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A la recherche d’une Pratique culturelle en Algérie :

Le cinéma

Evolution historique et codes esthétiques

 

Par Soumeya Merad, doctorante, maître-assistant à l’ENS de Constantine

 

« Ce que nous demandons au cinéma, c'est ce que l'amour et la vie nous refusent, c'est le mystère, c'est le miracle » Robert Desnos

 

Nous nous réfugions souvent dans le cinéma, Le cinéma a toujours été  au centre des débats, le septième art s’est imposé en tant que tel  avec les travaux d’André Bazin et de  Christian  Metz, c’est avec leurs travaux  que le cinéma  a pu se définir comme art autonome car  chaque art doit définir ce qui le distingue des autres arts. Il doit définir sa spécificité, ce qui le rend irremplaçable.

Selon Christian Metz, le langage cinématographique n'est pas tout ce qui apparaît dans les films, mais ce qui n'est susceptible d'apparaître qu'au cinéma, et ce qui constitue donc, de façon spécifique, le langage cinématographique au sens étroit. L'objectif est de mettre au jour les figures signifiantes (relation entre un ensemble signifiant et un ensemble signifié) proprement cinématographiques. Sont analysés les différents modes possibles d'arrangement des plans pour présenter une action. Metz met toute la lumière sur les unités cinématographiques. 

Cependant  qu’en est-il du cinéma algérien ? Quel est l’apport du cinéma algérien en tant que pratique culturelle ? Le cinéma algérien  est-il une pratique culturelle voulue et appréciée ?

Nous avons longuement réfléchi sur le statut que pouvait  avoir, le cinéma en Algérie,

Il a toujours été lié à l’histoire de son pays. Relatons un peu la naissance et l’évolution de ce septième art.

 

 

 

 

 

 

Le cinéma algérien et l’Histoire de l’Algérie sont inextricables, le FLN  étant  considéré comme un acteur capital de la lutte pour l’indépendance, le cinéma allait naître dans les maquis. Dans les années 60, la thématique de la guerre est omniprésente dans le jeune cinéma algérien. On cherche à forger l'image du héros combattant de la liberté et fondateur de l'identité nationale. Quelques réalisateurs sont formés dans les pays de l'Est, notamment à Moscou, des infrastructures nationales sont créées. Plusieurs films de cette décennie feront date, dont Un Peuple en marche de René Vautier, Ahmed Rachedi et Nacer Guenifi, L'Opium et le bâton d'Ahmed Rachedi, Le Vent des Aurès de Mohamed Lakhdar-Hamina qui obtiendra le prix de la première œuvre au Festival de Cannes et marquera la naissance de fait du cinéma algérien. Quelques années plus tard, avec son film Chronique des années de braise, il sera le premier cinéaste du continent africain (et le seul jusqu'à présent) à décrocher la palme d'or.

 Le cinéma algérien  a aussi joué son  rôle dans la prolifération  du cinéma algérien.  Ainsi la première équipe de tournage fut montée en 1957 par un groupe de réalisateurs dirigés par l’activiste français du FLN ? René Vautier (né en 1928), et produisit l’œuvre majeur de l’époque, Algérie en flammes (1959).

Juste après l’indépendance, le cinéma algérien a investi de plus en pus le terrain, créant  une école du cinéma. Elle sera  également dirigée par René Vautier.  Rappelons ce que  Mouny Berrah disait à ce propos : « de 1957 à 1962, le cinéma algérien était un lieu de solidarité, d’échange, d’expression entre les membres du maquis algérien et les intellectuels français, sympathisants du mouvement de Libération »[1].

Pendant ces années,  la seule maison de production privée, en activité de 1965 à1967, était Casbah Films, qui se spécialisa dans les coproductions étrangères. Son fondateur était l’ancien militant du FLN, Yacef Saadi, dont la biographie a constitué la base du film , la Bataille d’Alger  (1966) de Gillo Pontecorvo. La réorganisation de 1967 a conduit à la création d’un nouvel organisme de monopole d’Etat dédié à la production cinématographique, l’Office National du Commerce et de l’Industrie Cinématographiques (ONCIC). Cet organisme allait produire la quasi-totalité des longs métrages algériens jusqu’en 1984, année de sa dissolution. Avec cette institution,  les réalisateurs devenaient des employés et recevaient de l’Etat un salaire mensuel.

Cependant ce  monopole de la production cinématographique contrôlé par l’Etat donnait lieu à de nombreux paradoxes : «   Les réalisateurs fonctionnaient comme des fonctionnaires. Je travaillais de cette manière, et mon premier film a été produit sous ce système. Dans un sens, ce système de production des films par l’Etat protégeait les réalisateurs des dures réalités du marché. Mais d’un autre côté,il posait le problème de la censure qu’elle soit exercée par l’Etat ou délibérément choisie par les réalisateurs eux-mêmes. Cela signifiait également que si un réalisateur ne disposait pas de moyens de produire son film, ou ne pouvait en réaliser qu’un seul tous les cinq ans, il percevait malgré tout un salaire. Fatalement, la corruption et le gaspillage bureaucratique étaient courants »  Merzak Allouache[2]
L’inactivité était inévitable pour certains réalisateurs puisqu’ils étaient une douzaine à être salariés, tandis que seuls deux ou trois longs métrages-en moyenne- pouvaient être produits en Algérie chaque année. Ce système a fait l’objet de sévères critiques.

L’Algérie, bien que sortant d’une terrible guerre, a produit plus de films que ses voisins (une situation qui n’était prête à changer  jusque dans les année 1990).

Comme le constate Mouny Berrah, ces films « étaient tous construits sur le nationalisme idéaliste, et mettaient en scène des héros sans faiblesses faisant preuve d’unité et de cohésion face à tous les obstacles »[3]

 Deux films de réalisateurs algériens ont été réalisés au CNCA ( le Centre National du Cinéma Algérien). Ahmed Rachedi y a réalisé son premier long métrage, L’Aube des damnés (1965), un film de montage qui replace la guerre de Libération algérienne dans le contexte des luttes contemporaines du Tiers-Monde.

Mustapha Badie, quant à lui, a  réalisé le premier film de fiction algérien, La Nuit a peur du Soleil (1966). Coproduit avec la RTA, ce film de trois heures, Rachid Boudjedra est particulièrement dur avec ce film, qu’il décrit comme « l’exemple typique du mauvais film, mélodramatique et superficiel », et révélant « l’insidieuse influence du style égyptien dans ce qu’il a de plus contestable et un folklore des plus usés »[4]

Mohamed Lakhdar Hamina , en revanche a  utilisé l’OAA comme base de production pour ses deux longs métrages des année 60, dont l’un a placé le réalisateur au premier rang des réalisateurs algériens. Citons, Le Vent des Aurès (1966) : un conte dramatique relatant l’histoire d’une famille détruite par la guerre.

