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           Le Monde, la chute et l’argent

 

 

Jamais, peut-être, dans l’histoire de France, la presse n’a connu une crise aussi grave. Ces secousses continues n’ont pas ménagé le quotidien prestigieux « Le Monde » qui vient d’être acheté par le trio d’hommes d’affaires Pigasse-Bergé-Niel  après les séismes qui ont frappé de plein fouet France-Soir, Le Figaro et Libération, condamné à se dévêtir de ses oripeaux de mai 68 pour se vendre au plus offrant. Le vent du néolibéralisme marquant les cénacles dirigeants en France et les foudres de la mondialisation ont fragilisé une presse sans réelles perspectives d’avenir, tombant souvent dans les travers du journalisme people, allant parfois dans les sentiers « people » déjà investis par Internet. Les jeux s’annoncent d’ailleurs difficiles dans un secteur où les journaux gratuits pullulent, concurrençant gravement les journaux désormais en panne d’imagination, se faisant ainsi priver d’une partie de la manne publicitaire. La télévision, elle-même, aujourd’hui, peine à s’y retrouver à tel point que le Président français, Nicolas Sarkozy, est intervenu, ne rompant pas avec sa logique marchande, pour imposer la décision de supprimer la publicité des chaînes publiques alimentant ainsi les télévisions privées comme TF1. Cette gestion trop idéologique, marquée par les relents du discours néo-libéral, fait trop de ravages dans un secteur qu’on attendait au tournant. Seul Le Canard enchaîné, semble ménagé par cette tempête.

C’est dans ce contexte délicat que le quotidien « Le Monde » vit une grave situation, obligée à se délester de plusieurs entités du groupe et à licencier environ 130 personnes, incitant les journalistes à observer une grève historique le lundi et le vendredi derniers, une première depuis la naissance de ce journal en 1944. Les choses deviennent très difficiles. L’arrivée de Sarkozy donnant un virage trop à droite à son pays fragilise davantage certains journaux, poussant quelques uns à s’aligner, par calcul peut-être, sur le discours du nouveau locataire de l’Elysée.

La presse française a encore une fois connu certains déboires avec son alignement sur Nicolas Sarkozy lors de la dernière élection présidentielle. Même un journal comme « Le Monde » a suivi le mouvement et a soutenu à fond le locataire actuel de l’Elysée. Seul « Le canard enchaîné » et quelques petits titres ont résisté à cette dangereuse foucade. Dernièrement, le directeur de la rédaction de « Paris Match » a été limogé après la publication de photographies singulières de Cecilia Sarkozy. « Le Journal du Dimanche » a, à la suite de pressions de Lagardère, un de ses financiers principaux, censuré un article donnant une information vérifiée comme quoi Mme Sarkozy n’avait pas voté au second tour.

Jamais, le quotidien français, « Le Monde », n’a connu autant d’attaques que ces derniers mois, surtout après la publication du livre de Pierre Péan et de Philippe Cohen intitulée tout simplement, « La face cachée du Monde ». Certes, ce n’est pas la première fois que ce quotidien de référence subit une campagne d’une telle intensité. La haine se conjugue avec les lieux diserts du règlement de comptes. Déjà, du temps de son fondateur, Hubert Beuve Méry, considéré, à tort ou à raison, comme un espace mythique légitimant une genèse paradoxale, des journalistes s’étaient attaqués à cette citadelle bâtie par De Gaulle pour servir de vitrine à sa politique. Ce n’est pas sans raison que « Le Monde », malgré certains petits désagréments, a suivi à la lettre la politique officielle du général tout en soutenant son retour. La censure était paradoxalement justifiée et admise par l’usage peu amène de cette expression massue « raison d’Etat » qui faisait du journaliste un simple fonctionnaire. C’est peut-être cette situation originelle qui engendre les crises successives connues par le quotidien parisien du soir. Le départ de Beuve-Méry de la direction du journal allait provoquer de sérieuses crises de succession. Certes, Jacques Fauvet, ancien rédacteur prend le relais, mais contesté, d’autant plus que les événements de mai 68 avaient provoqué de grandes secousses et d’énormes césures dans la société française et dans la relation qu’entretenaient les journalistes avec le pouvoir. Mai 68 a contribué, en quelque sorte, à libérer le journalisme trop accroché aux basques du discours politique dominant, exception faite de deux ou trois journaux.

