque qui a enregistré la présence dans la vie active de gens formés dans l’école française et les médrasa qui se mettent à intervenir dans les colonnes de la presse. De nombreuses revues ont été créées. Des associations culturelles et religieuses ont ainsi vu le jour. Les premières pièces ont été jouées par des auteurs qui faisaient partie de ces associations qui tentaient d’inculquer certaines valeurs religieuses et des connaissances générales aux jeunes. Ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’ils puisaient leurs thèmes dans l’héritage arabo-islamique.

       La montée du nationalisme, l’émergence de la littérature et l’enseignement sont les éléments-clé qui ont déterminé  la formation d’un public de théâtre. Le théâtre entretenait des rapports étroits avec la littérature, le cinéma, la peinture et le savoir. Abdelkader Djeghloul écrit ceci 1:  « Les années vingt représentent un moment décisif dans la  restructuration de la sphère culturelle algérienne. La nouvelle intelligentsia qui se reconstitue lentement et de manière fragmentée, met en place de nouvelles structures de production et de diffusion culturelle : la presse (avec en particulier l’Ikdam), une nouvelle littérature d’expression arabe (avec Mohamed Laid) et française (avec Abdelkader Hadj Hamou), une nouvelle historiographie (avec Tewfik el Madani en langue arabe et Said Boulifa en français), une nouvelle littérature politique ( avec l’Emir Khaled) et religieuse (avec Abdelhamid Ben Badis). Dans ce processus de construction d’une nouvelle sphère, le théâtre occupe une place particulière. »

L’analyse des conditions d’émergence de l’art scénique est nécessaire pour la connaissance des relations qu’entretient cette discipline avec d’autres éléments de la vie culturelle. Ainsi, un rapide regard sur la programmation et la production cinématographique nous renseignerait sur la présence de traces, de séquences, de scènes et d’idées dans le corps des pièces. Le cinéma égyptien, très apprécié par les algériens, investissait la représentation dramatique. Le vaudeville, joué à Alger durant les années trente, quarante et cinquante, marqua profondément une grande partie de la production théâtrale. Après l’indépendance, les traces de ce type de séquences sont palpables dans les pièces de Rouiched. Les thèmes abordés n’ont d’ailleurs pas profondément changé. Cet auteur, décédé en 1998, a écrit des pièces dans le prolongement du théâtre de Mahieddine Bachetarzi et de Rachid Ksentini.

-Encore la (les) langue (s) : Le problème linguistique sous-tend le débat sur la création artistique. Ce n’est qu’à partir de Djeha que fut employée sérieusement la langue populaire qui s’imposa, par la suite, sur la scène, marginalisant par la même occasion l’arabe « littéraire ».

       La situation linguistique se caractérise par la présence de plusieurs langues : l’arabe « littéraire » considéré comme langue officielle, le français, le tamazight (plusieurs variantes linguistiques) et l’arabe populaire. Si elles reprennent parfois le discours dominant sur les langues, ces troupes posent aussi d’une manière, certes peu complexe, la question linguistique et les tensions qui l’animent.

       Durant la colonisation, la langue arabe vivait en quelque sorte une sorte de clandestinité aliénante. Marginalisée et dévalorisée par le colonisateur, elle put, malgré vents et marées, conserver son existence. Aujourd’hui, de violentes tensions marquent le territoire linguistique qui prend une signification plus idéologique et politique. Ces dernières années, des manifestations-parfois virulentes- ayant pour revendication la défense de la langue arabe pour les uns et du tamazight pour les autres ont caractérisé le paysage culturel.

       Généralement, on épouse facilement des thèses sans les analyser et les interroger sérieusement, provoquant de profondes césures dans la société. Cette attitude, passive et fort confortable, de certains chercheurs arabes « ébranle » la culture nationale, la prive de sa dynamique et de sa force. Ainsi, le rapport entretenu avec les éléments de la culture populaire reste encore marquée par de graves malentendus. Il est, à notre avis, pertinent, d’interroger les formes populaires qui traversent l’univers culturel algérien : la halqa, le meddah, le gouwal, les Aissaoua et d’autres types de représentation et de voir comment ils se manifestent dans la représentation théâtrale. La structure du conte populaire marque les œuvres dramatiques qui constituent souvent des entités syncrétiques. Les récits des Mille et Une Nuits et de Djeha, par exemple, peuplent l’univers dramatique algérien1. Un examen approfondi de ce phénomène et de son fonctionnement est une entreprise nécessaire à la mise en branle des relations et des réseaux formels qui travaillent l’œuvre théâtrale algérienne. Comment fonctionne le récit ? Quelles sont les figures et les fonctions apparaissant fréquemment dans les textes ? Comment est prise en charge la légende ?

       Après l’indépendance, le débat sur l’activité théâtrale allait dominer la scène culturelle. Les écrits dans la presse se multiplient. Les hommes de théâtre, plus libres et disposant de moyens matériels relativement conséquent, s’interrogent sur leur pratique et se tournent vers la mise en œuvre e nouvelles expériences. La question de l’héritage est l’une des préoccupations essentielles des auteurs et des metteurs en scène qui, outillés désormais techniquement, se lancent dans des aventures originales. Mustapha Kateb, Ould Abderrahmane Kaki, Mohamed Boudia et Henri Cordereau2 posent sur un ton polémique les problèmes du théâtre populaire, de l’adaptation et de la « création ». Certains privilégient l’adaptation, d’autres optent pour ce qu’ils appellent le « retour aux sources » et la « redécouverte de soi ». Un dernier groupe envisage la mise en symbiose de ces deux réalités.

