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KATEB YACINE ET LES TENTATIVES DE LE DEPOSSEDER DE SON ŒUVRE
 
PAR AHMED CHENIKI

Décidément, notre ami Mohamed Kali veut à tout prix s’attaquer à Kateb Yacine considéré comme quelqu’un qui ne s’y connait pas en mise en scène et qui n’a fait exclusivement que reprendre ce que faisaient ses collaborateurs (lire El Watan d’aujourd’hui, samedi, rubrique « Arts et Lettres »). Il aurait été intéressant pour ce journaliste d’interroger le travail de l’auteur de la poudre d’intelligence et ne pas prendre comme source exclusive la parole de Kaddour Naimi, quelqu’un qui, certes, a contribué à développer un discours singulier au « Théâtre de la mer », mais qui, a quitté la scène théâtrale depuis son départ à l’étranger en 1973. Parler d’ « exil », comme le fait très rapidement Kali prête à sourire dans la mesure où il a lui-même choisi de vivre ailleurs. C’est son choix libre et responsable, pour paraphraser Jean-Paul Sartre. La question n’est pas là, mais dans le fait de vouloir à tout prix opposer Naimi à Kateb et faire du second quelqu’un qui est totalement redevable à Naimi. Ce qui est une grave forfaiture.
Arrêtons d’insulter sans aucun argument sérieux, en empruntant des sentiers trop peu rigoureux et imprécis. Observons point par point cet article paru ce samedi dans la page « Arts et lettres » d’El watan :
1-Kaddour Naimi a, comme je viens de le dire, apporté quelque chose  au théâtre pendant une courte durée (1969-1972), puis après son choix de partir à l’étranger, il aurait rompu avec la chose théâtrale. Mais il faudrait dire que son court passage dans les dédales du théâtre en Algérie était intéressant. Voici ce que j’écrivais à propos de cette troupe en 1990 :      
« Née au départ à Oran avant de s’installer à Alger, en 1969, sous la direction d’un animateur connu à Alger, aujourd’hui installé en Europe, Kaddour Naimi, Théâtre de la mer qui privilégiait la création collective, abordait souvent des questions politiques dans ses pièces. « La fourmi et l’éléphant », montée en 1969, traitait du travail en profondeur devant être réalisé pour changer les choses et mettait en situation la lutte des couches défavorisées de la société. Kateb Yacine, de retour en Algérie, fut sérieusement séduit par cette troupe. Il en fera d’ailleurs partie dès 1969 où il proposera une pièce sur l’émigration. Ce sera Mohamed prends ta valise qui connut à l’époque un extraordinaire succès populaire. En 1972, la troupe qui comptait dix-sept personnes fit un séjour triomphal en France et présenta Mohamed prends ta valise en milieu émigré. La troupe se produisait tous les jours, sauf le lundi (parfois deux représentations par jour) dans différents lieux : théâtres, MJC, lieux de travail. Plus de 70 000 personnes assistèrent à la pièce. La tournée organisée, grâce à l’active collaboration du Théâtre des Amandiers, permit aux émigrés de découvrir l’art scénique algérien et de retrouver posés sur scène leurs propres problèmes, à travers l’itinéraire de Mohamed et des facéties de Djeha réactualisées par Kateb Yacine, lui-même séduit par la portée magique de l’usage de l’arabe populaire. Plus de 120 représentations.
       La troupe était subventionnée par le Ministère algérien du Travail et des Affaires Sociales. ». Je soulignais également dans d’autres passages son apport au niveau esthétique et artistique. D’autres chercheurs comme la russe Botitcheva, Baffet, Elias et bien d’autres chercheurs ont parlé de la courte expérience de Naimi.
Naimi a le droit d’apporter sa version, mais le journaliste aurait dû, comme le veut le métier, prendre ses distances avec son objet tout en confrontant les propos de l’auteur interviewé avec d’autres sources. Les jugements hâtifs, le recours à l’impersonnel et aux affirmations imprécises et péremptoires ne peuvent, en aucune manière, remplacer le travail sérieux d’investigation ou susciter un vrai débat.
2-    Le théâtre de Kateb Yacine : Je ne sais si Mohamed Kali a lu tous les textes de Kateb Yacine. S’il avait fait, il aurait compris que les textes des années 70 (Mohamed prends ta valise, La guerre de 2000 ans, Palestine trahie, Saout ennissa, Le roi de l’Ouest) reprenaient l’architecture de La poudre d’intelligence (éditée en 1959 dans la suite tétralogique, Le cercle des représailles, Le Seuil). Kateb Yacine n’a jamais oublié de dire que Naimi a été d’un grand apport à la troupe. D’ailleurs, il a conservé son nom sur l’affiche lors de la tournée en France de Mohamed, prends ta valise. Mais tout connaisseur de l’œuvre littéraire et théâtrale de Kateb Yacine connait l’importance d’hommes comme Serreau qui l’a familiarisé avec Brecht et Gatti qui lui a insufflé la manière de faire du théâtre un moyen de combat politique et idéologique. Comme pour tout homme de théâtre, on ne peut, en aucun cas, exclure les emprunts extérieurs qui ont contribué à faire de l’expérience katébienne une voie théâtrale salutaire.
Je ne cherche nullement à défendre le travail de Kateb, son œuvre est là, présente, malgré sa mort physique.
 