D’anciens journalistes, marginalisés par leur direction et d’autres confrères se mettent à tirer à boulets sur ce journal en usant parfois d’arguments spécieux, cherchant dans le passé de Jean Marie Colombani, aujourd’hui remplacé par Eric Fottorino et de Edwy Plenel, directeur de la rédaction démissionnaire et de leurs parents des éléments peu sérieux pouvant accréditer l’idée d’un manque de nationalisme ou, plus grave, de trahison et tentant de les rendre responsables de la grave situation économique actuelle la direction du journal. Certes, ces pamphlets réussissent à mettre à nu le fonctionnement de ce quotidien qui s’est toujours présenté comme un journal de référence. Faux scoops, manipulation et mise en scène de l’information, marginalisation de l’enquête, non vérification des sources et bien d’autres maux constituent les espaces communs du journal « Le Monde », mais également de tous les autres médias français et européens. Le Monde, aujourd’hui, au bord de la faillite, a davantage perdu de crédit en se faisant l’otage du monde de l’argent représenté par ses acheteurs, Pigasse (Banque Lazard), Bergé et Niel(Free). La querelle entre les administrateurs internes (principalement les journalistes) et les actionnaires externes n’est pas près de s’éteindre. Bien au contraire, de graves soupçons pèsent sur l’ « indépendance » du Monde, à mal, depuis sa création. Le lynchage en règle des dirigeants du Monde pose fondamentalement le problème de l’éthique journalistique. Cette polémique, usant à profusion de lieux communs, de stéréotypes et de clichés met en relief l’absence d’un débat sérieux et d’une certaine éthique intellectuelle. Tous les coups bas sont permis dans ce pugilat en manque d’arguments licites qui a donné à voir l’extrême pauvreté d’une presse qui n’arrête pas de donner des leçons aux autres alors qu’elle manque manifestement de pudeur. Ainsi, se pose tout simplement la question de la fonction du journalisme et de la place de la subjectivité dans l’écriture journalistique.

Ces derniers temps, les grands médias « occidentaux » ont vécu des situations pénibles mettant parfois dangereusement en péril leur existence. La crédibilité s’est sérieusement émoussée depuis  longtemps. Le New York Times a perdu gravement en estime avec l’affaire des journalistes plagiaires. En France, combien d’affaires ont été tues. Des journalistes qui envoyaient leurs « reportages » supposés sur des pays étrangers à partir du bistrot du coin ou le présentateur-vedette de TF1, Patrick Poivre d’Arvor qui fait une interview montage avec Fidel Castro sont toujours en place. Comme d’ailleurs ce rédacteur en chef de cette même chaîne qui, en 1993, ajoutait, cela mettait de l’ambiance, des salves et des coups d’armes automatiques à un envoi effectué à partir de l’hôtel El Djazair qui n’en nécessitait pas. Ce journalisme de caniveau, imposé par une certaine conjoncture et marqué par le compagnonnage trop suspect avec les espaces de la finance, est l’expression d’une crise larvée révélant les dangereuses dérives d’une presse trop subjective, évitant dangereusement d’apporter une information complète et mettant en scène ce qu’on appelle désormais l’information spectacle au service des intérêts de la boîte dirigeant réellement le journal.

