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Un entretien avec Anouar Benmalek

L’actualité au cœur de l’écriture

Réalisé par Soumeya Merad

 

- Soumeya Merad : Une question un peu classique : Anouar Benmalek le mathématicien est-il le même Benmalek écrivain ? Comment interviennent ces deux mondes pourtant aux antipodes l’un de l’autre dans votre vie d’écrivain et de professeur ?

- Anouar Benmalek :  je ne souffre pas d’un dédoublement de personnalité, je vous rassure. Pour moi les deux activités essentielles de ma vie ne sont aussi éloignées. Puisque je suis à la fois mathématicien et écrivain et que je ne souffre d'aucune schizophrénie (j’insiste) bien  Au contraire, le mathématicien, habitué à ne pas s'en laisser conter, distingue sans trop d'efforts, les failles d'une construction romanesque. Oui, la littérature est le domaine du questionnement, de ce qui n'est jamais sûr, du doute en fin de compte, mais ce doute, pour donner naissance à une œuvre véritablement littéraire, doit être introduit, "construit" dans le texte de la façon la plus rigoureuse possible. En ce sens, imagination débordante et discipline de l'esprit ne sont plus ennemies, mais d'inestimables alliées au service de la littérature. Comme d'ailleurs de toute autre œuvre de création, les mathématiques en particulier .

- Soumeya. M Tous vos lecteurs serions curieux de savoir comment  se fait le partage de ces deux activité qui dans votre vie de tous les jours ?

- A. Benmalek : Evidemment je ne pourrai pas faire un exercice de math et comme pause j’écrirai quelques lignes !!! En fait dès mon jeune âge- d’ailleurs  maintenant que je suis ici   la ville natal de mon père et celle qui me rappelle mon enfance  les souvenirs  me reviennent et c’est émouvant- pour l’anecdote  je me  rappelle que pour mon père il ne fallait surtout pas faire ni une faute de grammaire ni une faute de conjugaison, et même pendant son absence il nous laisser un enregistrement d’une dictée. Donc vous voyer  il fallait deviner dès ce moment que je serai les deux à la fois. Pour ce qui de mon activité en tant que professeur je l’exerce plutôt l’après midi pour la littérature c’est autre chose.  Au fait  je ne suis pas un écrivain « rêveur », un roman pour moi c’est tout un projet une recherche, je  travaille généralement le matin pour écrire un roman je me consacre les première heure de la matinée  je m’enferme dans un endroit qui ressemble à un grenier, voilà je cherchais  le mot je suis un fonctionnaire de  la littérature. 

- Soumeya. M: Vous dites que vous êtes un fonctionnaire de la littérature, expliquez- nous votre vision de la littérature mais surtout de l’écriture 

- A. Benmalek :  Les grands moments de ma vie en tant qu'individu c'est le hasard qui en a voulu. Jamais je n'aurais pensé, par exemple, que j'irai vivre à l'étranger. Au fond, je n'ai pas été maître de ma vie. Le fait de vouloir écrire était pour moi une sorte de revanche contre ces événements qui m'ont fait quitter mon pays, qui ont fait que des gens autour de moi et que j'aimais beaucoup ont été tué. J'ai écrit pour dire que je gardais un peu de liberté. On a tous en Algérie été ballottés par les événements. J'ai essayé d'être libre, y suis-je parvenu ? C'est mon effort perpétuel, j'avais une parole qui avait coûté beaucoup à d'autres. La seule chose que je pouvais faire contre ce raz-de-marée d'événements était d'écrire ce que je pensais sincèrement, profondément. Ce n'est pas beaucoup. Mais savoir qu'on a essayé d'être libre ça vous console un peu .

- Soumeya. M : Donc  vous écrivez  essentiellement  pour témoigner 

- A. Benmalek : Non il n’y a pas que le témoignage dans mes romans. La littérature est le domaine de l’imagination, de  la passion et  fondamentalement le domaine du doute, du vague et de l'à-peu-près. Ecrire devient dès lors  difficile parce que les gens ne supportent pas que vous soyez libre. Je ne parle même pas du pouvoir mais des gens, honnêtes, qui ne veulent pas que vous abordiez certains sujets. La pression sociale est infiniment plus importante que celle du pouvoir. Parce que ce qui intéresse ce dernier est en fin de compte de garder le pouvoir. Mais les gens sont les premiers censeurs. Allez parler de religion… Cette liberté est difficile d'acquérir mais si on en a un bout, il faut en faire usage. 

