Google
Recherche WWW Recherche sur Votre site
Feed 

Autour de l’écriture dramatique

 

Par Abdelkader ALLOULA

 

A côté de l’activité théâtrale, les autres disciplines artistiques la poésie, le cinéma et la peinture notamment, prises elles aussi dans la mouvance des premiers grands bouleversements sociaux, dans le cadre de l’édification nationale, investies elles aussi de nouvelles réflexions et de techniques nouvelles, subissaient également des mutations tant sur le plan des contenus que sur celui des formes.

Les questions de personnalité algérienne, d’identité nationale, de spécificité et de conceptions esthétiques nouvelles étaient à l’ordre du jour. Elles furent pétries, non sans maladresse par endroits, dans les langages des reproductions artistiques de l’époque.

Les cinéastes déplacèrent leurs caméras pour aller chercher les sujets et les images de leurs films dans les mondes ouvrier et paysan. Les peintres quant à eux quittèrent, un temps, leurs ateliers pour aller réaliser devant les yeux des paysans et collectivement même par endroits les premières grandes fresques picturales.

C’est en cette période de grand enthousiasme, dans ce contexte culturel vivant, de dimension nationale que l’art théâtral en Algérie dans ses pratiques professionnelle et amateur, fit une plongée profonde dans la vie bouillonnante et créatrice de notre peuple, et que de ce fait, il se rapprocha du patrimoine culturel populaire.        

 

       Le moule aristotélicien d’agencement de la reproduction théâtrale n’était plus opérationnel, il venait de perdre aux yeux de nos praticiens son efficacité. Il fallait expliquer au spectateur nouveau le contenu des premières grandes transformations révolutionnaires. La fable devait par moment, pour expliquer précisément, revenir en arrière et exposer des événements historiques. Il fallait que la pièce puisse contenir une multitude d’informations, il fallait qu’elle puisse donner représentation de la vie sociale présente en mutation complexe. Il fallait expliquer, démontrer. Il fallait prendre des tranches dans l’histoire combattante de notre peuple pour éclairer les luttes présentes pour l’édification. Il fallait trouver la façon la plus persuasive d’exposition, intégrer dans la durée habituelle de la représentation artistique dans le temps théâtral, de façon dialectique un maximum d’éléments.

Le cheminement linéaire, l’agencement académique de la fable dit aristotélicien, le chapelet de scènes liées les unes aux autres par une logique cartésienne, le fil d’Ariane, ne pouvait plus contenir la réalité complexe de l’époque et la fougue légitime de nos hommes de théâtre. La division aristotélicienne de la pièce de théâtre implique à la fable d’évoluer progressivement en passant par trois étapes successivement (le prologue n’est pas inclus) :

-         la Protase, exposition des éléments du drame,

-         l’Epitase, le développement et la succession des péripéties, le nœud du quiproquo en d’autres termes, et

-         la Catastrophe, à savoir la transformation des choses en une fin heureuse où les événements petits et grands, ceux seulement qui ont donné naissance au quiproquo de la pièce, s’éteignent ou trouvent alors une justification plus ou moins claire. Une conclusion.

Ce moule académique ne résista pas car les hommes de théâtre avaient à dire en Algérie, en cette période, beaucoup de choses, à dire vite, de façon simple et multiple à la fois. Il leur fallait conjuguer au passé, au présent et au futur tout à la fois. Ils utilisèrent alors le dire éclaté. Un demi siècle environ, contrairement à leurs aînés, les pionniers de l’activité théâtrale du type aristotélicien, Ils laissaient choir le vieux manteau théâtral aristotélicien pour revenir au « verbe joué. Ils recommençaient donc ou prolongeaient en le reprenant en quelque sorte, le dire éclaté de leurs ancêtres. Ils utilisèrent alors les dires monologues à une ou plusieurs voix, liés entre eux par des lames de fond, les dires d’évolution parallèle, les fresques racontées (succession de situations liées entre elles de façon dialectique mais non linéaire) des éventails de tableaux pouvant être intercalés à volonté les uns par rapport aux autres (pouvant également être joués en certains endroits du développement par paires, en parallèle) sans que le sens de la pièce ne soit altéré. Ils utilisèrent les sons pour les besoins pédagogiques. Ce moyen leur permettait de résumer les situations précédentes et d’annoncer, voire en même temps, dédramatiser,  déthéâtraliser les situations à venir.                 