Cette dimension spectaculaire contribue à appauvrir le journal en faisant le plus souvent l’économie de la vérification des sources, d’autant plus que chaque média cherche à donner la nouvelle avant ses concurrents. Aussi, comprend-on la déclaration de Serge Dassault, sénateur UMP et propriétaire de la SOCPRESSE (plus de 70 titres de la presse quotidienne régionale, en plus du Figaro et de L’Express) qui appelaient les « journaux à diffuser des idées saines », c’est-à-dire les siennes, celles du groupe politique auquel il appartenait. Cette affirmation a suscité de nombreuses réactions contre la concentration de la presse aux mains d’une seule personne comme c’est le cas d’ailleurs en Italie ou en Angleterre par exemple. Le groupe de la presse régionale et les grandes chaînes de télévision ont d’ailleurs pris fait et cause pour le candidat UMP et s’attaquant aux autres personnalités postulantes à la présidence. Comme d’ailleurs, à l’occasion des législatives favorisant le parti de droite.

Mais il se trouve que la question de l’écriture journalistique reste aujourd’hui prisonnière des bailleurs de fonds dirigeant les journaux et orientant forcément les différentes lignes éditoriales. Les règlements de comptes ont pignon sur colonnes et sur rédactions souvent trop instrumentées et marquées par des jeux malsains et des trafics infinis mettant en cause la crédibilité et la sincérité de nombreux journalistes qui se feraient facilement acheter moyennant monnaies sonnantes et trébuchantes.

Le quotidien « Le Monde » qui connaît une difficile crise financière (chute des ressources publicitaires et baisse des ventes) ne s’attendait pas peut-être à cette levée de boucliers qui allait l’assommer à tel point que six livres- brûlot sur ce journal ont été publiés en l’espace de 18 mois. C’est trop. Cette fois-ci, le Monde perd sa dimension mythique pour retrouver les chemins escarpés empruntés par tous les autres médias français.

Longtemps craint et fonctionnant comme une véritable institution à la fois faiseuse et déstabilisatrice de rois, le journal, vitrine de la France, est qualifié par de nombreux auteurs et d’anciens journalistes du quotidien d’ « anti-français » et d’entreprise « mafieuse » usant régulièrement de chantage et de trafic d’influence.  De nombreux correspondants de presse en place dans des pays africains, arabes auraient été soudoyés par les dirigeants en place qui paieraient cher pour voir un journal français ou européen célébrer leur règne. Le Monde, grand journal de référence et de pouvoir était courtisé par tous les gouvernements du « Tiers-monde » qui auraient aimé qu’il aborde en termes élogieux leur gestion.

Ainsi, l’Algérie a connu successivement des correspondants du Monde qui cherchaient parfois à courtiser le Président du temps de Boumediene et d’autres plus ou moins agressifs. C’est vrai que Le Monde, à l’époque, arrivait à écouler entre 20000 et 30000 exemplaires dans le pays. Durant cette période, les journaux distribués à Alger attaquaient très rarement les gouvernants en place. Il y allait de l’avenir de la distribution de leur organe de presse dans un pays où on lisait beaucoup, notamment la presse française. Malgré cela, la censure, trop indélicate, veillait au grain.

Il faut attendre les années 80, une fois l’importation des journaux étrangers arrêtée, pour que les critiques contre le « pouvoir » algérien et la « junte militaire » allaient occuper de larges espaces de la presse française qui, souvent, en traitant des questions algérienne, arabe et africaine, faisait fi des règles déontologiques minimales en se libérant de toute prudence et de toute vérification de l’information. Les généralisations trop abusives, les jugements trop hâtifs, l’absence de sources fiables et le parti pris marquaient les lieux médiatiques. Des journalistes du Monde, trop naïfs et trop peu au fait de la situation complexe de l’Algérie, se jouent de manière extraordinaire des règles élémentaires du journalisme en usant de « sources » trop anonymes ou de généralisations parfois prêtant au rire (« l’homme de la rue »). On écrivait sur l’Algérie comme on allait en guerre sans prendre la précaution d’interroger l’information et les sources. Ce regard trop manichéen, ne correspondant nullement à la complexité de la société algérienne, traversait tous les médias français. On se souvient du procès opposant Said Sadi à l’envoyé spécial du « Monde » Jean-Pierre Tuquoi qui affirmait que le leader du RCD était l’homme des généraux. A la question du tribunal sur la source de l’information, le journaliste répondit simplement : un général avec lequel j’avais mangé. Décidément, le correspondant du Monde devenait ainsi, si on suivait sa logique, le journaliste du général. Tout est bon pour ne pas déranger les « évidences » toutes faites et les différentes constructions idéologiques. Ainsi, disparaissent fatalement les discours de la direction sur l’impartialité et la vérification des sources et de l’information contenus dans un de ses documents décrivant « sa » ligne de conduite professionnelle et éditoriale.