Après 1968, l’éventail thématique n’a tout d’abord pas évolué pour l’ONCIC : la guerre devait rester le thème dominant pendant au moins quatre ans encore, même si les différentes approches du sujet ont été multiples et variées. Ci-dessous nous avons constitué un tableau récapitulatif des films algériens de cette période.

 

 

L’année de sortie du film

organisme de réalisation 

Le titre du film

Le réalisateur

Transposé à partir de roman

Détails concernant le film

1965

 

 

 

C.N.C.A[5]

 

 

 

L’Aube des Damnés

 

 

Ahmed Rachedi

 

 

 

un film de montage replace la guerre de Libération algérienne dans le contexte des luttes contemporaines du Tiers-Monde

 

 

1966)

 

 

 

 

Coproduit avec la RTA,

 

 

La Nuit a peur du Soleil

 

 

Mustapha Badie

 

 

 

 

film de fiction algérien : une étude épique sur les causes, le déroulement et le résultat de la guerre

1966

 

 

l’ONCIC

 

 

Le vent des Aurès

 

 

 

Lakhdar Hamina

 

 

 

Ce film a reçu le Prix de la première Œuvre au festival de   Cannes.

-Prix du meilleur scénario

 -Grand prix de l'Union des Ecrivains soviétiques. Gazelle d'Or à Tanger Maroc en 1968.

 

1968

 

 

 

l’ONCIC

 

 

 

La Voie

 

 

 

Salim Riad

 

 

 

Le film représente le vécu du réalisateur en tant que détenu en France (1958-1961)

 

 

1969

 

 

l’ONCIC

 

 

Les Hors-la-loi

 

 

Tewfik Farès

 

 

 

un film de style hollywoodien, retraçant  l’histoire de trois jeunes hommes entraînés dans la lutte de libération

 

1969

l’ONCIC

 

L’Opium et le Bâton

 

Ahmed Rachedi

Ce film est l’adaptation du roman de Mouloud Mammeri. Qui constitue notre corpus.

 

 

 

 

 

 

Ces films des années 60, en particulier Le Vent des Aurès et L’Aube des damnés, ont établi le modèle de référence pour le développement futur du cinéma algérien :
« Il devint un cinéma militant, un cinéma doté d’une cause et d’une mission éducative, débordant de métaphores du changement, de la renaissance et des forces de la nature. Il compare la révolution et le changement aux grands vents qui balayent et rafraîchissent, ou au feu rougeoyant qui purifie et forge une nouvelle réalité »[6]

Réalisateurs et réalisations algériennes : (influences et critiques) :

Les réalisateurs algériens ont été pendant longtemps influencés par les films étrangers, mais aussi par leurs parcours idéologiques. Nous pouvons dire que  les réalisateurs algériens répondent tous, aux mêmes caractéristiques d’abord : une enfance noire sous le colonialisme, l’ivresse de l’Indépendance et pour certains, la lutte pour l’indépendance .  Ils font partie d’une sorte d’élite bilingue occidentalisée, la plupart d’entre eux ont étudié à l’étranger dans les années 1960, une période d’exaltation, et d’enthousiasme.

En parlant de l’IDHEC[7] Moumen Smihi insiste sur le fait que l’enseignement dans cet institut qui a formé de nombreux réalisateurs maghrébins ; a souvent été sommaire et techniciste : « Les cours de l’IDHEC étaient très scolaires à l’époque, et on ne peut pas dire qu’il y avait une grande ouverture sur ce qu’on appelle le Tiers-Monde. Personne ne s’y intéressait vraiment, à l’exception de Georges Sadoul. On ne considérait alors le cinéma que sous deux angles : Hollywood d’un coté, et le cinéma français de l’autre, avec ses classiques et sa nouvelle vague. Enfin, l’enseignement était essentiellement techniciste et s’en tenait là »[8].

Il ajoutera : « « Il appartient peut-être aux cinéastes des sociétés qui n’ont pas pris part à l’invention du cinéma de remettre en question les structures et les types de construction des films hérités du cinéma classique. Il me semble que le cinéma peut-être une forme d’écriture capable de régénérer un mode de pensée. »[9]
Auparavant, le cinéma au Maghreb était une distraction largement réservée aux Français, les réalisateurs algériens quant à eux  étaient dans une position  d’apprentissage , ils découvraient les classiques  du cinéma français lors de projections organisées dans les écoles par les autorités française, c’est ainsi qu’ils  sont souvent  restés loin du cinéma algérien et maghrébin. Ils pouvaient difficilement échapper à l’influence du cinéma européen dont ils s’étaient imprégnés au cours de leurs années de formation, les autres réalisateurs qui   avaient étudié à Paris ne pouvaient pas ne pas être affectés par l’importance culturelle que les Français accordent au cinéma.
« L’art représentatif, ne fait  pas du  tout partie de la culture arabo-islamique, et il y a très peu de temps que nous connaissons le cinéma comme moyen d’expression. Et comme nous cherchons la voie de notre culture, nous cherchons aussi notre mode d’expression cinématographique. Et c’est pour ça que le cinéma algérien est très varié : on y trouve toutes les tendances ; aussi bien le style hollywoodien que le néo-réalisme italien, que le style soviétique…, et il y a aussi un cinéma vraiment national qui vient de nous, de nos réalités. Malheureusement la période coloniale a créé un lien très fort à la culture bourgeoise occidentale dont on a du mal à se défaire, et ça c’est ce qui se retrouve surtout au cinéma puisque, par ailleurs, il n’a aucune racine dans la culture nationale. Et ce qui joue c’est que la plupart des cinéastes ont été formés là-bas et qu’ils restent imbus de cette civilisation occidentale. De ce fait, le cinéma, bien qu’il relate des réalités de notre peuple (c’est vrai pour tous les films), comme son mode d’expression reste lié à l’Occident, l’image qu’il donne de cette réalité reste la plupart du temps extérieure à ceux qui la vivent, sans vraiment les toucher, les bouleverser dans leur sensibilité quotidienne. »[10] disait Abdelaziz Tolbi
Cette question récurrente de l’histoire du cinéma algérien permet de répondre à l’étonnement de Claude Michel Cuny, auteur de l’article Algérie dans le Dictionnaire du cinéma (Larousse) : « Il est remarquable que le cinéma égyptien n’a eu aucune influence sur le développement d’un art souvent proche du réalisme de l’âge d’or du réalisme soviétique mais dont le lyrisme,le ludisme, l’invention (chez Allouache, Zinet, Lallem) sont imprévisible et singulier »
La grande diversité des influences que nous venons de citer et bien d’autres  reçues, explique l’impossibilité de définir strictement les composantes d’une esthétique du cinéma algérien. Il demeure quelques dominantes : L’influence la plus évidente est celle du cinéma italien et pas seulement de la période néoréaliste. L’appel à Gillo Pontecorvo pour la réalisation de La Bataille d’Alger ou la production de L’ Etranger par Visconti n’est pas seulement des rappels anecdotiques. Les liens entre les laboratoires  italiens et l’Algérie couvrent toute cette période,

