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L’écriture, le prête-nom et le maître

 L’écriture ne fait en principe pas bon ménage avec la mégalomanie et la censure. Mais ces derniers temps, on ne sait par quel malheureux hasard émergent une série de malentendus investissant l’espace culturel trop gangrené par l’absence d’un sérieux débat. L’insulte, l’invective et l’amalgame gagnent du terrain. Boumediene avait censuré toute parole différente dans un pays où il était exclu d’importer les ouvrages des auteurs algériens vivant à l’étranger. Son épouse avait même, à l’instar de l’arroseur arrosé, affirmé sans argument, que son recueil de poèmes édité aux éditions St Germain des Près, avait été censuré par Chadli, ce qui ne peut résister à un examen sérieux d’autant plus que tous les textes d’auteurs algériens publiés par le même éditeur n’ont pas connu les étals des librairies nationales. On peut citer entre autres textes, « L’Arche à vau-l’eau » de Tahar Djaout(1978), « Retrouvaille du monde » de Djamel Eddine Imaziten(1978), « Conjugaisons adverses » de Abbas Bouhlal (1975), « L’envers d’un cri » de Jamel Mokhnachi(1974), « Les désordres » de Jean Sénac(1972) qui ont été édités du temps de Boumediene et qui n’ont pas du tout été distribués en Algérie par la SNED parce qu’il n’était pas permis d’importer les ouvrages des auteurs algériens édités à l’étranger. L’instruction venait d’en haut.

       La censure a vécu ses moments de gloire avec Boumediene qui n’admettait nullement la présence d’une parole différente, comme d’ailleurs la mise au pas d’une presse souvent dirigée par des hommes de paille, corvéables à merci et qui arrivaient à censurer jusqu’à la météo. Les vrais journalistes étaient ailleurs et riaient nerveusement du président trop imbu de sa personne et du rôle qu’il se donnait dans une société chloroformée, marquée par des silences pervers. Il n’arrêtait pas d’inviter les gens qui n’étaient pas d’accord avec sa politique de quitter le pays. Les seules initiatives positives au niveau de l’édition et des média ont été rapidement freinées par le président. Contrairement à une idée fort répandue, Chadli a entamé une sorte de libéralisation qui ne pouvait aller à terme parce que sous-tendue par des calculs et des manœuvres, étant lui-même trop peu cultivé. Mais paradoxalement, c’est grâce à lui qu’il y eut des débats fort prometteurs dans des organes comme Algérie-Actualité et Révolution et que des textes comme « L’exproprié » de Djaout ou d’autres romans de Ouettar ont vu le jour. La réalité est têtue. Quand l’épouse d’un président ne lit pas les textes d’auteurs algériens et ne connaît même pas le titre de l’ouvrage que lui aurait dédicacé Kateb Yacine qui ne s’intitule pas « Le Grand Fragment », mais  L’Oeuvre en fragments (textes réunis par Jacqueline Arnaud), c’est le comble. Le journaliste ignare se fera une corvée de corriger ses fautes dans un pays où les présidents successifs accordaient beaucoup plus d’importance aux journalistes étrangers qu’aux plumes algériennes marginalisées, souvent considérées comme des espaces de reproduction du discours de ceux qui gouvernaient ce pays où ne manquaient pas de parfaits analphabètes. Paul Balta avait ses entrées partout. « Le Monde » était presque le journal officiel d’un pouvoir qui n’avait nullement besoin d’une opinion publique et qui aimait se faire craindre plutôt que d’être aimé, comme l’avait recommandé Machiavel dans son texte-monument,  Le Prince. La censure était la chose la mieux partagée. De nombreux intellectuels de ce pays étaient exilés. D’autres étaient condamnés à observer un silence fort angoissant. Les censeurs d’hier veulent retrouver une virginité perdue. Depuis l’indépendance où de nombreux lettrés se sont autoproclamés intellectuels tout en censurant la parole de l’autre, le pays s’est retrouvé sérieusement amputé de ses grandes voix souvent exilées ou quittant volontairement le pays parce qu’ils ne pouvaient pas supporter la situation d’étranger. Dib, Boudjedra, Bennabi, Bourboune, Harbi et bien d’autres avaient connu des moments très difficiles dans un pays où certes quelques vois singulières tentaient de briser le silence de la peur qui empêchait toute parole autonome de s’affirmer, en dehors des ronronnements indélicats de « révolutions » éternellement à défendre à tel point que les filières de sociologie et d’histoire se limitaient à des sujets de mémoire et de thèse illustrant le discours politique ambiant. L’université était à la traîne d’une révolution canardée et de dirigeants marqués par la culture de l’ambiguïté, de la magouille, de la manœuvre et de la contre-manœuvre. D’ailleurs, ce n’était pas sans raison que Boumediene avait tenté et réussi à enrégimenter de nombreux étudiants se muant en soldats d’une « révolution agraire » dont l’échec était originellement annoncé et vouant aux gémonies toute différence. Ainsi, le discours unique investissait un quotidien dominé par une vulgate « socialiste » traumatisante condamnant l’intelligence à la clandestinité tellement les étiquettes constituaient l’élément central de toute politique et de tout discours partisan. Chadli ne fit que poursuivre la politique de Boumediene, comme d’ailleurs Messaadia, avec son fameux article 120 dont les origines remontent aux textes de la plate-forme de Tripoli et de la Charte d’Alger et que Boumediene avait bien consolidés sous le regard bienveillant de nouveaux démocrates d’aujourd’hui, trop silencieux à l’époque.