 

- Soumeya.M:  Quel rapport entretenez-vous avec l’exil ? 

- A. Benmalek : Partir. Partir a été, pour moi, le moment le plus terrible de ma vie et en même temps celui qui m'a éveillé à une certaine idée de l'écriture. J'écrivais en Algérie mais je ne savais pas que c'était aussi important pour moi.
L'exil est parfois, souvent, toujours, douloureux, mais est nécessaire pour secouer les préjugés qu'on avait, qu'on a, et qu'on traîne toujours avec nous. A tout écrivain doit être imposée une période d'exil. En exil, l'écriture vous fait une espèce d'une batterie de rechange. C'est pour cela que je dis que l'exil était nécessaire à l'écrivain car il sort de ce carcan. On découvre une société dure, parce que la société occidentale est dure, parce qu'elle n'a pas ce qui fait si chaud au cœur en Algérie qui est la fraternité. Atteindre l'âge adulte, c'est découvrir que, avant d'être frères, nous sommes d'abords citoyens et que la fraternité telle que nous la pensons est souvent de la servitude. Je suis frère de celui qui est dans le pouvoir ou dans l'opposition 

- Soumeya.M : Quels sont les liens qui vous attachent désormais avec votre pays ?

- A. Benmalek : Je ne peux pas ne pas revenir pour visiter mon pays et à chaque fois c’est l’émotion ; le retour vers mes racines ma patrie est tout à fait  naturel. Je suis venu il y a deux ans et je suis revenu cet été. Mais ça reste insuffisant. Dès qu'on s'absente un peu, les choses changent tellement vite. Émotionnellement assez dur. Des choses importantes se passent un sentiment d’étrangeté dans ton propre pays c’est un peu…mais pour quelqu'un qui écrit, le sentiment, de cette étrangeté est important. Je crois que, de temps en temps, il faut s'abstraire en allant ailleurs. Le problème qui reste ici est celui du concret. Partir à l'étranger c'est découvrir qu'écrire est aussi un métier. A côté du fait d'écrire, il y a l'éditeur qui est un vrai éditeur… Ce que j'aimerais qu'il y ait en Algérie, c'est l'arrière-fond culturel et professionnel qui permet d'écrire. Ça vient petit à petit. C'est encore quelque chose qui est à attendre. A long terme.

- Soumeya. M : Parlons plus en détails de vos romans mais surtout des Amants Désunis ? Dans ce roman il y a une sorte de démythification de l'histoire. Vous partez de la guerre de Libération  pour aboutir au terrorisme islamiste Vos appréciations ?

- A. Benmalek : Dans mes livres, je ne me donne jamais pour but principal de démythifier l'histoire. Pour moi, quand cette démythification se produit, c'est en quelque sorte un dégât collatéral du travail romanesque. Quand je commence à penser à un roman, c'est d'abord l'envie et le plaisir de raconter une histoire qui prédominent, avec de " vraies " gens aux prises avec leurs lâchetés, leurs haines, leurs amours, leur bonté aussi. Raconter une histoire pour moi, c'est voir comment des gens ordinaires réagissent face à des circonstances qui peuvent être extraordinaires. Un roman, c'est d'abord une expérimentation de vie : je ne triche donc pas avec le contexte du roman. Si ce contexte est celui de l'Algérie, par exemple, alors ce contexte même est parfois si terrible qu'il ne peut pas passer au second plan. Je parle donc beaucoup de l'histoire dans mes histoires, mais souvent pour être moi-même stupéfait de mon ignorance. L'histoire de notre pays est un matériau romanesque prodigieux, surtout si on ne se laisse pas paralyser par le " politiquement correct "

- Soumeya. M : Vous considérerez-vous comme écrivain universel ? 