       L’enthousiasme des premières années de l’indépendance poussa les animateurs de l’action culturelle à poser le problème de la ou des fonction (s) de l’art scénique : quel théâtre faut-il faire et pour quel (s) public(s) ? Henri Cordereau parle de la possibilité de mettre en œuvre un théâtre populaire, à l’écoute de la société. Mohamed Boudia le rejoint, mais préfère accoler le mot « révolutionnaire » au substantif « théâtre ». Kaki tente de puiser dans l’héritage culturel national des éléments susceptibles de renforcer l’acquis dramatique universel.

       La question de l’emprunt traverse tous les débats sur la culture et la société nationale. Abdellah Laroui explique dans son ouvrage, L’Idéologie arabe contemporaine, que les Arabes pensent toujours leur histoire et leu vécu en fonction de l’Occident. Toute tentative de remise en question de la culture européenne passe par le chemin de l’Occident auquel on emprunte les schémas conceptuels. Pour le théâtre, le « retour aux sources », action, à notre avis, négative, est une simple réaction de rejet du discours culturel occidental. Dans tous les pays anciennement colonisés, le syntagme « invasion culturelle », une manière de rejeter tout apport extérieur, fait son chemin, malgré les sirènes de la mondialisation et de l’uniformité culturelle ; ce groupe de mots suggère l’existence d’une « culture de musée », une incapacité de prendre réellement en charge le présent. « Tout se passe, écrit Laroui, comme si l’Orient, essayant de se comprendre se faisait archéologue et retrouvait les formes dépassées de la conscience occidentale »1. Penser le moi, c’est penser l’Autre, le rendre présent dans notre imaginaire, notre représentation. L’Occident parcourt le discours culturel qui prétend rejeter ce qu’on appelle communément la parole de l’Autre.

       La présence de la culture européenne est évidente et naturelle dans la mesure où le théâtre est un théâtre d’emprunt. Ainsi, la présence de Brecht et de Piscator2 est manifeste. Brecht correspondait quelque peu à l’analyse des sociétés développée par certains animateurs de l’activité théâtrale. D’ailleurs, durant les premières années de l’indépendance, Ould Abderrahmane Kaki a adapté un texte de l’auteur allemand, La Bonne Ame de Sé-Tchouan, et s’est réapproprié quelques éléments techniques. De nombreuses troupes du théâtre d’amateurs qui emprunte plusieurs matériaux formels au théâtre épique revendiquent l’héritage brechtien. La dramaturgie en tableaux, ponctuée de chants (songs), semble essentiellement marquée par l’expérience de l’auteur allemand. L’effet de distanciation, trop souvent employé, est quelque peu malmené par de nombreux auteurs.

       La relation avec Brecht interpelle la question de l’héritage culture. Ainsi, un auteur comme Kaki, emprunte de nombreux éléments à la culture populaire et installe Brecht et Artaud dans une structure paradoxale. Il est utile d’interroger certaines pratiques dramatiques populaires et de voir comment elles fonctionnent dans les textes inspirés de la logique de la « tradition » orale ou parfois écrite. Kateb Yacine, Abdelkader Alloula, ould Abderrahmane Kaki et Slimane Bénaissa sont, à notre sens, les auteurs qui assimilent merveilleusement l’articulation des formes populaires et l’univers dramatique européen. Kateb Yacine réactualise et réinvestit de nouveaux signes le personnage légendaire de Djeha. Abdelkader Alloula transforme la structure du gouwal (conteur) et de la halqa (cercle). Slimane Bénaissa entreprend une plongée dans le langage du quotidien. Ould Abderrahmane Kaki explore les horizons poétiques du Maghreb populaire.

       A côté de ce type d’écriture dramatique, existait une autre manière d’écrire et de mettre en scène qui consistait essentiellement à une élaboration collective du travail dramatique. Le théâtre régional de Constantine (TRC) mit en forme des réalisations qui se situaient entre les interrogations du théâtre d’amateurs  et les incertitudes du théâtre « professionnel ». Ecriture dramatique et scénique étaient censées travaillées collectivement. Le group composé d’anciens amateurs et de deux « professionnels » produit un théâtre qu’on pourrait appeler « syncrétique », c’est à dire empruntant ses éléments formels et thématique de la pratique « professionnelle » (théâtres d’Etat) et au théâtre d’amateurs. Rih Esamsar (Le vent des mandataires) et Hada Ijib Hada (Celui-ci amène celui-là) fonctionnent en tableaux et abordent les mêmes thèmes que les amateurs mais en utilisant une mise en scène plus rigoureuse. Si nous situons le théâtre dans le mouvement artistique et sociopolitique, cela ne veut nullement dire que nous négligeons le fonctionnement autonome de la représentation théâtrale. L’histoire politique et culturelle permit à l’activité artistique de s’imposer et de fonction, par moments, comme une réponse à une situation établie.

