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L’argent de la « culture » au rabais et le rituel des festivals

Par Ahmed CHENIKI

La sphère culturelle algérienne connait de très sérieux désagréments. De l’argent, il en coule à flots, à tel point que les uns et les autres cherchent à en profiter. Mais point de public à déguster les produits proposés, souvent médiocres, ne dépassant pas quelques rares représentations, désertées par des spectateurs peu enclins à cautionner ce type de choses.

Que se passe t-il concrètement dans l’univers « culturel » algérien ? Pourquoi continue t-on à nier les évidences en n’arrêtant pas d’ânonner que tout va bien dans le meilleur des mondes.  Tout le monde soutient, surtout en aparté, même ceux qui profitent aisément de la rente, que la situation vire au tragique. On ne cesse, au niveau du ministère de la culture, d’aligner des chiffres de pièces, de films et de livres produits sans aller au fond des choses, interroger réellement les produits dont il est question et le niveau de leur diffusion, en exposant la billetterie et le nombre de salles susceptibles d’accueillir les films qui n’ont parfois d’algériens que le nom puisque produits ailleurs. On sait qu’un film acquiert la nationalité de son producteur. Absence de salles de cinéma et de structures de cinéma, théâtres fonctionnant comme des administrations, galeries d’art trop rares…

Aujourd’hui, les festivals pullulent. Souvent sans objectifs. Comme d’ailleurs certains colloques se passant devant des salles clairsemées alors que de nombreux invités étrangers étaient conviés, totalement pris en charge. Dans de nombreux cas, des « invités » sans CV sérieux, alors que des Algériens connus et reconnus sont exclus. Est-ce une volonté délibérée de pousser les nationaux à l’exil ? Interrogation légitime. Qu’apporte un « événement » littéraire ou artistique quand il est organisé simplement pour faire une sorte de comptabilité administrative excluant le public qui ne compterait pas et qui pourrait payer sa place quand il y a un beau spectacle ? Jusqu’à présent, les festivals et les rencontres artistiques sont organisés sans une préalable définition d’une démarche cohérente et d’objectifs clairs. Des semaines culturelles, bouffeuses d’argent, trop mal conçues, ne fonctionnent que comme des chiffres comptables bons à gonfler le cahier d’activités d’un ministère de la « culture » réduit à la fonction presqu’exclusive d’organisateur de festivals. Cette singulière situation montre le peu de sérieux qui marque le territoire culturel et touristique frappé d’une sorte d’anarchie et de gabegie indéfinissables.

 A quoi sert un festival ? Quels sont ses moyens de financement ? Quels sont ses objectifs ? C’est à partir des réponses sérieuses données à ces questions qu’on envisage de mettre en œuvre la préparation d’une manifestation qui absorbe de l’argent et qui ne peut nullement être exclusivement considérée comme une opération de prestige. Cette propension à vouloir organiser des manifestations sans déterminer au préalable les champs possibles de rentabilité, symbolique et/ou matérielle ne participe nullement d’une bonne gestion de la chose publique. Cela relèverait de la dilapidation des deniers publics, pour reprendre les propos repris par El Khabar. Comment est-il possible d’organiser un festival international de cinéma dans un pays où il n’y a même pas de salles ou de structures de cinéma dissoutes dans les années 90 sans espaces de substitution ? Les instances organisatrices oublient souvent que l’argent utilisé appartient à la communauté et que le fait d’être ministre, directeur ou commissaire ne lui permet pas, en principe, d’user de son autorité, en prenant des décisions injustifiées. Les responsables devraient rendre compte de leur gestion. On se souvient de la réaction du ministère de la culture et de l’office national de la culture et de l’information (ONCI) par rapport aux artistes égyptiens et de certains journalistes, suite au match de foot Algérie-Egypte où il était dit que certains invités ne méritaient pas d’être honorés et présents. Quels sont les critères déterminant telle ou telle invitation ? La question ne devrait nullement se poser en termes de nationalité. L’Egypte et l’Algérie restent deux grands pays, ayant des ressources culturelles particulières et un certain nombre d’intellectuels autonomes, respectables. L’Egyptienne, Samiha Ayyoub s’est vu inviter à quatre reprises, avec accompagnatrice, au festival national du théâtre professionnel. Elle avait même fait le voyage, avec sa coiffeuse, frais payés par l’Algérie, Le Caire-Rome-Alger. On peut décidément tout se permettre. Des hommages sans fin à des acteurs ou à des critiques étrangers souvent peu connus, venus en touristes, ne pouvant nullement permettre à l’Algérie de redorer un blason déjà très affecté, à tel point qu’un poète libanais a vivement réagi dans « El Khabar » contre « Okadiat echi’r » organisé par l’ONCI, qui dépenserait beaucoup d’argent, selon lui,  pour inviter des poètes obscurs auxquels on accolait le nom d’un pays. Comme beaucoup de troupes de théâtre qui passent ici, ou ces « critiques » participant à des colloques sans préparation sérieuse, consommant énormément d’argent. L’Algérie a beaucoup de fric pour ce type de manifestations qui ne semblent pas profiter à une « culture » déjà agonisante.

Les différents festivals organisés, abstraction faite de la distribution des jeux de rente à des commissaires nommés, souvent au-delà de leurs responsabilités de directeurs de structures publiques, déjà appointés, donnent à voir une image peu reluisante de notre pays. Dans un catalogue de l’année de l’Algérie en France, le FLN de la guerre de libération est qualifié de repaire de terroristes. Personne n’avait réagi. Alger, capitale de la culture arabe a vu la réaction de « cadres du ministère de la culture » dans un écrit rendu public sur Internet dénonçant de graves préjudices. Le festival panafricain aurait dépassé les 150 millions d’euros. Une question légitime se pose : comment avait été dépensé l’argent public durant ces manifestations et qui en a profité ? Comment se sont opérés les invitations et la répartition des enveloppes financières ? Concrètement, qu’ont apporté ces rencontres sur les plans symbolique et matériel à notre culture ? Ont-elles profité aux Algériens, à l’université ? Les colloques ont-ils été organisés en procédant à des appels à communications, évitant par là la médiocrité et les jeux du renvoi d’ascenseur ? Toutes ces questions mériteraient des réponses précises. Parce qu’il s’agit de l’argent public. Cela aiderait à la transparence et permettrait peut-être, la rectification de certaines choses.

