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cours master 1

LE REFLET BRISE

 
On confond souvent reflet avec miroir comme si la littérature et la représentation artistique, des œuvres d’art et de langage, pouvaient être une simple reproduction de la réalité, évacuant la dimension littéraire et réduisant l’œuvre littéraire à un simple document. Cette manière de faire est vivement contestée par des critiques marxistes comme Macherey, Prévost ou Barberis, partant des propositions et de Lukacs qu’ils interrogent sérieusement, contestant certaines propositions de Lucien Goldmann, notamment l’idée d’homologie entre les structures littéraires et les structures sociales, et reprenant à leurs comptes les analyses de Marx sur la production romanesque de Balzac et de Lénine sur les textes de Tolstoï, considérant que leurs œuvres sont l’expression des contradictions de leurs sociétés.
Pierre Macherey dans son ouvrage, Pour une théorie de la production littéraire (Maspero), propose une autre définition de la notion de « reflet », préférant utiliser les termes « reflet brisé » qui serait, selon lui, « ce miroir brisé autant par ce qu’il ne réfléchit pas que par ce qu’il réfléchit ». Il explique ainsi cette notion, rejetant définitivement l’idée de reproduction immédiate : « expression, cela ne veut pas dire reproduction (ni même connaissance), mais figuration indirecte suscitée par les défauts de la reproduction ».
Macherey s’insurge contre l’usage schématique et réducteur du « reflet » qui considère la « littérature bourgeoise » comme une « littérature décadente », idée soutenue par le Prolet-kult russe, mais attaquée par Lénine, notamment dans ses six articles sur Tolstoï où il défend l’idée de la littérature comme dépassement et l’expression, parfois contre les intentions de l’auteur, des contradictions de la société, donnant à voir l’émergence d’un groupe social auquel il peut ne pas appartenir. Les adeptes du reflet mécanique accordent une importance exagérée à l’opposition de classes incarnée par les écrivains et les personnages de leurs œuvres. Cette manière de voir est trop discutable, d’autant plus qu’elle néglige la forme réduisant l’œuvre littéraire au sujet traité. Ce regard n’est pas singulier, mais parcourt de grands ensembles critiques. Selon la nouvelle école marxiste conduite par Barberis et Macherey, l’œuvre ne peut-être le reflet direct et mécanique de la réalité, elle entretient avec la réalité une relation dialectique.
Jacques Dubois, dans un article intitulé, Pour une critique littéraire sociologique  (« Le littéraire et le social ») évoque ainsi l’idée de reflet chez Auerbach : « Pour l’essentiel, son auteur demande aux œuvres dans quelle mesure et sous quels aspects, elles représentent la réalité dans ce qu’elle a de quotidien, de concret et de trivial et si elles traitent ce réel sur un ton sérieux et dans un langage approprié. Pour lui, et bien qu’il évoque la sociologie qu’incidemment, la manière dont un écrivain appréhende la réalité, la perspective dans laquelle il s’inscrit, le style par lequel il la figure ne peuvent s’expliquer que par la référence à la situation de l’écrivain dans son temps, et plus largement, par référence au contexte socioculturel » .
Il est tout à fait évident que tout texte devrait-être situé dans son contexte. Ce qui permet de situer les multiples médiations esthétiques et sociologiques caractérisant l’œuvre forcément marquée par les multiples bruits de la vie société et des traces esthétiques et artistiques, contribuant grandement à la mise en œuvre du texte littéraire. Eric Auerbach l’explique clairement dans son ouvrage intitulé d’ailleurs, Mimésis (Gallimard, 1968), ce qui permet de comprendre préalablement le discours de l’auteur : «Le traitement sérieux de la réalité contemporaine, l’ascension de vastes groupes humains socialement inférieurs au statut de sujets d’une représentation problématique et existentielle d’une part,-l’intégration des individus et des événements les plus communs dans le cours général de l’histoire contemporaine-, l’instabilité de l’arrière-plan historique, d’autre part. Voilà, croyons nous, les fondements du réalisme moderne, et il est naturel que la forme ample et souple du roman en prose se soit toujours plus imposée pour rendre à la fois tant d’éléments divers »
Le texte devrait-être lu comme une totalité, un réseau d’éléments et de relations, investi par les lieux et les traces d’instances sociologiques et historiques. Toute œuvre littéraire est travaillée par différentes médiations. C’est pour cela que toute analyse littéraire est tributaire d’examens convoquant diverses disciplines. L’approche pluridisciplinaire est à même de cerner le texte sans pour autant épuiser sa lecture qui reste ouverte. 
 