       L’écriture théâtrale conserve son autonomie. Elle est le lieu d’articulation de plusieurs structures qui travaillent l’œuvre et lui donnent forme. Ainsi, l’apport français, et surtout celui de Molière, est fondamental. Personne ne doit nier la place occupée par cet auteur français en Algérie. Bachetarzi et Allalou, pionniers de l’art scénique, l’admiraient énormément. Rachid Bencheneb écrit à ce propos1 : « Plus que tout autre dramaturge, il a contribué dans le Proche-Orient et au Maghreb à l’éveil de la société à la vie théâtrale. Depuis cent  vingt cinq ans, ses grandes comédies (Le Misanthrope, L’Avare, Le Bourgeois gentilhomme, Les Femmes savantes, Le Malade Imaginaire) comme ses farces (Le médecin malgré lui, Le médecin Volant) sont périodiquement traduites ou adaptées soit en arabe  littéraire, soit en dialectal. »

Certes, Molière marque sérieusement la représentation théâtrale, mais d’autres auteurs l’investissent également, surtout après l’indépendance. Brecht est depuis les années soixante souvent présent dans le fonctionnement des œuvres dramatiques algériennes. D’autres auteurs traversent le territoire de l’activité dramatique : Shakespeare,Artaud, Beckett, Ionesco, Tewfik el Hakim, Mrozek…

      

      

 

      

 

Le théâtre algérien de langue française

 

       Très peu de pièces ont été jouées en langue française. Les algériens préféraient s’exprimer dans la langue populaire. Dans un pays où sévissait l’analphabétisme, écrire des pièces en français était presque une entreprise insensée, absurde, surtout quand les auteurs visaient le large public. Jean Déjeux  dans ses Recherches bibliographiques, insiste, preuves et documents à l’appui, sur la présence d’un théâtre de langue française. Certes, le nombre des textes est très réduit. Les lettrés algériens écrivaient de préférence des romans, des essais et des poèmes. Ce n’est qu’après 1954 que les écrivains commencèrent à s’intéresser au théâtre. Kateb Yacine, Hocine Bouzaher, Henri Kréa, Ahmed Djelloul et Mohamed Boudia se mirent à exposer la tragédie algérienne et à exprimer les luttes séculaires de leur peuple en recourant à l’écriture dialogique.

       Ecrire en français des textes dramatiques, c’est opter préalablement pour un public de culture française. Le choix était conscient, mais souvent imposé. La non maîtrise de la langue populaire obligeait beaucoup d’auteur à choisir le français comme langue d’expression artistique. Dire l’Algérie, témoigner de ses espoirs et de ses espérances, tels étaient les objectifs affirmés des auteurs qui ne cachaient nullement leurs intentions. Ils parlaient de la mise en œuvre d’un théâtre révolutionnaire prenant en charge les préoccupations de la société. C’est un peu l’histoire e Caliban et de Prospéro dans La Tempête de Shakespeare. Tant que le français était efficace et utile, il fallait s’en servir. Le drame réside surtout dans le fait que les pièces n’étaient pas jouées par les troupes qui cherchaient par tous les moyens à toucher le grand public. Mettre en scène une pièce en français, c’est inévitablement rompre avec le public populaire. Ce que les animateurs du mouvement théâtral ne voulaient pas. Cette situation provoquait un sentiment de frustration chez le dramaturge qui ne pouvait pas ainsi s’adresser à ses compatriotes. La barrière linguistique n’était pas la seule source du malaise de l’écrivain colonisé. Kateb Yacine, comme d’ailleurs Jean Amrouche, Malek Haddad (même si dans ses textes, il parle d’ « exil » et de « suicide » à propos du choix de la langue française comme outil d’expression), assume ses choix et revendique une sorte d’enrichissement au contact de la langue française1 :« Les quelques algériens qui ont acquis la connaissance de la langue française n’oublient pas facilement qu’ils ont arraché cette connaissance de haute lutte, en dépit des barrières sociales, religieuses que le système colonial a dressées entre nos deux peuples. C’est à ce titre que la langue française nous appartient et que nous entendons la préserver aussi jalousement que nos langues traditionnelles. (…)On ne se sert pas en vain d’une langue et d’une culture universelle pour humilier un peuple dans son âme. Tôt ou tard, le peuple s’empare de cette langue, de cette culture, et il en fait les armes à longue portée de sa libération. »

       Le théâtre de langue française se trouvait exilé par la force des choses. Monter en Algérie des pièces de Kateb, de Boudia ou de Kréa était une entreprise impossible dans le contexte colonial de l’époque. Déjà, toute allusion à la politique était condamnée au silence. L’administration veillait au grain et considérée toute idée non conformiste comme subversive et suspecte. Toute parole libre était muselée, marquée du sceau de l’ « illégalité ». La censure et la répression marquaient le quotidien. Il eut fallu le courage de Jean Marie Serreau pour mettre en scène Le Cadavre Encerclé de Kateb Yacine. L’auteur de Nedjma raconte ainsi sa rencontre avec Serreau 2: « Je n’avais jamais mis les pieds dans un théâtre jusqu’au jour où l’on a créé Le Cadavre Encerclé. En effet, un matin, juste après la publication de la pièce, on frappe à ma porte. Je me suis demandé si ce n’était pas un flic, car c’était la guerre et il y avait des perquisitions chez les Algériens. J’ouvre et je vis un monsieur avec des lunettes. C’était Jean Marie Serreau, un homme extraordinaire qui est malheureusement mort il n’y a pas très longtemps. C’est la personne qui a le plus fait pour aider des gens comme Césaire, moi- même, et les Africains en général. »

