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L’ère de la mise en scène

De : Habib Boukhelifa

         Il n’y a pas de définition exacte de la mise en scène, c’est plutôt le transfert d’un texte théâtral fondamentalement dramatique à sa représentation scénique. Elle impose impérativement un certain nombre d’éléments qui peuvent mettre en branle le choix et la particularité de l’œuvre dans le processus de mise en scène. André Antoine la définit  comme [1]« l’art de dresser sur les planches l'action et les personnages imaginés par l’auteur dramatique ». Il existe plusieurs conceptions scéniques possibles d’un même texte théâtral et  c’est pour cette raison que beaucoup de textes classiques vivent encore sur scène. L’art de la représentation aujourd’hui doit énormément aux efforts des metteurs scènes, particulièrement après la deuxième guerre mondiale. Jusqu’aux débuts du dix neuvième siècle il y a eu des tentatives d’organiser les spectacles dans une mise en place du texte sans analyses profondes ni recherches esthétiques scéniques.

 Apres que le pouvoir de l’église fut totalement dévolu, de l’âge des ténèbres surgissent les lumières de la renaissance. Le théâtre est devenu une nécessité dans le tissu urbain des cités européennes, les idées novatrices commencent à fleurir et parsemer les esprits des créateurs et des penseurs et c’est ainsi que fut  ravivé le patrimoine théâtral grec.  2[2]«  L’art de la poétique » d’Aristote est devenu une bible théâtrale aux chevets de chaque penseur et écrivain, une source de connaissance pour comprendre mieux la tragédie et la comédie. William Shakespeare et Christopher Marlowe ont ouvert  les pages d’une nouvelle écriture dramaturgique le mouvement néoclassique qui imprégna ensuite beaucoup de disciples jusqu’aux débuts du dix neuvième siècle. La grandeur de ces classiques a poussé les hommes de théâtre à parfaire les spectacles dans une dimension épousant le génie de l’écriture néoclassique. Le concept de mise en scène jusqu’à là  n’avait pas beaucoup d’importance, autrement dire l’organisation des spectacles était souvent soumise aux dictas du meilleur comédien ou comme ils étaient appelés « les monstres des scènes ». Le comédien le plus célèbre et le plus dominant était toujours le moteur de la troupe. Il oriente comme bon lui semble les spectacles, parfois aidé par le régisseur, il modèle une mise en place  scénique en fonction des didascalies du texte de l’auteur où la déclamation est de rigueur. Ce n’est qu’à partir de la fin du dix neuvième et le début du vingtième siècle que la mise en scène était devenue incontournable dans la dynamique de la création théâtrale. Elle mit en mouvement plusieurs autres disciplines artistiques, scientifiques et techniques, entrainant un changement profond de l’analyse du texte au niveau sémiologique et technique pour dépasser les mises en place stéréotypes du jeu des comédiens et leurs rapports avec l’espace scénique dramatique d’une part et le public d’autre part. Le grand mouvement de pensées s’imposa à l’art et particulièrement au théâtre. Les metteurs en scènes, nouveaux messies de la scène s’attelèrent aux nouvelles recherches de formes esthétiques  et techniques scéniques pour faire prévaloir l’une des expressions les plus populaires. André Antoine en France, Adolf Appia en Suisse, Otto Abraham en Allemagne, Constantin Stanislavski en Russie, Gordon Greg en Angleterre, révoquaient sans relâche la tendance du réalisme naturel qui a duré un peu plus longtemps et a figé la scène théâtrale sans aucun renouveau dans la conception des spectacles. A Partir du début du siècle dernier que le concept de mise en scène est globalement admis dans la pratique théâtrale européenne et américaine.la critique est devenait de plus en plus précise et audacieuse, enrichissant une pratique théâtrale de plus en plus exigeante vers de nouvelles formes esthétiques scéniques.la nécessité de la recherche engendra plus de précision dans la configuration du spectacle dramatique. C’est ainsi qu’apparut le terme de l’écriture scénique comme un outil méthodique permettant de dépasser le déjà vu, indispensable à l’analyse de la mise en scène et la conception du spectacle ou ce que j’appelle en terme technique un « scénogramme » : c’est l’étude précise de la dynamique scénique et l’évolution concrète du schéma de la représentation dans l’espace et le temps. C‘est la cohésion harmonieuse de l’ensemble des éléments matériels et physiques et psychologiques qui composent le spectacle à savoir les mouvements, les déplacements, les actions, structurant la totalité dramatique du spectacle. Le renouvèlement de la scène est étroitement lié aux bouleversements des langages esthétiques qu’avait connus la première moitié du vingtième siècle.

