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ENTRETIEN AVEC SALIM BACHI

Le masque de l’Histoire et les jeux de l’écriture

Par Ahmed CHENIKI

Salim Bachi est décidément un écrivain prolifique et brillant. Installé à Paris depuis de longues années, parti pour préparer une thèse de doctorat sur Malraux  qu’il abandonne vite pour entamer une carrière d’écrivain, il commence à se faire un  nom dans les sentiers de la littérature en publiant déjà cinq longs textes de fiction et un recueil de nouvelles. Cet auteur ne cesse de provoquer l’intérêt des lecteurs, par le ton libre de son écriture et la singularité des procédés utilisés. Ses romans restent marqués par une certaine écriture du désenchantement,  mêlant histoire comme récit et Histoire comme processus historique, tout en n’oubliant pas la part importante de la fiction. Certes, cette manière de faire marque la production littéraire des années 90, mais son travail s’y démarque quelque peu par des jeux de langue originaux. Son dernier roman, Le silence de Mahomet, dont le titre est quelque peu singulier, ciblant particulièrement un public précis, serait censuré en Tunisie. Un entretien avec l’auteur rencontré à Paris.

 A.C : Les responsables du salon du livre d'Alger aurait censuré votre roman, Tuez-les tous. Que vous inspire cet acte de censure?
 
Les autorités algériennes ont censuré Tuez-les tous pendant le salon. Elles avaient censuré Le chien d'Ulysse en 2001. Je peux même vous dire que Le silence de Mahomet est censuré en Tunisie où le ministère des affaires religieuses refuse de statuer sur le cas. De même qu'un article que j'ai écrit sur le Prophète pour l'hebdomadaire L'Express a été censuré dans tout le Maghreb. Ce que m'inspire tout cela? De la tristesse, du dégoût et encore une fois l'impression que rien n'avance chez nous.


A.C : La violence marque votre écriture et semble structurer votre texte. Comment justement se manifeste-t-elle au niveau de votre travail?


Ce n'est pas la violence qui marque mon écriture, ce n'est pas mon écriture qui produit la violence, c'est notre société qui est violente. La censure, par exemple, est un acte de violence fait contre la création et l'esprit humain. La guerre est une violence contre l'humain. Le terrorisme et la dictature sont des violences. Les livres, eux, rendent compte d'une réalité. Les miens rendent compte de ces réalités, rien de plus.


A.C : L'actualité dialogue avec l'histoire et la mémoire, comme si vous cherchiez, en convoquant le passé, à révéler un présent trop sombre, obscur. C'est une écriture trop désenchantée, n'est-ce pas?


J'essaye de rendre compte de mon temps, et j'essaye de le comprendre à travers son histoire qui n'est pas image que l'on peut trafiquer selon les besoins des uns et des autres. Non l'Algérie n'est pas seulement arabe, elle n'est pas seulement berbère, elle n'est pas seulement française ou romaine. Si l'on veut exalter une seule de ces virtualités historiques, l'on se trompe et l'on commet un crime mémoriel. Voilà ce que veulent dire certains de mes livres. Quant à l'aspect désenchanté de tout cela, je ne le crois pas. Mon écriture est une écriture de la douleur parfois, du tragique, mais c'est aussi une écriture de l'espoir et de l'humain. Désolé, mais je n'écris pas des romans à l'eau de rose sur la colonisation ou la guerre d'Algérie. Ni d'ailleurs sur le terrorisme.


A.C : Mythe et Histoire s'entremêlent, Cyrrtha devient une sorte d'espace-tampon qui fait voisiner personnages réels et personnages fictifs ou tirés de la mythologie grecque. Pourquoi ce mélange et cette fascination d'Athènes?


Pas de civilisation sans Athènes, voilà pourquoi. Les Abbassides avaient compris cela en leur temps. Sommes-nous plus intelligents que Haroune al-Rashid, que les Romains, que les Numides et toute une partie du monde antique? Je ne le crois pas. Il faut lires les philosophes grecs, il faut lire les tragiques grecs et peut-être en tirerons-nous quelque chose de bons pour notre pays.


A.C : La présence obsédante de l'actualité ne te contraint-elle pas à opter pour une écriture réaliste? Nous serions ainsi en présence d'un discours contraint.
Non, rien de contraint dans mes livres sinon vous ne parleriez pas d'Athènes ni de Cyrtha ni de la part de l'Histoire et du Mythe dans livres. Je laisse la contrainte aux faiseurs de mauvaise littérature.


A.C : Les lieux de l'identité caractérisent également votre discours à tel point que vous avez intitulé un de vos textes "La Kahéna"? Ce thème n'est-il pas trop usité dans les pays anciennement colonisés?


La kahéna était une reine berbère, juive, qui a lutté contre la conquête arabe au 7ème siècle. Elle a existé, elle a vécu dans les Aurès. La Kahéna n'est pas une insulte que je sache. Pourquoi ne pas intituler un de mes romans, "La Kahéna"? Et si vous voulez savoir je ne me considère pas comme le citoyen d'un pays anciennement colonisé. Je suis né en 1971 et l'Algérie était un pays libre. Quant à la pertinence de ce choix littéraire, je ne suis pas un universitaire et je n'ai pas grand-chose à dire à ce sujet. J'écris les livres qu'il me plaît d'écrire et qu'il m'aurait plu de lire. Voilà tout. Le reste est littérature.


A.C : La littérature des années 90 privilégie essentiellement le thème de la violence en prenant comme cadre d'expression l'Algérie, à tel point qu'on a vite parlé de "fonds de commerce" et d'usage à des fins commerciales de la tragédie algérienne. Qu'en dites-vous?


Pas grand chose. Je ne suis pas riche, c'est certain. Je n'ai pas dû ouvrir la bonne épicerie! La prochaine fois, je prospecterai dans le pétrole, c'est plus sûr!


A.C : Dans beaucoup de textes maghrébins, la présence de Kateb Yacine est trop prégnante. Cela n'exclut pas l'intrusion d' emprunts implicites, parfois clairs, d' auteurs comme Faulkner, Joyce ou même Malraux. Qu'en pensez-vous?


La littérature réécrit la littérature. Proust ne parle que des Mille et une nuits, de Saint-Simon, de Montaigne et des classiques français. Pauvre Proust, aurions-nous dit si nous nous étions placés que du côté de l'emprunt pour le juger!


A.C : Que peut la littérature dans un pays comme l'Algérie?


Si je n'avais pas été censuré, j'aurais répondu par un pas grand-chose. Mais comme elle semble déranger certaines personnes, c'est sans doute qu'elle a son efficacité, qu'elle n'est pas anodine, qu'elle peut être révolutionnaire. Je l'avais oublié. La littérature peut changer le monde ou pour le moins déranger beaucoup de monde. C'est merveilleux!


A.C : Pour qui écrit un écrivain algérien vivant en France, édité en France?
Pour ces amis, d'où qu'ils viennent.

                                                     Entretien réalisé par Ahmed CHENIKI


 


 
 



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