       Les pièces de Kateb Yacine furent montées grâce à Jean Marie Serreau alors que celles de Boudia (Naissances et L’Olivier), de Bouzaher (Des voix dans la Casbah) et de Kréa (Le séïsme et Au bord de la rivière) ne connurent jamais la scène. Toutes ces pièces décrivaient la tragédie de l’Algérie durant la colonisation. Le Cercle des Représailles, publié en 1959, qui est une sorte de suite tétralogique, se compose de trois pièces et un poème dramatique. La première, intitulée Le Cadavre encerclé, une tragédie en trois actes, raconte le drame des événements de mai 1945. Dans la rue des Vandales (titre initial du texte), cadavres et blessés sont par terre ; Lakhdar et Mustapha, éternels amants d’une insaisissable Nedjma, se trouvent parmi les révoltés. Blessé, Lakhdar est sauvé par la fille du commandant, Marguerite qui n’arrive pas à se faire admettre par le groupe d’amis. Mais quelque temps après, Tahar le poignarde et laisse son cadavre au milieu d’un polygone tragique, l’Algérie, une nation qui « n’a pas fini de venir au monde ». Les ancêtres redoublent de férocité, de veine tragique, met en situation deux personnages, Hassan et Mustapha à la quête du chemin du Ravin de la Femme Sauvage, lieu mythique où se trouve Nedjma, hantée par le vautour incarnant Lakhdar. Mustapha et Hassan réussissent à délivrer la Femme Sauvage, enlevée par un ancien soldat de l’Armée Royale marocaine. Hassan meurt, Mustapha est arrêté par l’armée ennemie.1

       Le troisième volet de cette tétralogie est constitué par une pièce satirique, La Poudre d’Intelligence, qui tourne en dérision les arrivistes, les faux-dévots et les opportunistes. Nuage de fumée2, rencontre dans ses nombreuses balades mufti, cadi et marchands qu’il ridiculise et qu’il tourne en bourrique. Kateb Yacine réemploie plusieurs contes populaires qu’il « théâtralise », procédé qu’on retrouve d’ailleurs dans ses pièces jouées après l’indépendance. On ne sait si, à propos des pièce composant Le Cercle des représailles, on peut parler de suite trilogique ou d’une tétralogie. Fasciné par le théâtre grec (et surtout Eschyle), Kateb Yacine veut voir monter en même temps les trois pièces qui, d’ailleurs, sont complémentaires. Jacqueline Arnaud écrit ceci à propos du Cercle des représailles3 : « L’ensemble(les trois premières pièces, c’est à dire Le Cadavre  encerclé, La Poudre d’Intelligence et Les Ancêtres redoublent de  férocité) se conclut sur un long « poème dramatique », Le Vautour,  dont les thèmes prolongent sur un mode lyrique plus personnel, ceux  des Ancêtres. Kateb donne ainsi une suite théâtrale qui rappelle les tétralogies antiques. Il a toujours depuis souhaité qu’un metteur en scène monte d’un seul tenant son Cercle des représailles, ce qui n’a jamais été réalisé, même par Jean Marie Serreau, l’homme le plus  subtil à saisir les desseins profonds de Kateb, celui qui a certainement le mieux compris sa dramaturgie. Ce dernier était tout prêt à admettre l’alternance tragédie –satire -tragédie. »

       Cet ensemble dramatique puisé dans l’Histoire de l’époque avec ses contradictions et ses ambiguïtés, caractérisé par la présence de traits lyriques et l’utilisation d’une langue simple, ne s’arrête pas uniquement à la dimension politique, mais la dépasse et interroge l’être algérien déchiré, mutilé. Le réseau des oppositions est large et traversé par un discours ambivalent1. Nous n’avons pas affaire, comme dans les pièces de Kréa, de Boudia ou de Bouzaher, à un antagonisme de type unique, colonisé-colonisateur mais à une série de contradictions illustrées par les rapports conflictuels entretenus par les personnages. Le parâtre Tahar poignarde Lakhdar, Mustapha tue Hassan, mais il est lui aussi arrêté par l’armée française. Ce réseau de systèmes conflictuels correspond à la situation politique et idéologique de l’époque. Kateb Yacine donnait à voir une tragédie : l’état de l’Algérie.