La rapidité avec laquelle est traitée l’information sur l’Afrique et les pays arabes indique le peu de sérieux et le manque flagrant de professionnalisme caractérisant une partie des journalistes trop marqués par cette course effrénée au scoop et aux révélations trop peu fiables. Le discours partial, les nombreuses envolées lyriques et la mise en accusation de l’Autre, traité de tous les maux, sans aucune possibilité de réagir caractérisent des journaux comme Le Monde, Libération et bien d’autres qui ne se lassent pas de donner des leçons aux journalistes africains et maghrébins alors que l’autocensure et la censure font des ravages dans leurs propres rédactions. Chose paradoxale, mais normale dans les travées du journalisme européen. Même le médiateur du Monde, Robert Solé, a été censuré par sa direction. Que dire des envolées antichinoises après l’affaire du Tibet, drainant une mobilisation générale des troupes de journalistes qui, sans informations réelles, reconstruisent la Chine ou encore voulant imposer, à base de spéculations et de jugements trop idéologiques, les élections au Zimbabwe ou au Venezuela.

Ces pratiques journalistiques ne sont nullement nouvelles, elles remontent à des temps anciens. Ce n’est pas du tout la paire Colombani-Plenel qui a été à l’origine de ces pratiques. Ni le nouveau venu à la tête du quotidien du soir « Le Monde », aujourd’hui chancelant, qui a inventé cette nouvelle « écriture journalistique », trop piégée par les discours ambiants et l’empire de la pensée unique sévissant aujourd’hui dans la grande partie des territoires médiatiques et culturels, à tel point que nous avons affaire à la même information autrement reformulée dans tous les médias. Même la hiérarchisation de l’information obéit à la même logique.

Mais il faut tout de même savoir que depuis longtemps, les journalistes étrangers et notamment français, surtout Le Monde, étaient reçus en Algérie par les gouvernants avec tambours et trompettes. Déjà du temps de Boumediene, les journalistes étrangers (surtout Paul Balta et Lotfi el Kholi) avaient leurs entrées un peu partout. C’est le cas encore aujourd’hui pour certains. D’autres, jusqu’à maintenant, n’hésitaient/n’hésitent pas à accepter des cadeaux trop coûteux. On parle d’un hebdomadaire paraissant à Paris qui aurait reçu de sérieuses facilités, lui permettant ainsi de changer de position. Cette réalité, encouragée par un certain déficit démocratique des institutions et du fonctionnement autocratique des appareils de l’Etat ne peut qu’engendrer ce type d’attitudes poussant les dirigeants à chercher par tous les moyens la présence des médias étrangers se transformant en instruments de légitimation, quêtant une sorte de reconnaissance de l’étranger.

Avec la domination de l’argent dans les espaces médiatiques et le contrôle de l’information par de grands trusts, est-il possible de parler du journalisme d’auteur ou d’indépendance des médias N’assiste t-on pas aujourd’hui à la disparition du journalisme tout court qui laisse place au discours propagandiste et publicitaire ? Le Monde paie les subsides d’une crise généralisée de la morale publique trop corrompue par les jeux sinueux de la mondialisation.

 

                                                                     Ahmed CHENIKI


 
 



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