Par ailleurs, le rôle de la cinémathèque d’Alger doit aussi être souligné, au départ dirigée par Ahmed Hocine, qui avait laissé la direction quelque temps après à Boudjemaâ Karèche, devenait un véritable espace de formation et d’information où passaient les grands films et les grands cinéastes. Ainsi, nous découvrons  le néo-réalisme italien, la nouvelle vague française (Truffaut, Godard, Bazin.) « à tel point que de nombreux films algériens reprenaient énormément de plans, d’images et d’idées de films étrangers qui parcouraient sans cesse la représentation artistique »[11] L’impact de la cinémathèque sur le fonctionnement de l’écriture cinématographique des auteurs algériens est important. Une lecture immanente des films algériens nous permettrait de découvrir de nombreuses traces explicites et implicites de productions cinématographiques étrangères.

Le cinéma : post-indépendance  ou le cinéma engagée :

Comme nous l’avions déjà souligné cette période dans  l’Histoire  du cinéma Algérien était pendant longtemps contrôlée par l’Etat. Les cinémas nationaux nés au cours des années 60, avec l’Indépendance du Maghreb, font bien partie intégrante de ce nouveau sens de l’identité nationale, à la recherche de nouvelles formes d’expression.  Pourtant  l’approche précisément adoptée n’a pas suivi, dans la plupart des cas. Le modèle d’innovation stylistique proposé par certains réalisateurs comme Mohamed Zinet au début des années 1970 n’a pas été glorifié. Bien au  contraire, on a eu recours d’une manière générale à une variété de procédés fondamentalement réalistes, comme le choix de variantes locales de la langue arabe comme langue principale des films et la production de films de montage  sur lé réalité du colonialisme. La plupart des films de cette première période adoptent un style avant tout réaliste pour relater la lutte nationale, considérée comme unificatrice des masses populaires contre les colons et leurs collaborateurs,les riches propriétaires terriens (c’est le cas dans Le Vent des Aurès).
L’ambition première des réalisateurs restait d’exprimer un point de vue tout particulièrement algérien. Cependant les aspirations individuelles des réalisateurs ne pouvaient être réalisées que dans le contexte fourni par l’Etat, sans son soutien toute réalisation de film aurait été impossible. Les années ont été l’unique décennie au cours de laquelle la production cinématographique algérienne ne fut pas interrompue par des bouleversements administratifs. C’est peut-être la raison pour laquelle on assista à une augmentation de la production cinématographique avec 35 longs métrages réalisés pendant cette période, le tableau ci-dessous retrace les films de cette période :

L’année de sortie

Le film

Le réalisateur

Commentaires

1972

Décembre

Lakhdar Hamina/ l’OAA[12]

une histoire de torture vue à travers les yeux et l’esprit d’un officier français qui la pratique, vint compléter une trilogie très variée sur la lutte de Libération.

1972

la Libération. Patrouille à l’est

Amar Laskri /l’ONCIC

relate les mésaventures d’une patrouille de l’armée de libération chargée de remettre un prisonnier français à la frontière tunisienne.

 1974

Dans Zone interdite

Ahmed Lallem/ l’ONCIC

mêle images de fiction et archives pour montrer le développement de la conscience et de l’activité politiques dans un village

 1972

Sueur noire

Sid Ali Mazif

dépeint un groupe de mineurs dont la conscience politique est éveillée par la répression d’une grève en 1954

1972

 

 

 

1972

Le charbonnier

 

 

Noua

Mohamed Bouamari

 

 

 

Abdelaziz Tolbi

Ces deux films servirent de référence à toute une série de films abordant des thèmes ruraux, et constituent des exemples caractéristiques de la double approche adoptée : considérer le progrès dans la société rurale contemporaine et rapporter les abus du passé colonial.

 

 

1979

Morte la longue nuit

coréalisé par Riad et Ghaouti Bendeddouche

a pour sujet la lutte mondiale contre le néocolonialisme

 1975

Chronique des années de braise

Lakhdar Hamina

Avec ce film, le réalisateur  surpassa toutes les autres chroniques de la résistance et de la révolte avec sa version épique des quinze ans de lutte, premier film africain et arabe remporter la Palme d’Or au festival de Cannes.

 

 

Revenons sur le film : Chronique des Années de Braise, d’abord c’est le premier film en  couleur, grand format et son stéréophonique, ce film fait preuve d’une grande imagination visuelle et constitue une réalisation technique remarquable. Ce long métrage  évoque les principaux évènements de l’histoire algérienne de 1939 à 1954. Mouny Berrah l’apparente au style hollywoodien, tout en le mettant en relation avec le film de Rachedi, l’Opium et le bâton, en 1969. Elle dit à ce propos que ces deux films ont en commun  « une multitude de qualités et d’imperfections semblables » et « illustrent la version officielle de l’histoire »[13].

Aussi,  dans un regard rétrospectif qu’il porte sur l’idéologie du film de guerre algérien, Sabry Hafez constate « la prédominance d’une opposition binaire forte et souvent simpliste entre le héros positif –le moudjahid, le paysan et/ ou l’intellectuel – et son antagoniste , qu’il soit soldat français,ou collaborateur algérien. Le moudjahid est toujours noble, généreux, fier, prêt à tout sacrifier pour la révolution »[14].
Cependant, aussi bien en Algérie qu’en France mais pour des raisons bien différentes, le film ne reçut pas un accueil critique favorable, « Chronique des années de braise relève d’une esthétique que ne désavoueraient ni Hollywood ni le Mosfilm ; c’est l’Autant en emporte le vent des Aurès tourné par le Bondartchouk du Maghreb. Ce magnifique poèmes épique tourne le dos aux problèmes réels de l’Algérie d’aujourd’hui et de demain » écrira Jean-Louis Bory, au lendemain de la remise de la Palme d’Or[15]

Durant cette période, le cinéma algérien était, pour ainsi dire, engagé, ou alors se forçait à  l’être , étant donné que l’ONCIC conserva son monopole et continua à favoriser les films sur la lutte. En reflétant à chaque fois la lutte conte le colonialisme, inconsciemment et comme  la lutte algérienne s’est faite au niveau du village, c’est pourquoi nous remarquons que la vie rurale  est devenue  un thème central du cinéma algérien citons Le charbonnier et Noua ( voir tableau) .

