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Presse publique en Algérie

Service ou sévices publics

Par Ahmed CHENIKI

 

       Parler de « service public » de la presse en Algérie, c’est tromper son monde car dans notre pays, cette notion reste encore ambiguë et impropre. C’est un territoire gouvernemental.

Depuis l’indépendance, les journaux reproduisaient le discours du pouvoir, avec souvent quelques voix discordantes qui arrivaient à s’exprimer en profitant des conflits qui éclataient entre factions au pouvoir. Tout le monde savait que Benyahia ne s’entendait pas avec Taleb, que Bélaid n’aimait pas spécialement Boutéflika…Certains journalistes cherchaient à dire certaines réalités en faisant des contorsions incroyables.

       Cette situation n’était pas nouvelle. Avant l’indépendance, le journal El Moudjahid développait deux discours idéologiques distincts dans ses versions arabe et française. L’indépendance acquise, les dirigeants voulaient faire de la presse « une arme au service de la révolution et du socialisme ». Pour Hocine Zahouane, membre du Bureau politique du FLN à l’époque, ne disait –il pas que l’information devrait être une école du socialisme. Les slogans avaient pignon sur chartes (de Tripoli, d’Alger, Nationale double version) marquées par des restrictions insurmontables. Leurs rédacteurs (Harbi, Rédha Malek, Mostéfa Lacheraf, Ahmed Taleb, Bélaid Abdesslam…) changent aujourd’hui de ton et épousent l’idée de la liberté de la presse. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Mais les dégâts occasionnés sont presque insurmontables.

       Les premières années de l’indépendance, l’enthousiasme aidant, des journaux potables dirigés par des intellectuels doublés d’une certaine « légitimité révolutionnaire » arrivent à séduire le lectorat algérien. Il s’agit de Révolution Africaine (Mohamed Harbi), d’Alger ce soir et de Novembre (tous deux dirigés par Mohamed Boudia assassiné par le Mossad en 1973 à Paris) et d’Alger-Républicain (Abdelhamid Benzine). Le Peuple, organe officiel, faisait vraiment pâle figure dans les kiosques. Révolution Africaine qui avait de prestigieux collaborateurs (Charles Bettelheim, Georges Arnaud, Mourad Bourboune…) avait, en 1963-1964, ouvert un passionnant débat sur la culture nationale qui dérangea sérieusement à l’époque Ben Bella qui ordonna à Harbi la mise en veilleuse de ce débat unique et original qui partit d’un texte de Lacheraf et une réponse de Bourboune. C’était le premier cas flagrant de censure. Mohamed Harbi n’avait pas démissionné, il fut même conseiller spécial du Président.

       Ainsi, les présidents faisaient et défaisaient les directions des journaux. La nomination des directeurs était toujours le fait des appareils militaires et civils. Parfois, quelques malentendus surviennent comme ce fut le cas de Merzoug et de Morsli, grands patrons qui quittèrent leurs postes sans crier gare, c’est à dire dignement.  Les chefs de bureaux à l’étranger de l’APS  se faisaient agréer par l’un ou l’autre cercle. Le responsable de la publication doit obligatoirement obéir à la lettre aux consignes de ceux qui ont désigné l ‘ « heureux » élu. Parfois, des divergences éclataient à propos de la nomination de telle ou telle personne.

       Boumediene lisait souvent de très bon matin El Moudjahid, même s’il savait qu’il ne trouverait rien de nouveau préférant ses « contacts » avec ses « amis » Paul Balta et Lotfi el Kholi aux journalistes algériens. Le Monde était considéré comme le journal officiel des officiels algériens et Paul Balta était surnommé par ses confrères du quotidien parisien,  « El Mondjahid ».

       La presse « publique »ne pouvait qu’être médiocre, même si certains journalistes possédaient de remarquables qualités. D’autres, non qualifiés et sans diplômes, faisaient tout ce qu’on leur demandait. Certains se sont enrichis en se faisant les porte-parole de tel ou tel ministre ou de tel ou tel wali. Ainsi, des journalistes de Révolution Africaine furent sanctionnés en 1987 après avoir fait un reportage sur la Wilaya d’Alger, le wali d’Alger leur a retiré les décisions d’attribution de boutiques au sous-sol de la Grande Poste. Dans les journaux gouvernementaux, on trouve de tout, analphabètes, policiers, indicateurs, fonctionnaires khobzistes et journalistes talentueux.

