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L’adaptation et ses circuits à travers l’expérience théâtrale de Réda Houhou

Par Ahmed Menour, Professeur, Université d’Alger

 

    L’adaptation du théâtre européen était et demeure une pratique répandue dans les pays arabes depuis la découverte de l’art dramatique dans sa forme grecque au milieu du 19éme siècle à travers un rapprochement avec l’Occident*. Tout le travail d’adaptation reposait d’une manière particulière sur les pièces de théâtre anglaises et françaises pour leur abondance et surtout pour des raisons historiques connues  et relatives au caractère colonial de ces deux pays qui se partageaient les continents avant la première guerre mondiale. Plusieurs pays de la nation arabe en dépendaient sous forme d’occupation directe(ex de l’Algérie) ou de  protectorat (ex de la Tunisie, le Maroc, l’Egypte)*.

    L’Algérie aussi n’a pas été épargnée par cette pratique puisque nos dramaturges empruntèrent le choix de l’adaptation des œuvres françaises au début des années 20. Le premier à tenter l’expérience fut Mohamed El Mansali en 1922 avec une pièce intitulée : fi sabil el watan (pour la patrie)*.Allalou lui emboîta le pas en 1926 avec la pièce Djeha,  tirée du « médecin malgré lui » de Molière. Mahieddine Bachetarzi adapta quant à lui l’Avare et Le misanthrope et Rachid Ksentini la pièce :ya hasrah (Angel ) de Marcel Pagnol et « mon ami d’Istamboul » tirée de l’œuvre « ma cousine de Varsovie » de Louis Verneuil*. Mohamed Touri, Errazi ainsi que Mustapha Ghribi optèrent aussi pour cette pratique et nous léguèrent respectivement :  le docteur ( Le médecin malgré lui) de Molière, Salek ya salek ( Les fourberies de Scapin) de Molière et Malade sans maladie (Le malade imaginaire) de Molière.

A son retour d’Arabie Saoudite o% il séjourna  une dizaine d’années (1946) Ahmed Réda Houhou adopta à son tour cette forme dans le cadre du théâtre scolaire pour le compte de « l’école d’éducation et d’enseignement » sous l’égide de l’Association des Ulémas musulmans Algériens. Les élèves et les professeurs présentèrent une pièce intitulée : « Abou el Hassan Ettimi ou Haroun Errachid » à deux reprises au théâtre municipal de Constantine* et Les trois avares à l’université populaire* en plus  de : « l’œuvre des Baramicans » qui inaugura ces manifestations culturelles. Le public d’alors était constitué dans sa globalité d’élèves, d’enseignants et de parents d’élèves. Depuis, Réda Houhou se libéra de cette forme et créa en 1949 l’Association d’El Mizhar el Kasentini du théâtre et de la musique*sous sa  présidence avec cinq autres membres*.

    L’Association se composait comme son nom l’indique de deux troupes ; la première musicale sous la direction du docteur Bendali qui déclara que son but était de réhabiliter la musique classique algérienne, et la seconde, théâtrale, sous la direction de Redha Houhou lui-même dont le but était de jouer des pièces universelles*. Il fut le principal auteur de l’association en puisant dans le patrimoine : Les 3 avares fut présentée le 03-06-1950 à l’Université populaire et Ibn Rachid le 13.12.1950 au théâtre municipal de Constantine. Selon Cheikh Mohamed Salah Ramdhane, la pièce Ibn Errachid était tout simplement l’œuvre des Baramicans elle-même*,mais d’après l’article de presse du journal « le flambeau » dans ses éditions  no 46,49 successifs, il fut signalé un grand nombre de comédiens, de comédiennes et de danseurs et danseuses, dont le nombre variait entre 12 femmes et 28 hommes ;comme il souligna que le texte était écrit en dialectal algérien. Ce qui nous amène à douter de la similitude des pièces et à conclure qu’une réécriture a été faite  et que des mouvements de chorégraphie ont été injectés dans la nouvelle mouture du spectacle.

