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Le théâtre en Algérie, état des lieux et propositions de sortie de crise

 

        DOCUMENT REALISE PAR

                   AHMED CHENIKI

 

                                             Préambule

 

Les premiers textes législatifs de 1963 et de 1970 avaient, au moment de leur promulgation, répondu aux attentes des hommes de théâtre, mais, aujourd’hui, il s’avère que ces textes sont marqués par une certaine obsolescence. C’est du moins ce qui ressort des conclusions de nos recherches qui ont donné à voir les qualités et les insuffisances du théâtre en Algérie, en interrogeant les espaces essentiels de l’activité théâtrale et les différents lieux de la pratique : amateur, universitaire, scolaire, jeune public, « coopératif » ou « indépendant » et privé. Mais l’élément nodal de la pratique théâtrale, c’est la diffusion qui pose sérieusement problème. Ainsi, l’absence du public, ces dernières années, serait liée à plusieurs vecteurs : manque de professionnalisme au niveau de la promotion et des relations publiques, gestion trop bureaucratique de l’entreprise et de l’activité théâtrale, qualité douteuse des produits proposés, manque flagrant de formation des équipes artistiques et techniques,  environnement peu ouvert, absence d’une politique culturelle sérieuse…

Notre travail a aussi révélé la situation lamentable et critique de la documentation marquée par de très sérieuses failles. Ce qui nous a incité à proposer une certaine manière de prendre en charge ce volet extrêmement important. Avec la disparition des hommes de théâtre et la dispersion des documents encore disponibles, de pans entiers de notre mémoire ont déjà sombré dans le vide et l’absence.

Ne faut-il pas réfléchir sérieusement à une véritable refonte de la pratique théâtrale en Algérie, encore trop marquée par une gestion trop bureaucratique et une organisation considérée comme tout à fait obsolète, dépassée et anachronique ? L’Etat pourrait bien contribuer à la transformation de cette réalité en partant de la nécessité de faire du théâtre un véritable service public qui interpellerait les collectivités locales, le monde universitaire et le milieu scolaire. Des expériences nationales et étrangères ont également inspiré ce projet prenant uniquement en charge une période transitoire, évitant ainsi de calquer et de plaquer des pratiques étrangères, une manière de faire qui a été désastreuse pour le cinéma et le livre notamment vers le début des années 90.

 

 

                                         I- Etat des lieux

 

1-Le fait théâtral

 

       Une pièce de théâtre est un espace autour duquel et dans lequel s’articulent plusieurs métiers et de nombreux professionnels, du dramaturge au public en passant par le metteur en scène, le décorateur, le machiniste ou le musicien. L’œuvre se remet constamment en question, se transforme perpétuellement et acquiert, en dernière instance, une unité et une autonomie relatives. C’est l’ensemble des médiations qui marquent le passage de l’écriture dramatique à la réalisation concrète qui donne vie au processus de construction et de représentation d’une pièce théâtrale. Ainsi, le spectacle est le lieu de cristallisation et d’articulation de plusieurs éléments qui s’interpénètrent, s’interpellent et se complètent. Une fois, le produit fini, s’établit un réseau complexe et infini d’échanges qui investissent les lieux de la représentation et l’univers de la réception.  Le public peut-être le juge, sans être l’unique, de la réussite ou de l’échec de la pièce. Il est parfois investi d’un pouvoir discrétionnaire, souvent sans appel. C’est à travers une série de médiations qui apportent au texte sa légitimité, sa force et sa cohérence et qui permet au metteur en scène d’absorber le texte dramatique, un assemblage de signes figés, que se construit l’univers scénique porteur et producteur de signes mouvants. Chaque représentation s’impose comme une nouvelle présentation et peut correspondre à d’autres conditions de réception qui détermineraient la lecture de la pièce et qui redéfiniraient la relation entretenue avec le spectacle. La réaction du public orienterait le jeu de l’instant comme d’ailleurs, le comédien, malade, à l’aise ou fatigué pourrait transformer le rapport qu’entretient le spectateur avec le texte scénique. Toute représentation est donc relativement autonome et paradoxalement dépendante de multiples réalités extérieures et d’éléments matériels et physiques internes qui, réunis, construisent le spectacle théâtral et apporte une certaine cohérence au discours. L’absence d’un seul matériau influe sur le cours de la représentation et engendre la mise en branle de nouveaux signes et de nouvelles significations.

       Un spectacle théâtral est donc tout simplement la réunion de nombreux paramètres et de lieux physiques concrets qui fabriquent du sens et investissent l’imaginaire. La mise en scène est l’espace centralisateur et fortement signifiant de la représentation. C’est l’élément fondamental qui cristallise en une unité ouverte des matériaux physiques, concrets et des univers imaginaires. C’est le metteur en scène qui préside à la mise en œuvre de tous les métiers du spectacle et qui réussit la gageure de rassembler en un espace unique mais paradoxalement pluriel les différentes micro unités appelées à donner vie à une grande unité ( ou macro unité) et à une cohérence discursive. Notre explication met en évidence la présence de nombreuses entités physiques et matérielles dont la fonction de coordination est accordée au metteur en scène. Nous allons montrer l’itinéraire qui mène de l’œuvre écrite à sa réalisation. Souvent, on confond texte et représentation, ce qui est à l’origine de plusieurs malentendus et de nombreuses méprises. Cette réalité va imposer la présence de l’entreprise théâtrale dont il faudrait redéfinir les contours en fonction des nouvelles réalités et des nouvelles exigences. Comment a fonctionné l’entreprise théâtrale depuis l’indépendance et quels textes législatifs et règlementaires ont caractérisé son parcours ?

       Le théâtre en Algérie eut l’incroyable chance d’être pris en mains par deux véritables hommes de culture, Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, qui permirent la mise en place et la définition des fonctions et des objectifs des structures théâtrales. Durant les premières années de l’indépendance, la grande question alimentant tous les débats s’articulait autour de la fonction du théâtre dans une société ankylosée, exsangue, qui cherchait à récupérer son propre substrat culturel tout en restant ouverte aux changements. Quel théâtre faire ? Telle est la lancinante interrogation qui parcourait les discours sur l’art scénique enfin pourvu de ses propres structures. Mohamed Boudia lançait l’idée du « théâtre populaire », syntagme non défini et très ambigu. Un théâtre « populaire » est-il réellement et forcément « révolutionnaire » ? A cette délicate interrogation, on s’abstint de répondre. Le silence était préférable. Les slogans et les discours démagogiques parcouraient le territoire culturel et politique. Les hommes de théâtre réclamaient avec sincérité l’établissement d’un « nouveau théâtre ouvert aux préoccupations du peuple ». Ce discours abstrait et peu pragmatique reflétait la mentalité d’une partie de l’élite intellectuelle de l’époque. Le romantisme caractérisait le discours développé par certaines franges de l’élite intellectuelle s’érigeant à la fois en « peuple » et en éveilleur de consciences. Ces discours tenus sur la pratique théâtrale avaient-ils quelque incidence sur le fonctionnement et l’organisation de l’activité théâtrale en Algérie ? Certes, non, dans la mesure où dans l’immédiat d’après l’indépendance, l’essentiel était tout simplement de monter des spectacles.

