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Les sentiers escarpés du journalisme

Les paradoxes de la presse algérienne

                                            

La presse ne cesse de faire l’actualité depuis déjà longtemps, bien avant les événements de 1988 qui ont vu l’émergence d’une presse privée dont la naissance est traversée par de multiples paradoxes. Ces journaux qui se qualifient outrageusement d’indépendants (un mot très à la mode à l’époque un peu partout dans le monde) viennent du secteur public qui a, lui aussi, a connu de sérieuses contradictions. Ainsi, quelques animateurs des nouveaux titres privés étaient marginalisés dans un secteur public où le plus souvent les plumes les plus médiocres, parfois collaborateurs des services de sécurité, se retrouvaient placés aux fonctions les plus élevées. C’est le cas également aujourd’hui pour des titres publics qui, par la grâce de gouvernements trop peu confiants et manquant gravement de rigueur, vivent de publicités de l’Etat tout en vendant un nombre très limité d’exemplaires. La parole de quelque ministre de la communication reste fragile et trop peu crédible. Les faits sont têtus.

Mais il faut signaler tout de même que, déjà bien avant l’apparition de cette presse privée, que des journalistes, certes peu nombreux, se sont battus pour changer les choses, défiant étiquetages faciles et répression politique et policière.

Cette quête de liberté n’est nullement récente, même si aujourd’hui d’anciens piètres journalistes, trop conformistes, souvent sans titre universitaire (même si ce n’est pas une condition sine qua non de la compétence) se muent en extraordinaires opposants et en irrépressibles chantres d’une cause à saisir. Depuis l’indépendance, quelques journalistes désiraient voir naître une presse professionnelle, moins arrimée aux différents pouvoirs qui ont gouverné cette Algérie trop bien attachés à de redondants slogans et d’éternels clichés. Ils exerçaient, en solitaires, dans différents journaux, sans cesse abreuvés d’étiquettes et d’anathèmes et fichés à merveille, parfois par certains qui sont toujours là, aujourd’hui autrement requinqués, mais qui, hier, se faisaient le porte-plume d’un wali trop peu inquiet ou d’un ministre parfois semi analphabète.

La mode n’est pas définitivement épuisée. Il y avait dans les années soixante- soixante-dix, quelques signatures qui brillaient, mais dès qu’elles dépassaient les limites définies ou les bornes mises en œuvre par des directeurs ou des rédacteurs en chef dont souvent la fonction consistait à censurer toute parole professionnelle et libre, elles se faisaient taper durement sur les doigts. Déjà, les différentes chartes balisaient le jeu de l’écriture. La charte d’Alger, les deux moutures de la charte nationale, et les différents textes du FLN dessinaient les contours d’une presse fermée, marquée du sceau de la propagande et du mensonge par omission. Ce qui rendait toute écriture sérieuse peu possible. Une grève presque générale de la rédaction d’El Moudjahid durant une assez longue période n’a pas empêché ce quotidien de paraître ni de sensibiliser les dirigeants politiques du pays dont certains sont toujours aux commandes ou dans l’ « opposition ». C’est dire la situation dans laquelle se cantonnait une presse où la censure, la diffamation officielle, les multiples interdictions de signature constituaient la culture de l’ordinaire.

Les années soixante dix allaient marquer un tournant décisif dans la presse algérienne. C’est durant cette période que furent recrutés un grand nombre de jeunes sortis directement des différentes universités. Ce qui allait provoquer un sérieux déclic dans une profession dominée par des autodidactes dont la grande majorité n’avait pas le BEPC (l’équivalent du brevet d’enseignement moyen) et, compte tenu de leur niveau d’instruction, ne pouvaient pas se permettre de s’aventurer à écrire des articles « objectifs », ce qui pouvait les entraîner à la porte de sortie. Les décideurs de l’époque s’accommodaient bien de cette situation.  Il y avait aussi quelques rares diplômés de l’enseignement supérieur, essentiellement sortis de l’école de journalisme, qui allaient sérieusement s’imposer avec le recrutement d’autres licenciés qui rompaient ainsi leur solitude.

Les choses changeaient, les nouveaux journalistes, même si un certain nombre d’entre eux étaient très marqués politiquement, ce qui donnait à l’écriture journalistique une dimension partisane, plus marquée par les jeux de décisions politiques, surtout dans les années soixante dix. Les luttes entre certaines rédactions et leur direction allaient se multiplier. Des journaux ont momentanément brillé par leurs qualités professionnelles comme La République et Algérie-Actualité, mais leurs directeurs sont vite renvoyés par les ministres de l’époque, Ahmed Taleb El Ibrahimi  et Boualem Bessaih qui dira en aparté après le limogeage de Zouaoui Benhamadi de l’hebdomadaire Algérie-Actualité qu’il était contraint de le faire d’en haut. Même des secrétaires étaient « placées d’en haut » pour reprendre l’expression d’un directeur de cet hebdomadaire. Mais contrairement à certaines affirmations rapides, les luttes étaient féroces pour la conquête d’espaces d’écriture. Il faut savoir que l’appareil médiatique, surtout la presse écrite, renfermait plusieurs tendances, de militants de partis clandestins (FFS, PRS, PAGS, islamistes et groupes trotskystes) au FLN. Dans les années 80, à Révolution Africaine, l’organe central du FLN, il n’y avait qu’un seul adhérent de ce parti alors qu’il y avait des militants de partis clandestins.