 
 
 
 
 
LA NOUVELLE CRITIQUE :LA CRITIQUE THEMATIQUE
Gaston Bachelard (1884-1962), Marcel Raymond, Albert Béguin, Jean-Pierre Richard et Jean Starobinski apportent une critique nouvelle, une approche nouvelle de la littérature, mettant en relief les différents thèmes et motifs caractérisant les œuvres littéraires. Cette critique a été qualifiée dans les années 1950-60 de « Nouvelle critique ».  
Gaston Bachelard : Passionné de psychanalyse et connaissant parfaitement le travail de Freud et de Jung, il accorde, comme un médecin, une place importante à l’analyse des médiations psychanalytiques. Il explique ainsi sa méthode : «  Il y faudrait une culture médicale et surtout une grande importance des névroses. N ce qui nous concerne, nous n’avons pour connaitre l’homme, que la lecture, la merveilleuse lecture qui juge l’homme d’après ce qu’il écrit » (L’eau et les rêves, 1942, p.14)
Admirant Freud et considérant la psychanalyse comme une méthode pouvant permettre la lecture des textes littéraires, Bachelard emploie volontiers le vocabulaire et les thèses psychanalytiques pour déceler les liens et les rapports qu’entretiennent les images poétiques à une « réalité onirique » profonde et à travers l’interrogation de quatre éléments fondamentaux caractérisant le discours bachelardien : l’eau, le feu, l’air et la terre. D’ailleurs, les titres des ouvrages présupposent une lecture particulière : La psychanalyse du feu (1938), L’eau et les rêves (1942), L’air et les songes (1944), La terre et les rêveries du repos , La terre et les rêveries de la volonté, La poétique de l’espace (1957), La poétique de la rêverie (1960).
Le travail s’articule autour du questionnement des rêveries et de l’interrogation des névroses et des rêves. Ce questionnement des territoires oniriques obéit à la volonté de mettre en relief le fonctionnement intérieur des personnages et du récit à partir d’éléments naturels.
MARCEL RAYMOND (De Baudelaire au surréalisme, 1933)
Raymond  continue dans le même sens en cherchant à lire de l’intérieur le fonctionnement de la structure romanesque, commençant par la lecture de la vie intérieure de l’auteur, exigeant une grande « connaissance par le dedans ». Le critique est appelé à cerner l’expérience primordiale qui est à la racine même de la conscience qu’il explore.
ALBERT BEGUIN
C’est une lecture intérieure, explorant le moi profond et l’expérience intérieure de toute production romanesque et littéraire. Albert Béguin a essentiellement travaillé sur la littérature romantique. Il écrit ceci ; « Le romantisme cherche dans les images, même morbides, le chemin qui conduit aux régions ignorées de l’âme, non pas par curiosité, non pour les nettoyer et les rendre plus fécondes en vue de la vie terrestre, mais pour y trouver le secret de tout ce qui, dans le temps et dans l’espace, nous prolonge au-delà de nous-mêmes et fait de notre existence actuelle un simple point sur la ligne d’une destinée infinie »
Dans la continuité de Bachelard et de Béguin, Georges Poulet, Jean Starobinski cherchent à révéler dans les textes littéraires la présence d’un certain nombre de thèmes qui contribuent à la mise en œuvre du discours littéraire et à la construction du texte, l’existence de certaines structures contraignantes. Le travail du critique serait de retrouver ces thèmes obsédants et ces structures, de retrouver la manière d’être du texte et le projet de l’auteur à reconstruire à partir de l’interrogation de ces structures et de ces thèmes.
GEORGES POULET