       Le 6 janvier 1963, l’Etat prit la décision de récupérer l’Opéra d’Alger (800 places) et les autres théâtres situés dans les grandes villes (Constantine, Oran, Annaba et Sidi Bel Abbès). D’autres structures théâtrales furent prises en charge par l’Etat mais souvent détournées de leur vocation initiale. Ce décret se présente ainsi 1:

 

« Titre I : Dispositions de caractère général

Article 1er : Le théâtre algérien est un service public national

Titre II :Du théâtre national algérien

Article 3 : Il est créé une troupe de théâtre dénommée Théâtre

National Algérien, T.N.A, troupe dépendant de la direction des

affaires culturelles, du Ministère de l’Education Nationale. Cette

troupe est dirigée –pour une durée de trois ans- et administrée

pour la même période par un directeur, un administrateur général,

tous trois nommés par arrêté de M. le Ministre de l’Education

Nationale, sur proposition de M. le directeur des affaires

culturelles.

Titre III : Du centre national du Théâtre Algérien

Article 4 : Il est créé un centre national du théâtre algérien,

dépendant de la direction des affaires culturelles du Ministère de

l’Education Nationale.

Article 5 : Ce centre a pour objet de définir l’orientation du théâtre,

sa propagation au sein des masses et en particulier, il a pour

mission de favoriser son développement par un travail de

prospection, d’études et de sélection des œuvres théâtrales. »

De nombreux journalistes et hommes de théâtre ont depuis la fin des années 70 fait un constat amer de la pratique théâtrale en Algérie. Les mêmes problèmes et le même tableau demeurent. Le budget alloué par l’Etat aux différentes structures théâtrales suffit à peine à la masse salariale perçue par le personnel administratif pléthorique, artistique et technique. Il n’est donc pas facile de mettre en œuvre un programme artistique ou de réfléchir à des espaces de formation dans des lieux où le nerf de la guerre, l’argent, manque dramatiquement. La diffusion est souvent mal conçue, ce qui ne permet pas la rentabilisation des pièces produites souvent condamnées à ne vivre que le temps de quelques représentations. Certes, des exceptions qui ne confirment nullement la règle ne sont pas absentes.

       En 1970, à l’instar de ce qui s’était fait en France et en Tunisie, le gouvernement décida de réorganiser le théâtre en mettant en œuvre la décentralisation qui accordait un statut d’autonomie à quatre théâtres régionaux, aujourd’hui six. A cette époque, la décentralisation était à la mode.  Après la France, ce fut autour de l’Algérie et de la Tunisie de délocaliser l’entreprise théâtrale qui ne transforma pas profondément les choses, même si elle permit la mise en œuvre de plusieurs projets dramatiques et la diversification des espaces scéniques et de la recherche. Cette mesure qui ouvrit la voie à de nombreux amateurs d’intégrer les structures étatiques ne pesa pas lourd devant cette absurde décision de fermer en 1973, pour des raisons obscures, l’école d’art dramatique et chorégraphique de Bordj el Kiffan, unique école de formation des acteurs en Algérie créée en 1964, grâce à Mustapha Kateb qui faisait vivre cet établissement en se faisant aider financièrement par le TNA dont il assurait la direction. Ce coup porté à la formation allait perturber durablement le fonctionnement de l’entreprise théâtrale. Des séminaires, des journées d’études et des festivals sont périodiquement organisés dans quelques villes du pays. Les comédiens et les techniciens alertent régulièrement les pouvoirs publics sur la déplorable situation du théâtre, mais aucune oreille ne daigne prêter attention à ces incessantes demandes d’aide. Aujourd’hui, les choses se sont sérieusement empirées à tel point que les théâtres n’arrivent pas  le plus souvent à réaliser une seule pièce par an. Les comédiens et les techniciens, souvent inactifs parce que peu sollicités, évoluent dans un environnement amorphe. Les représentations données dans les sept théâtres étatiques manquent sérieusement de force et de profondeur. Le théâtre en Algérie n’arrive pas encore à dépasser le stade de l’adolescence, du mégotage et du bricolage. Les théâtres d’Etat fonctionnent comme des machines administratives employant des comédiens transformés en simples fonctionnaires attendant parfois exclusivement leur salaire mensuel. L’organisation actuelle de l’entreprise théâtrale n’encourage pas la qualité, mais met en œuvre un nivellement par le bas qui désarticule le métier et sanctionne les bons comédiens qui se retrouvent placés au même titre que les acteurs médiocres qui profitent ainsi de cette aubaine et de cette absurde structuration de l’activité théâtrale. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les bons comédiens commencent à entreprendre des expériences hors les murs du secteur public qui vit une grave situation de blocage. Même les bâtiments, hérités de la période coloniale, ne résistent plus à l’usure du temps. Ainsi, les pouvoirs publics ont pris en charge la restauration des théâtres d’Alger, d’Oran, de Constantine et de Annaba qui n’avaient pas connu d’opérations de maintenance et d’entretien depuis 1962. C’est le cas aujourd’hui du théâtre régional de Batna. Il faut savoir que depuis l’indépendance, aucun théâtre n’a été construit. Le théâtre, surtout depuis les années quatre-vingt, se caractérise par un assourdissant silence. Les membres du personnel perçoivent toujours leurs salaires, mais sans production. Cette situation n’affecte pas uniquement l’art de la scène, mais touche toutes les disciplines artistiques vivant un incroyable abandon et une déplorable réalité. Jusqu’à présent, aucun débat sérieux sur les réalités de la décentralisation n’a été pris en charge par les pouvoirs publics qui pensent, en accordant le statut  de structures régionales aux théâtres municipaux de Skikda et de Guelma, ils allaient apporter une sorte d’élan à l’activité théâtrale, ce qui est illusoire tant que les questions de fond de la décentralisation et de l’action théâtrale n’ont pas été sérieusement débattues, c’est-à-dire tant que les conditions d’émergence de cette mesure, le fonctionnement des théâtres publics, leur gestion, leurs fonctions et leurs prérogatives.

       Malgré cette situation trop peu reluisante, quelques auteurs et metteurs en scène poursuivirent des expériences d’écriture entamées dès le début des années quatre-vingt en donnant à voir des productions d’exceptionnelle qualité : Legoual, Lejouad, Litham et Arlequin, valet de deux maîtres (de Goldoni), mises en scène par Alloula, Les martyrs reviennent cette semaine (dont l’adaptation est très discutable et pourrait poser sérieusement problème sur le plan éthique), El Ayta et Mille Hourras pour une gueuse, écrites ou adaptées par M’hamed Benguettaf montées par Ziani Chérif Ayad au TNA et à El Qalaa, aujourd’hui disparue, Babor Eghraq de Slimane Bénaissa, Hafila Tassir, Alem el Baouche  par Azzedine Medjoubi…La médiocrité du fonctionnement n’empêcha donc pas certains animateurs de talent de mettre intelligemment en scène des pièces et de poursuivre, avec les moyens du bord, leurs singulières recherches.

       Les années quatre-vingt-dix qui virent l’apparition d’une presse privée, certes plus libre, parfois peu convaincue par son devoir de service public, allaient consacrer la disparition des chroniques théâtrales et des pages culturelles qui avaient pignon sur colonnes de presse avant l’arrivée de ce type de journaux. [1]Cette catastrophe sera accompagnée par une autre hécatombe qui allait vider la scène théâtrale de ses principaux animateurs : le metteur en scène Malek Bouguermouh meurt dans un accident de la circulation, Kateb Yacine et Mustapha Kateb, décèdent en 1989, Ould Abderrahmane Kaki, déjà éprouvé par un accident de la route survenu en 1969 quitte définitivement la vie en 1994, Alloula et Medjoubi sont assassinés par des groupes terroristes, Agoumi, Bénaissa, Fellag, Ziani Chérif Ayad et bien d’autres artistes quittent le pays et s’installent en France où ils continuent à produire des pièces et à jouer dans des films. D’autres artistes font des va et vient incessants entre Paris et Alger.