Les metteurs en scènes se préoccupaient davantage de l’écriture scénique après la deuxième guerre mondiale et favorisaient la diversité des formes esthétiques théâtrales nouvelles et modernes dépassant souvent les indications des auteurs  allant jusqu’à réécrire le texte, c’est ainsi que  Romeo et Juliette  de William Shakespeare  a pris des formes très différentes et occupe une place importante dans les répertoires des espaces de la représentation théâtrales dramatiques.la recherche de l’émotionnel par de nouvelles réflexions et procédés techniques scénographiques et musicaux en créant de véritables atmosphères dramatiques. Les recherches de Stanislavski sur la vérité dans le jeu des comédiens ont bouleversé l’interprétation scénique en lui donnant la  dimension d’un réalisme psychologique très convaincant et spectaculaire. Une méthode chère à [3]« la formation de l’acteur » du vingtième siècle dont la force motrice est la mémoire affective et l’expérience émotionnelle dans la vie de touts les jours, l’imagination et l’intelligence des faits actionnels. Cette façon de travailler le personnage est appelé « système » qui influença un très grand nombre de metteurs en scènes comme le fameux Anglais Peter Brook auteur de [4]« l’espace vide » et le Français Antoine Vitez.

Le théoricien Russe est à l’origine de la grande réputation aux Etas Unis d’Amérique de l’Actors Studio où ont été formés les grands acteurs américains comme Clift Montgomery, Marlon Brando, James Dean, Dustin Hoffman, Jane Fonda, Paul Newman...Meyerhold par sa « biomécanique »

L’écriture scénique apporta un nouveau concept dans les décors qui se transforment en termes de scénographie. Josef Svoboda faisant la synthèse entre l’art et la technologie donna une autre dimension à la scène où la mise en scène est totalement indépendante. Elle est devenue une spécialité à part entière. Elle imposait une vaste culture et un savoir dramatique approfondi, une connaissance poussée de l’espace et des moyens techniques modernes. la relation entre le spectateur et l’espace scénique dépend souvent de cette écriture scénique qui crypte d’une façon objective la dynamique du spectacle. L’expérience de la mise en scène dans les pays qui ont puise dans les fibres des mythologies grecques et orientales et asiatiques comme l’Allemand Berthold Brecht qui a pu s’inspirer du concept du théoricien et écrivain russe Chklovski et du théâtre « no » en fondant un concept pratique théâtral de [5]« distanciation » où il s’oppose catégoriquement au naturalisme psychologique de Stanislavski. Pour lui, il n’est pas question d’endormir les consciences en leurs proposant l’illusion,  mais l’art théâtral  doit mener le spectateur vers la réflexion et la prise de position sur les événements qui constituent sa vie sociale et affective. Jerzy Grotowski reprend le système de Stanislavski et opta pour un concept pratique différend « le théâtre pauvre » où toute la création théâtrale repose essentiellement sur le comédien, il est le moteur de la magie de la scène. Il synthétisa « le système » de Stanislavski et les expériences de Meyerhold Vsevolod Emilievitch qui a déjà mis au point une méthode révolutionnaire d'entraînement de l'acteur : [6] « la biomécanique »revalorisant  le corps dans l’espace dramatique après de très longues recherches dans le domaine plastique et musical, il modifia presque touts les procédés conventionnels théâtraux en commençant par supprimer les rideaux et fragmenter l’espace scénique avec les techniques des lumières en relation avec le public, il s’inspire de la culture russe populaire des  [7]« skamarokhis » et de la culture extrême oriental, il s’opposait à Stanislavski dans la forme et le fond de la représentation . Grotowski  proposait une autre méthode de travail avec l’acteur où la relation avec le public est l’essence même de l’art théâtral, son œuvre a influencé de nombreux praticiens de théâtre dans le monde. Toutes les grandes expériences dans le domaine de la mise en scène qui aboutissaient à des formes esthétiques scéniques nouvelles étaient fondamentalement liées aux textes classiques depuis l’époque grecque à citer celui d’Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, en passant par la renaissance comme celui de William Shakespeare, Christopher Marlowe, Lopé de Vegas, Miguel de Cervantès, Tirso de Molina jusqu’à Pedro Calderon, Pierre Corneille, Molière, Henrik Johan Ibsen, Alexandre Ostrovski, Carlos Goldoni, Anton Tchekhov, Maurice Maeterlinck…