Il s’intéresse essentiellement au questionnement et à la saisie de l’espace et du temps constituant les éléments essentiels de la lecture de l’œuvre littéraire. La saisie de ces instances permettrait de mieux mettre en évidence le discours, le fonctionnement du récit et l’itinéraire des personnages. Poulet propose l’examen de certains aspects de la conscience littéraire de la durée et de l’instant se manifestant dans un espace et un lieu particuliers. Les instances spatiotemporelles détermineraient la compréhension du texte et permettraient la connaissance de sa structuration. Ses textes tentent de proposer une lecture à partir de la saisie du temps et de l’espace (Etudes sur le temps humain, Plon, 1950, Mesure de l’instant, 1968, La distance intérieure, 1952, Les métamorphoses du cercle, 1961, L’espace proustien, 1963.
Le critique devrait décrire les diverses expériences de la conscience pour voir comme elle est saisie et perçue dans les catégories spatiotemporelles.
JEAN-PIERRE RICHARD
C’est à une profonde incursion dans l’inconscient que nous invite Jean-Pierre Richard qui accorde une exceptionnelle attention aux images propres, aux représentations singulières de chaque auteur. Il cherche ainsi à saisir dans l’œuvre littéraire un « sens naïf et implicite » correspondant au travail préparant et organisant l’élaboration de la pensée individuelle, contribuant ainsi à la compréhension et à a saisie de l’acte créateur. L’œuvre se présente ainsi comme une « structure révélatrice de la personnalité de son créateur », de l’écrivain dont on questionne sa relation avec le monde et sa façon dont il le sent et le perçoit. Cette expérience est mise en œuvre par un travail d’interrogation de l’itinéraire de l’auteur et de ses positions par rapport au monde. Jean-Pierre Richard est un des grands spécialistes de Stéphane Mallarmé. Son ouvrage, L’univers imaginaire de Mallarmé (1962), est un texte de référence pour saisir l’œuvre de Mallarmé. Sa démarche critique comporte deux étapes :
1)    Il « passe de l’œuvre à la sensibilité profonde de l’auteur », en considérant tout écrit comme pareillement « signifiant » (lettres, brouillons, esquisses ou vers achevés). Ainsi, le critique devrait interroger ces fragments, tentant de comprendre ses postures implicites.
2)    Un travail de reconstruction est nécessaire pour comprendre les liens entre les différents thèmes précédemment mis en lumière et l’évolution du poète dans son processus d’auto-connaissance et de quête de soi.
Ses ouvrages les plus connus : Littérature et sensation (1954), Poésie et profondeur (1955), Paysage de Chateaubriand (1967), Etudes sur le romantisme (1971).
JEAN STAROBINSKI
Starobinski, comme Bachelard, emprunte un certain nombre d’éléments au freudisme et les réutilise dans ses travaux de critique littéraires, accordant une grande importance à la question du regard qui articule toute son expérience critique. Ainsi, il serait opératoire d’interroger la place du regard et sa fonction dans l’économie générale du texte littéraire tout en suivant la signification de ce regard dans l’œuvre. La plupart de ses textes s’inscrit dans cette perspective : La transparence et l’obstacle (1958), L’œil vivant (1961).
C’est dans le regard, soutient-il, que s’exprime « l’intensité du désir » et de « tous les sens, la vue est celui que l’impatience commande de la façon la plus manifeste ». Strarobinski réemploie les apports de la psychanalyse cherchant à explorer l’inconscient travaillant l’œuvre littéraire, cherchant à retrouver les profondeurs d’inconscience et déterminer son organisation implicite et sa structuration secrète servant de prétexte à des manifestations dynamiques. Ce qui est important, c’est de dégager l’implicite, le caché, le non dit qui caractérise l’œuvre littéraire, éclairer l’expérience cachée de tel ou tel homme, de l’Homme.
Olivier Mannoni : « Tout texte peut toujours en dévoiler un autre et donc une psychanalyse littéraire est possible à l’indéfini. Il n’y a pas d’exhaustivité de la critique analytique, qui semble atteindre, par la radicalisation de la démarche interprétative le comble de la critique littéraire.

 



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