       La scène théâtrale se fait de plus en plus aphone, même si de temps en temps, quelques voix s’élèvent de quelques structures et de quelques murs pour rappeler leur existence. L’instabilité politique et les graves événements connus par le pays durant la décennie 90 ne permirent pas au théâtre de retrouver la vitalité et l’enthousiasme des premières années de l’indépendance. La fin des années 90 et l’an 2000 connurent l’apparition d’un autre genre de représentation célébrant l’héroïsme guerrier et mettant en scène des personnages historiques. Cette mode prise en charge par des textes d’une médiocrité légendaire, sans aucune ligne dramaturgique rapporte certes à ses auteurs des bénéfices financiers, mais exclut le spectateur qui boude ce type de pièces qui, trop souvent, ne dépassent pas l’unique représentation. L’Histoire de l’Algérie, pervertie à outrance, malmenée, devient le lieu d’un jeu macabre mis en scène avec la bénédiction de structures étatiques et de l’argent public1.

Le fonctionnement trop bureaucratique accordant beaucoup plus d’importance à la fonction administrative marginalise les véritables producteurs et donne à voir une entreprise théâtrale trop fermée et se caractérisant souvent au niveau de la gestion par un jeu d’équilibrisme qui sanctionne négativement les meilleurs éléments. L’entreprise, prisonnière de son statut absurde d’EPIC, en contradiction avec les textes en vigueur sur la représentation culturelle et l’activité théâtrale, va privilégier la dimension administrative occultant sérieusement la fonction artistique et technique. Ainsi, les théâtres ont été contraints d’obéir au SGT, multipliant des recrutements inutiles dans des secteurs peu opératoires et non nécessaires. Paradoxalement, ce sont les métiers indispensables à l’activité théâtrale qui font cruellement défaut. Les théâtres n’ont, souvent, pas renouvelé leurs équipements, à l’heure de l’émergence des nouvelles techniques théâtrales. Même s’ils l’ont fait, pour certains, ce n’est pas encore opérationnel, compte tenu du fait que le personnel qualifié manque à l’appel et que l’entreprise qui a livré le matériel n’a pas jugé utile de prendre en charge la formation du personnel chargé de faire fonctionner ces nouveaux équipements. Il faut ajouter à cela le manque d’ouverture de ces établissements publics aux différentes expériences étrangères et le peu de contacts entretenus avec l’environnement immédiat : collectivités locales, universités, lycées, écoles, usines…L’organigramme n’accorde que trop peu d’importance à la promotion, à la formation et à la documentation.

      

2-la place du dramaturge

       Il est très courant de lire dans la presse ou dans les travaux universitaires que le théâtre en Algérie souffrirait d’une absence flagrante de textes dramatiques de qualité. Les journaux et les responsables des théâtres justifient souvent les problèmes de production en recourant à cet argument massue qui ne semble pas résister à un examen sérieux. Certes, les textes d’auteurs algériens sont peu nombreux, mais il est possible de reprendre des pièces du répertoire universel comme font d’ailleurs la plupart des grands théâtres dans le monde qui font souvent appel aux « classiques » pour éviter la « pauvreté » des textes contemporains.

       Depuis 1962, le nombre de textes d’auteurs algériens mis en scène dans les théâtres est très insuffisant. Les textes de Alloula, Kateb Yacine, Kaki, Benaissa, Fetmouche, Benguettaf, Bakhti, Déhimi sont acceptables, mais quatre ou cinq hommes peuvent-ils faire le printemps dans un univers anémié ? Certains auteurs, parmi les plus prolifiques, semblent trop séduits par le travers du plagiat. Quelques signatures commencent à se faire connaître depuis la fin des années 90. C’est le cas de Ahmed Rezag par exemple. Ces dramaturges mettent souvent en œuvre la réalisation concrète de leurs œuvres.

       Les romanciers sont très peu intéressés par l’expression dramatique, quelque peu complexe et qui exige une certaine maîtrise de l’art de la scène. Quelques tentatives sérieuses furent faites par quelques écrivains. C’est le cas notamment de Mouloud Mammeri, de Mohamed Dib, de Assia Djebar, de Tahar Ouettar, de Mohamed Kacimi et de Aziz Chouaki. Mais des comédiens adaptèrent des textes littéraires algériens au théâtre. Souvent, les critiques confondent littérature et théâtre qui n’obéissent pas du tout aux mêmes structures d’écriture ni aux mêmes normes. Ce « malentendu » fut à l’origine de très médiocres pièces écrites par des écrivains et des poètes qui n’arrivaient pas à ressortir ce qui fait l’originalité d’une production dramatique : le dialogue. Les comédiens, les metteurs en scène et les critiques reprochent sans cesse aux écrivains le « désintérêt » qu’ils semblent porter pour la chose théâtrale. Comment peut-on mettre en forme des textes dramatiques alors que de nombreux écrivains algériens méconnaissent totalement les techniques de l’écriture dramatique ? Le festival national du théâtre professionnel dont le commissaire est M’hamed Benguettaf (qui manque d’un background culturel sérieux) s’est tragiquement fourvoyé dans une confusion lourde de conséquence pour l’activité théâtrale en Algérie. D’ailleurs, les deux présidents des deux premières éditions (2006, 2007) sont des littéraires. La même remarque vaut pour le prix Mustapha Kateb (édition 2008) qui est un véritable ratage donnant à voir les insuffisances criardes d’une équipe d’organisation, trop peu au fait des réalités théâtrales.

       Mais depuis les débuts du théâtre en Algérie, ce sont les comédiens qui écrivent pour la scène. Ksentini, Touri et Bachetarzi étaient acteurs, auteurs et metteurs à la fois. Cette tradition se retrouve également aujourd’hui, même si de nombreux « écrivains » de théâtre ne maîtrisent pas les rudiments élémentaires de l’art d’écrire. Aussi, s’est-on surpris en présence de textes dramatiques manquant de force dramaturgique et organisant toute la représentation autour des entrées et des sorties des personnages et reproduisant souvent des schémas empruntés explicitement à d’autres pièces dont on évite de citer les auteurs. Des comédiens se mettaient à mettre en scène des textes rarement réussis qu’ils écrivaient. Zahir Bouzerar(TNA, Alger) donna vie à El Agra. Mohamed Adar (TROran) produisit El bir el mesmoum, El Amkhakh et El Bayadek. Tayeb Déhimi monta ses propres créations. Djamel Hamouda (TRAnnaba) fit la même chose.

       D’autres acteurs, séduits par l’écriture et les avantages financiers qui en découlaient, proposaient leurs textes aux commissions de lecture qui les acceptaient souvent sans un sérieux examen critique. La complaisance faisait le reste. Le comédien salarié réussissait l’exploit facile de glaner deux « cachets » financiers supplémentaires, l’un pour le texte et l’autre pour la mise en scène. Ainsi, tout le monde se mettait à écrire pour le théâtre qui ouvrait ainsi les portes à la médiocrité. C’est une décision ministérielle prise en 1974 (qu’on appelle souvent la grille Alloula, parce qu’il était à l’origine de sa rédaction), tendant à pousser les comédiens à se lancer dans l’aventure de l’écriture dramatique et scénique, pervertie par la suite et vidée de son sens initial. Souvent privés d’une formation de base, les comédiens donnaient souvent des textes sans vie, manquant de suite dramaturgique et se caractérisant par la présence d’espaces trop statiques et d’une langue calquée sur celle du quotidien, sans un travail de recherche préalable. Certains auteurs ne craignent nullement de « lyncher » des textes d’auteurs étrangers les vidant de leur substance dramaturgique. Les transitions sont souvent mal assurées comme d’ailleurs les « trous » qui restent paradoxalement béants, ce qui perturbe la continuité dramatique et disperse les différents signes de la représentation désarticulant ainsi le regard du récepteur.