3-Le théâtre de Bejaia a permis à Kaddour Naimi de monter une pièce qui n’a pas été bien accueillie par de nombreux hommes de théâtre. Ils ont le droit de ne pas aimer une pièce de théâtre. Liberté de création, liberté de critique, l’une ne va sans l’autre. Faut-il imposer à tout le monde d’aimer tel ou tel produit, faute de quoi vous seriez un comploteur ? Soyons sérieux ! La pièce que je n’ai pas vue (je m’interdirais de parler de sa qualité) aurait coûté entre 600 millions et 700 millions de centimes. Est-ce censurer quelqu’un que de lui permettre de monter une pièce ? Comme on disait à l’époque à propos de Kateb Yacine qu’on l’avait exilé à Bel Abbès alors que le ministère de la culture de l’époque lui avait donné un théâtre à diriger, dans lequel il pouvait entreprendre ses expériences. Il y aurait eu, selon le journaliste, une cabale après la mise en scène de Lahnana ya ouled. Ridicule! Je ne défends personne, moi-même, je me refuse de participer à des manifestations officielles sous l’égide du ministère de la culture. J’essaie d’être un libre penseur.
 
4-    Le journaliste, l’imprécision et les moulins à vent : Kali emploie sans cesse l’impersonnel : des « artistes » qui « se prévalent de la défense de Kateb Yacine » (lesquels ?), « on » refusait d’admettre »(qui ?), « ils » ne se sont pas gênés (qui sont ces « ils » ?). On attend, selon lui, la publication d’un ouvrage « rappelant des noms auxquels le théâtre post-indépendance doit tant mais dont l’apport a soit été gommé, soit à moitié reconnu, soit vilipendé ». Quels sont ces noms dont nous parle notre ami Mohamed Kali qui auraient été censurés par les chercheurs et qui seraient les véritables artisans du théâtre en Algérie ? A propos de Hrikès, il faut savoir que Kateb entretenait une relation particulière avec lui. Ce serait intéressant de prendre son temps et de parler avec tous les membres de l’équipe du théâtre de la mer.
 
Il faudrait qu’on se calme et qu’on se mette à écrire l’Histoire de notre théâtre en excluant les postures victimaires et cette propension à accuser ou à mettre en opposition les uns les autres, les premiers seraient des victimes de conspiration ou de complot. Tout d'abord, les journalistes devraient apprendre à être patients et à interroger profondément les choses en s'abstenant de jugements trop hâtifs, de généralisations et de faux-scoops. 
 