- A. Benmalek : Il est vrai que je ne choisi que les histoires des Histoires, je parle des  insurgés de la fin du XIXe siècle qui se sont battus pour la liberté contre l'occupant français est un exemple extraordinaire d'héroïsme, mais elle prend un relief particulier quand on apprend que ces mêmes insurgés ont pu s'allier à l'armée française en Nouvelle-Calédonie pour traquer les rebelles canaques! Dans mes romans, je parle d'êtres humains et ces insurgés algériens ont démontré qu'ils avaient tous les attributs de l'humanité, sa grandeur et ses faiblesses également. La guerre d'Algérie, elle aussi, ne doit pas se raconter en noir et blanc. Guerre juste par définition, elle a libéré les Algériens de l'oppression coloniale mais, dans une certaine mesure, elle contenait en germe les raisons d'une autre oppression, celle de l'appareil bureaucratique du FLN sur l'Algérie indépendante. Parler de l'épopée de la libération, du courage sans mesure des maquisards algériens ne peut pas, pour un romancier, se faire sans évoquer tel ou tel événement abominable, par exemple le massacre de Mellouza, ce village dont tous les habitants, enfants, femmes, hommes, ont été tués dans des conditions atroces pour des " raisons politiques " par ceux-là mêmes qui étaient censés les libérer. Un roman qui se donnerait pour but d'occulter les réalités déplaisantes manquerait de la vérité de la vie, qui est à la fois sale et belle. Le lecteur algérien est un lecteur exigeant ; il ne supporte plus qu'on lui mente, il a appris à être suffisamment adulte pour tout accueillir : l'ombre et la lumière, l'ignoble et le sublime. Le prix qu'il a payé pour ce statut de citoyen adulte a été épouvantablement élevé, que ce soit hier avec le colonialisme ou aujourd'hui avec la dictature molle et corruptrice du Pouvoir ou la barbarie intégriste.  

- SoumeyaM : Et la place de la société, nous avons l’impression que vous êtes enraciné  dans l’engrenage de la vie et des évènements algériens 

- A. Benmalek : Je pense que l’enracinement  se dévoile d’une manière inconsciente parfois, par amour du pays. pour moi le se doit de dire la vérité .le roman, quand il est sans concessions, contribue à une attitude critique vis-à-vis des idées toutes faites et des caricatures qui remplacent, chez nous, une approche à bras-le-corps de la réalité. Surtout quand cette réalité est déplaisante ou douloureuse. Et, dans l'histoire de notre pays, la douleur est omniprésente ! La littérature, quand elle n'est pas stipendiée au service des pouvoirs en place ou d'une idéologie totalisante, ne remplace pas évidemment l'histoire ; elle sert seulement à rappeler que l'homme, s'il est capable d'être magnifique, cède trop souvent aux côtés sombres de l'âme humaine. La mesquinerie et l'ignominie sont plus souvent au rendez-vous chez n'importe quel peuple que l'héroïsme et la magnanimité. Et l'Algérie ne fait pas exception ! On a tellement menti dans notre pays, nous avons tous tellement accepté qu'on nous mente qu'une cure de vérité est une obligation ardente pour l'Algérie. Le roman peut y contribuer à sa manière et à sa toute petite échelle. 

- Soumeya. M: Revenons aux  personnages,  comment voyez-vous vos personnages qui, rappelons-le, présentent souvent cette image horriblement sanguinaire ?

- A. Benmalek : Mes personnages sont avant tout des êtres humains. Quand notre société combattait ceux qu'elle considérait comme des oppresseurs étrangers, les idéaux étaient clairs. Ils consistaient au fond à retourner contre les colons leurs propres slogans. Malgré des erreurs tragiques, le combat était limpide : devenir des citoyens libres, fraternels et égaux, quels que soient, au moins dans les textes, la religion, le sexe ou l'origine ethnique. A cette époque, l'étranger n'était pas consubstantiellement un ennemi. Il ne le devenait que s'il s'opposait à la revendication d'indépendance des Algériens. La lutte de libération a été malgré tout une lutte d'inspiration universaliste. Ce n'est plus le cas avec l'intégrisme : pour lui, celui qui ne pense pas de manière orthodoxe est pire qu'un ennemi, c'est un déchet qui ne mérite pas la moindre compassion. Au contraire, c'est un devoir religieux de le faire souffrir au maximum. Les personnages insoutenables de cruauté qui apparaissent dans tel ou tel roman algérien ne sont malheureusement que le pur reflet de la cruelle réalité de notre histoire présente. 

- Soumeya. M : Dans Les Amants désunis, deux personnages sont nés et morts. Ils n’ont existés que par leurs prénoms, Mehdi et Mériem, qu’est ce qui a motivé le choix des prénoms ? S’agit-il d’une connotation religieuse ? 

- A. Benmalek : Vous savez quand j’écris un roman, une fois le roman terminé je n’ai qu’une seule idée en tête c’est de l’oublier et passer à un autre roman, un autre projet. Donc pour ce qui est des choix des prénoms je ne saurais vous répondre. 

 

                                           Entretien réalisé par Mme Merad Soumeya
 
 



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