       Jamais la réalité algérienne n’avait été aussi bien décrite que dans cet ensemble. La tragédie est, chez Kateb Yacine, paradoxalement vouée à l’optimisme ; la mort donne naissance à la vie. Ainsi, quand Lakhdar meurt, c’est Ali qui poursuit le combat. Nous avons affaire à une tragédie optimiste qui associe la dimension épique au niveau de l’agencement narratif et de l’instance discursive. Tragique et épique se côtoient, se donnent en quelque sorte la réplique. Le « je » singulier (relation amoureuse de Lakhdar et de Nedjma par exemple) alterne avec le « nous » collectif (inscription du personnage dans le combat collectif). La disparition d’un personnage individuel (Lakhdar ou Mustapha) laisse place à l’émergence d’un personnage collectif : le peuple, la patrie. La fin est ouverte, jamais totalement négative. La mort n’est pas marquée du sceau de la négativité, elle arrive à créer les conditions d’un sursaut et d’un combat à poursuivre. Lakhdar est le lieu d’articulation de plusieurs temps (passé, présent et futur virtuel), il prophétise l’à-venir. Ses paroles prémonitoires sont le produit de son combat. Le chœur prend en charge le discours du peuple et s’insurge contre les sournoises rumeurs de la mort. Il est vérité éternelle : « Non, ne mourrons pas encore, pas cette fois ». L’histoire s’inscrit comme élément de lecture d’une réalité précise, d’un vécu algérien ambigu, piégé par ses propres contradictions.  Ce n’est ni le passé, ni le présent qui sont surtout valorisés mais le futur, lieu de la quête existentielle et politique de l’Algérie incarnée par Nedjma ou la Femme Sauvage, ce personnage écartelé entre eux voies différentes, sinon opposées et porteur d’une mort productrice d’une vie nouvelle. Le paradigme féminin, noyau central des deux tragédies, fonctionne comme un espace ambigu, mythique. Nedjma, étoile insaisissable autour de laquelle tourne tous les protagonistes masculins, incarnerait l’Algérie meurtrie, terre à récupérer. Elle est également le symbole des femmes combattantes On ne peut oublier la fascination de Kateb Yacine pour cette reine berbère, la Kahina ou Khenchela. L’auteur écrit ceci à propos de Nedjma :« La bannière étoilée a retrouvé ses origines

                      C’est l’Algérie plus libre que jamais,

                      Elle a toujours été libre. »

       Ce personnage impossible traverse toute l’œuvre de Kateb et fait fonctionner le récit des pièces tragiques. Nedjma, corps et lieu mythique, vit entre l’absence et la présence. Dans Le Cadavre encerclé et Les Ancêtres redoublent de férocité, les mêmes personnages reviennent et peuplent l’univers de la pièce. L’histoire, espace réel côtoie la légende, lieu du mythe. Histoire et histoire s’entrechoquent et s’entremêlent. Histoire et légende semblent se répondre comme dans une sorte d’affabulation sublimée, paradoxalement vraisemblable. Le discours sur la nation suppose une diversité et une multiplicité des réseaux spatio-temporels. Le temps historique, paysage des référents existentiels (mai 1945, guerre de libération…), localisé dans des lieux clos (prison…) ou dans la ville laisse place au temps mythique, instance occupée sur le plan géographique par la campagne, le désert ou le ravin de la Femme Sauvage. Le déplacement de l’histoire à la légende se fait surtout par le retour à la tribu, source du vécu populaire et territoire-refuge de tous les personnages qui reviennent à cet espace afin de retrouver leur force. Jacqueline Arnaud écrit 1: « Il me semble donc pouvoir affirmer que dans le mythe tribal qui est l’un des pôles de l’imagination de Kateb Yacine, il ne faut pas se contenter de voir un retour obsessionnel aux origines, mais qu’il  exprime le désir de garder le contact avec le peuple paysan à l’odeur  ancienne au parfum de plèbe en fleur, avec ses pleurs, ses hantises,  ses rêves dont le poète se fait l’accoucheur et qu’il partage. »

       Le mythe tribal ne constitue pas nullement un retour aux sources mais une manière de se définir par rapport à un passé accoucheur d’un présent ambigu et abâtardi. Le jeu avec le temps et l’espace, un des éléments essentiels de la dramaturgie en tableaux, est lié à la quête de la nation encore perturbée et insaisissable. La légende, lieu d’affirmation- interrogation de l’histoire, investit l’univers dramatique de Kateb Yacine.

       La pièce satirique, La Poudre d’Intelligence, inspirée de la tradition orale, complète l’ensemble dramatique, Le Cercle des représailles. On ne peut isoler ce texte des autres constituants du recueil. D’ailleurs, l’auteur avait commencé à écrire en même temps les tragédies et la satire : « J’avais commencé à écrire quelques scènes de la Poudre d’Intelligence avec Le Cadavre encerclé, mais il était plus urgent de monter Le Cadavre parce qu’il y avait la guerre. »

       Nuage de Fumée, un personnage proche du conteur des places publiques, se met à ridiculiser les opportunistes et les faux dévots peuplant la société algérienne. Jacqueline a déjà bien abordé l’étude de ces pièces dans sa thèse de Doctorat d’Etat : Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Le cas de Kateb Yacine. Durant la période 1954-1962, d’autres acteurs avaient senti la nécessité d’écrire des pièces de théâtre en français et de dire l’Algérie en guerre. Il nous semble que les textes en question ne possèdent pas la force dramaturgique du Cercle des représailles. Leur théâtre procède souvent d’une attitude manichéenne, d’un côté les méchants et de l’autre, les bons. Seul Mouloud Mammeri réussit à présenter un univers éclaté où les personnages fonctionnent comme des unités autonomes.. Dans Le Foehn, pièce marquée historiquement, il est question de la guerre, une guerre imposée. Boudia, Kréa et Bouzaher affirment dès les premières répliques leur projet politiques et leurs intentions idéologiques. Leur théâtre s’inscrit dans le cadre d’une littérature et d’un art de combat. Ecrire voulait dire témoigner, dire leur peuple. Dans tout témoignage, il y a toujours prise de parti. Naissances de Mohamed Boudia raconte l’histoire d’une famille marquée par la guerre. Des voix dans la Casbah de Hocine Bouzaher évoque la situation politique et sociale d’un quartier algérois ravagé par les bruits et les rumeurs militaires. Le Séisme de Henri Kréa met en scène l’Histoire de l’Algérie, avant et pendant la colonisation. C‘est une tentative d’affirmation de l’être national algérien.