La dramaturgie contemporaine de Samuel Beckett, Jean Cocteau, Eugene O’Neill, Garcia Lorca, Sean O’casey, Ionesco, Arrabal Fernando, Marcel Achard, Bernard Shaw, Tennessee William, Harold Pinter, Maxime Gorki, Mikhael Boulgakov, Sławomir Mrozek, Sartre Jean Paul, Camus Albert, a favorisé  encore davantage l’exploitation de l’espace scénique dans le sens d’exprimer les préoccupations humaines dans le sens politique, idéologique et affectif. Les deux écritures se conjuguaient pour donner naissance à des spectacles qui durent parfois très longtemps sur scènes. Le metteur en scène et l’auteur travaillaient en étroite collaboration pour définir la nécessité d’une esthétique théâtrale nouvelle et captivante. L’art scénographique est devenu après Josef Svoboda un élément scénique important et incontournable dans la configuration de l’espace scénique de la représentation théâtrale. C’est une troisième écriture qui tisse harmonieusement les idées de l’auteur et celle du metteur en scène en s’appuyant sur les progrès technologiques.la lumiere et la musique, les effets spéciaux ainsi que les accessoires et les costumes interviennent pour créer l’atmosphère dramatique du spectacle et lui donner une dimension  de vraisemblance à la vie. L’action physique des acteurs caractérisent les personnages et leur différence psychologique. Il est improbable d’arriver à gérer efficacement le processus de mise en scène sans au préalable avoir  une capacité d’analyse profonde au niveau du texte et une conception exacte du futur spectacle où les idées et l’imagination constituent l’énergie motrice fondamentale à l’organisation de la représentation. Les efforts des metteurs en scènes ont pleinement contribué à la distinction des genres à savoir la tragédie, la comédie, la tragicomédie, le drame psychologique, la satire, l’épopée, etc. Aristote définissait déjà deux genres : la comédie et la tragédie. Le travail de mise en scène opère dans l’immédiat par l’effet de la représentation destinée à un public présent dans le temps et l’espace à une un moment donné. Elle lie étroitement la société à la scène autrement dire le comédien au public.cet art nouveau de la mise en scène caractérise l’histoire du mouvement théâtral moderne où le texte d’un auteur n’a de sens que lorsque il est signé par un metteur en scène. Les noms de Gordon Graig, Jacques Copeau, Constantin Stanislavski, Erwin Piscator, Meyerhold Vsevolod côtoient ceux de Anton Tchekhov, Luigi Pirandello, Maxime Gorki, Gean Anouilh où [8] « la représentation théâtrale constitue une œuvre automne qui a pour auteur le metteur en scène »souligne Bernard Dort.

 Il est nécessaire d’évoquer que la société arabe et plus particulièrement le Maghreb ont connu tardivement la fonction de mise en scène par l’inter culturalité, un processus [9]«  d’emprunt » dans les limites d’un contact avec la culture dominante coloniale aux court de la première moitié du 20em siècle. Un emprunt primitivement acquis par la nécessité d’organiser des spectacles qui n’a pas trop évolué faute de moyens de formation et de possibilités techniques et intellectuelles mais il reste que certaines expériences en adaptant des textes classiques sont pourvues de vision de mise en scène.[10]« Or, ce qui se passe dans la vie d'un homme se passe dans la vie d'une nation et dans celle de l'humanité. Les jugements des hommes sont soumis à des transformations perpétuelles, car les éléments de leur esprit se combinent de plusieurs manières selon leur nombre et leur nature. La scène est le seul endroit où l'on assure que la vie peut être autrement vécue. Dans cette optique, La mise en scène ne fait-elle pas partie intégrante du processus théâtral déjà entrepris par l’auteur ? Le théâtre est un genre littéraire à part entière et La pièce de théâtre se réalise dans sa représentation finale. Si La mise en scène est porteuse de sens, La représentation est porteuse d'une autre dimension c’est celle de l’harmonie de la forme et du contenu  et fait déjà partie intégrante du processus d'écriture. Il reste que dans l’expérience théâtrale maghrébine beaucoup de praticiens particulièrement les comédiens ont pris en charge la mise en scène et l’écriture dramaturgique soit en adaptant des textes classiques et modernes comme Ould Abderhmane Kaki, Abdelkader Aloula soit en écrivant des textes  relevant de l’écriture d’urgence en dialecte populaire. Ils   étaient beaucoup plus préoccupés par la scène que par une esthétique littéraire. Le milieu d’appartenance  socioculturel caractérisé par l’oralité impose cette pratique scénique qui met une valeur des idées forcement dans le jeu et l’espace. Ces auteurs metteurs cherchent d’abord à captiver le spectateur et lui faire sentir ses propres valeurs culturelles ensuite le convaincre du changement. C’est une mise en scène d’animation où les spécialités de la scène n’ont pas beaucoup d’importance. L’écriture d’urgence qui s’inspire fondamentalement de la contestation sociale imposait une mise en place de discours sociopolitiques conjecturels. La plus part de ces metteurs en scène et auteurs par interférence ont appris le théâtre dans le tas. La fonction esthétique de la mise en scène n’a pas encore atteint son paroxysme pour donner une seconde dimension à l’acte théâtral arabe et maghrébin et dépasser les formes répétitives souvent ennuyeuses où la narration prime sur l’action. L’absence d’une véritable écriture dramaturgique nécessaire au passage à la deuxième écriture à savoir la mise en scène, régénère encore la confusion entre la littérature romanesque et celle du drame. Il n’empêche que certaines expériences ont aboutit à des résultats qui peuvent s’inscrire dans une perception juste de la mise en scène.