       Certes Alloula, Kaki, Bénaissa, Benguettaf, Fetmouche…sont eux aussi d’anciens comédiens, mais qui disposent d’une sérieuse formation théorique et d’une capacité certaine à construire des univers dramatiques. D’ailleurs, ces auteurs qui montent souvent leurs pièces, de formation différente, arrivent à explorer divers lieux de l’écriture théâtrale et à proposer des expériences originales et singulières. Kateb Yacine, après avoir écrit des pièces en langue française (Le Cercle des représailles et L’Homme aux sandales de Caoutchouc) s’est lancé dans une expérience en arabe « dialectal » où il reprend la structure de La Poudre d’Intelligence. C’est un auteur confirmé qui choisit pour des raisons idéologiques d’arpenter les lieux de la scène. Il réussit, comme Alloula, Kaki et Bénaissa à influer profondément sur la pratique théâtrale en Algérie.

       Les années soixante-dix virent l’apparition d’un nouveau mode d’écriture : la « création collective ». Le théâtre régional d’Oran (TRO), grâce à Abdelkader Alloula, fut le premier à recourir à ce type d’entreprise. Ce sont surtout des réalités extra-théâtrales qui avaient imposé ce type d’écriture prisonnier du discours politique ambiant et transformant l’acte théâtral en action politique. Cette vision réductrice de la représentation théâtrale correspondait à une époque et à une certaine manière de concevoir la fonction de l’art théâtral. Le Théâtre régional de Constantine (TRC), avec, certes plus de réussite, monta des pièces qui, même, étaient écrites et réalisées collectivement, réussissaient parfois à donner à voir des espaces spectaculaires et à éviter, par endroits, l’embastillement  politique du discours théâtral. Cette manière de faire ne fut heureusement pas dominante dans les théâtres d’Etat, mais marqua très sérieusement la pratique des troupes d’amateurs qui se présentaient comme des tribunes politiques. D’ailleurs, leurs références renvoyaient à la politique ou aux relations qu’entretenaient celle-ci avec l’art théâtral : le discours politique officiel (Révolution Agraire, Gestion Socialiste des Entreprises, Médecine gratuite), Brecht, Piscator et l’Agit-Prop.

       Ces dernières années, les troupes recourent aux textes dramatiques étrangers. Les auteurs se lancent surtout dans l’adaptation et l’actualisation.

 

3- L’espace de l’acteur

       En Algérie, le comédien exerce dans un théâtre et perçoit une indemnité mensuelle fixe. Ainsi, il a le même statut que tous les salariés du pays. Ce qui n’était pas le cas avant l’indépendance où de nombreux comédiens étaient bénévoles, d’autres, notamment les auteurs-acteurs, pouvaient se partager les bénéfices des représentations. Mais les choses changèrent quand la section arabe de l’Opéra d’Alger dirigée par Mahieddine Bachetarzi fut créée. Les comédiens étaient rémunérés par la direction. A la radio, les animateurs et les acteurs recevaient une allocation financière.

       Après l’indépendance, l’Etat prit la décision de nationaliser les théâtres et de considérer les comédiens comme des employés de l’entreprise qui fonctionnait comme les autres institutions publiques. Jusqu’à présent, il n’existe aucun texte spécifique au métier de comédien. Les acteurs et les techniciens remettent souvent sur la sellette la question des garanties sociales (droit à la retraite par exemple) et de l’absence de textes législatifs régissant leur fonction. Aujourd’hui, des troupes privées commencent à voir le jour et à remettre en question la gestion actuelle des théâtres d’Etat souvent trop marqués par de très graves lourdeurs bureaucratiques. Ainsi, regroupés dans des noyaux, les éléments des troupes reçoivent souvent une contrepartie financière en fonction des prestations fournies et des recettes perçues par la formation artistique. Le mérite est ici souvent récompensé, contrairement aux structures d’Etat, qui, héritant d’un statut salarial et d’un mode d’organisation dépassés, n’accordent aucun intérêt à l’effort. D’ailleurs, des responsables des théâtres publics se confortent trop bien dans cette situation qui fait trop de mal à l’entreprise théâtrale algérienne. Des comédiens des théâtres d’Etat ne s’empêchent pas d’aller interpréter des rôles dans des pièces montées par des troupes privées. C’est une situation paradoxale que connaît l’activité théâtrale en Algérie.

       Jusqu’à présent, le statut social du comédien est marqué du sceau de la dévalorisation et de la péjoration. D’ailleurs, nombreux, surtout les actrices, sont ceux qui, découragés et démoralisés, s’en vont ailleurs, à la recherche d’un gagne-pain « sérieux ». Le théâtre ne serait pas une bonne affaire dans une société traversée par la suspicion et l’intolérance.

       Le salaire, d’ailleurs trop peu conséquent, perçu par les comédiens est assimilé à une rente. Il existe des acteurs, salariés dans les établissements publics, qui ne se produisent plus depuis de très longues années. La minorité agissante, celle qui anime la production existante, est souvent déstabilisée et mal rémunérée, si l’on tient compte des efforts et des prestations fournis (premiers rôles, présence permanente…). De nombreux comédiens qui supportent mal cette situation qui ne bénéficie qu’aux rentiers et aux médiocres ne cessent de dénoncer le fonctionnement de l’entreprise théâtrale encore traversée par les stigmates de l’anarchie et du laisser-aller et appellent à une véritable révolution de ces lieux.

       Il est, de notoriété publique, que les théâtres d’Etat, machines trop lourdes, sont incapables de prendre sérieusement en charge les nouvelles réalités en matière culturelle. Ainsi, l’organisation traditionnelle, surtout marquée par l’application du Statut Général du Travailleur (SGT) qui pervertit la fonction artistique et les missions de l’entreprise, devrait être remise en question et remplacée par une structuration plus souple, plus opératoire et correspondant aux exigences de l’art théâtral.  Les conditions d’exercice du métier devant inévitablement changer, les pouvoirs publics ont le pouvoir de réajuster le statut juridique de l’entreprise théâtrale tout en prenant conscience de la fonction de service public du théâtre qui est une affaire d’état, pour reprendre Kateb Yacine, qui a besoin, comme dans les pays européens, de subventions et d’aides conséquentes de l’Etat tout en conservant son autonomie.

       Les théâtres, héritage de la colonisation, restent souvent fermés, inemployés. Ce qui montre la pauvreté et le manque d’imagination de beaucoup de ceux qui ont eu à diriger ces entreprises. Aucun théâtre n’a été construit depuis l’indépendance. D’ailleurs, à quoi serviraient-ils dans ces conditions ?