       Tous ces textes, parfois pauvres sur le plan dramaturgique, se distinguent par la violence du ton et la présentation de deux espaces antagoniques : celui des colonisateurs et celui des colonisés. La conception manichéenne, par endroits simpliste, de l’histoire obéit au discours politique dominant et correspond à des nécessités historiques immédiates. L’essentiel pour les auteurs était de mettre en forme les idées du Front de Libération Nationale (FLN). C’était donc un théâtre d’information lié aux nécessités de la période de guerre. Déjà, Henri Kréa annonçait la couleur et affirmait sa position1: « Je parle au nom d’un peuple à qui on a voulu couper la langue, dont on a voulu fracasser la nature. ».

       Pour Mohamed Boudia, les choses étaient claires, le théâtre ne pouvait et ne devait être que révolutionnaire. Par contre, Mouloud Mammeri voulait décrire sans complaisance ni parti pris la guerre. D’où les nombreuses critiques adressées à la pièce après sa représentation à Alger en 1967. Les conceptions du théâtre de Boudia, Bouzaher et Kréa étaient fort différentes de celle défendue par Mouloud Mammeri. Celui-ci s’expliquait ainsi 1: « Je considère que le devoir d’un écrivain est d’aller jusqu’à ce qu’il croit être la vérité essentielle, celle qui, justement, fonde les vérités transitoires. C’est pour cela que j’ai campé les personnages des Pieds Noirs autant que j’ai pu, non pas comme des robots, des mécaniques  qui répondraient à des définitions que l’on se fait du colon-type, mais avec toute la complexité, quelquefois l’ambiguïté de la vie. J’aurais pu faire une pièce du genre édifiant, comme on dit d’une littérature  qu’elle est édifiante. »

       Le théâtre de langue française des années de guerre était essentiellement un théâtre de combat. Des voix singulières, très peu nombreuses et quelque peu médiocres, abordèrent d’autres sujets. Kaddour M’hamsadji publia en 1955 La dévoilée, Ahmed Djelloul écrivit La Kahéna en 1957.

        Après l’indépendance, quelques auteurs, certes trop peu nombreux continuèrent à écrire des pièces en langue française, même s’ils savaient pertinemment que leurs pièces n’allaient pas être mises en scènes dans les théâtres algériens. Quelques très rares textes furent montés par les structures étatiques : Le Foehn de Mouloud Mammeri en 1967 et Rouge l’aube de Assia Djebbar et Walid Carn. L’Homme aux sandales de Caoutchouc1 fut traduite en arabe « littéraire » avant d’être mise en scène par Mustapha Kateb. Ce n’est que vers les années quatre vingt que sous l’impulsion des centres culturels français en Algérie, des pièces comme celles de Slimane Bénaissa (Le Conseil de discipline…) et de la troupe de Ziani Chérif Ayad (dont Mille hourras pour une gueuse de Mohamed Dib et Fatma) ont été programmées au Festival des Francophonies de Limoges. D’autres expériences furent menées ici et là, notamment à Annaba, par des comédiens du Théâtre régional de cette ville, qui montèrent pour le compte du CCF, Rosalie. Cette situation paradoxale fut surtout encouragée par les conditions politiques de l’Algérie de la fin des années quatre-vingt et quatre vingt dix. D’autres pièces sont jouées en France par des Algériens installés dans ce pays depuis quelques années comme Mohamed Kacimi, Arezki Metref, Mehdi Charef et Mohamed Zaoui.

       Mais dans l’ensemble, en Algérie, le théâtre de langue française n’a pas encore un large public. C’est pour cette raison que les hommes de théâtre optèrent définitivement pour la langue arabe comme l’outil privilégié de l’expression théâtrale. Des dramaturges aussi prolifiques que Nourredine Aba qui écrivit de nombreuses pièces ne fut joué qu’une seule fois par une troupe d’amateurs. Nourredine Aba qui vécut le cauchemar de la seconde guerre mondiale dans sa chair, notamment en couvrant le procès de Nurenberg, consacra plusieurs textes à des sujets historiques. L’Histoire est au cœur de toute son œuvre. Le fantastique, le réel et le rêve sont mêlés. La tragédie palestinienne et les horreurs nazies constituent les thèmes-noyaux de son œuvre. Montjoie Palestine (1970), L’aube à Jérusalem (1979), Montjoie Palestine (1980) et Tell Zaatar s’est tu à la tombée du soir (1981)racontent les horreurs commises par les forces israéliennes contre les populations palestiniennes. La Récréation des clowns présente en quatre tableaux la torture subie par les algériens durant la guerre de libération. Comique et tragi-comique donnent à la pièce une dimension tragi-comique. De nombreux liens entre les actes commis en Algérie et les crimes commis par les nazis sont établis.