Une mise en scène comprend quatre  éléments de base :

-analyse de la structure dialogique (texte)
- intonations adoptées par les acteurs
- choix des dispositions spatiales (acteurs, décor...)
- choix des accessoires (objets...), des costumes...
A partir de là, une mise en scène est un choix de lecture de la pièce qui  est le résultat d’une analyse de la structure dialogique.
C'est ce que propose Patric Pavis dans une enquête, [11]«  consacrée aux réalisations scéniques de ce tournant du millénaire. Elle nous fait rencontrer bien des types de spectacles : mises en scène des classiques et des textes contemporains, performance, théâtre du geste, dramaturgie de l'acteur, lecture scénique, nouveaux médias, théâtre de la déconstruction, expériences interculturelles… » Les grandes découvertes en matières des arts plastiques et techniques audiovisuelles en matière de scénographie, en Europe et aux Etats Unis et la mise en jeu des textes contemporains ont donné une mesure surdimensionnée à la mise en scène. Enfin, le théâtre du geste et la dramaturgie de l'acteur se manifestaient dans beaucoup de travaux. Une formulation théorique et pratique solide de la mise en scène se forme de plus en plus à travers les espaces pédagogiques de formation artistique théâtrale. En termes de savoir-faire les étudiants de la discipline de mise en scène apprennent fondamentalement à construire et réaliser un projet personnel, à diriger des acteurs, intervenir sur le texte dans une analyse de la structure dialogique, analyser un spectacle, , animer une équipe , synthétiser et travailler en groupe, savoir également prévoir  et gérer un budget de production, de diffusion et de communication.

Le phénomène de réécriture ou  d’adaptation est le résultat du désir de recréer l’image des grands oeuvres dramaturgiques qui ont jalonnaient l’histoire de la pratique théâtrale, [12] « La mise en scène et le texte théâtral doivent se combiner de manière complémentaire. La première peut modifier le second en fonction de l'effet recherché. Il ne faut pas y voir une intention de travestir une œuvre d’origine, mais plutôt une actualisation destinée à l'adapter à notre époque ou à mettre en évidence un élément précis. Néanmoins, certaines œuvres peuvent être adaptées et d'autres non »  un texte peut perdre de sa grandeur sans cette mise en scène qui  peut  mener à différentes interprétations d’un même texte, avec l’idée de base qu’elle servira à une représentation spatiale. La mise en scène aujourd’hui est incontournable dans les lectures scéniques diversifiées des textes dramaturgiques. Elle impose de plu en plus une vaste connaissance de plusieurs disciplines scientifiques et culture poignante sur la vie sociale, politique et affectives.                                                                                       


[1] « Dictionnaire de théâtre » Patrick Pavis Ed Armand Colin Paris 2004

[1] « L’art de la poétique » Aristote traduction B.Gernez éd. Belles Lettres Paris 2007

 

[3] La formation de l’acteur » Constantin Stanislavski Edition Payot Pais 2002

[4] « L’espace vide » Peter brook édition Poche Paris 2001

[5] « L’art du comédien, écris sur le théâtre »Berthold Brecht, Edition  Gallimard, Pléiade, Paris 2000

[6]« Ecris sur le théâtre » Meyerhold Vsevolod, Edition  l’âge d’homme, Paris 1992

[7] L’appellation des troupes de théâtre populaires russes à la façon de la commedia d’el Arte

[8] Théâtre et public » Bernard Dort, Edition Seuil Paris 1967

[9] « Théâtre en Algérie », Cheniki Ahmed EdiSud., France 2002

 

[10] « L’art de la mise en scène », Becq de Fouquières, Edition Charpentier et Cie, Paris 1884

[11] « La mise en scène contemporaine »  Patrice Pavis:, Paris, Armand Colin, Coll. "U", 2008,

[12] « La mise en scène contemporaine »  Patrice Pavis:, Paris, Armand Colin, Coll. "U", 2008,

 


 
 



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