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                               Les jeux intéressés du discours sur le terrorisme

 

Dès qu’un événement tragique ou un attentat a lieu dans un pays quelconque, le coupable est vite désigné, c’est l’Arabe ou le Musulman. D’ailleurs, la littérature et le cinéma se gargarisent depuis plus de deux décennies de l’image de l’Arabe terroriste qui brûle et tue tout ce qu’il rencontre sur son passage. On se souvient de l’attentat d’Oklohoma City en avril 1995 qui a vu l’écrasante majorité des médias et des « spécialistes » occidentaux tirer sur l’Arabe traité de tous les maux de la terre. CBS, Washington Post, Le Monde, Der Spiegel et bien d’autres titres de la presse n’avaient pas hésité à donner à voir le coupable idéal avant que les autorités américaines n’arrêtent un vétéran de la guerre du Golfe militant d’extrême droite.

Tous les textes sur le terrorisme élaborés ces dernières années prennent comme modèle l’Arabe ou le Musulman qui devient vite suspect dès qu’il pose son pied dans un pays « occidental » sans compter ceux qui y résident qui se trouvent, malgré eux, fichés et souvent lieux de suspicion. Cet intérêt soudain porté sur le « Monde arabe » et « musulman » est symptomatique d’une sorte de paranoïa tragique engendrant souvent quiproquos, malentendus et méprises. Jusqu’à présent, ce mot de terrorisme reste extrêmement imprécis et sujet à de multiples interprétations. Ce n’est pas sans raison que lors des réunions sur la question du terrorisme, de sérieux désaccords émaillent ces rencontres qui ne réussissent pas à apporter une définition claire de cette notion. D’ailleurs, la chose est extrêmement difficile, sinon impossible, connaissant les désirs et la propension de certains conservateurs « occidentaux »qui proposent une définition réductrice de ce terme incluant la résistance palestinienne à l’occupation israélienne.

Ce terme de terrorisme qui est récent puisqu’il n’a vu le jour qu’en 1798 dans le Supplément du Dictionnaire de l’Académie française après les massacres qui ont caractérisé la Révolution de 1789 et plus particulièrement en 1793 et 1794 avec la chute de Robespierre, est aujourd’hui utilisé en fonction des intérêts et des rapports de forces idéologiques et politiques. La définition de ce mot pose un sérieux problème, d’autant plus qu’il subit continuellement au gré des circonstances et des conjonctures historiques des glissements sémantiques et des variations idéologiques. Ainsi, comme tout terme, il est arbitraire et fortement connoté idéologiquement et politiquement.

Le contexte et les forces dominantes contribuent à la mise en circulation d’un sens et d’un contenu correspondant au discours dominant sur le plan national et international. Selon un sociologue américain Walter Laqueur, cité par Serge Halimi dans «Le Monde Diplomatique », environ 110 définitions différentes de ce mot ont été proposées entre 1936 et 1981. Ce flou ou cette inflation définitoire est l’expression de profonds désaccords et d’une constante instrumentation d’un mot qui puise son sens dans le terrain idéologique et sociologique. Le grand linguiste américain, Noam Chomsky a raison de parler d’ambiguïté et d’ambivalence dans un de ses ouvrages, « Les dessous de l’Oncle Sam » : « Une caractéristique des termes du discours politique, c’est qu’ils sont généralement à double sens. L’un est le sens que l’on trouve dans le dictionnaire, et l’autre est un sens dont la fonction est de servir le pouvoir- c’est le sens doctrinal.(…) Pour arriver à comprendre le discours politique, il est nécessaire de lui adjoindre une traduction qui décode le message à double sens es médias, des professeurs de sciences sociales du milieu universitaire t des gourous du monde profane. La fonction de ce discours est très claire : il s’agit qu’il devienne impossible de trouver des mots pour parler de façon cohérente de sujets qui intéressent les humains ».

L’ambiguïté est donc le propre du discours politique. Cette situation permet de mettre en œuvre sa propre solution d’ailleurs théoriquement déterminée par sa définition trop flasque de termes dont le sens est porté et produit par le contexte. Il n’est nullement étonnant de voir les ministres et des ambassadeurs à l’ONU par exemple se chamailler autour d’un mot dont la définition correspondant à des contingences idéologiques est suggérée de l’extérieur des salles des réunions. Le mot est le lieu privilégié du dévoilement des postures idéologiques et des positions politiques. A travers le choix de définitions lors de ces réunions, on a compris les différentes oppositions traversant les pays du monde. L’analyse de l’histoire de ce mot et de ses définitions successives nous permet de comprendre les glissements et les profondes mutations subis par les différents pays, notamment par rapport à la question palestinienne. Dans l’un des sommets arabes de ces dernières années, les dirigeants ont considéré la résistance palestinienne comme une « forme de terrorisme ». D’ailleurs, même en Palestine, c’est autour de la définition de ce mot que Arafat et Abou Mazen, alors premier ministre ne s’étaient pas entendus.