       Ecrire différemment n’était nullement une chose aisée. C’était un acte de liberté. Il est bien connu que durant les trois premières décennies après l’indépendance, la censure touchait tous les domaines de la vie sociale. Il était facile de tomber démesurément sur toute opinion qui allait à contre-courant du discours officiel. Au théâtre, des pièces comme Antigone sont censurées. La situation de la femme en Algérie de Théâtre et Culture est arrêtée. Kateb Yacine est interdit de télévision. Un responsable central du FLN avait même interdit, par écrit (le document existe dans les archives) la publication de tout article ou entretien avec Kateb . De nombreux livres sont censurés. Rachid Mimouni a vu son livre « Le Fleuve détourné » rejeté par la SNED pour « non convenance politique » avant d’être édité chez Lafont où il avait connu un énorme succès. Des films sont sérieusement amputés de séquences essentielles malgré les ravages de l’autocensure. En peinture, l’UNAP fonctionnait comme une structure de contrôle. Ce n’est donc pas étonnant dans ce contexte de savoir que la veuve de l’ex-président  ne lisait pas la littérature algérienne. D’ailleurs, ses références bibliographiques, même sur l’Algérie, sont souvent étrangères. Ce qui pourrait donner une idée de l’état d’esprit des dirigeants de ce pays vivant souvent par procuration en Algérie. Ce regard extérieur porté sur l’Algérie pose le problème de la relation réelle qu’entretiennent ces « chercheurs » avec le pays. Ceux-ci emploient souvent des grilles et des catégorisations extérieures qu’ils plaquent tout simplement sans les confronter au terrain sur des sociétés différentes. Cette manière de faire altère la communication et fausse la lecture des faits et des phénomènes sociaux. Ainsi, de nombreux sociologues et économistes algériens, trop prisonniers des schémas conceptuels façonnés dans des structures occidentales, reproduisant des grilles d’analyse et une instrumentation conceptuelle non opératoire dans des espaces connaissant un autre type de développement, rejoignent finalement le regard que porte un analyste européen sur l’Algérien. Un intellectuel aussi brillant que Pierre Bourdieu ne peut mieux comprendre la société algérienne qu’un Algérien enquêtant sur place. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’il a travaillé avec Abdelmalek Sayad pour son ouvrage « Le Déracinement ». C’est un regard étrange et étranger masquant les réalités de la société-cible, construit à l’aide de préalables théoriques et de matériaux conceptuels figés, qui oriente la lecture trop parcellaire et traversée par de multiples médiations. Nous avons donc affaire à un discours contraint qui balise la réflexion mise au service d’une pensée unique aujourd’hui dominante en Europe, surtout dans les cercles médiatiques et éditoriaux. Même l’universitaire est piégé par les insistants appels de la télévision, espace de dénaturation et de récupération du discours universitaire mué en lieu de légitimation de la parole unique. 