    Pour les besoins de l’activité de sa troupe, Houhou s’intéressa alors au théâtre français  et adapta cinq pièces dont Anbassa ou la reine de Grenade, la fleuriste ou( vendeuse de fleurs), Si Achour, Si Chaabane l’avare, Le député respectueux. Ces œuvres  furent longtemps diffusées à Constantine et dans sa région, à Skikda , à Biskra, à Châteaudun( aujourd’hui Chelghoum el aid) jusqu’à la mort de l’auteur en 1956.

    Compte-tenu de ce qui précède, nous estimons que l’œuvre du martyr est le fruit de l’adaptation soit du patrimoine historique arabe, telle que : « l’œuvre des Barmacans », tirée de l’Acte Unique de Ibn Abd Rabbou* et qui relate l’histoire du jugement d’une femme d’origine Barmacane(Perse)* par Haroun Errachid, ou Abou El Hassan Ettimi inspirée des mille et une nuit et qui conte le périple d’Abou El Hassan  de la nuit 154 la 161 ; soit directement du théâtre français .

    Il est important de relever qu’à l’instar des adaptateurs arabes, Réda Houhou ne cite  pas les auteurs qui l’ont inspiré et ne fait pas  référence à ses sources.

Eléments de référence de ses adaptations selon mes propres recherches :

Anbassa : adaptée de la pièce française Ruy Blas de Victor Hugo.

Si Achour : Le Bourgeois Gentilhomme de Molière

Chaabane l’avare : L’avare de Molière

Le député respectueux : Topaze de Marcel Pagnol

La fleuriste : la porteuse de pain de Xavier de Montépin.

    A partir de ces éléments cités, deux remarques s’imposent : la première soulignant l’espacement temporel partant du 17eme au 19eme siècle, voire au 20eme ; et la seconde la diversité d’auteurs adaptés et leurs divergences intellectuelles, philosophiques, politiques et idéologiques. Molière était un classique, Hugo un romantique, De Montépin et Pagnol des réalistes .Hugo fut un républicain (anti monarchiste) et de Montépin  un anarchiste de gauche.

Il est  important de relever que l’adaptateur ne s’intéresse pas particulièrement aux deux éléments relevés plus haut. Pourquoi ? Nous expliquerons cela par la facilité  que procure l’adaptation en tant que pratique d’écriture adoptée et usitée dans la plupart des pays arabes jusqu’à nos jours. L’ auteur peut ainsi se permettre d’utiliser le texte à sa convenance sans rester prisonnier de tel prisme ou telle règle contraignante ; l’important étant de replacer le texte dans le contexte socio –culturel pour lequel il a été emprunté.

    En l’absence d’une technique définie de l’adaptation, les auteurs arabes n’ont à aucun moment expliqué le choix de cette option parce que la liberté de transformer doit se justifier artistiquement et convaincre logiquement. Nous sommes revenus à cette pratique en puisant dans le répertoire universel et nous avons constaté que l’opération se matérialisait d’une manière très méthodique. Selon son sens exact et défini, l’adaptation veut dire tout simplement, soit intégrer des correctifs sur un texte étranger ou ancien de façon à le familiariser avec l’environnement culturel et le nouveau public pour lequel il est destiné, soit transposer un texte non théâtral dans une structure dramaturgique.

    La restructuration est déterminée par des nécessités esthétiques, politiques ou didactiques de l’adaptateur .Il existe  deux formes d’adaptation :

1 :l’adaptation comprenant des modifications légères sur le texte intégral et qui conserve son origine étrangère après sa transposition à la langue de l’adaptateur, la finalité étant de faire découvrir la culture universelle à ses concitoyens. La méthode suivie généralement ne touche pas au fond du texte mais consiste à reproduire les noms des personnages, selon leur phonétique et à fournir une prononciation  juste.