La bataille autour de ce terme cache de grands choix politiques et idéologiques. La Syrie dont une partie de ses territoires est encore occupée ne pouvait logiquement souscrire à cette logique qui fait d’elle un « paria », un « Etat terroriste » faisant partie de l’ « axe du mal ». Mais l’étiquette de terroriste peut apparaître ou disparaître en fonction des conjonctures politiques. Yasser Arafat qui connut l’accusation de « terrorisme » durant toute une longue période de son combat la voit disparaître à un moment donné surtout après les accords d’Oslo et redevient « terroriste » quand il refuse de s’attaquer au Hamas. C’est le cas aussi de ceux qu’on affublait du nom de « moudjahiddine » afghans qui, de résistants vont occuper par la suite le siège de « terroristes » et de l’IRA qui devient fréquentable après avoir été longtemps classé dans le bréviaire des organisations terroristes. Dans ces conditions, on fait souvent appel à un langage métaphysique  et essentialiste nourrissant toute une paranoïa qui engendre inéluctablement des conduites trop peu rationnelles. La recherche de l’ennemi va caractériser et investir l’imaginaire.  

L’absence d’une définition consensuelle renforce l’idée d’étrangeté et d’hostilité. Les choses sont très complexes. Il n’est nullement simple de trouver une définition pouvant satisfaire toutes les parties dans un monde traversé par les guerres, les mouvements de guérilla et de contestation, la montée de l’extrême droite et du fascisme. Devrait-on mettre sur le même pied d’égalité la violence contre les écoles, les civils, les lieux de culte, les intellectuels et la résistance à une occupation étrangère. Après la Libération en France, le nouveau régime a élaboré des lois légitimant la résistance. En Algérie, le FLN et les militants algériens qui étaient traités de « terroristes » par le gouvernement colonial vont retrouver le titre de « résistants » et de partenaires normaux désormais reconnus par leurs ennemis du passé. Même les textes de l’ONU reconnaissent le droit légitime de recourir à la lutte armée en cas d’occupation étrangère, de dictature ou de régime raciste et fasciste.

Il demeure vrai que la question lancinante et trop délicate de la définition du terme de terrorisme est encore en suspens. Ce qui ne facilite pas les choses ni permet des rencontres possibles dans la mise en œuvre d’une politique commune pouvant prémunir le monde des nombreux glissements et dérapages. Le Palestinien Edward Said insiste lourdement sur l’absence de définition d’un mot qui ne laisse pas indifférent et qui engendre souvent désaccords, incompréhensions et malentendus. Il écrit ceci à l’écrivain japonais, Kenzaburo Oe, Prix Nobel de littérature : « Comme vous le remarquez si justement, personne n’a proposé de définition pertinente du “terrorisme” alors même que le monde entier, y compris le Japon, semble mobilisé pour lutter contre lui. Vers le milieu des années 70, les Nations unies ont passé plusieurs années à débattre du sens de ce terme sans pouvoir trouver une définition commune suffisamment large. Le problème est que, lorsqu’on l’utilise de façon approximative, comme un concept servant simplement à identifier ce qu?on n’aime pas, une mauvaise action ou un ennemi officiel, le terme « terrorisme » peut aussi recouvrir un acte de résistance ou de désespoir provoqué par une prépondérance de pouvoir qui est à la fois inconsidérée et destructrice. Je reconnais que ce que Ben Laden a fait, et que ses disciples préconisent, relève du terrorisme, car ils appellent au massacre aveugle d’innocents et à une division fallacieuse et artificielle du monde en amis et ennemis de leur cause. Quelle tristesse et quelle méprise, non seulement à l’égard de l’islam mais aussi de la complexité de l’histoire humaine ! Mais la plus grande erreur à mon sens est d’utiliser le mot « terrorisme » de manière uniforme (ainsi que le fait le général Sharon) à chaque fois que les Palestiniens ripostent contre Israël. En proclamant, comme Sharon et Bush ne cessent de le faire, que les attentats suicides des Palestiniens sont des actes de terrorisme ? je les trouve moi-même inacceptables, et en demandant que Yasser Arafat mette un terme à la violence palestinienne, on perd totalement de vue le contexte, à savoir l’occupation militaire illégale qu’Israël exerce sur le territoire palestinien depuis trente-cinq ans, la période la plus longue dans l’histoire moderne (avec l’occupation de la Corée par le Japon entre 1910 et 1945). ».