Au-delà de 1972, la deuxième génération des cinéastes et réalisateurs a pris le dessus , des cinéastes, légèrement plus jeunes, faisaient remarquer que l’analyse politique de certains films laissait grandement à désirer. Ils déploraient en outre  la pratique des gros budgets et le monopole absolu du thème de la guerre de libération sur les scénarios. Ils sollicitaient la possibilité de tourner des films sur la réalité algérienne contemporaine. Ils insistaient aussi sur le fait que la conquête de l’indépendance nationale n’était pas le bout du chemin , qu’il fallait aller de l’avant vers la libération sociale et économique.
Mostefa Lacheraf, déclarait en 1968 dans une conférence prononcée à un colloque tunisien (à Hammamet) : « L’héroïsme dans sa conception individuelle et fracassante et sa finalité souvent gratuite et romantique envahit de plus en plus l’espace littéraire (cinématographique) maghrébin. Cette veine perpétue un nationalisme anachronique qui détourne les gens des réalités nouvelles et du combat nécessaire en vue de transformer la société sur des bases concrètes en dehors de mythes inhibiteurs et des épopées sans lendemain. Son exploitation pseudo-patriotique constitue délibérément, ou presque, un dérivatif proposé aux intellectuels et aux travailleurs par la nouvelle bourgeoisie marchande exploiteuse vers un défoulement inopérant ».[16]
Comme nous l’avions déjà souligné,  le cinéma algérien a de tout temps été inextricablement lié à l’Histoire.  La promulgation de l’ordonnance portant  « révolution agraire » le 8 novembre 1971 a permis au cinéma algérien d’entrer dans une nouvelle phase baptisée « cinema djidid » (cinéma nouveau).

Au début de l’année 1972, les responsables de la  télévision (RTA) demandent aux cinéastes de tourner des films destinés à illustrer le dixième anniversaire de la reconquête de l’indépendance sur le colonialisme français. il se trouve qu’une vingtaine d’entre eux réalisent des longs métrages (en 16mm,noir et blanc) sur le même sujet : la révolution agraire. Aux côtés du Charbonnier et de Noua les films les plus représentatifs restent  Sous le peuplier de Moussa Haddad, Les spoliateurs de Lamine Merbah, Les bonnes familles de Djaffar Damardji, La corde et Les chiens d’El Hachemi Chérif, L’embouchure et Les paumés de Mohamed Chouikh, Gorine et Journal d’un jeune travailleur de Mohamed Ifticène, La guerre de libération de Farouk Beloufa, Sueur noire de Sid Ali Mazif.
Ce cinéma djidid ou le nouveau cinéma,  apparaît comme l’une des ébauches les plus intéressantes de ce « troisième cinéma » Ce qui est impressionnant  dans tous les films, ou presque, c’est la manière dont chaque cinéaste  s’attache à se montrer didactique, il s’agit en fait d’un cinéma d’incitation : « Notre rôle, dit Abdelaziz Tolbi, est d’aller au-devant des événements pour en précipiter le cours »[17]
Les films du « cinéma de guerre »,  et ceux du cinéma nouveau  offrent deux caractéristiques :
-Une réinterprétation de la guerre de libération nationale. Il n’est pas question, bien évidement de négliger la guerre. On continue à rappeler ces faits du passé, à exalter la grandeur du sacrifice des chouhada (martyrs), et à évoquer divers aspects du combat, mais désormais l’indépendance n’est plus considérée comme ayant été une fin en soi, les films montrent  qu’elle a été un jalon sur une route plus longue.
-Une analyse sociale fondée, au moins implicitement, sur la lutte des classes. Tous les films stigmatisent les féodaux qui sont dénoncés comme ayant collaboré avec l’occupant, qualifiés d’exploiteurs du peuple. Certains attaquent le phénomène bureaucratique. Quelques films insistent aussi sur la nécessité de révolutionner le système juridique.
Sur le plan artistique, le cinéma nouveau  présente de telles similitudes qu’on peut parler d’une nouvelle « école ». en effet les cinéastes adoptent  une nouvelle méthode et de nouvelles caractéristiques qui déterminent leur esthétique nouvelle.

Il est clair que tous les cinéastes ont éprouvé le sentiment de rejet et de  refus du néo-western et d’une spectacularisation tapageuse. Ensuite ils éprouvent le sentiment mais aussi le besoin de produire des films d’expression personnelle qui aillent cependant à la recherche d’un dialogue avec le public le plus large.
Citons aussi : le refus du populisme et du misérabilisme, tendances qui reviennent souvent à sacraliser les goûts d’un public influencé par le cinéma occidental ou égyptien.
Le souci de raconter une histoire pétrie d’authenticité qui renvoie directement à l’expérience vécue du public.Mais aussi, une volonté nettement investie de didactisme conditionnant visiblement la forme des films. Ce didactisme est souvent combiné avec des emprunts au néoréalisme italien.Un souci plus théorique encore qu’effectif incitait à puiser dans les traditions culturelles nationales afin de les dégager de leur gangue des résidus de  folklore et de leur redonner leur vigueur perdue du fait du colonialisme.
Une manière de concevoir le film non comme une œuvre fermée sur elle-même mais comme le premier élément d’une recherche esthétique et d’une analyse politique à poursuivre.
Revenons à Noua  le film d’Abdelaziz Tolbi, qui reste le plus représentatifs puisqu’il englobe toutes les caractéristiques que nous venons de citer  .Même si  Noua est un film sur la résistance, et davantage encore sur les rapports de force qui opposent colons et fellahs,nonobstant le fait qu’il donne une description détaillée de la situation des fellahs face  aux féodaux (ou propriétaires terriens) algériens. Nous reprenons ici une citation du réalisateur qui résume parfaitement son  état d’âme face à la réalité de l’époque : présentait la volonté politique de son film de la manière suivante : « Monsieur Joseph, le colon, est parti, mais el Hadj Tahar, le féodal, est resté » Abdelaziz Tolbi[18]
Il faut reconnaître que le cinéma (nouveau)  charriait aussi un discours qui, pour être différent de celui de la décennie précédente, n’en restait pas moins largement officiel. Tous ces films s’inscrivent parfaitement dans l’idéologie dominante de cette période. Mais comme l’observe Mouny Berrah, le vrai cinéma algérien « se compose d’exception thématique et esthétique » [19]

 