       Aujourd’hui, l’Algérie se retrouve piégée par un discours exogène mettant en scène une société mythique, une construction fantasque d’auteurs qui vivent le pays par procuration. Que dire de ces livres qui n’arrêtent pas de sortir dans des maisons d’édition françaises mettant continuellement en scène une Algérie, produit de fantasmes, d’obsessions renouvelées et d’un regard réducteur marqué par le désir d’imposer un point de vue unique. La pensée unique marque sérieusement le terrain médiatique et éditorial. Ecrire autrement, c’est s’exposer à la censure et au refus de publier. La vérité est vécue comme une et unique. D’ailleurs, les grands journaux et les chaînes de télévision français, sous-tendus par des jugements préétablis, n’ouvrent leurs colonnes qu’aux voix épousant le discours dominant. Quand il s’agit d’Africains et d’Arabes, la vérification de l’information disparaît pour laisser la place à une sorte de diffamation légalisée. Il y a une gêne de la part de beaucoup de confrères français de voir que la presse en Algérie use d’un ton libre et parfois moins contraignant que la presse européenne quand il s’agit de traiter des affaires nationales. Il est extrêmement difficile pour un journaliste européen de publier un article mettant en cause une personnalité du pouvoir qui fonctionne de manière occulte la-bas également. La vérification de l’information devient une obligation. Il serait intéressant de voir les relations qu’entretenaient Mitterrand et de De Gaulle avec la presse. L’affaire Mazarine est symptomatique de la réalité complexe et trop ambiguë des médias français qui n’avaient nullement osé prendre leurs responsabilités en donnant tout simplement l’information. Tout le monde avait peur des représailles de l’Elysée. D’ailleurs, celui qui devait imprimer le journal de l’écrivain Jean Edern Hallier, « L’Idiot International » avait été menacé de mort par les services de sécurité français qui ne voulaient pas que l’affaire de la fille du président s’ébruite. Il eut peur pour sa vie, il décida de mettre au pilon tous les exemplaires qu’il avait auparavant commencés à tirer. Ainsi va la presse dans le pays où certains n’arrêtent pas de nous donner continuellement des leçons. Mais quand il s’agit de l’Algérie, les généralisations abusives, le manque de prudence, l’absence de vérification et d’interrogation des sources, l’usage inconsidéré de jugements et d’adjectifs qualificatifs et le ton paternaliste traversent les médias qui se transforment en espaces de vérités uniques n’ayant pas besoin d’arguments.

       Mais cette propension à rédiger des ouvrages d’africains et d’arabes n’est pas un phénomène nouveau. Déjà, dans les années 60 et 70, de nombreux sympathisants de gauche et d’extrême gauche française avaient en quelque sorte fait le « nègre » écrivant des textes pour des « écrivains » de ce continent et orientant ainsi les textes en fonction du discours de l’éditeur. Ce n’est d’ailleurs pas surprenant que la grande partie des ouvrages publiés ces derniers temps en France obéissent au même réseau thématique à tel point qu’on s’interroge sérieusement sur le niveau littéraire de nombreux romans édités en France qui seraient des commandes, implicites ou explicites,  répondant à une attente des éditeurs. Même les chroniqueurs s’attardent exclusivement sur la dimension thématique et occultent carrément ce qui fait une œuvre romanesque, son aspect littéraire.

       Dans un monde où la pensée unique détermine les attitudes des uns et des autres, il est normal de voir la mégalomanie, l’unanimisme et la facilité occuper le terrain médiatique et éditorial.

                                                                                          Ahmed CHENIKI


 
 



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