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La tribu des mots et le journaliste

 

Le journaliste américain George Atwell Krimsky, ancien correspondant de l’une des principales agences de presse mondiale, Associated Press avait, lors de son passage à Alger, il y a quelques années, fait une sorte d’inventaire singulier de l’état de la presse en Algérie insistant sur des éléments essentiels dans la pratique journalistique : responsabilité, service public, vérité, éthique journalistique et techniques rédactionnelles. Son diagnostic était paradoxalement juste. Insister, soutenait-il, exclusivement, sur le mot flasque de liberté, c’est emprunter tout simplement des sentiers glissants. Il faudrait préalablement définir le terme tellement trop galvaudé qu’il a subi de graves métamorphoses sémantiques.

Il est des termes qui se conjuguent tellement à des réalités abstraites qu’ils perdent ainsi leur sens. La notion de liberté reste marquée par des équivoques et des glissements sémantiques et lexicaux très sérieux. Souvent, on entend des journalistes protester contre l’absence de sources alors que c’est lui-même qui doit chercher l’information en utilisant tous les moyens possibles pour atteindre son but. La quête de l’information implique une formation conséquente car celle-ci doit être vérifiée et revérifiée avant d’être digne d’être publiée. L’usage des mots n’est pas aussi simple et facile que certains ont tendance à le penser. L’omission d’une virgule dans une dépêche a été à l’origine de la plus longue guerre européenne de l’Histoire.

Ainsi, liberté rime avec responsabilité. Responsabilité devant les faits à publier et devant le lecteur. Aujourd’hui, dans notre presse souvent marquée par un flagrant manque de professionnalisme, l’insulte et l’invective s’érigent en véritables règles de conduite. On se souvient du lynchage de Betchine et de Adami, sans aucun travail d’investigation préalable, n’obéissant à aucune règle professionnelle d’autant plus que la vérification et la critique des sources n’ont pas lieu. Comme d’ailleurs les répliques absurdes et trop agressives des journaux du général. Dans les deux cas, il y eut maldonne sur le plan professionnel.  Mais notre réaction par rapport à la presse privée ne veut nullement dire qu’elle est en deçà des média publics, trop pauvres, contrevenant dangereusement à la notion de service public, réduisant leur fonction à de simples reproducteurs du discours officiel, tournant le dos à la société réelle, absente.

Le journalisme est l’espace privilégié du manque et de la frustration. C’est aussi le lieu de l’humilité. La presse en Algérie souffre de maux très sérieux: mauvaise gestion de l’information, absence d’investigation et non maîtrise des techniques rédactionnelles et de l’outil linguistique.

La jeunesse des équipes rédactionnelles souvent peu formées et non soutenues par les anciens dont un nombre important manque tragiquement d’expérience, l’absence de recul devant l’information et de politiques éditoriales cohérentes donnent l’impression au lecteur qu’il est en présence de tribunes partisanes et politiques. Le tract se substitue à l’article journalistique. Les adjectifs qualificatifs et possessifs, le passé simple, le présent de narration, l’impératif et les formules prescriptibles, lieux exceptionnels dans l’écriture journalistique, se muent en espaces communs. Le conditionnel est souvent malmené alors qu’il se transforme souvent dans certaines situations de communication, en indicatif. Quand on écrit : « X serait un escroc » ; au niveau de la réception, la formule devient tout simplement : « X est un escroc ». Le conditionnel, au niveau de la communication médiatique, se transforme en un espace affirmatif.

 Le journalisme n’est pas le lieu où se manifestent les états d’âme et les formules sentencieuses qui réduisent souvent un propos fondamental à quelque tournure phrastique, hautement marquée subjectivement. L’écriture journalistique a horreur des drôleries partisanes qui caractérisent certaines interventions. Il est utile d’insister sur l’importance de l’investigation et du reportage qui sont les éléments essentiels de l’écriture journalistique devant obéir aux préceptes du service public souvent confondu chez nous avec le secteur public. Tout journal, privé ou public, est, en principe, concerné par cette obligation de service public qui ne semble pas jusqu’à présent marquer les consciences. Aujourd’hui, la nécessité de la maîtrise de l’outil informatique est primordiale. Tout journaliste devrait être formé en conséquence. Les journaux devraient prendre en charge la formation de leurs journalistes, en multipliant les stages de recyclage et de perfectionnement en Algérie et à l’étranger, dans des rédactions de grands journaux. 

Cette situation peu reluisante est rendue plus complexe par le regard souvent conflictuel des gouvernants trop habitués par la présence d’une presse aux ordres, tout en étant paradoxalement séduits par les média étrangers. Il y a quelques jours, M.Ouyahia citait comme référence « Le Monde », même en sérieuse perte de vitesse, et s’attaquait à la presse algérienne. Logique tragique. 

Ainsi, écrire des articles ne se limite pas à un alignement simple de mots et de phrases, mais obéit à plusieurs logiques qui s’interpénètrent, se complètent et donnent vie à un texte où les failles et les « trous » sont obstrués par une vérification répétée de l’information. Les journaux sont-ils disposés à se lancer dans ce type d’écriture, c’est-à-dire dans le journalisme ? Il est nécessaire de payer le prix.

 

                                                                       Ahmed CHENIKI

 

 

 

 


 
 



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