       Si Nourredine Aba insiste surtout sur la résistance palestinienne, Laadi Flici expose essentiellement la lutte du peuple algérien contre le colonialisme français, notamment en milieu urbain. Les mercenaires (1973) est un hymne à la révolution. Plusieurs événements historiques (mort de Lumumba, lutte du peuple vietnamien, assassinat de Martin Luther King, Apartheil, guerre de libération en Algérie) s’enchaînent et donnent au texte une lecture idéologique précise. Djamal Amrani traite également du thème de la guerre de libération dans sa pièce, Il n’y a pas de hasard ( 1973). Hocine Bouzaher revient encore à des pièces sur la guerre de libération (L’honneur réconcilié, recueil de quatre textes, 1988).

       Mais d’autres thèmes qui touchent l’actualité et les questions sociales intéressent également quelques auteurs comme Mustapha Haciane (A quoi bon fixer le soleil, 1974, Les Orphelins de l’empereur, 1978), Mouloud Mammeri (Le Banquet), Ahmed Azzegagh (La République des ombres, 1976) et bien d’autres auteurs comme Slimane Bénaissa qui s’est mis à écrire en langue française (Au delà du voile, 1991, Le Conseil de discipline, 1992).

       Les auteurs émigrés écrivent souvent leurs pièces en langue française comme Fatima Gallaire (Ah ! vous êtes venus…là où il y a quelques tombes, 1988, Les co-épouses, 1990).

       Le théâtre de langue française, faute d’un large public, est condamné au silence.

                                        

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Saad Allah Wannous, Manifestes pour un nouveau théâtre arabe, Dar el Fikr el Jadid, Beyrouth, 1988.

 

 

-Allalou,L'aurore du théâtre algérien, cahiers du CDSH, Oran.

-Mahieddine Bachetarzi, Mémoires, trois tomes, 1968, 1985, 1987, sned, Alger.

-Roselyne Baffet, Tradition théâtrale et modernité en Algérie, L'Harmattan, 1985.

-Rachid Bencheneb, Aspects du théâtre arabe en Algérie, in L'Islam et l'Occident, Cahiers du Sud, 1947.

-Rachid Bencheneb, Une adaptation algérienne de l'Avare, Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, N° 93-94, 1er semestre 1974.

-Rachid Bencheneb, Rachid Ksentini(1887-1944), le père du théâtre arabe en Algérie, Documents Algériens, service d'information du gouverneur général de l'Algérie, série culturelle N° 14, avril 1947.

-Rachid Bencheneb, Allalou et les origines du théâtre algérien, Revue de l'0ccident  Musulman et de la Méditerranée, N° 24, 1977.

-Saadedine Bencheneb, Le théâtre arabe d'Alger, in Revue africaine, LXXVII, 1935.

-Makhlouf Boukrouh, Le théâtre et le public, Alger

6Ahmed Cheniki, Le théâtre en Algérie, Histoire et enjeux, Paris, Edisud, 2002

-M'hamed Djellid, Essai de sociologie sur l'activité théâtrale en Algérie, Mémoire de D.E.A, deux tomes, Université d'Oran, 1982.

-Marie Elias, Le théâtre de Kateb Yacine, Troisième cycle, Université de Paris 3, 1978.

-Denise Louanchi, Un essai de théâtre populaire, L'homme aux sandales de caoutchouc, troisième cycle, Aix en Provence, 1977.

- Arlette Roth, Le  théâtre algérien, Paris, Maspero, 1967

                

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                             

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SOMMAIRE

 

 

 

 

1-Origines et définition du théâtre………………………………..1

2-La tragédie………………………………………………………8

3-La tragédie au 17ème siècle……………………………………...11

4-La comédie……………………………………………………..13

5-Le drame………………………………………………………. 16

5-Le théâtre de boulevard…………………………………………17

6-Bertolt Brecht……………………………………………………20

7-Antonin Artaud………………………………………………….26

8-La mise en scène………………………………………………...30

9-Eléments de sémiologie de théâtre………………………………34

10-Introduction au théâtre dans les pays arabes et en Afrique……..40

11-Le théâtre en Afrique noire……………………………………..46

12-Théâtres arabes : l’aventure de l’écriture dramatique…………..54

13-Le théâtre en Algérie : Etat des lieux……………………………71

14-Le théâtre algérien de langue française………………………….78

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

         

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

UNIVERSITE DE ANNABA

 

DEPARTEMENT DES LANGUES ETRANGERES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ELEMENTS DE THEATRE

 

 

 

Cours de troisième année

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ahmed CHENIKI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                            

 

 



1 Mohamed Aziza,  Regards sur le théâtre arabe contemporain, préface de Jacques Berque, M.T.E, Tunis, 1970, P.5-6.

1  Michel Habart, in Théâtre algérien de Henri Kréa, SNED, Tunis, 1962, P.7.

2 Aristote, Poétique et Rhétorique,  Librairie Garnier frères, 1882,  P.8.

2 Nietzsche, La naissance de la tragédie,  P.77.

1  Youssef Rachid Haddad,  Art du conteur, art de l'acteur, Cahiers Théâtre Louvain, 1982, P.25.

[1] Bakary Traoré, Le théâtre négro-africain et ses fonctions sociales, Présence Africaine, Paris, 1958

[2]

[3] Maxime Rodinson, Dynamique de l’évolution interne et des influences internes dans l’histoire culturelle de la Méditerranée, Actes du 1er Congrès d’études des cultures méditerranéennes d’influence arabo-berbères, SNED? Alger, 1973

[4] H.A.GIbb, L’influence de la culture musulmane sur l’Europe médiévale, Bulletin of the John Rylands Library, Manchester, N°38, 1955

[5] Cité par Atia Abul Naga, in Les sources françaises du théâtre égyptien, SNED? Alger, p.51

1 Maxime N'débéka, Le Président, Oswald, Paris,  1970, P.27.

2Alexandre Kum'a N'dumbe III, Le soleil de l'aurore, P.J. Oswald, Paris, 1976, P.12.