P.S : Voici deux versions de la séparation de Kateb Yacine et de Kaddour Naimi reproduites par La voix de l’Oranie du 14 mai 2000
 
Première version : Hebieb, ancien du théâtre de la mer, de l’ACT et du théâtre régional de Bel Abbès :
 
Un des témoins, Hebieb,  parle ainsi de la séparation, mais il faudrait questionner d’autres acteurs et recouper les diverses informations :
« Yacine avait écrit le texte à partir de ses romans, il avait les matrices. Le montage de la pièce a duré en tout huit mois. Le jour de la générale, c'était un certain 17 juillet 1971, si je me souviens bien, et elle a été donnée à l'Ecole de l'agriculture., chez Youcef Sebti, moi j'y assistais mais comme permissionnaire. Et c'est là qu'il y a eu ce scandale: la salle était chauffée à blanc, les gens étaient assis par terre, il y avait, je me souviens, beaucoup de coopérants techniques. Il y avait Aziz Degga, Medjoubi, Bouzida, Himour, Sirat à qui on avait fait appel pour faire un grand spectacle. Yacine a ramené Hriqess, son ami, un autre perturbateur, il y a eu alors ce que j'appellerais un choc entre deux mondes: celui des intellectuels qui théorisent et rationalisent, le monde de Naïmi, et celui des poètes perturbateurs, délirants, et un peu anarchistes, le monde de Kateb. Une grande énergie s'est dégagée de cette collision, dans le travail, et ça a donné le succès de la pièce, mais malheureusement, en dehors du travail, l'une des deux parties n'a pas pu supporter l'autre. Naïmi voulait maintenir une certaine discipline à l'intérieur du théâtre: celui qui voulait boire du vin devait le faire à l'extérieur du théâtre (12). Il a été ce jour-là violemment bousculé par Kateb et ses amis éméchés, traité de "petit-bourgeois" et mis à la porte sans aucun ménagement (12). Ensuite on a effacé toute trace de Naïmi et de son travail . (La voix de l’Oranie, 14 mai 2000)
 
Deuxième version : Kaddour Naimi
 
« Kateb Yacine était un écrivain et auteur de théâtre d'une certaine réputation en Algérie, de la génération précédente à la mienne. Comme Hebieb le note dans la suite, il était absent durant la période où j'ai quitté le "Théâtre de la Mer". Voici les faits auxquels il n'a pas assisté. La pièce "Mohamed, prends ta valise" fut un beau succès durant sa première présentation. Par la suite, Kateb Yacine m'informa de son colloque à la Présidence de la République, où lui fut proposé le financement d'une tournée de la pièce en France, qu'il a accepté. Il me semblait étrange que le gouvernement algérien finance une pièce qui parlait de sa responsabilité dans la détérioration du douloureux et humiliant problème de l'émigration des travailleurs algériens en France. Mais voilà que Yacine me propose un changement dans la pièce: il s'agit de faire porter la responsabilité du phénomème migratoire non plus sur l'incapacité du gouvernement algérien, mais sur les "séquelles du colonialisme"! C'était faux, d'autant plus que nous avions évoqué le contre-exemple du Viet Nam du Nord qui, sans disposer de richesses comme le pétrole et le gaz algérien, non seulement n'a pas laissé s'aggraver l'émigration de ses travailleurs vers l'ex-puissance coloniale, mais l'a au contraire complètement éliminée. J'ai donc exprimé ma totale opposition à ce changement de texte dans la pièce. Et ce fut le conflit entre moi et Yacine. Dans le respect des Statuts de la compagnie, rédigés par moi à sa fondation, j'ai convoqué une réunion des membres de la troupe. A ma surprise, à l'exception d'une seule personne, tous les membres de la troupe présents, engagés et formés par moi dans la compagnie, ont choisi la position de Yacine. J'ai par conséquent abandonné la compagnie que j'avais fondée et fait croître, préférant le respect de la vérité des faits, et le principe de fonctionnement de la compagnie, rédigé par moi, à la gloire d'une tournée en France financée par le gouvernement algérien. Pour avoir, à ce propos, une idée et pouvoir apprécier le type de vision et de langage de Kateb Yacine, on peut lire l'interview qu'il a donnée au quotidien "Le Monde" du 11 septembre 1975. Elle se commente d'elle-même, pour qui refuse la phraséologie démagogique et opportuniste qui se cache derrière la dénonciation du soit-disant "gauchisme" et le mépris de la "jeunesse" comme indicateur d'ignorance. »
 
 
 
 
 



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