D’où viennent les comédiens ? Des théâtres comme ceux de Annaba, Béjaia, Bel Abbès, Constantine, Oran et Batna recrutent surtout d’anciens amateurs et quelques diplômés de l’école de Bordj el Kiffan. Le TNA qui fut durant une assez longue période constitué des anciens de la troupe du FLN et du service de l’Education Populaire, puisa également  une partie de sa composante dans le vivier de l’INADC (Institut national d’art dramatique et chorégraphique) de Bordj el Kiffan dont la section « Art Dramatique » fut fermée en 1973 sans aucune explication par le ministère de la culture et de l’information.

       Les comédiens sont souvent issus des couches populaires. Ce qui n’était pas le cas de certains pionniers de l’art théâtral en Algérie : Mahieddine Bachetarzi et Mustapha Kateb. Les lettrés ont depuis très longtemps été peu tentés par l’aventure théâtrale. D’ailleurs, les premières troupes constituées de lettrés en arabe ou en français disparurent rapidement. Les tabous sont toujours vivaces et tenaces. Faire du théâtre, c’est faire le « guignol » (au sens péjoratif du terme, ce qui montre le mépris affiché à l’égard des hommes de théâtre).

       Le métier reste encore peu ouvert aux femmes qui commencent, certes, à s’imposer ces dernières années, grâce à des valeurs sûres. Celles qui osent se lancer dans cette pratique artistique sont généralement mal vues, assimilées à des femmes de mœurs faciles, surtout dans l’Algérie profonde.  Les metteurs en scène évitent souvent de monter des pièces où évoluent de nombreux personnages féminins. Est-il possible de mettre en scène Les Bonnes de Jean Genet ou Les Trois sœurs d’Anton Tchékhov dans les théâtres régionaux qui n’emploient le plus souvent qu’une ou deux comédiennes chacun ? Seul le TNA d’Alger peut le faire. D’ailleurs, il avait fait le rappel de toutes ses actrices pour monter La Maison de Bernarda Alba de Fédérico Garcia Lorca. Les auteurs et les metteurs en scène optent souvent pour des pièces ne comportant pas un grand nombre de personnages féminins. Babor Eghraq de Slimane Bénaissa ne fait appel qu’à des hommes. La femme est certes obsessionnellement présente dans l’espace théâtral et l’imaginaire des personnages masculins, mais elle est physiquement absente de la scène concrète. L’univers théâtral exclut la femme du champ de la représentation. Elle est souvent le lieu où se manifestent les fantasmes masculins. L’absence des personnages féminins n’est en fait que l’expression de la situation des femmes en Algérie.

       Le problème essentiel que rencontrent les comédiens, c’est l’absence d’une formation permanente et de recyclages réguliers. Ainsi, de très nombreux comédiens, venant souvent du théâtre amateur, ne maîtrisent nullement les contours de la représentation et de l’interprétation et ne daignent pratiquer des exercices réguliers (diction, expression corporelle, lecture…). L’insuffisance notoire au niveau de la culture générale et du savoir théâtral pose sérieusement problème.

 

4- L’univers de la mise en scène

       La mise en scène est une discipline récente en Algérie. Trop peu de metteurs en scène maîtrisent les lieux et les outils de la mise en scène. Aujourd’hui encore, les réalisateurs ne s’occupent le plus souvent que des entrées et des sorties occultant les fonctions centrales de cette discipline qui permet la mise en relation de tous les éléments du spectacle. Ainsi, monter un spectacle, c’est réussir à provoquer la jonction entre la musique, le décor, le texte, la musique et le jeu des comédiens. Ce travail n’est pas simple, il existe une sérieuse formation que ne possèdent pas beaucoup de ceux qui se sont convertis, faute de techniciens qualifiés, en metteurs en scène de circonstance. Souvent, des comédiens se convertissent, du jour au lendemain, en metteurs en scène, sans formation préalable. Les nécessités de l’époque permettaient donc à certains acteurs de se transformer, en quelque sorte, en régisseurs centraux du spectacle théâtral. Certes, de grands metteurs en scène comme Mustapha Kateb, Allel el Mouhib, Hadj Omar, Abdelkader Alloula, Ould Abderrahmane Kaki et quelques autres, formés souvent sur le tas ou dans des séminaires et des stages de recyclage, apportèrent une incroyable fraîcheur à la manière de composer les spectacles. Mais, il faut reconnaître que même s’ils n’avaient pas bénéficié d’une formation approfondie, ils apprirent leur métier grâce au contact de grands metteurs en scène et de grandes expériences dramatiques européennes et américaines.

       La lecture était aussi un élément fondamental qui contribua grandement à leur formation. Aujourd’hui, les mises en scène de ces hommes sont considérés comme des modèles. Les rares techniciens formés à Bordj el Kiffan (Ziani Chérif Ayad par exemple) et à l’étranger quittent souvent le métier et parfois le pays. C’est le cas de Hachemi Nourredine, de Allel Kherroufi, de Hamida Ait el Hadj…Des hommes comme Bouguermouh (il mit en scène plusieurs pièces dont El Mahgour de Bénaissa) et El Hachemi Nourredine (La Bonne Ame de Sé-Tchouan et Tekhti rassi, ce n’est pas mon affaire, d’après Les Incendiaires de Max Frisch) exerçaient à la télévision alors qu’ils étaient titulaires de diplômes de metteurs en scène, obtenus pour le premier à Moscou et pour le second, en Allemagne de l’Est. Bouguermouh finit par prendre la direction du théâtre régional de Béjaia avant de trouver la mort dans un accident de la circulation en 1989 alors que El Hachemi Nourredine quitta définitivement le pays pour s’installer en Allemagne. Allel Kherroufi, après une formation, rentre au pays mit en scène quelques pièces au TNA et déçu, prit la direction du Canada. Hamida et Faouzia Ait el Hadj, de retour de l’ex-Union Soviétique, firent une expérience au TNA avant de se séparer de cet établissement, l’une, Hamida, pour aller en France et l’autre, Faouzia, pour changer de lieu en montant des spectacles pour l’office national pour la culture et l’information (ONCI) à Alger. Des jeunes formés à l’institut d’art dramatique e Bordj el Kiffan commencent à apporter leur petite empreinte à la mise en scène. C’est le cas de Ahmed Rezag qui écrivit ou mit en scène trois pièces ces dernières années (Essoussa, Mabrouka et Ez zaim), mais le fait de toucher à tout et de ne pas prendre son temps avant d’écrire scéniquement ses textes le dessert sérieusement et donne à voir des travaux parfois superficiels.

       L’Etat envoyait, dans le cadre de bourses de coopération, des étudiants dans de grandes écoles, surtout dans l’ex-URSS et les pays de l’Est, mais à leur retour au pays, toutes les portes leur étaient fermées. L’environnement hostile et les résistances de certains anciens qui risqueraient de perdre des plumes finissaient souvent par provoquer le désenchantement et la désillusion. Certains se retrouvent enseignants à l’Institut national d’art dramatique de Bordj el Kiffan rouvert ces dernières années.