Dans leurs dires, ils interpellaient le spectateur, le faisaient participer et improvisaient aussi. De façon vivante, ils pétrissaient. Consciemment et inconsciemment aussi ils se débarrassaient du moule académique, contraignant et restrictif, que leur dictait la démarche aristotélicienne, pour reprendre et développer l’activité théâtrale des types halka et autre.

Cette nouvelle démarche dans la pratique théâtrale, ces nouveaux aspects de l’art théâtral en Algérie restent à ce jour dominants. Il ne nous est pas permis néanmoins de dire, d’une part, que la conception aristotélicienne est complètement morte en Algérie, ni de dire non plus, que l’activité théâtrale du type halka a atteint des tonalités majeures d’un niveau universel.       

De notre point de vue, notre jeune théâtre algérien contient déjà en gestation les germes d’une évolution qualitative supérieure. Il convient de signaler rapidement ici certaines des conceptions et hypothèses de travail aussi qui alimentent aujourd’hui la réflexion et la pratique de nos hommes de théâtre.

 

-         Certains pratiquants pensent qu’au niveau de la représentation artistique des faits, des événements réels ou fantasmes, qu’il faut s‘adresser au spectateur dans un langage franc, direct, didactique, user de démonstrations et le bousculer aussi par moment afin d’exciter sa conscience . Ne point user du clavier du subjectivisme et des « ficelles théâtrales »,

-         d’autres à côté pensent qu’il faut s’adresser au spectateur dans un langage suggestif, usant de la parabole, des proverbes et d’images de jeu symboliques. De donner représentation des événements que par le biais d’envois elliptiques, d’expressions métaphoriques. Ne traiter des choses de la vie que dans les grandes lignes afin d’élever le niveau de l’élucubration intellectuelle et pour éviter aussi que la pièce ne soit éphémère, qu’elle ne soit dépassée par le temps avec le règlement des problèmes des conflits sociaux qu’elle vise à traiter. Contrairement à la précédente, cette conception vise, dans le cadre de ses reproductions artistiques à communiquer avec le spectateur à demi mot, entre les lignes établissant en cela une certaine complicité avec lui. Ceux qui avancent cette conception reprochent aux pratiquants de la conception précédente de développer un théâtre à démarche non artistique, un théâtre populiste, simpliste,

-         mécaniste, voire démagogique par endroits. En retour par contre, il leur est reproché, à leur tour, de développer un théâtre d’ambiguïté, non scientifique, de spéculation, de mystification et enfin d’esthétisme bourgeois.         

      -   Certains avancent, dans leurs hypothèses de travail, que les artistes ont  longtemps cru

-         à tort en Algérie, dominés en cela par les idéologies colonialistes et obscurantistes que l’art théâtral comme du reste la peinture et les autres arts de la représentation « figurée » en leurs formes achevées, ont été exclus de la culture et du monde arabe avec l’avènement de l’islam.

