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Sur l’expérience du Piccolo Teatro de Milan

 Par Sergio ESCOBAR, Directeur du Piccolo Teatro de Milan

 J’entretiens depuis très longtemps des relations très étroites d’amitié et de coopération avec le théâtre algérien. Aujourd’hui, me lie également à vous cette volonté manifeste d’explorer la tradition théâtrale et de mettre en œuvre une histoire de votre théâtre. Encore une fois, je regrette très vivement de ne pas être présent, éprouvant un chagrin et une frustration très sincères.

Je crois qu'il est possible que des informations sur la nature du Piccolo et donc de son histoire puissent vous intéresser. Le Piccolo représente un cas paradoxalement anomal dans l'histoire et atypique dans l’histoire du théâtre italien et européen. Le Piccolo fêtera l'an prochain en 2007 60 ans d'histoire qui incarnent sans doute 60 ans de faits, de luttes et d’expériences d'hommes, de femmes, de tant d'auteurs et de tant d'émotions. Ce sont surtout 60 ans marqués par une idée forte : l'idée de  construire un théâtre public stable. Cette idée, avant être une formule juridique régissant ce théâtre ayant des objectifs et une fonction de service public, et apportant une attention particulière à la qualité artistique, est une grande idée, une grande utopie qui, pendant 60 ans a fait bouger ce théâtre charriant des résultats positifs.

Le slogan initial esquissé par George Strehler et Paolo Gras est essentiellement marqué par le désir de construire et de réaliser en 1947 ce théâtre, travaillant sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale, et de mettre en œuvre un théâtre public stable obéissant à cette idée-maîtresse : le théâtre d’art pour tous. C’est un slogan fondamental, primordial. Cette idée, certes paradoxale, semble, au premier abord, antinomique, charriant une sorte de contradiction, d’autant plus que les gens sont souvent convaincus que le théâtre d'art, le théâtre de grande qualité, ne pourrait être élaboré et réalisé que pour un public qualifié, serré et élitaire. La grande utopie, qui par contre est devenue une grande réalité, est que le beau doit, peut être partagé par tous. Ce qui  a permis d’approcher des auteurs avec des interprétations, des mises en scène singulières, avec l’emploi novateur de lumières et de  musique. Strehler et d’autres grands réalisateurs ont fait en sorte que cette utopie n'était pas seulement dirigée par un  projet politique, ni éloignée de la qualité esthétique du théâtre, mais ils ont permis que cette utopie trouvât une splendide fusion entre une vision correcte de gestion économique du théâtre, fonctionnant presque comme une entreprise, et une efficacité mise au service de cette grande idée qui était considérée comme inacceptable, impossible et contre nature, proclamant que les choses extraordinaires comme le théâtre sont réservées exclusivement à quelques bandes sociales et n'étaient pas à disposition de tous.

Évidemment, 60 ans sont passés, 60 ans marqués surtout par de grandes parcours artistiques, comme les textes-témoins de Brecht et de Goldoni,  mis en scène par Strehler. Nous célébrerons, certes, les 60 ans de la vie du Piccolo, mais également le trois centième anniversaire de Carlo Goldoni, comme, cette année sera aussi marquée par le dixième anniversaire de Strehler et le soixantième de vie de l’Arlequin, serviteur de deux maîtres, texte que nous avons joué à Alger et qui n'a jamais cessé de tourner dans le monde, affirmant que la spécificité de la langue n'est pas une limite, mais une grande force du théâtre. L'idéal du théâtre pour tous qui a caractérisé ces 60 ans, a été réinterprétée et  liée à une double considération : 1) la première est que le théâtre d'art n'est pas réalisable sans la présence d’ une forte équipe du théâtre, très soudée et très solidaire, avec la présence certaine certainement d’un grand réalisateur, réalisant la transmission de la même façon de sentir de la part du réalisateur à l’équipe chargée de la confection des costumes, la scénographie, l’éclairagiste. Une idée  centrale devrait marquer et contaminer toute l’équipe, s’étendant également au public 2) la seconde idée est que le concept de "tous" a changé. Au début, dans les premières années de l'après-guerre, le théâtre touchait les ouvriers, les employés, les femmes, les jeunes, les vieux.. Maintenant "tous" coïncide avec les citoyens du monde, des citoyens qui n’ont pas renoncé à leurs racines, mais qui désirent faire un voyage pas seulement physique dans les cultures.