       Avant l’indépendance, les comédiens-auteurs ignoraient souvent les techniques élémentaires de la réalisation. Mahieddine Bachetarzi ne s’en cache pas : « Accusez le théâtre que j’ai dirigé de tout ce que vous voudrez. Dites que nous ne répétions pas assez, que nous ne savions pas toujours nos rôles, que nous n’avions que des notions très vagues de la mise en scène. Allalou, quand il réglait ses premières pièces, ne s’inquiétait que des rentrées et des sorties. Mansali seul savait préciser les mouvements de scène. Ksentini déchaîné dans son personnage, se lançait à travers choux. »

 

       La formation artistique des comédiens et des techniciens n’étaient pas au point. L’essentiel était d’organiser le spectacle et de contrôler les entrées et les sorties. Certes, Mohamed Mansali qui fit des études à Beyrouth connaissait quelque peu certaines techniques de mise en espace, mais même dans les pays du Machreq, les problèmes de formation et de maîtrise technique se posaient avec acuité. Il fallut attendre longtemps avant de voir des hommes comme Mustapha Kateb, en contact permanent avec les Européens, s’intéresser sérieusement à l’art de composer des pièces et à la manière de coordonner et d’organiser les différents éléments du spectacle.  Les années quarante et cinquante constituaient en quelque sorte un tournant important dans l ‘appropriation des techniques d’écriture scénique. Ainsi, certains hommes de théâtre arrivaient donc à mieux gérer l’espace et à entreprendre des calculs et des esquisses géométriques. Les pièces étaient donc mieux construites. Ce qui n’était pas le cas avant où tout s’articulait autour du jeu du comédien. Ksentini, par exemple, évoluait sur scène comme un véritable conteur qui séduisait l’assistance par un usage intelligent de jeux et de tournures linguistiques. Avec Mustapha Kateb, la représentation s’illustrait par une certaine rigueur et une continuité au niveau dramaturgique. Certes, au même moment, d’autres, continuaient à fonctionner de la même manière que Ksentini ou Allalou. C’était le cas de Touri par exemple.

       Après l’indépendance, d’autres noms, plus qualifiés et mieux formés, investissaient la scène : Alloula, Kaki, M.Kateb, Hadj Omar, Bouguermouh, Hachemi Nourredine, Allel el Mouhib,etc. Ces metteurs en scène apportaient une certaine originalité et une extraordinaire force à la représentation dramatique algérienne. Chacun tentait, en fonction de sa formation, de mettre en œuvre une mise en scène qui rompait avec les sentiers battus et tant rebattus des entrées et des sorties, en recourant à l’imagination et en intégrant une sorte de grain de folie qui apportait fantaisie et originalité. Certains s’étaient illustrés par des expériences singulières comme Alloula ou Bouguermouh par exemple. Ils s’étaient lancés dans des travaux de recherche qui remettaient en question le mode d’agencement conventionnel et le lieu théâtral dominant. Alloula cherchait à utliser les éléments de la culture populaire qu’il investissait d’historicité.

Si Alloula recourt à la culture populaire et essaie de rompre avec le style d’agencement aristotélicien et en mettant en question le lieu théâtral, Slimane Bénaissa articule son travail autour d’une série d’oppositions : conflits entre deux espaces incompatibles, fonctionnement antagonique de personnages incarnant des univers parallèles. Kateb Yacine fragmente la scène, de telle sorte à ce que Djeha-conteur, soit le cœur de toutes les situations et le catalyseur du récit et des changements scéniques. L’espace est morcelé, ouvert où plusieurs éléments cohabitent : musique, chants, parole et gestes. Hadj Omar accorde une importance particulière à la cohérence et à la correspondance des signes déterminant expression gestuelle, physique et orale.

       Les questions sociales déterminent la mise en relation des matériaux techniques et mettent souvent en œuvre deux instances spatiales et un univers à deux niveaux correspondant à la stratification de la société en deux ensembles opposés, distincts, à la limite antagoniques. Cette fragmentation et ce morcellement de la scène, lieu où parole et image se côtoient, obéissent à une logique idéologique prévalant dans l’Algérie de l’indépendance. Ainsi, la mise en scène est marquée par les soubresauts idéologiques et les contingences sociologiques. La mise en scène est en quelque sorte une mise en espace de réalités sociales précises et une lecture particulière des conflits qui secouent la société, interprétation animée par les interstices de l’imaginaire. D’ailleurs, le travail de mise en scène est le lieu où s’investissent durablement et fortement l’imaginaire social et l’imaginaire individuel. Les techniques brechtiennes, souvent associées à des éléments de la culture populaire, dominent le travail de certains metteurs en scène qui ne négligent pas pour autant le maître d’œuvre de l’écriture scénique, Stanislavski. D’autres courants animent les territoires scéniques. Les traces éparses de Grotowski, Kantor, Vilar ne sont pas absentes du travail technique d’un certain nombre de metteurs en scène.

       Il est à signaler que de nombreux comédiens convertis à la mise en scène ignorent souvent les rudiments élémentaires de la mise en forme d’un cahier de mise en scène ou de régie. Cette situation rend le travail du chercheur extrêmement difficile dans la mesure où il n’arrive pas à trouver des documents lui permettant de suivre le fonctionnement de la mise en scène. On passe parfois du texte à la scène sans un travail préalable concourant à la mise en branle des éléments participant de la mise en relation des éléments du spectacle et à l’interpellation des espaces médiateurs entre texte et représentation. Ainsi, souvent, les auteurs mettent en scène leurs textes sans tenter de tracer les contours géométriques de la scène ou tenter une écriture scénique qui absorberait le texte et qui fonctionnerait de manière autonome. On passe à la lecture à l’italienne et on se met à se balader sur le plateau sans aucune interrogation des instances spatiales et temporelles. Les autres éléments de la représentation, figés et statiques,  ne viennent le plus souvent que pour « illustrer » le texte. Leur présence est ainsi accessoire et ne contribue pas grandement à l’élaboration du sens. Décor « réaliste » ou suggestif, il n’apporte pas un « supplément d’âme » au spectacle qui ne compte le plus souvent que sur les performances des comédiens. Certes, on utilise les autres matériaux scéniques, mais on ne réussit pas souvent à les mettre en relation et à provoquer une certaine unité. On a parfois affaire à une lecture à l’italienne bis sur scène.  L’écriture scénique exige un travail minutieux et rigoureux où chaque détail conserve son importance et adhère au discours théâtral global et contribue ainsi à l’élaboration du sens général de la représentation.

       Des expériences intéressantes comme celles du Théâtre de la mer ou de Théâtre et Culture, formations évoluant vers la fin des années soixante-début des années soixante-dix, proposèrent une écriture scénique originale qui recourait à l’image comme lieu fondamental de la théâtralité. Temps et espace éclatés, démultipliés qui contribuaient à la dissémination des signes et à la mise en condition du sens, synthèse de toutes ces relations unissant jeux corporels et gestuels, images et expression dialogique et vocale. Ainsi, la poétique du corps (mime, pantomime, objectivation de l’objet) articulait la représentation et se manifestait le plus souvent par la réappropriation d’images et de figures métaphoriques.

       La notion de mise en scène est encore mal assimilée en Algérie. Mais les années 90 ont permis, malgré la pauvreté de la production dramatique, de mettre au jour l’apparition de quelques noms qui commencent à maîtriser les lieux quelque peu escarpés de la réalisation. De nombreux jeunes metteurs en scène formés dans de grandes écoles étrangères apportent aujourd’hui leur savoir-faire, comme d’ailleurs quelques anciens comédiens qui ne craignent pas de tenter quelques judicieuses expériences. Mais les choses restent encore difficiles. L’absence de formation et le manque de production favorisent le marasme de la représentation artistique. Les problèmes rencontrés par nos hommes de théâtres se retrouvent également dans les autres pays arabes qui, malgré la présence ancienne de troupes et de structures de formation, n’arrivent pas encore à dépasser la médiocrité ambiante et de rompre avec le bricolage.