Les Années 80 et le cinéma Algérien :

 

Les années 80 constituent, la troisième période importante dans le cinéma algérien,

C’est pendant ces années qu’un  nouveau  bouleversement dans l’organisation de la production va changer le cours. L’ONCIC fut dissoute en 1984 et ses fonctions partagées entre deux organisations distinctes dont l’Entreprise Nationale de Production Cinématographique (ENAPROC), chargée de la production, et l’Entreprise Nationale de Distribution et d’Exploitation Cinématographique (ENADEC), chargée de la distribution. Mais le monopole étatique de la production cinématographique, lui, fut aboli, ce qui permit aux cinéastes de monter leurs propres sociétés de production. Novembre 1987 vit une autre réorganisation décisive avec la création du Centre Algérien pour l’Art et l’Industrie Cinématographique (CAAIC) qui allait remplacer à la fois ENAPROC et ENADEC en reprenant toutes les activités assumées auparavant par l’ONCIC. Une initiative analogue fut prise par rapport à la télévision : les ressources dont disposait la RTA furent regroupées la même année (1987) pour former l’Entreprise Nationale de Productions Audiovisuelles (ENPA). Cette dernière apporta son soutien à un grand nombre de réalisateurs et prit part à de nombreuses coproductions avec le CAAIC. Ainsi, le fossé qui avait séparé la télévision du cinéma à l’époque de la RTA et de l’ONCIC s’atténua.
En dépit de tous ces changements, les cinéastes algériens confirmés ont poursuivi leur carrière tout au long de la décennie. Il y eut deux suites à Hassan Terro : Hassan Taxi (1981) de Slim Riad, dans lequel Hassan, dont la chance à tourné est devenu chauffeur de taxi, tandis que dans Hassan niya (1989) de Bendeddouche,il travaille dans le restaurant de sa sœur. Si le deux films sont des œuvres mineures, ils offrent en revanche une image vivante et colorée de la vie et des aspirations de l’Algérie contemporaine. L’autre long métrage tourné plus tôt dans les années 80 par Bendeddouche, Moisson d’Acier (1982), est une œuvre plus substantielle, un récit positif de la résistance paysanne. Les villageois reconstruisent leurs vies, sans se laisser décourager par « les moissons d’acier » : les mines posées pendant la guerre qui continuent à menacer les habitants. Le Moulin de monsieur Fabre (1984) de Rachedi montre dans une satire très explicite et la mesquinerie des bureaucrates et du gouvernement. Le film oppose monsieur Fabre, un immigrant polonais connu pour son soutien au FLN, aux politiciens locaux ; ceux-ci veulent l’exproprier de son moulin, afin qu’un dignitaire en visite ait quelque chose à nationaliser. Le Refus (1982) de Bouamari présente,comme son film précédent Premier Pas,une mise en scène complexe. Un flashback sur la mort d’un ancien combattant de la résistance ayant vécu en France depuis l’Indépendance, permet d’esquisser un tableau de la communauté immigrante. Le public algérien lui fit un faible accueil. Après un silence de dix ans, Amar Laskri acheva Les Portes du silence (1987), l’histoire d’Amar, un sourd-muet, qui assiste à la destruction de son village en 1955 et qui, cherchant le moyen d’exercer sa vengeance, rejoint l’armée française comme palefrenier. Assia Djebar, jusque-là seule femme cinéaste algérienne, réalisa son deuxième film en 16 mm pour la RTA : La Zerda ou les chants de l’oubli (1980) est une œuvre personnelle et méditative, un point de vue sur la place des femmes dans l’histoire et la société, à travers ce facteur d’unification de la vie algérienne qu’est la musique.
D’autres vétérans ont pu réaliser deux films dans la décennie. Sid Ali Mazif réalisa d’abord J’existe (1982), coproduit par la Ligue Arabe, un film en trois parties qui aborde certaines questions relatives au rôle des femmes dans la société : les aspirations des femmes elles-mêmes, le rôle de l’Etat et la contribution des organisations créées pendant la lutte pour l’émancipation. Mazif revint par la suite à la fiction avec Houria (1986), tourné à Constantine,l’histoire d’amour malheureuse de deux étudiants dace à la désapprobation de leurs parents. Le troisième film de Merzak Allouache, l’Homme qui regardait les fenêtres (1982), un point de vue sombre sur l’Algérie contemporaine reflétant le pessimisme d’un bureaucrate d’âge moyen dont la vie se trouve bouleversée lorsqu’il est transféré dans la section cinéma de la bibliothèque où il travaille, une situation qui finira par le pousser au meurtre.
Il faut compter désormais avec les cinéastes algériens émigrés en France tel Okacha Touita dont Les sacrifiés (1982) expose sans ménagements les divisons internes des mouvements de libération en France durant la guerre d’Algérie. Le deuxième long métrage de Touita trace le portrait du Rescapé (1986), un harki ayant survécu bien qu’il ait eu la gorge tranchée après la fin de la guerre, mais qui se trouve démuni lorsque son fils bascule dans la délinquance et le trafic de drogue. Il semble que ce film n’est pas été distribué. A Paris, Mahmoud Zemmouri (né en 1946) réalisa la comédie Prends dix mille balles et casse-toi (1981) dans laquelle deux jeunes Algériens, grandis en France incapable de parler l’arabe, saisissent les 10.000 FF offert par le gouvernement français pour rentrer « chez eux », mais ne parviennent pas à s’adapter à la vie algérienne. Zemmouri continua sur sa lancée en produisant le premier de ses trois longs métrage algériens,  Les Folles années du twist (1983), qui allait apporter une tonalité nouvelle dans la représentation de la lutte pour la Libération et de l’Algérie contemporaine. Ce film démystifie tous les récits habituels sur l’héroïsme et l’engagement altruiste à travers l’histoire d’une communauté déchirée entre les exigences du FLN et celles de l’armée française. Abderrahmane Bouguermouh (né en 1936) réalisa Cri de pierre (1986), dans lequel un groupe originaire de Constantine, dirigé par Douadi, un architecte désabusé, revient dans sa région d’origine, où un jeune garçon leur répète les paroles pleines de sagesse et de maturité de son grand-père décédé.
Brahim Tsaki (né en 1946) réalisa deux œuvres particulièrement originales sur les enfants. Les Enfants du vent (1981), en trois épisodes, et Les Œufs cuits, dans lequel un jeune garçon qui gagne sa vie en vendant des œufs dans les bars d’Alger et désenchanté par le monde qui l’entoure. Dans Djamel au pays des images, un jeune garçon lutte pour accepter le monde que lui propose chaque jour la télévision, tandis que La boite dans le désert met en avant l’ingéniosité des enfants qui fabriquent, à partir de bouts de ferraille et de fil électrique, des jouets qui leur paraissent fantastiques. Le deuxième long métrage de Tsaki , Histoire d’une rencontre (1983), a pour sujet la relation de deux enfants sourds-muets. Ils parviennent à communiquer en dépit des différences culturelles qui les séparent : elle est la fille d’un ingénieur pétrolier américain, tandis qu’il est le fils d’un paysan algérien. Mohamed Rachid Benhadj (né en 1979), qui avait travaillé pour la RTA, fit ses débuts comme réalisateur de long métrage avec Rose des sables (1989), qui fut grandement applaudi. C’est l’histoire de Moussa un jeune estropié qui vit avec sa sœur et lutte pour surmonter son handicap physique, et finit par en perdre la fille qu’il aime. Autre réalisateur ayant travaillé avec la RTA à s’être tourné vers la production de films dans les années 80 : Mohamed Chouikh (né en 1943). Il réalisa d’abord La Rupture (1982) dans lequel le protagoniste Amar s’échappe de prison avec son ami le poète Bendris et reprend la lutte. Il enlève la femme qu’il aime, Aïcha, mais est bien vite rattrapé par les autorités coloniales. Dans son deuxième long métrage, La Citadelle (1988),l’amour de Kaddour pour la femme du cordonnier provoque des tensions dans la communauté villageoise, où les hommes et les femmes tiennent à leurs rôles traditionnels ; sa passion ne peut que le conduire au désastre…
Par ailleurs, dans les années 80, les rangs des réalisateurs furent grossis par des cinéastes autodidactes. Ali Ghalem (né en 1943), parti en France pour y travailler, réapparut dans le paysage audiovisuel algérien pour y réaliser une version affaiblie de son propre roman, Une femme pour mon fils (1982). Tayeb Mefti (né en 1942) réalisa Le Mariage de Moussa (1982), dans lequel un jeune émigrant revient en Algérie où il se sent étranger de sa propre communauté. Obligé d’y rester pour faire son service militaire, il tombe amoureux de sa cousine Nacira.