       Les équipes de direction changent en fonction de chaque ministre de l’Information et de la Culture. Ahmed Taleb El Ibrahimi installe Nait Mazi, un ancien responsable de la presse du MNA (il rejoint le FLN en Allemagne en 1958) et Mohamed Said à la tête d’El Moudjahid et d’Echaab. Dociles, sans qualités professionnelles, ils servent le maître du moment. Rédha Malek, sans grands pouvoirs, ne put rien faire d’autre que de nommer un nouveau  directeur à la tête  d’Algérie-Actualité, M. Zouaoui Bénamadi à la place du discret et loyal Mohamed Abderrahmani. Cet hebdomadaire qui tirait avant l’arrivée de la nouvelle direction à 60.000 exemplaires triplait son tirage et ses ventes et atteignait le chiffre de 200.000.  Ce n’est pas étonnant que Mostéfa Lacheraf, alors ministre de l’Education Nationale, fut descendu en flammes dans la presse en 1977 sous la dictée de certains ministres du gouvernement Boumédiène. Lacheraf n’a jamais compris ce qui lui était arrivé. Ce fut la première fois qu’on s’attaquait à un ministre dans la presse. Ainsi, l’auteur d’Algérie, Nation et Société qui, lui aussi, jouait le jeu du silence, comprenait à ses dépens qu’il n’était pas intouchable.

       Ces jeux rendaient la vie insupportable dans les rédactions où magouilles, manœuvres, contre-manœuvres battaient le tambour dans les couloirs. Les « anciens », souvent non diplômés allaient souvent mal vivre l’arrivée de nouveaux journalistes, sortis tous frais de l’université, contestataires et bien outillés. Beaucoup d’entre eux allaient connaître la censure, l’interdiction de signature, le licenciement, le chantage au logement…Ils vont contribuer à changer les choses. Mais déjà, certaines lueurs brillèrent à Oran dans un journal dirigé par l’excellent Bachir Rezzoug, La République avant son arabisation et à Alger Echaab (1975, rubrique culturelle dirigée par Tahar Ouettar), Algérie-Actualité (1978-1985) que l’ancien premier ministre, le colonel Abdelghani considérait comme un journal d’opposition, Révolution Africaine (1963-1964 et 1985-1988).

       La censure était et est toujours le lot quotidien de cette presse marquée par la médiocrité et le manque flagrant de professionnalisme. A El Moudjahid, un rédacteur zélé a même censuré la météo (il faisait chaud ce jour là) un certain 5 octobre 1988. En 1984, le dessinateur Slim a osé caricaturer Chadli, la police intervient pour bloquer le numéro en question et obliger la direction à confectionner un autre journal. A El Moudjahid, en 1986, lors de la discussion de la charte nationale, seconde version, le directeur faisait écrire des « lettres de lecteurs » par ses journalistes qui signaient en utilisant des noms fantaisistes. Des listes noires de journalistes, d’écrivains étaient établies. Révolution et Travail est suspendue après le coup d’Etat avorté du colonel Zbiri en 1967. Un journaliste de la télévision qui, après avoir donné les informations nationales, avait utilisé une expression quelque peu suspecte avant de passer aux nouvelles internationales, « passons aux choses sérieuses », fut tout bonnement suspendu de ses fonctions. Malika Abdelaziz et M.S.Ziad connurent le licenciement après avoir parlé de « prince blanc » et de blancheur ; c’était du temps de Chadli. La presse publique était instrumentée pour des raisons précises. L’affaire Merbah en 1989 était un coup monté par certains barons au niveau de la Présidence. Au bout de six mois, le directeur d’Algérie-Actualité de l’époque fait un bilan négatif d’un exercice à peine entamé, sans compter la fausse « pénurie » du tabac.

       Les choses ne semblent pas s’arranger dans le secteur « public » qui connaît des tirages très bas et un niveau professionnel quelconque. Mais ce qui est certain, les luttes d’un certain nombre de journalistes ont mené le pouvoir à reculer et à ouvrir le secteur. Ces plumes, certes ne constituant pas la majorité, ont payé un prix fort(brimades, humiliations, licenciement, interdiction de plume…) pour arriver à cette nouvelle situation. Ils se démarquaient souvent publiquement des lignes de leurs journaux (pétitions et A.G de 1980 60 journalistes et de 1988,environ 75 ; tables rondes organisées dans des lieux publics…). Certes, Mouloud Hamrouche, prétendant au poste de chef du gouvernement avant de le prendre, avait miné le terrain en plaçant certains de ses pions qui, une fois, à la tête du gouvernement, allaient être récompensés par des postes de D.G d’organes publics. Ils se faisaient appeler des « journalistes réformateurs », certains d’entre eux étaient « cadres » au Mouvement des Journalistes Algériens (MJA). Aujourd’hui, les « brosseurs en chef » d’hier sont devenus les plus forts en gueule et les plus grands opposants. Quel retournement de l’Histoire.

 


 
 



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