Actuellement, se tient un « festival international du théâtre », à Alger, procédant de la même logique rentière, avec deux présidents et un commissaire, beaucoup d’argent à dépenser, programmant quelques troupes trop peu connues que quelques uns des journalistes, parfois grassement payés par les services des festivals pour leur collaboration, foulant ainsi aux pieds l’éthique et la déontologie journalistique, n’arrêtant pas de porter au comble de la perfection tout ce qui vient de leur bailleur de fonds, sans aucun esprit critique. Nous ne pouvons parler de ces productions que nous n’avons pas eu le privilège de voir, mais Internet permet désormais de jauger le parcours de ce type de structures. Pas d’appels à communications, ni choix rationnel de troupes. Que gagneraient nos artistes dans ce type de gymnastique trop peu rentable où il est désormais une tradition qu’une pièce du co-président du festival et du TNA soit présente dans ce type de manifestations? On croirait qu’à la faveur du poste occupé par M’hamed Benguettaf, tout le monde découvre enfin les qualités de ce comédien qui s’essaye depuis longtemps, grâce à Mustapha Kateb, au jeu de l’écriture. Des hommages avaient été programmés, mais certains invités avaient refusé de cautionner ce type de rencontre trop peu sérieuse. Ariane Mnouchkine, du théâtre du Soleil, une extraordinaire femme de théâtre, l’une des plus grandes voix du théâtre d’aujourd’hui, rejette gentiment l’invitation. C’était tout à fait prévisible. Cette désastreuse situation marque tout le territoire culturel qui vogue sans aucun projet clair et cohérent.

Il serait utile de revoir le fonctionnement des entreprises culturelles et des démarches suivies jusqu’à présent par les pouvoirs publics, trop intéressés par une sorte de gymnastique de chiffres à aligner, occultant la question très actuelle du public tragiquement absent des travées de la représentation artistique et littéraire. La gestion des espaces laisse sérieusement à désirer. De véritables ouvertures au monde et à l’université, favorisant des interrogations sur la nature du théâtre à faire et promouvant une sérieuse politique, loin de ces rencontres dites pompeusement de formation organisés par certains théâtres régionaux, est à entreprendre. Ainsi, tous les métiers devraient être encouragés, permettant une meilleure connaissance d’arts vivants fonctionnant comme des machines cybernétiques, pour reprendre Roland Barthes. Faut-il continuer dans la même démarche qui fait de certains théâtres sans spectateurs payants, les lieux où se multiplient les « festivals » (un cachet pour le dirlo), où le « patron » se métamorphose en directeur de la production (un autre cachet, une première dans le monde) et où on se sucre en frais de mission intégraux ? Faut-il accepter que l’Algérie soit privée d’images après la disparition des structures publiques de cinéma ? Est-il normal de « post-produire » un film sorti deux ans avant pour l’introduire dans une manifestation ? Est-il correct d’éditer dans le cadre d’un festival des livres mal traduits, d’ailleurs  absents des librairies? Serait-il rentable de bouder la Safex pour organiser le salon du livre sous un chapiteau ?

L’Algérie a besoin d’un véritable projet culturel permettant la redécouverte du public et la définition précise d’objectifs pouvant fournir au pays la possibilité de donner à voir une autre image marquée par la mise en œuvre d’un discours et d’attitudes citoyens où l’exclusion serait bannie et la liberté de parole respectée. Ainsi, ne serait-il pas temps d’ouvrir un débat national sur les questions culturelles et de penser sérieusement au problème du public sans lequel aucune  activité artistique ou littéraire n’est crédible. Quel théâtre faire ? Quel cinéma devrait-on mettre en œuvre ? Quelle politique éditoriale est-elle possible aujourd’hui ? Comment devrions-nous encourager la peinture ? Ce sont autant d’interrogations pouvant articuler de véritables discussions mettant en scène le présent et le devenir de pratiques artistiques et littéraires vivant actuellement de sérieuses crises. Ce serait une bonne chose, au-delà de discours redondants, de récupérer des pans de notre mémoire culturelle en favorisant la mise en place de structures spécialisées. Ce travail fondamental n’est pas encore réalisé par les pouvoirs publics qui devraient s’y atteler le plus vite possible tout en redéfinissant les contours des espaces institutionnels et législatifs. Ainsi, seraient redéfinies les prérogatives des « coopératives », trop floues, parfois nées uniquement pour bénéficier de la manne des subventions accordées dans une totale opacité. Autre chose : le plagiat fait des ravages. Nos écrits et nos conférences sont l’objet de quelques actes de pirateries par quelques « critiques » qui devraient, au moins, avoir la correction de citer le nom de l’auteur.

Mais dans ce contexte chaotique, évoluent heureusement quelques belles hirondelles dans une saison trop maussade, comme ces clubs littéraires et de cinéma de Béjaia, apportant un baume au cœur, en touchant un très large public, ou des associations comme celle de Bordj Bou Arreridj, Tedj, ou ces jeunes de Sedrata qui, même enterrés dans un environnement peu amène, sont là, présents, ou ces rares journalistes, à l’instar de l’excellent Said Khatibi d’El Khabar…

   

 


 
 



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