Ce long extrait du grand penseur palestinien, auteur notamment de « L’Orientalisme » et de « Culture et impérialisme » renseigne sur la difficulté de définir un terme aussi marqué idéologiquement comme il renseigne sur la frontière parfois trop mince séparant résistance et terrorisme. Comment est-il possible dans certains cas de faire la distinction entre une lutte de libération nationale et le terrorisme ? La réalité est complexe parce qu’elle pose une question résolument complexe et incite à régler le problème, dans de nombreux cas, en recourant à des solutions politiques. Mais les choses restent encore floues. Alain Joxe, directeur d’études à l’école des hautes études en sciences sociales apporte un éclairage particulier : « Si on doit désigner sous le même vocable toutes les activités politiques ayant recours aux violences extrêmes, le terrorisme cesse d'être un concept utile à l'analyse stratégique car il recouvre toutes les actions de force, lesquelles visent toujours à terroriser. En revanche, le mot "terrorisme" a eu une grande utilité pour manipuler les opinions. Durant la guerre froide, il s'agissait de discréditer comme terroriste le mouvement des guérillas de libération nationale ou, plus tard, ceux de "deuxième libération nationale", aidés par l'URSS. Aujourd'hui, la bipolarité a disparu et les violences locales paraissent être l'effet - ou la substance même - du système unique de l'empire universel du marché sous l'égide des Etats-Unis. Convaincues par l'usage constant du mot terrorisme que le monde entre dans une phase de désordre généralisée, les opinions publiques placent leurs espoirs d'ordre, à défaut de bien-être et d'emploi, dans la protection sécuritaire, promise par les gouvernements (dans l'optique française) ou par le leadership des Etats-Unis (dans l'optique d'outre-Atlantique) ».

Il se trouve que le terrorisme d’Etat est aussi destructeur que celui des violences groupusculaires. Régulièrement, le monde assiste à la destruction de maisons palestiniennes, de bombardements continus et d’assassinats ciblés. Dans ces situations, on ne peut en aucune manière supposer la présence d’un terroriste-type parce que tout simplement ce sont les conditions politiques et sociales qui engendrent une certaine violence. C’est le détenteur du pouvoir qui, souvent, qualifie ses adversaires de « terroristes » et légifère pour mettre en place un dispositif de lute anti-terroriste censé éradiquer le phénomène. Aussi a t-on renforcé les pouvoirs de la police, restreint les droits à la défense et étendu la détention provisoire. Ces dernières années, les restrictions des libertés sont monnaie courante.

Si la question de la définition n’est pas encore réglée, continuant à obéir aux différents rapports de forces régissant les relations internationales, la représentation artistique et littéraire qui aborde ce sujet depuis longtemps semble ne pas avoir de problème de ce côté dans la mesure où les personnages des romans, des pièces et des films se caractérisent par l’adoption de positions tranchées, mais l’hésitation marque quelquefois la mise en pratique du passage à l’acte. Zola, Dostoïevski, Malraux, Cortazar, Camus, Sartre, Nizan et bien d’autres écrivains et cinéastes ont décrit dans leurs œuvres des personnages de terroristes. Des cinéastes comme Rossellini (Rome ville ouverte), Costa Gavras (Section spéciale), Gillo Pontecorvo (La bataille d’Alger) et Di Bosio (Le terroriste) présentent des « terroristes » militant pour une cause juste. L’actuel directeur du Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet fait une analyse fine et pertinente de la place du thème du terrorisme dans le cinéma : « Durant des décennies, toute une tradition cinématographique a donc flatté la pratique du terrorisme, le goût de l'attentat; ces films glorifient la politique comme technique de meurtre et justifient l'action terroriste comme philosophie politique parce qu'elle est le dernier recours de l'individu contre une société où il lui est devenu impossible de vivre. C'est en Allemagne aussi que les films les plus intelligents ont été réalisés sur toutes les questions que le terrorisme soulève dans une démocratie occidentale. Dans l'Honneur perdu de Katarina Blum, de Volker Schlöndorff, ainsi que dans le Second Éveil, de Margareth Von Trotta, ou dans le Couteau dans la tête, de Reinhard Hauff, les auteurs montrent comment une société peut engendrer des terroristes afin de mieux justifier sa propre terreur collective; ils dénoncent le rôle des médias, qui, par goût du scandale, poussent à la haine irrationnelle et même au lynchage».

Jusqu’à présent, le terme « terrorisme » reste otage des multiples instrumentations politiques et idéologiques.

                   

                                                                       AHMED CHENIKI

 

 


 
 



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