Les contradictions et les paradoxes marquaient sérieusement cet appareil trop réfractaire aux grilles trop peu opératoires d’universitaires souvent prisonniers d’excessives généralisations et d’un sérieux déficit de méthode et de rigueur. Une analyse sérieuse de la presse en Algérie devrait prendre en considération tous les paramètres sociologiques, politiques et idéologiques. Il est trop facile et trop confortable de se limiter à un discours aux antipodes du savoir universitaire comme le fait très maladroitement, en restant prisonnier de schémas idéologiques réducteurs, un certain El Hédi Chalabi (La presse algérienne au dessous de tout soupçon) usant essentiellement de clichés et de stéréotypes bon marché. Un ancien membre du bureau politique du FLN des années 60, Hocine Zahouane, qui a préfacé l’ouvrage , oubliant les textes pondus à son époque, la charte d’Alger réduisant la presse à un porte-voix du socialisme, c’est-à-dire tout simplement du pouvoir, s’attaque à tout le monde comme si les journalistes étaient des traîtres. Il semble oublier que c’est bien à son époque bénite qu’Alger Républicain fut mis sous la botte d’El Moudjahid, contribuant ainsi au musellement  d’une voix différente, certes peu discordante. Il faut dire que de belles hirondelles ont connu de mièvres printemps comme Alger Républicain (1963-1965) , Révolution Africaine (1963-1965), La République, Algérie-Actualité (1978-1983) ou Echaab (1975), mais elles furent toutes lamentablement liquidées. Il se trouve que les journaux ont connu essentiellement des directeurs sans force, incompétents notoires, inconnus dans le jeu de l’écriture journalistique, mais qui excellent dans le croisement des ciseaux à tel point que même les saisons et les noms étaient censurés.

Aujourd’hui, après toute une série de luttes engagées par des journalistes et par une volonté intéressée d’hommes politiques comme Mouloud Hamrouche, les titres privés qui n’ont absolument rien d’indépendants (l’indépendance est une illusion), sont là, avec leurs faiblesses et leurs forces, mais semblent poser problème à des gouvernants encore trop habitués à ne lire que des journaux, illustrateurs du discours officiel, un peu à l’image d’El Moudjahid ou d’Echaab.

On ne peut comprendre la situation actuelle si on ne cerne pas le contexte historique qui a permis l’émergence des différents titres privés, du moins les plus influents et les plus vendus. Certes, au début, Mouloud Hamrouche, déjà bien avant qu’il devienne chef du gouvernement, au temps où il était à la présidence, avait déjà cherché à mettre en œuvre un paysage médiatique privé, mais avec des arrières pensées très claires : le soutien de son action. Ce n’est pas sans raison qu’une fois au gouvernement, il nomme tous ceux qui avaient fait un chemin avec lui, dans une semi clandestinité à des postes de direction des organes publics et il apporte une aide conséquente aux nouveaux titres privés. C’était la mode des directeurs et des journalistes « réformateurs ».

Ainsi, les journaux privés qu’on avait maladroitement affublé du qualificatif malheureux d’« indépendant », héritage de la presse publique et des multiples contradictions du « système » politique algérien, allaient s’imposer sur la scène publique et souvent fonctionnant comme des espaces politiques, marginalisant dangereusement tout travail d’investigation. Tout se fait au niveau des sièges centraux ou de certains bureaux régionaux où exercent des correspondants, souvent non rémunérés ou travaillant carrément au noir. L’investigation exige des sorties d’argent. Ce qui n’est pas du goût de ces nouveaux patrons qui préfèrent investir dans d’autres créneaux comme si l’information n’était pas la raison d’être de ces journaux. Ainsi, la formation des journalistes, le travail sur le terrain pâtissent sérieusement de ces choix éditoriaux qui mettent sérieusement à mal cette « indépendance » en en faisant des organes d’opinion politique.

Le travail journalistique ignore le terrain et flirte tragiquement avec les jeux d’appareils qui limitent considérablement la parole du journaliste portant désormais des oripeaux du militant politique et usant exagérément d’adjectifs qualificatifs et du passé simple qui sont des lieux antinomiques avec l’écriture journalistique. Les dernières élections présidentielles ont mis en lumière ces pratiques trop restrictives et prisonnières de lieux manichéens (Pour ou contre Bouteflika). Dans les deux cas de soutien ou d’opposition, le journal est marqué par une sorte d’assujettissement à un clan ou à un autre perdant ainsi ce qu’on pourrait appeler sa neutralité opératoire. Les hommes politiques algériens, en dehors des arcanes du pouvoir, ont toujours loué, par simple intérêt, les mérites d’une presse libre, mais une fois repêchés dans le gouvernement ou à sa proximité, ils vouent aux gémonies la presse, se permettant même le luxe de se transformer en donneurs de leçons d’éthique et de déontologie journalistique alors qu’ils ignorent tragiquement les métiers de la presse. Il serait intéressant de relire les déclarations de certains ministres actuels et même de chefs de partis, dans les deux postures (en dehors et dans le gouvernement) qui balancent entre amour et répulsion en fonction de la conjoncture et des relations entretenues avec le Président.