2 :l’adaptation où l’auteur préserve la structure dramaturgique et les événements essentiels de la trame et la  réécrit dans un autre langage, lui donnant une autre dimension philosophique et artistique qui dépasserait le texte initial . Nous citerons à titre d’exemple la panoplie du théâtre classique français réécrit à partir des tragédies grecques ou romaines telles : Œdipe, Antigone, Iphigénie, Andromaque, etc. .Tewfik el Hakim produisit Œdipe ,Pygmalion, etc.

    De cette seconde forme d’adaptation découle un autre genre très répandu dans les pays arabes, un genre qui préserve les événements, l’identité (étrangère) de la pièce, la structure dramaturgique mais d’un autre coté masque ses aspects originels en changeant les noms des personnages et les espaces temporels et actanciels en élaguant des scènes, voire des actes, des personnages ou en greffant ce que bon leur semble comme scènes, actes ou personnages. Le but de l’adaptateur, dans cette opération, consiste à donner à l’œuvre adaptée un aspect de création conforme au quotidien de la société où il vit. Cette façon de faire nuit au théâtre puisqu’elle aplatit l’œuvre et la singularise en aboutissant au détournement et à la contre façon. L’adaptateur se définit alors comme un usurpateur parce qu’il essaye de tromper le public en lui présentant une situation tronquée.

    En explorant les adaptations de Réda Houhou, nous constaterons qu’il a emprunté deux formes :

La première: la transformation d’un texte romanesque en texte théâtral et cela dans les œuvres puisées du patrimoine arabe ou à caractère historique.

La seconde : adaptation des œuvres à la manière des dramaturges algériens et du Machrek arabe.

En ce qui concerne la première forme nous ne disposons que de deux textes et aucun d’eux ne peut nous éclairer avec précision sur sa forme d’adaptation. Le premier : la pièce « L’œuvre des baramicans » publiée en 1939 dans la revue « El manhel mékoise » *. C’est un  texte très court et médiocre du point de vue artistique.

Le second : la pièce « Abou El Hassan » en trois actes. Cette pièce aussi n’est pas édifiante puisque incomplète (le troisième acte et une partie du second ayant disparus)

Ajoutez à cela que ces deux textes ainsi que ceux adaptés de théâtres français ne contiennent aucune indication scénique définissant les décors, les costumes ou les accessoires. Ceci ne nous empêchera pas de déterminer les conditions d’adaptation d’un texte romanesque en un texte théâtral à partir d’une étude comparative sur ce qui reste de l’œuvre d’Abou El Hassan et l’histoire d’Abi El Hassan qui a été déchu dans les mille et une nuits.

    Dans l’ensemble, l’adaptateur a accordé une importance capitale à l’amusement. Il fit d’Abou El Hassan un artiste qui n’arrêtait pas de chanter et de jouer avec plusieurs instruments musicaux, ce qui déclencha l’ire de son voisin (un imam ou un chargé de la prière d’après l’auteur), qui le fît fouetter plusieurs fois. Nous soulignerons ici que l’auteur a utilisé un seul personnage (l’imam) au lieu de trois à l’origine. Il rajouta un personnage qui n’existait pas  Abou El Khair (joueur de tambour) de type noir éthiopien, voisin et fan de Abou El Hassan avec qui il faisait équipe. Il amplifia également le rôle de la mère d’Abou El Hassan Tantôt on la voyait préparer la table ou les instruments de musique et tantôt on la voyait accompagner Abou El Khaire dans des danses.

    L’utilisation de la musique et de la danse nous éclaire sur l’intention de l’auteur à vouloir donner à voir une atmosphère de gaieté, en adéquation avec l’humour de la pièce, en plus du fait que l’auteur voulait s’inscrire dans le moule du théâtre qui se faisait à l’époque en Algérie et dans le monde arabe où le spectacle était varié et conjugué entre théâtre, musique et danse.

