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Le type aristotélicien d’agencement de la reproduction dramatique

inopérant dans l’expérience théâtrale en Algérie.

 

Par Abdelkader ALLOULA

 

       Après l’indépendance nationale et avec la création des premières structures culturelles, les algériens pouvaient accéder directement et en nombre important cette fois au patrimoine artistique et culturel universel. Ils découvraient alors les multiples richesses auxquelles il leur était interdit de prétendre sous le joug colonial. Sur un élan d’épanouissement du grand nombre et d’ouverture généreuse à la connaissance universelle, notre pays organise de nombreux échanges et  de rencontres d’études. Nos hommes de théâtre purent ainsi approfondir et affiner progressivement leurs connaissances en art dramatique. Découvrant dans l’expérience universelle des temps anciens et modernes d’autres techniques d’agencement de la fable dramatique et de la reproduction artistique de façon générale, ils prirent conscience des limites , sur le plan des formes, de leur pratique théâtrale. Les écrits de Piscator, Lounatcharski, Meyerhold, Maiakovski  et surtout Brecht intéressaient et continuent, du reste, d’intéresser les pratiquants de l’art dramatique. Ces écrits alimentèrent grandement la réflexion en la matière : la circulation de ces nouvelles connaissances renforça progressivement l’attitude critique de nos artistes vis à vis des pratiques antécédentes en même temps qu’elle contribua à l’élévation du niveau de nos représentations théâtrales.

       Les premières grandes transformations sociales qui furent lancées dans notre pays déclenchèrent un gigantesque enthousiasme dans le secteur des arts. Elles libérèrent une créativité encore jamais vue et engagèrent de nouveaux potentiels dans la pratique artistique. L’activité théâtrale plus que les autres disciplines prit naturellement aussi, le parti de célébrer, d’expliquer et de défendre ces grandes taches d’édification nationale. Les sujets traités exposaient pour la plupart d’entre eux les comportements et manœuvres par lesquels des groupes sociaux s’opposaient aux masses laborieuses autour de l’attribution des terres aux paysans pauvres, de la limite de la grosse propriété foncière, de la participation des ouvriers à

la gestion des entreprises économiques, etc…De façon générale, les fables visualisaient, théâtralisaient les conflits que soulevaient ces premières grandes tâches sociales engagées dans la matérialisation de l’option socialiste de notre pays.

       Il faut dire ici que pendant cette période qui s’étend globalement de 1970 à 1980, l’écrasante majorité des pièces très louables sur les plans des contenus, de l’analyse de la réalité sociale et de l’intention des auteurs relevaient beaucoup plus du manifeste politique que de la reproduction artistique.

       Le déclenchement des premières transformations porta l ‘activité théâtrale sur de nouveaux espaces, vers de nouveaux publics. Les représentations se donnaient en plein air, au grand jour, gratuitement sur toutes sortes de terrain : cours d’écoles, chantiers de villages socialistes en construction , coopératives de la révolution agraire, réfectoires à l’intérieur d’usines, hangars,etc…Les amateurs du théâtre, plus nombreux et plus jeunes que les professionnels , s’adaptèrent vite à ces nouvelles données.

       Pour cette période et plus que par le passé, l’art théâtral en Algérie intervenait au cœur même des problèmes. Jamais auparavant, il n’avait vécu, même avec les lacunes que nous venons de signaler, sa fonction sociale avec autant d’adhésion et pour ses pratiquants avec autant d’enthousiasme.

       C’est précisément dans ce grand enthousiasme, ce grand déplacement vers les masses laborieuses, vers les couches populaires que notre activité théâtrale du type aristotélicien entra en désuétude. Ces nouveaux publics paysans ou d’origine paysanne avaient d’autres comportements culturels face à la représentation théâtrale. Les spectateurs s’asseyaient à même le sol en formant un cercle et délimitaient de ce fait l’espace de jeu. Pour la visibilité ou mieux pour la lisibilité de l’interprétation, les comédiens se voyaient obligés de supprimer presqu’entièrement les décors et d’interpréter, en fonction du nouvel espace, de nouvelles dimensions. Certains spectateurs regardaient le spectacle par dessus l’épaule de façon distante, hautaine presque. D’autres spectateurs regardaient placés au dos des comédiens le spectacle, depuis son envers, en quelque sorte, et certains enfin tournaient franchement le dos à la sphère de jeu pour mieux écouter le texte, pour ne pas subir l’influence du comédien et afin de pouvoir rire à l’aise le cas échéant (il est mal vu dans certaines contrées de notre pays de rire aux éclats le visage découvert. Dans ces cas comme pour bailler, on porte la main devant la bouche). Les spectateurs n’applaudissent qu’une seule fois généralement, à la fin de la représentation. Dans les débats qui suivaient presque obligatoirement les représentations, les questions débordaient toujours sur la réalité que vivaient les spectateurs. Les quelques références à la pièce portaient sur le texte, sur ce qui était dit par les personnages, le verbe et à de très rares exceptions sur le jeu des comédiens, l’effet théâtral ou la reproduction artistique de façon générale. Les effets théâtraux de suspense, de surprise, du spectaculaire, de théâtralité conçus en ville s’effritaient subitement sur cette plate-forme de la culture populaire, plateau glissant, qu’offraient à nos artistes de façon très hospitalière leurs nouveaux spectateurs. Il leur a fallu, à nos artistes, un temps pour comprendre les règles du nouveau jeu, pour s ‘y adapter. Ils retrouvaient, aussi paradoxal que cela puisse paraître, leur culture.

       Les entrées et les sorties des comédiens n’avaient plus de sens. Tout se passait obligatoirement de fait dans le cercle et donc point de coulisses. Les changements de coulisses (sauf pour les comédiennes qui allaient bien sûr s’habiller dans le car de transport de la troupe) se faisaient au vu et au su des spectateurs. Le comédien pouvait très bien sans étonner personne aller s’asseoir parmi les spectateurs pour fumer une cigarette entre deux moments d’interprétation.

       Tout au long des tournées, les gestes des comédiens se simplifiaient, se stylisaient. Un signe, un geste élémentaire pouvait remplacer l’utilisation d’un accessoire. Une attitude corporelle, à peine suggérée, pouvait remplacer aux yeux de ces spectateurs tout un décor. Le jeu des comédiens évoluait au rythme des représentations vers la sobriété jusqu’à atteindre des niveaux supérieurs d’abstraction. La reproduction artistique était alors « distanciée » à plusieurs niveaux et le verbe, le mot se dégageait petit à petit, s’amplifiait pour occuper une position de très loin dominante, pour régner en maître sur tout le reste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 
 



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