Le gouvernement a le monopole de la force  et ainsi, il peut imposer son discours, en usant tout simplement de la répression et de manœuvres dilatoires. Tout le monde se met à évoquer la diffamation et l’éthique. Certes, les journaux privés et publics (trop souterrains parce que sans lecteurs) usent à volonté de propos diffamatoires, mais la question serait simple si on la posait ainsi. La question est ailleurs. Tant que la moralisation de la vie politique n’est pas enclenchée, la diffamation traversera tous les espaces sociaux, médiatiques et politiques. Le président ne s’est-il pas attaqué, dans des tribunes étrangères, sans prendre les précautions d’un homme d’Etat à un de ses prédécesseurs, Chadli Bendjedid et n’a-t-il pas traité les journalistes de « Tayabet el Hammam » ? Le débat ne devrait pas se limiter à la presse, mais surtout à la « classe politique » qui devrait mettre en œuvre un conseil de l’éthique la concernant. Les dernières élections présidentielles ont montré les limites et le niveau culturel réel de ceux qui nous gouvernent et de leurs opposants. Le ministre de la communication, M.Boudjema Haichour est ben gentil, mais la diffamation, légale et légitimée pendant une quarantaine d’années par le pouvoir en place et son relais, le FLN, reste encore vivace dans les contrées du pouvoir.

Mais le conflit presse-pouvoir s’expliquerait surtout plus par l’impossibilité pour les gouvernants de dompter un secteur privé visqueux devenant ainsi peu sûr, quelque peu autonome. Ce n’est pas pour rien que les dirigeants refusent d’ouvrir l’audiovisuel au privé considérant les Algériens comme trop peu mûrs, sans intelligence. Tout ce qui peut échapper au contrôle est répudié, rejeté. Cette attitude est symptomatique d’une pratique du pouvoir autoritaire se permettant l’exclusif droit de donner des leçons de démocratie à sens unique et reproduisant inconsciemment les mêmes pratiques des années de plomb. Mais le problème qui existe aujourd’hui, c’est surtout l’absence  de transparence dans le fonctionnement des espaces politiques et des appareils médiatiques. Dans les deux lieux, l’opacité est la chose la mieux partagée. Ainsi, tous les gouvernements ressortent des affaires d’impayés et d’impôts non réglés en temps de crise et de conflit avec certains titres de la presse privée. N’est-il pas possible d’appliquer les textes législatifs à tous les Algériens, mais non uniquement dans des situations ressemblant à de vulgaires règlements de comptes ?

Les gouvernants n’arrivent pas à appliquer les lois  (fraude fiscale, travail au noir…) dans tous les secteurs de la vie économique, de peur parfois peut-être d’indisposer certains « élus », les titres privés qui présentent rarement leurs bilans financiers, disposent souvent d’une comptabilité et d’un fonctionnement opaques. Un quotidien d’Alger faisant l’actualité risquerait d’avoir de sérieux problèmes avec des associés qui tenteraient de porter l’affaire devant la justice. On parle aussi de la publication d’une liste de personnalités qui auraient bénéficié de largesses de Abdelmoumène Khalifa. Trois « patrons » de presse y figureraient. Donnera t-on tous les noms ou se limitera t-on à quelques personnes qui dérangent ou sont en mauvaises relations avec les dirigeants actuels ? C’est un jeu trop peu sérieux. Ainsi, la situation est trop confuse dans de nombreux titres où  travail au noir et impôts impayés sont monnaie courante. N’est-il pas temps que le gouvernement bouge et tente  de régler le problème qui traverse tous les secteurs économiques et sociaux, celui du travail au noir qui nuit également au milieu de la presse qui emploie des correspondants et des « journalistes » sans rémunération ou payés au dessous du SMIG ? Cette situation décrédibilise le métier de journaliste. L’Etat devrait cesser d’être un espace de manœuvres, mais un instrument de régulation. Ainsi, est-il concevable et moral que des titres publics, trop peu vendus, bénéficient de huit à dix pages quotidiennes de publicité ? Ainsi, n’est-il pas temps d’imposer la constitution d’un OJD ( Office de justification de la diffusion), ce qui rendrait les choses  transparentes et permettrait à l’éventuel annonceur de connaître le tirage des journaux dans lesquels il fourguerait sa publicité. L’expérience d’     El Watan est intéressante. 

       Un regard sur les rapports presse-pouvoir pose sérieusement le problème du fonctionnement trop opaque, autoritaire, médiocre des deux institutions qui devraient engager de sérieuses réformes et opérer de profondes transformations. Mais la presse privée a grandement contribué à décloisonner quelque peu la parole et à apporte une pointe positive à certains débats.

 

                                                                                                Ahmed CHENIKI

 

 


 
 



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