 

 

 

 Le cinéma berbère

 

Depuis l’indépendance, en dépit d’une politique d’arabisation intensive, l’identité amazigh a continué à s’exprimer, essentiellement à travers ses poètes, ses musiciens et ses chanteurs. Pour le cinéma, il aura fallu attendre plus de trente ans. Du temps de Boumediene, puis de Chadli, il était hors de question que la production algérienne, totalement nationalisée, s’autorise un détour par la berbérité.
Dès que le système a commencé à se fissurer, au début des années 90, les réalisateurs amazighs ont conquis leur place à l’écran. Car il s’agit bien d’une conquête, celle d’un territoire inexploré cinématographiquement de la culture algérienne. Les quatres longs métrages tournés à ce jour en langue Tamazight –La colline oubliée, Machaho, La Montagne de Baya et Si Mohand ou M’hand- échappent aux normes de la production algérienne, compte tenu de leur montage financier, de leur infrastructure générale et, pourrait-on ajouter, de leur acharnement à exister.
La colline oubliée, premier long métrage de fiction en langue kabyle sort en janvier 1995. Que ce film soit l’adaptation du célèbre et emblématique roman de Mouloud Mammeri n’est évidemment pas un hasard. Son réalisateur, Abderrahmane Bouguermouh, précisait d’ailleurs dans la note d’intention ouvrant le dossier de presse : « Entre Mouloud Mammeri et moi, il y avait un serment : si l’honneur nous revenait un jour de faire le premier film en berbère, ce serait La colline oubliée (…) Il y avait aussi ce contrat passé avec la Kabylie : œuvrer pour la renaissance de sa culture ».
Dès 1965, Bouguermouh tourne un moyen métrage en langue tamazight, Comme une âme, qui lui vaut son licenciement et la confiscation du film[20] Cela ne l’empêche pas de récidiver trois ans plus tard, en déposant le projet de La colline oubliée, devant la commission du scénario. Bien qu’en 1952 Mammeri ait écrit son roman en français, lui et Bouguermouh tiennent absolument à ce que le film se fasse en berbère. Le projet n’est pas retenue.
Le réalisateur essaie alors, en vain, de monter la production à l’étranger, avant de présenter à nouveau le scénario aux instances officielles 20 ans plus tard, en 1988. Elles acceptent enfin, mais du bout des lèvres : l’apport du CAAIC se limite à la mise à disposition du matériel de tournage et de l’ équipe technique. Bouguermouh obtient parallèlement 4 millions de dinars, soit un huitième du financement, grâce à l’appui d’un comité où siègent nombre d’intellectuels comme Rachid Mimouni.
Le reste du budget est monté via des associations, des élus locaux, des artistes, qui se mobilisent en masse pour assurer décors, costumes, accessoires, figurants et acteurs non professionnels et , bien sûr, financements. Bouguermouh n’est pas au bout de ses peines car en fait le film n’est pas fini : le laboratoire étatique  qui a assuré le tirage de la copie a , comme cela arrive souvent, loupé le travail. Et toute la post-production reste à faire. Il faudra attendre deux ans pour que le film, ayant trouvé sa forme et sa durée définitives, sorte enfin. Bouguermouh déclare alors au quotidien Liberté : « Ce sera mon dernier film. Je suis arrivé à mon objectif final ; là s’arrête irrévocablement mon parcours de cinéaste. » Au journal El Watan qui lui demande si le film est tel qu’il l’avait rêvé, le réalisateur répond sans détour : « Pas du tout. Je n’avais pas les moyens techniques. Pour nous, ce qui comptait, c’était d’abord de faire un film en Tamazight. On doit se contenter de ça. Cela ne veut pas dire que La colline oubliée est un mauvais film. C’est au public de juger. Mais il y avait un choix à faire. Soit faire un très bon film, et il fallait des devises pour tout acquérir : matériel, costumes, techniciens ; beaucoup d’argent pour me débarrasser des corvées et m’occuper seulement du film, ce qui n’était pas le cas, hélas ! Soit profiter de l’occasion et se dépêcher de faire ce film avant qu’il ne soit trop tard, avec les moyens du bord. J’ai choisi cette deuxième solution et il me semble que j’ai eu raison »[21].
Les mêmes difficultés de financement seront rencontrées par les deux films suivants en tamazight, Machaho (1996) et La montagne de Baya (1997).Ces deux films sont parmi les premiers à avoir eu recours à un système de production indépendante. En l’occurrence Imago Films, société créée par Belkacem Hadjadj et Azzedine Meddour.
Mille problèmes financiers font presque capoter les projets et bloquent à plusieurs reprises la réalisation. S’y ajoutent les menaces qui pèsent sur les réalisateurs, comme sur beaucoup d’intellectuels durant cette période. Alors qu’il prépare le film, Meddour doit par exemple changer de toits tout les soirs[22][3].Les tournages sont donc des entreprises à haut risque, d’autant que la Kabylie est alors une des régions les plus dangereuse d’Algérie et que la terreur y bat son plein…
Belkacem Hadjadj met pourtant Machaho en chantier en février1994, soit trois mois après le premier tour de manivelle de La colline oubliée. En juillet,l’équipe tombe dans une embuscade. Le film n’est mené à terme que grâce à la population locale, qui assure un service de protection permanent. « La production de Machaho, premier long métrage en langue berbère, a une histoire. C’est celle des techniciens algériens qui ont démontré leur formidable générosité et leur courage, et celle de leurs homologues français qui, comme eux, ont cru à cette aventure », écrit le réalisateur dans une note de production. Il poursuit : « Qui aurait eu la folie de tourner en 1994 en Kabylie, en décors naturels, alors que chaque jour apportait son lot de nouvelles tragédies ? Qui, sinon des fous mus par l’amour insensé de ce pays et de ce peuple que l’Histoire tourmente ? »
Pour réaliser La montagne de Baya, dont le tournage, plusieurs fois interrompu, dure un an et demi, Azzedine Meddour affronte lui aussi les pires dangers. L’horreur sera au rendez-vous. Dans un local qui abrite des explosifs devant servir à une scène du film, une déflagration éclate et emporte une partie de l’équipe. Une dizaine de techniciens, dont la script trouvent ainsi la mort. Accident ? Dans l’entretien publié dans le dossier de presse,Meddour déclarait : « S’agissait-il d’un attentat ? Il faudrait des preuves et je ne les ais pas ; je ne peux donc pas m’avancer là-dessus. La version retenue affirme qu’il s’agit d’un accident, mais personnellement je n’y crois pas du tout, comme la plupart des gens qui se trouvaient dans le local ».
Quelques mois après ce tragique épisode, qui l’avait durement affecté, Meddour déclarait : « Ce qui est absolument extraordinaire avec ce scénario et l’histoire du tournage, c’est qu’à un certain point c’est devenu le même destin : on se mettait à vivre ce que vivait Baya. Elle luttait pour la survie de certaines valeurs. Nous aussi. Nous étions en train de faire survire l’expression cinématographique, de survivre nous-mêmes en tant qu’être humains, citoyens, créateurs. Nos voulions dire : nous sommes encore là. Pour combien de temps ? Personne ne le savait alors ». Azzedine Meddour décédera en Mai 2000, trois ans après la sortie de son film, d’un cancer.