3 Maxime N'débéka, Le Prrésident, P.22.

4 4 Ibidem, P.22.

5 Ibidem, P.22.

[6] Anne Ubersfeld, Lire le théâtre, Editions sociales,  Paris, 1978, P. 144.

1 Mohamed Aziza,  Regards sur le théâtre arabe contemporain, Op.Cit, P. 80.

1 Mahboub Stambouli, Regards sur le théâtre algérien, in Amal (Promesses), Mars 1976, Alger.

1 Je ne sais pas si on peut les classer dans le genre théâtral dans la mesure où leur fonctionnement reprenait surtout la structure des textes littéraires et manquait d’intrigues et d’une facture dramatique évidente. Leurs auteurs avaient des intentions didactiques : éducation religieuse et historique.

1 Cette expression est souvent utilisée contre ceux qui produisent des pièces en arabe « dialectal ». Aujourd’hui encore, cette expression est employée par des journalistes et des universitaires. Même un ancien ministre de la culture s’est violemment élevé contre l’usage de la langue populaire au théâtre.

1 Abdelkader Djeghloul, Eléments d’histoire culturelle algérienne, ENAL, Alger, 1984, p.123.

1 De nombreux auteurs de thèses et d’ouvrages consacrés au théâtre en Algérie emploi l’expression impropre de « formes pré-théâtrales », sans pour autant l’expliquer.

2  Juste après l’indépendance, de grands débats sur la culture nationale marquaient la scène culturelle. La presse publiait ainsi de nombreuses contributions. Les courants s’exprimaient librement.

1 Abdellah Laroui, L’Idéologie arabe contemporaine, Maspéro, Paris, p.37.

2 Cela ne veut nullement dire que d’autres auteurs n’ont pas marqué la scène théâtrale en Algérie. Les auteurs et les metteurs en scène découvrent, au fur et à mesure de leur parcours, de nouvelles expériences et de nouvelles techniques et se familiarisent avec d’autres dramaturges étrangers qu’ils apprennent à connaître.

1 Rachid Bencheneb, Une adaptation algérienne de l’Avare, Revue de l’Occident Musulman et de la Méditerranée, Aix en Provence, N°13-14, 1er septembre 1973. L’Avare demeure la pièce la plus appréciée de tout le répertoire dramatique. En 1847, le libanais, Maroun An Naqqash met en scène le premier travail théâtral arabe, une adaptation du chef d’œuvre de Molière, L’Avare (Riwayat el bakhil). Ce succès tient essentiellement à l’existence dans la littérature arabe d’un ouvrage sur l’avarice : Le livre des Avares (Kitab el Boukhâla) d’El Jahiz et à la verve comique de l’œuvre. En Algérie, Bachetarzi et Touri adaptent à leur tour le texte de Molière.

1 Kateb Yacine, in Les Lettres Nouvelles, Juillet-Août 1956, p.108.

2 Marie Elias, Le Théâtre de Kateb Yacine, Thèse de troisième cycle, Université Paris III, 1978.

1 Le Cadavre encerclé est la pièce écrite en français la plus montée de Kateb Yacine, avec La Poudre d’Intelligence, mais souvent les metteurs en scène éliminent le poème dramatique qui ouvre la tragédie.

2 Kateb Yacine va reprendre le personnage de Nuage de Fumée et la structure dramatique de La Poudre d’Intelligence et les intégrer dans les pièces satiriques (en arabe populaire) d’après 1970 : Mohamed, prends ta valise, La guerre de 2000 ans, Palestine trahie, Le roi de l’Ouest… Nuage de Fumée devient Moh Zitoun alors qu’il reprend les contes de Djéha qu’il utilise en fonction du discours de chaque pièce.

3 Jacqueline Arnaud, Recherches sur la littérature maghrébine, le cas de Kateb Yacine, L’Harmattan, 1985, p.747 .

1 Cette ambivalence traverse et travaille tous les textes tragiques. Ainsi, les personnages, notamment Lakhdar et Nedjma, sont doubles, marqués par la présence de deux dimensions, apparemment incompatibles, le tragique et l’épique. Les instances spatio-temporelles connaissent le même fonctionnement (temps historique et temps mythique, espace réel et espace mythique). Ce dédoublement est la caractéristique essentielle de l’œuvre de Kateb Yacine.

1 Op.Cit, Jacqueline Arnaud, Recherches…, p.718.

1 Cité par Michel Habart, préface au Théâtre Algérien de Henri Kréa, SNED, Tunis, 1962, p.12.

1 Cité par Roselyne Baffet, Tradition théâtrale et modernité en Algérie, L’Harmattan, Paris, 1985, p. 55.

1 Même la pièce, Le Cadavre encerclé ne fut jamais jouée en français en Algérie. Le Théâtre National Algérien (TNA) l’a montée à deux reprises, mais en arabe classique, en 1968 (mise en scène de Mustapha Kateb) et en 2000 (mise en scène de Driss Chekrouni).


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