Les pièces réalisées ces dernières années sont, pour la plupart, marquées par de sérieuses incohérences au niveau du travail de mise en scène. La direction d’acteurs est un espace trop peu maîtrisé et désarticule une représentation qui manque souvent de force. Ce n’est pas le fait de financer, dans ce contexte lamentable, la production de 47 pièces qui règle le problème de la médiocrité de notre théâtre, mais une véritable prise en charge de l’entreprise théâtrale.

 

5) La formation du personnel artistique

        Le thème de la formation artistique revient comme un leitmotiv dans tous les textes officiels. Quel est le responsable de la culture qui n’évoqua pas cette question ? Aucune nouvelle structure théâtrale ne fut construite depuis 1962. De temps à autre, des étudiants sont envoyés à l’étranger dans le cadre de la coopération. A leur retour, le désenchantement et la déception les acculent à la passivité et à la démission.

       La fermeture en 1973 de la section « Art Dramatique » dépendant de l’école d’art dramatique et chorégraphique  condamna le théâtre à vivre dans la marge du professionnalisme et du sérieux. L’école d’art dramatique et chorégraphique vit le jour en 1964 grâce à la bonne volonté de quelques hommes de théâtre dont Mustapha Kateb et Mohamed Boudia.  Patronné à ses débuts par le Théâtre National Algérien (TNA), s’occupant exclusivement de la formation de danseurs et de comédiens dont deux promotions sortirent en 1967 et 1968, il fut par la suite rattaché aux services du ministère de l’information et de la culture. En 1973, la branche « théâtre » disparut au profit d’une section « musique » qui admit durant une certaine période des élèves de l’Institut National de Musique (INM) appelés peu après à évacuer les lieux.

       La section « Art Dramatique » assura la formation d’une cinquantaine de comédiens dont certains n’ont pas achevé leur cursus.  Paradoxalement, le diplôme de fin d’études n’est toujours pas reconnu alors que les étudiants suivirent une formation quelque peu sérieuse avec l’apport d’enseignants étrangers comme les égyptiens Saad Ardache  Karam Moutawa’ et français. En 1975, l’institut forma des animateurs culturels (cycle de formation de deux années) spécialisés dans les disciplines suivantes : audio-visuel, arts scéniques, musique et peinture. Les jeunes diplômés de cet établissement devaient être affectés dans des maisons de la culture qui n’existaient pas. Ils se retrouvèrent souvent condamnés à exercer dans des administrations ou au chômage. Le statut régissant ce nouveau métier est encore indisponible.

       L’institut revient quelque peu à sa vocation initiale (les arts scéniques), tout en changeant de dénomination, imitant quelque peu l’INSAS de Bruxelles en se transformant en ISMAS (Institut supérieur des métiers et des arts du spectacle) mais rencontre de très sérieuses difficultés : absence d’encadrement compétent et performant, ambiguïté du statut, manque d’organisation, insuffisance des moyens financiers et matériels. Certes, quelques enseignants arrivent, grâce à leur dévouement, à entreprendre un travail intéressant. Placée sous la tutelle du ministère de la culture, cette institution forme des comédiens, des techniciens et des critiques. Les étudiants suivent un enseignement « théorique » ou général et un cursus pratique, technique.

       Il y avait également, à une certaine époque, des conservatoires à Oran et à Alger qui assuraient des cours d’art dramatique.

       Les pouvoirs publics ne semblent pas avoir pris conscience de l’importance de autres métiers constitutifs de la représentation théâtrale : éclairage, décor, musique, costumes, scénographie, etc. La décennie 90  vit le retour, après la fin de leurs études à l’étranger, de quelques techniciens de la scène : scénographes, metteurs en scène, critiques…Nombre d’entre eux exercent à l’institut national d’art dramatique de Bordj el Kiffan, aujourd’hui ISMAS. Cet institut fonctionne comme instance clandestine, marquée par les limites de sa création et de ses ambiguïtés.

       A l’université, les départements de français et d’arabe assurent des cours de théâtre souvent donnés par des enseignants qui ne maîtrisent pas la matière et qui n’ont jamais visité un édifice scénique de l’intérieur. D’où cette confusion souvent entretenue  par méconnaissance du fonctionnement de l’art scénique entre théâtre et littérature. Le théâtre est considéré par de nombreux enseignants de ces départements comme partie intégrante de la littérature. Il n’existe pas encore de programme précis. A l’université d’Oran, existe depuis quelques années, un département de théâtre, mais l’absence d’un encadrement sérieux pose problème. Des étudiants des instituts de sociologie et de communication traitent de sujets relatifs à l’activité théâtrale dans le cadre de leurs mémoires de fin d’études. Le département de l'université d'Oran souffre  de nombreuses lacunes: encadrement, programmes, méthodologie, et même les critères d'accès à cette filière posent problème. 

 

       Ainsi, l’art scénique reste mal vu et vit encore à l’ère du bricolage. Peut-on faire fonctionner des théâtres sans comédiens et techniciens formés en conséquence ?

 

6-Les coopératives « indépendantes »

Quelques troupes privées constituées en coopératives réussissent de temps à temps à proposer des pièces intéressantes. C’est le cas de la coopérative de Bordj Ménail dirigée par Omar Fetmouche, auteur et metteur en scène, la troupe Mohamed Yazid, celle de Sonia et de Mustapha Ayad (le fils de Rouiched), Bel Abbès (Fadéla Assous) …Des comédiens décidaient de quitter l’entreprise étatique et fondaient leur propre troupe. Ce sont les expériences de Hassan el Hassani (Troupe du Théâtre Populaire, 1967) et de Slimane Bénaissa qui ouvrirent la voie à ces nouvelles troupes privées qui tentent de conquérir le public. L’aventure d’El Qalaa fut une entreprise qui mobilisa de grandes potentialités, mais qui finit par être gagnée par l’immobilisme après le départ de l’équipe en France. Certains comédiens créent leur propre troupe tout en conservant le statut de salarié de l’entreprise étatique.

Hassan el Hassani et Slimane Benaissa ont tenté une expérience de type « privé », presque de manière clandestine dans la mesure où il n’existait pas de textes règlementaires régissant ce type de pratique. Alloula trouva l’astuce avec sa « coopérative du 1er mai » en reprenant des textes de 1972 régissant les coopératives de la Révolution agraire. Ainsi, les nouvelles « coopératives » ont repris la même démarche. Aujourd’hui, ces troupes rencontrent de très sérieuses difficultés : absence de statut clair, graves problèmes financiers, failles profondes au niveau de l’organisation…

 

7- Le théâtre amateur

 

On ne peut parler du théâtre en Algérie sans évoquer le théâtre d'amateurs. Les premiers hommes de la scène apprirent sur le tas les techniques rudimentaires de la représentation dramatique, grâce à leur fréquentation quelque peu « clandestine » des salles de spectacle, pendant la période coloniale.  Ils furent séduits par la découverte de ce nouveau genre artistique.  Ils se regroupèrent en petits groupes dans les grandes villes et se mirent à monter des sketches. Ce n'est que vers le début du siècle qu'apparurent des troupes mieux organisées, à Médéa, à Blida, à Alger et à Constantine un peu plus tard.

L'indépendance acquise, les autorités constituèrent le Théâtre National Algérien et définirent la nouvelle politique culturelle. Les « professionnels » avaient leurs salles des moyens matériels sérieux et percevaient des salaires mensuels. Un peu partout, en Algérie, des troupes se constituaient. Elles se produisaient en dehors des salles de spectacle. Les quartiers populaires, les places publiques, les marchés et les hangars étaient les lieux de prédilection de ces nouveaux amateurs, qui voulaient contribuer à leur manière, à animer la société et à mettre en scène les nombreux problèmes sociaux que vivait leur pays. Etudiants, lycéens, ouvriers et chômeurs dont l'âge ne dépassait pas la vingtaine d'années, constituaient les éléments fondamentaux de ce théâtre sans moyens financier, matériel et humain. 