 Le cinéma des années 90 :

Les années 90 commencèrent avec une production élevée et rien ne laissait présager la réorganisation catastrophique qui allait mettre le cinéma algérien à genoux. A quelques nettes exceptions près, la caractéristique la plus flagrante qui se dégage de cette nouvelle décennie est sa continuité avec les années 1980. Dans plusieurs cas, les œuvres des années 90 sont supérieures à celles produites antérieurement, mais l’effet de nouveau, de l’inattendu est absent de la production de la plupart des cinéastes établis.
Les exceptions figurent parmi les œuvres clés de la décennie. Les cinéastes établis et les réalisateurs expérimentés de la télévision (Chouikh, Allouache, Hadjadj, Bouguermouh et Meddour) firent de gros efforts pour surmonter à la fois la baisse des aides à la production et la menace physique bien réelle de la violence fondamentaliste. Ensemble,ils réalisèrent une série d’excellent films sur la situation contemporaine, explorant à la fois le présent et les causes de la misère actuelle ( Youcef et Bab el-Oued City), ainsi que d’éloquente fables et allégories sur l’honneur,la violence et l’identité, mettant en doute ces tradition qui semblent avoir été une piètre protection face au chaos (Machaho, La Colline oubliée, La Montagne de Baya, et L’Arche du désert).
En termes de personnalités, on connaît un réel renouveau de ce qui était en train de devenir une génération vieillissante,mais très peu de ces nouveaux venus ont donné à la réalisation cinématographique de l’époque une voix fraîche et authentique. Malik Lakhdar Hamina (avec Automne – Octobre à Alger) et Hafsa Zinaï-Koudil (avec Le Démon au féminin), seule femme algérienne à avoir achevé au long métrages de fiction dans toute la décennie.

Le cinéma algérien des années  2000 :

Durant ces années sans aucun signe de production ni de rétablissement des structures de distribution, Le cinéma algérien continue à être virtuellement non existant.

Il est à souligner que les différents films réalisés pendant cette période sont des films  co-produits avec des pays francophones, et  ont donc  pour obligation d’être tournés en langue française.

Le film

L’année

Le réalisateur

Commentaires

La Voisine

2002

Ghaouti Bendeddouche

 

L’Autre Monde

2001

 

Merzak Allouache

Ce film marque le retour, après 7 ans d’absence, du réalisateur.

La Fille de Keltoum

2002

Mehdi Charef réalisateur issu de l’immigration

Le film fut tourné en Tunisie comme un nombre important de films

Rachida

2002

premier film de la réalisatrice Yamina Bachir-Chouikh

 

le film connaît un très grand succès public. Il marque le retour des algériens au cinéma

Soleil Assassiné

2004

Bahloul

 

Ce film relate  la vie du poète Jean Sénac, et de Si Mohand ou M’Hand de Liazid Khodja

Le Thé d’Ania

 

2004

Saïd Ould Khelifa

 

 

 

Viva Laldjérie

2004

Nadire Moknèche

 

Ce film est sans

doute au coté de Bled Number One le film le plus marquant de cette nouvelle décennie,

d’El Manara

2004

Belkacem Hadjadj

tente d’éclairer les contradictions et les archaïsmes d’une société à la fois enracinée dans son époque et attachée à ses croyances et à ses traditions

Douar de Femmes

2006

Mohamed Chouikh

 

Morituri

2004

Okacha Touita

porte à l’écran les aventures à succès du célèbre commissaire Llob créé par l’écrivain Yasmina Khadra. Au cœur des années de terrorisme en Algérie,

 



 

Durant ces années,  nous pouvons parler d’un cinéma polyvalent, mais toujours lié à l’Histoire du pays et au social des algériens, tous les films réalisés durant cette période traitent du réel de l’Algérie.