En ce qui concerne les adaptations du théâtre français, nous constaterons à travers ses textes qu’il a donné aux événements une nouvelle dimension temporelle contemporaine de façon à les rapprocher de l’espace de vie à savoir l’Algérie dans les années quarante ou cinquante. Hormis la pièce intitulée la Reine de Grenade où tout se déroule à Grenade en Andalousie, et La vendeuse de fleurs dont les événements se déroulent dans les années vingt dans un pays arabe du Machrek et en partie en Amérique.

    Cette transposition du temps et de l’espace originel nécessita une série de transformations. Cette technique que l’adaptateur dût greffer au texte original ne répond à aucune règle connue ou à une méthode précise. C’est la situation qui impose à son auteur la démarche à suivre. Il se surprend à élaguer une partie d’une scène ou à écourter les dialogues. Il peut aussi laisser une scène dans son intégralité et supprimer une troisième ou écrire quelques autres plus courtes.

Présentation de quelques éléments de transformation opérés par un adaptateur sur un texte original :

1-     changement du titre : selon le message destiné au public

Ex : Si Achour: prévient de l’emprunt du modernisme par le biais de l’imitation et non par la réflexion.

Ex : Le député respectueux : ne pas se fier à ceux qui prétendent représenter le peuple au parlement.

*tous les titres ne sont pas aussi descriptifs de la morale véhiculée par la pièce.

2-      changement des noms des personnages et des lieux

3-      préservation de la structure dramaturgique originale du début à la fin, sauf dans la pièce Le député respectueux. On verra que l’auteur a supprimé entièrement le dernier acte de Topaze de Marcel Pagnol, ce qui transforma la pièce de sa forme comique en tragédie lorsque le héros décida de se suicider.

4-      retrait de plusieurs scènes pour raisons diverses ce qui écourte les actes et les intègre les uns dans les autres. Transposition de scènes d’un acte à un autre.

5-      les dialogues sont écourtés : ce qui affaiblit la situation dramatique et la rend incompréhensible et inachevée. Ceci se remarque lorsqu’on recense et compare  les répliques d’une scène ou d’un acte dans le texte original et le texte adapté

Ex : scène2 acte3 où l’auteur dévoile les intentions de Suzie et son comportement vis à vis de tout ce que l’entoure. Elle nous apparut alors égoïste, réfractaire à toutes les valeurs ne cherchant que son intérêt et imbue de sa personne. Tout cela apparaît dans le dialogue avec Topaze qui voulait la sermonner sur son mauvais comportement. Nous  ne retrouverons pas cette image terrifiante de cette femme dans le texte de l’adaptation parce que l’auteur s’amusa à condenser 131 répliques en 50 seulement. Ce constat nous aide à découvrir l’impact de cette façon de faire et ses effets négatifs dans la construction psychologique des personnages.

      Il compressait toutes les pièces en  trois actes quel que soit leur nombre dans le texte original.

    Ceci n’est pas une option esthétique mais une démarche qui s’inscrit dans l’organisation des    manifestations de l’époque. La soirée était divisée en deux parties, la première étant pour le théâtre et la seconde réservée au gala artistique. Il fallait donc pour Réda Houhou prendre en compte le temps limité réservé au théâtre pour permettre à l’orchestre de clôturer la soirée. Comme il nous apparut aussi que les occupations multiples, les efforts dispersés entre le journalisme et la direction de l’institut Ben Badis en plus des activités du Mizhar aient eu une influence sur les écritures dramaturgiques. Ces paramètres nous montrent aussi le climat d’urgence dans lequel il s’exprimait, les erreurs multiples, les omissions, les ratures visibles dans les brouillons de ses adaptations etc.

      Tous ces facteurs ne pouvaient lui permettre d’approfondir sa réflexion dans son travail d’adaptation. Ce fut quand même une expérience riche et variée et un atout dans le domaine de l’écriture dramaturgique en Algérie.


 
 



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