Google
Recherche WWW Recherche sur Votre site
Feed 

Les formes de théâtre populaire chez Kateb Yacine

Le cas de La Poudre d’intelligence

 

Par Dalila Mekki, Maître de conférences, Université de Annaba

 

       Quand on lit La Poudre d’intelligence de Kateb Yacine, on retrouve aisément les contes de D’ha à partir desquels l’auteur a construit sa pièce, en opérant un montage qui les porte sur un fil de continuité et réactive leurs significations.

       En oeuvrant ainsi, Kateb inscrit d’emblée sa première pièce satirique dans une conception de théâtre populaire qu’il va largement exploiter par la suite : soit un théâtre qui s’inspire fortement du patrimoine expressif populaire.

      Des contes oraux de D’jha, son matériau d’écriture, aux expressions théâtrales proprement dites, signalées ou suggérées par les indications scéniques du texte, tout un pan d’histoire culturelle se dit. Kateb Yacine a puisé dans l’histoire des formes de théâtre populaire pour réactualiser le théâtre de marionnettes, le théâtre d’ombres de la halqa.

       Mise à part la halqa qui est bien enracinée dans notre terroir, les autres expressions sont soit tombées dans l’oubli à l’instar du théâtre d’ombres, soiot empruntées au patrimoine universel. Ces formes ne se retrouvent pas tout au long du texte théâtral. Elles en sont pourtant partie intégrante. Qu’elles soient présentées comme virtualité de mise en scène ou clairement citées, leur rôle est toujours important car ce sont elles qui permettent de percevoir que la scène se dédouble parfois et que deux espaces théâtraux sont emboîtés : un espace ancien, que les formes expressives populaires reprises mettent au jour, et un espace contemporain animé par des personnages à dimension humaine, les mêmes tenant un rôle et un autre.

       Précisons que les indications scéniques du texte de La Poudre d’intelligence ne mentionnent pas l’usage d’un théâtre de marionnettes avec castelets manipulateurs, figurines ou marionnettes à fils ou à gaine…Non. C’est le décor ou la gestuelle, le verbe et les mimiques des personnages, ou encore les situations qui signalent la présence inattendue d’un théâtre de marionnettes référentiel qui télescope l’autre scène.

       Kateb réemploie tour à tour le théâtre d’ombres d’héritage turc, Garagouz ; le guignol qui est d’origine lyonnaise et les automates. Et c’est par un clin d’œil au théâtre d’ombres qui se pratiquait autrefois en Algérie (jusqu’en 1843) que la pièce commence( dès la première indication scénique de la première scène).

-Le théâtre d’ombres

       La scène d’ouverture de La Poudre d’intelligence représente deux personnages, dont l’un veille à la lumière d’une bougie. Le fond de la scène a pour décor :  « deux arbres et un pan de mur qui fait écran ». Nous avons là les éléments constitutifs du théâtre d’ombres : écran, bougie et deux « marionnettes » de grandeur humaine discourant.

       Les signes de l’existence d’un autre théâtre, de marionnettes en l’occurrence, au sein de la grande scène de théâtre, et ce, dès le début de La Poudre d’intelligence indiquent que l’espace scénique de toute la pièce peut être saisi comme oscillant entre espace perceptible et espace sous-jacent. La référence au théâtre ancien permet de réfléchir celui du présent.

       D’autres donnés du texte confortent l’hypothèse que notre cas de figure est celui du « théâtre dans le théâtre ». Si nous nous penchons sur le scénario, les thèmes, nous constatons en effet qu’il existe une analogie certaine entre les canevas du théâtre de Garagouz  et certains passages de La Poudtre d’intelligence. Par exemple, le même thème de « la mort-résurrection » est exploité chez Kateb et dans le théâtre du Garagouz, de surcroît.

       Nous pensons que l’insertion par Kateb Yacine du théâtre d’ombres dans la grande scène de théâtre fait reconsidérer les manifestations humaines, comme si les ombres mettaient en relief les notions de jeu et d’illusion. Leur théâtre crée la distance avec ce qui est représenté, en l’éclairant d’un autre point de regard.

-Les automates

       Page 76, un groupe de personnages, le chœur, occupe le devant de la scène. Il « se divise en deux parties, et se met à déambuler, une partie du chœur saluant l’autre, et répondant à son salut, indéfiniment ». Le chœur dédoublé mime un mouvement de salut semblable à celui de l’automate. La division du chœur a un effet d’amplification de son nombre, et la répétition de son mouvement mécanique procède de la caricature. Le groupe reproduit une scène de civilité par le salut profond mais l’acentue jusqu’à en faire une parodie.

       L’attitude cassée de l’automate, celle ralentie de la promenade des personnages déambulant sur scène, trouvent un équilibre de balancier entre deux tensions différentes, entre la forme animée et l’autonomie du corps vivant. Le chœur-marionnette joue avec la distance, la dislocation et le changement de statut. Le jeu de l’automate sur la vie et la non-vie fait également partie des procédés théâtraux de « distanciation » que Kateb Yacine emploie.

-Le guignol

       Une fin de scène de La Poudre d’intelligence, page 79, assimile soudainement un des personnages, Nuage de fumée, à une marionnette. Nuage de fumée, exaspéré, chasse à coups de bâton son partenaire scénique. C’est un geste final typique des spectacles de Guignol. Ajoutons que ce geste de la bastonnade qu’accompagne un langage caractérisé par sa tendance à éclater en sons et en mots ne ponctue pas les scènes de Guignol uniquement, le théâtre de Garagouz également. Nous pensons que ces deux théâtres sont pris en charge dans cette scène. C’est l’usage simultané des deux langues arabe et française dans ce passage (à l’exclusion du reste de la pièce) qui nous l’indique.

       Par delà le double référent linguistique, deux univers culturels sont interpellés. Ils font se télescoper deux types différents de marionnettes. Ce travail de synthèse théâtrale contamine jusqu’au personnage assimilé à la marionnette qui prend à son compte la liberté et la fantaisie gestuelle et verbale de celle-ci.

       Le théâtre de marionnettes n’est pas une simple citation dans le théâtre de Kateb, il y est intégré pour proposer une lecture au second degré des codes de représentation.

 

                                                                                D.MEKKI

                                                                               Universitaire

 

 

 


 
 



Créer un site
Créer un site