Les questionnements d’ordre esthétique ont désertés le champ de la création pour laisser place à une efficacité du récit, de la narration. Ces films apparaissent au public algérien comme étant destinés à l’exportation et de ce fait s’en détourne.
A l’instar de l’Année de l’Algérie en France, le nouvel événement intitulé « Alger capitale de la culture arabe » en effet « Selon Lamine Bechichi, le commissaire général de la manifestation poussé à la démission «Algérie, capitale de la culture arabe» sera une vitrine de la culture algérienne, les activités culturelles qui incluront tous les arts s'ouvriront le 31 décembre 2006 par une grande cérémonie et s'étaleront tout au long de l'année 2007 »[23]

 

Conclusion :

Le choix du titre ainsi que l’historique de cet art nous informent sur  l’état du cinéma algérien ; un cinéma qui reste « agonisant » et ce au niveau de la production que de la diffusion. Nous savons incontestablement que  le volume de production est très faible par rapport à  l'importance géographique du pays, ainsi que sa richesse historique. D’autant plus que le phénomène de l’absence des salles de cinéma accentue la souffrance de cette pratique culturelle. Les cinéastes qui montent leurs projets sont très ambitieux face à un demain incertain ; car un film coûte excessivement  cher pour le voir finir dans des casiers. Etant donné que le problème des salles aussi est crucial car des dizaines de salles ont disparu. « Le cinéma, c'est comme l'amour, quand c'est bien, c'est formidable, quand c'est pas bien, c'est pas mal quand même » George Cukor

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie : œuvres et articles :

·          Abdelkbir khatibi , Le roman maghrébin, Ed François Maspero, 1971

·          Mouny Berrah,  Algerian Cinema and National Identity , in Alia Arasoughy (dir.), Screen of Life: Critical Writing from the Arab World (Québec: World Heritage Press, 1996): p.64

·          Merzak Allouache, interview in African Conversations (Londres : BFI, 1995)

·          Rachid Boudjedra, Naissance du cinéma algérien, Paris: François Maspero, 1971

·          Sabry Hafez, « Shifting Identities in Maghribi Cinema  The Algerian Paradigm » in Arab Cinematic : toward the New and the Alternative, Le Caïre: Alif n-15, 1995

·          Moumen Smihi, interview, in Mouny Berrah, Victor Bachy, Mohand Ben Salama & Ferid Boughedir (dir.), Cinémas du Maghreb, Paris: CinémAction n-14, 1981

·          Ahmed Cheniki, « Le cinéma, les béquille et le futur antérieur », in le quotidien L’Expression, Alger ,10 décembre 2006.

·          Cité in « Le Cinéma depuis l’Indépendance » par Jacques Choukroun in Les cahiers de la cinémathèque, Algérie d'hier et d'aujourd'hui, Perpignan,Ed. Institut Jean Vigo, n-76, Juillet 2004

·          Cité par Guy Hennebelle in « Algérie de la lutte de libération nationale à la révolution agraire » in Les cinémas nationaux contre Hollywood, Cerf-Colet, Paris, 2004 p.219

·          Mouny Berrah, « Algerian Cinema and National Identity », in Alia Arasoughy (dir.), Screen of Life: Critical Writing from the Arab World (Québec: World Heritage Press, 1996).

·          La « permanence berbère » par Jeanne Baumberger in CinémAction, Cinémas du Maghreb : quelques échos du front, Paris, Ed.Corlet-Télérama, n-111, 2ème trimestre 2004.

·          Article : Le cinéma algérien : de l’Etat tutélaire à l’état de moribond :  Abdou Benziane

Webographie :

·          www.géocities.com

·          www.algérie-dz.com

·          www.cinéma-algérie.com

·          www.wikipedia.org      

·           www.Africultures.com



[1]  Mouny Berrah, « Algerian Cinema and National Identity », in Alia Arasoughy (dir.), Screen of Life: Critical Writing from the Arab World (Québec: World Heritage Press, 1996): p.64

[2] Merzak Allouache, interview in African Conversations (Londres : BFI, 1995)

[3] Mouny berrah, op.cit p65

[4]  Rachid Boudjedra, Naissance du cinema algérien, Paris: François Maspero, 1971 p.84

[5] Le Centre National du Cinéma Algérien

[6] Sabry Hafez, « Shifting Identities in Maghribi Cinema : The Algerian Paradigm » in Arab Cinematic : toward the New and the Alternative, Le Caïre: Alif n-15, 1995: p.55

[7] L'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) est une école française de cinéma, fondée en 1943 par Marcel L'Herbier et le compositeur Yves Baudrier.

[8]  Moumen Smihi, interview, in Mouny Berrah, Victor Bachy, Mohand Ben Salama & Ferid Boughedir (dir.), Cinémas du Maghreb, Paris: CinémAction n-14, 1981: p.218

[9] ibid

[10]  Abdelaziz Tolbi in Mouny Berrah, Victor Bachy, Mohand Ben Salama & Ferid Boughedir (dir.), Cinémas du Maghreb, Paris: CinémAction n-14, 1981: p.87

[11]  Ahmed Cheniki, « Le cinéma,les béquille et le futur antérieur », in le quotidien L’Expression, 10 décembre 2006. Alger

 

[12] l'Office des actualités algériennes, un organisme de production d'État.  Dirigé par  Mohamed Lakhdar-Hamina.

[13] Mouny Berrah op.cit

[14] Sabry Hafez, “Shifting Identies in Maghribi Cinema : The Algerian Paradigm” in Arab Cinematic: toward the New and the Alternative, Le Caire , ed Alif n-15, 1995: p56

[15] Cité in « Le Cinéma depuis l’Indépendance » par Jacques Choukroun in Les cahiers de la cinémathèque,Algérie d'hier et d'aujourd'hui, Perpignan,Ed. Institut Jean Vigo, n-76, Juillet 2004

 

[16]  Cité par Guy Hennebelle in « Algérie de la lutte de libération nationale à la révolution agraire » in Les cinéma nationaux contre Hollywood, Cerf-Colet ,Paris, 2004 p.219

[17] Cité par Guy Hennebelle in « Algérie de la lutte de libération nationale à la révolution agraire » in Les cinéma nationaux contre Hollywood, Cerf-Colet ,Paris, 2004 p.220
 

[18] Ibid.

[19] Mouny Berrah, « Algerian Cinema and National Identity », in Alia Arasoughy (dir.), Screen of Life: Critical Writing from the Arab World (Québec: World Heritage Press, 1996): p.74

 

[20] La « permanence berbère » par Jeanne Baumberger in CinémAction, Cinémas du Maghreb : quelques échos du front, Paris, Ed.Corlet-Télérama, n-111, 2ème trimestre 2004, p.213

[21] Ibid,p.214

 

 

[23]  Le Quotidien El watan


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