Aujourd'hui, on parle de l'époque de la mobilité et de la flexibilité, non pas au sens physique, mais de la mobilité des idées. Et le théâtre est un moyen formidable de voyage entre les idées, les différences. Les mots prononcés peuvent diverger mais  finissent par s’unir et s’unifier dans les sentiments. C’est la raison pour laquelle aujourd'hui nous voyageons partout, nous recevons, ou plutôt, nous partageons les grandes et petites traditions théâtrales, mais surtout c’est la raison pour laquelle dans les dernières années, nous avons ouvert un véritable pont, pas seulement bureaucratique et officiel, avec les Pays de la Méditerranée et en particulier avec le vôtre. Ne pensez pas, cependant, que ce soit facile, que tout est "rose et fleurs" comme nous disons en Italie. La fatigue de 16 ou 17 heures de travail quotidien, se muant en joie dans le travail théâtral, engendre un progressif détachement, dans toute Europe, de la part de la politique à ces grands idéaux qui, par contre, unissent les personnes et les gens, qui donnent à voir et à vivre des relations vraies. Notre entreprise est une machine très complexe. Nous réalisons annuellement environ 900 spectacles. Nous tournons partout. Nous avons un budget très important, dépassant les 20 millions d'euros. La moitié de ce budget provient de nos activités, de nos billets, des parrainages et des abonnements. C’est un record pour un théâtre public, en Italie et en Europe.

Nous souffrons cependant toujours de la précarité, d’un déficit législatif et même d'investissement économique de l'État. Je ne sais pas si mes mots arrivent dans un contexte fermente de croissance très fort ou s'ils arrivent à être compris dans leur sens le plus juste. Peut-être devant les chiffres que je vous ai communiqués, vous penserez que nous sommes un théâtre riche et puissant. En réalité, plus le budget d'un théâtre comme le nôtre est grand, plus la fatigue, la difficulté et la lassitude pour réaliser un équilibre entre le service public et une gestion d'entreprise correcte est grande. Notre théâtre a la forme juridique d’une Fondation ; donc il est constitué d'associés fondateurs comme la Commune de Milan, la Région Lombardie et la Province. Donc, l'Etat finance nôtre travail. De plus, nous avons même des rapports avec la Chambre de Commerce et avec d’autres institutions. Cette formule juridique nous donne une certaine liberté de gestion, une liberté conquise avant tout en défendant la valeur et l'autonomie du théâtre. Cette formule a cependant induit les derniers gouvernements que nous avons eus en Italie à penser à une sorte de privatisation du théâtre. Et à la question que je me pose et qui tourne dans mon esprit: "Quelle elle est la difficulté majeure que je rencontre maintenant?", je réponds : faire mon métier au mieux et chercher à convaincre les gouvernements politiques que la culture n’est pas une activité complémentaire du développement global d'un pays, mais c’est une structure fondatrice des relations internes d'un pays et des relations ouvertes avec le monde.

Rien ne peut définir cette capacité de créer ces relations que le musicien Pierre Boulez les considérant  "improbables, mais des redditions inévitables de la culture". Nous croyons dans ces mots. Je ne sais pas si vous vous attendiez à ces mots venant de moi ou à quelque chose de différent, mais je pense qu’il est  juste que je vous dise ceci : l'image d'un théâtre important, officiellement "Théâtre de'Europe" est d’être ouvert à la Chine, à l'Amérique et à la Méditerranée. C’est une espèce de paradoxe : le théâtre est une faiblesse parce qu'il est un objet délicat qui ne peut pas être employé par la politique et il ne peut pas être assujetti à des pouvoirs, mais en même temps c’est une force parce qu'il traverse les temps, les peurs, les angoisses et engendre des relations et des émotions communes extraordinaires. C’est ce que je voulais dire du Petit Théâtre. Cheniki, cher ami, même si nous n'avons pas eu encore l’opportunité de nous rencontrer, j'espère que la rencontre arrivera vite. Ce sont justement ces raisons de curiosité et de tentatives de compréhension qui nous nous ont poussées à réaliser le projet Dionys, auquel avez adhéré. Vous nous fournissez un précieux support avec le matériel qui est aujourd’hui en ligne. Dionys évoque le théâtre et l'envie de créer des ponts entre les différences, en retenant que la multiethnicité , le multilinguisme, la multi culturalité  soient semblable à la tolérance : ils n'ont pas beaucoup de perspectives. Nous, et vous qui avez adhéré à ce projet, avons une utopie plus grande : celle que chacun, dans son histoire, conçoit l'identité comme un récit, comme un voyage dans les différences. Dionys est exactement celui-ci. Alors je me permets de t'appeler "cher ami" parce que tu as partagé avec nous ce voyage et aux copains de voyages il se donne toujours du toi.

 

 

 


 



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