-         Ils considèrent que l’islam venant remodeler la société, l’organiser à la lumière d’une conception philosophique nouvelle, révolutionnaire parce que plus à portée de l’homme (du moins pour les populations initialement concernées) ne pouvait nullement ignorer l’importance des arts pour la cité, pour la vie et de fait ne pouvait les étouffer. Tout au contraire, l’islam les prit en charge et les repensa, les reformula pour leur donner des fonctions sociales plus large, plus vivantes,  plus en harmonie avec les aspirations communes des musulmans de l’époque. En les socialisant encore davantage, l’islam donnait aux arts un axe d’investigation et des horizons plus larges, une pratique publique et humble à la fois. La pratique artistique alors devint éloquence collective et utilité publique. Comment s’expliquer autrement, disent-ils, que l’islam recommandant farouchement dans ses préceptes « d’aller à la connaissance, de travailler à l’acquisition des sciences depuis l’âge du berceau jusqu’à la tombe », ait tordu le cou aux arts de la représentation « figurée » sous prétexte que la représentation, la création était le domaine exclusif d’Allah ? L’islam, disent-ils venait offrir aux hommes un monde transformable, à leur dimension et à leur portée. Il venait les inviter à réaliser une paix sociale et leur proposait en cela des modèles de comportement et de relations humains. Rejetant l’exploitation de l’homme par l’homme (telle qu’elle était perçue à l’époque) il invitait les êtres sociaux à travailler pour réaliser leurs aspirations naturelles, légitimes et du même coup les invitait pour leur paix spirituelle à transborder leurs angoisses, les inconnus philosophiques (les limites objectives de l’époque) pour un règlement ultérieur dans l’au dela. L’islam n’aurait-il pas tout simplement remodelé les pratiques artistiques disent-ils ? N’aurait-il pas en les engageant sur un terrain social plus large donné aux arts une fonction plus vivante, plus « utile » ? N’aurait-il pas, ce faisant, brisé les cloisons artificielles qui existaient alors entre eux ? N’aurait-il pas, disent-ils, induit des disciplines artistiques en d’autres disciplines artistiques ;l’art théâtral dans la poésie par exemple ? N’aurait-il pas induit des disciplines artistiques dans des pratiques professionnelles ? Et ce faisant n’aurait-il pas dans cette dynamique de transformation révolutionnaire impliqué aux arts de laisser choir la représentation figurative, naturaliste, pseudo-réaliste parce que restrictive, figeante, pour un autre type de représentation ? Sur quels supports idéologiques et esthétiques, alors, disent-ils enfin, les premiers grands architectes du monde arabo-islamique se basaient pour choisir leurs formes et leurs couleurs, pour cogiter, pour produire leurs reproductions artistiques ? Comment ces artistes auraient-ils pu engager leurs conceptions et leurs réflexions si en l’époque, comme il est dit par certains historiens, l’islam de glace les attendait au tournant pour leur trancher la tête.

 

Lisons ce qu’écrit dans le cadre de cette grande hypothèse Mohamed Khedda (artiste peintre d’envergure) :                                           

« …Quelques historiens situent, à tort, la non représentation de la figure humaine au début de l’islam, à l’époque où Mohamed fait renverser les idoles de la Kaâba. En réalité, l’ère anté-islamique n’est pas plus riche en « figuration » et c’est dans la conception symbolique du monde musulman et non dans le soi-disant interdit qu’il faut situer l’abstraction. En rejetant la figuration au profit d’une stylisation, d’une abstraction, de plus en plus poussée, à  l’inverse de la pratique  antique qui percevait dans la nature plutôt l’aspect extérieur des choses. L’islam a produit un art métaphysique d’où est exclue l’anecdote ; un art du mysticisme dont la prétention était de parfaire, d’affiner la spiritualité de l’homme. Nul n’ignore que chaque mode de vie privilégie les formes d’art qui lui sont adéquates . Pour la civilisation arabe, c’est autour et dans l’architecture que vont s’ordonner ou se confondre, l’art de la tapisserie, du vitrail, de la mosaïque. L’arabesque s’épanouit dans l’enluminure, sur le métal, la pierre ou le verre. (…) Les architectes poursuivaient la quête du légendaire « arceau qui chante » qui devait être l’aboutissement, l’équilibre accompli enfin, entre l’art et la science… ».revenons à l’activité théâtrale . Ces toutes dernières années, nous assistons à une sorte d’accalmie, de creux de la vague. Il nous semble observer, ces temps ci, chez les pratiquants de l’art théâtral une pause de réflexion pour certains et un essoufflement pour d’autres. Il nous semble aussi que les grandes transformations sociales lancées à présent entretiennent déjà entre elles et en leur sein des relations complexes. Elles imprègnent dans la vie sociale un rythme et une évolution rapide. Il devient aujourd’hui, nous semble-t-il, plus difficile pour nos hommes de théâtre de saisir la réalité sociale dans toute sa complexité et par conséquent d’élaborer des reproductions artistiques synthétiques et pertinentes

Si nous avons, dans le cadre de cet exposé, poussé par moment dans le détail et si nous avons aussi par endroit rendu compte de certains aspects négatifs qui encombrent encore la sphère théâtrale ce n’est point pour monopoliser la parole ou pour dévaloriser l’expérience de notre jeune théâtre, mais au contraire. C’est précisément en cherchant à appliquer les recommandations de ce jeune théâtre national que nous avons tenté ici de vous donner la représentation la plus juste de sa pratique vivante.                      


 
 



Créer un site
Créer un site