Jusqu'à la fin des années 60, le théâtre d'amateurs puisa essentiellement ses thèmes et sa manière de jouer dans le répertoire des troupes algériennes qui existaient avant l'indépendance.

Si les années 60 furent en quelque sorte timides en matière de production de qualité, la période allant de 1970 à 1980 permit paradoxalement aux hommes de culture d'investir le champ social. Mais il était clair qu'une ouverture, même limitée, s'amorçait. Le politique et le culturel se confondaient.

C'est dans ce contexte qu'apparurent paradoxalement les meilleures troupes du théâtre d'amateurs.  Le festival de Mostaganem, lieu de rencontre régulier des amateurs, contribua grandement à la découverte de ce jeune théâtre. Nous tenterons dans ce chapitre de mettre en évidence les points forts et les failles de cette manifestation qui demeure encore, même si les choses se sont progressivement dégradées, le noyau autour duquel s'articule toute la représentation théâtrale. Le théâtre d'amateurs connut trois étapes plus ou moins distinctes.  La première s'ouvre en 1962 et se termine en 1970. Celle-ci fut surtout dominée par des pièces dont la référence essentielle était puisée dans le théâtre de Ksentini, Allalou, Bachetarzi et Touri. La deuxième phase (1970-1980), la plus riche, commence juste après les évènements de mai 68 en France (mais 1970 fut réellement l'année -phare) et se referme en 1980, une année après la mort de Boumédiène et la remise en cause de ses actions politiques. La troisième période, peu riche en matière théâtrale, fut  une décennie (1981-1991) traversée par les manifestations et les émeutes (Constantine, Alger, en 1986 et en 1988).  L'un des éléments positifs de ces dix années demeure la présentation de pièces en kabyle et en chaoui.  Ce qui est une nouveauté de taille. Les amateurs connaissent trop peu de choses de la représentation artistique.  Faire du théâtre est une passion et un signe d'engagement politique. Les rudiments de l'art scénique sont souvent méconnus. Lors des festivals du théâtre, les comédiens évoquent souvent le nom de Brecht, mais réussissent très rarement à le situer sur le plan artistique. Sur une centaine de comédiens interrogés, seuls trois d'entre eux ont pu citer le titre d'un ouvrage théorique de l'auteur Allemand.  Des séminaires furent organisés à Mostaganem et à Alger, des ateliers furent animés par des professionnels ou des animateurs des troupes.

- L'aventure du Festival de Mostaganem

       On ne peut évoquer l'expérience du théâtre d'amateurs en Algérie sans citer le festival national du théâtre d’amateurs qui se déroule depuis 1967 dans une ville côtière de l'Oranie(Ouest algérien): Mostaganem. Cette rencontre était, à ses débuts, régionale, elle ne réunissait que les troupes de 1’0uest.  Petit à petit, le festival s'est assuré une ouverture nationale et est considéré comme le lieu-phare de rassemblement des groupes d’amateurs.  Des dizaines de troupes se sont produites à Mostaganem. Les premières éditions prises en charge par 1a commission culturelle des Scouts Musulmans Algériens (S.M.A) ne dépassèrent pas le caractère régional de 1a manifestation. Une dizaine de troupes présentaient leurs spectacles et regagnaient leur ville d'origine 1e lendemain. Ce n'est qu’en 1970 que le festival de Mostaganem prit une dimension nationale. 

On ne peut interroger sérieusement le théâtre en Algérie, si on n'évoque pas le théâtre d'amateurs qui fournit au théâtre d'Etat de nombreux comédiens et animateurs. Notre analyse nous a permis de mettre en valeur les particularités de cette expérience: espace vide, « création collective », peu de jeux de lumière, primauté du « politique » ... Ce théâtre qui, selon nous, a connu trois phases (1962-70, 1970-80, 1981- 2000) successives particulières, est surtout un théâtre d'intervention sociale et politique. La présence de nombreux ex-amateurs dans les théâtres d'Etat met en relief la force de cette expérience qui traverse l'art scénique algérien.

Mais aujourd’hui, paradoxalement, le nombre de troupes d’amateurs a sérieusement régressé. Les collectivités locales n’aident nullement ces équipes qui naissent et disparaissent au gré des circonstances, fautes de moyens financiers et matériels et d’encouragements, même symboliques. Les APC et les APW qui disposent, en principe, d’un budget pour aider la production culturelle ne s’en soucient nullement, considérant la chose culturelle comme non rentable et trop peu intéressante.

-Les espaces pervers du festival national du théâtre professionnel : Il existe depuis 2006. Cette manifestation, piégée par de nombreuses confusions et un flagrant manque de professionnalisme, donne à voir la production des théâtres régionaux et, subsidiairement, celle des troupes privées qui, elles, devraient passer par un concours appelé paradoxalement « festival culturel local du théâtre professionnel », sélectionnant un seul groupe pouvant participer au « in » comme si les organisateurs voulaient imiter Avignon. Souvent, les « recommandations » (encore une trouvaille, type parti unique) des membres du jury insistent sur le caractère médiocre des représentations. On reprend chaque année la même chose, alors qu’au lieu d’un festival annuel, n’est-il pas plus utile de revoir l’organisation de l’entreprise théâtrale et d’insister sur le volet « formation ». Tout se fait clandestinement, un « colloque » est organisé en l’absence d’un appel à communications, passage obligé de toute rencontre culturelle et des Algériens, connus et reconnus, sont exclus alors qu’ils sont régulièrement sollicités à l’étranger et auteurs de nombreux ouvrages sur le théâtre. Il faut savoir aussi que pour le prix Kateb, on a choisi un sujet (« La révolution algérienne dans le théâtre arabe »), pour le moins absurde et contribuant à la falsification de l’Histoire, d’autant que les Arabes si on excepte la pièce de l’Egyptien Abderrahmane Cherkaoui, Ma’sat Jamila ou Gamila el Gazairia et quelques rares petits textes ne dépassant pas un acte  dont on a que les titres, n’ont pas écrit sur notre lutte de libération. Ainsi, à l’occasion du cinquantenaire de la constitution de la troupe du FLN (1958-2008), ce prix a, selon nous, exclu des noms qui se sont sacrifié pour faire connaître la cause algérienne : Mustapha Kateb, Rais, Kateb Yacine, Kréa, Bouzaher, Boudia. Ces noms dérangent-ils encore ?

Il faut aussi relever cette propension à inviter certains étrangers qui n’apportent absolument rien à la manifestation : ni conférences, ni participation à des ateliers de formation ou trop peu connus sur la scène théâtrale ou de la recherche. Trop d’argent gaspillé qui pouvait servir à soutenir les troupes privées et à constituer un fonds documentaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PROPOSITIONS

 

 

Le théâtre, au même titre que les autres formes artistiques, connait une crise extrêmement profonde. D’ailleurs, l’état des lieux que nous avons tenté d’esquisser révèle les nombreuses difficultés que vit ce secteur, trop marqué par une extraordinaire paralysie et une organisation trop obsolète. Proposer une autre manière de faire semble difficile dans un contexte culturel caractérisé par une véritable anomie. Toute solution ne serait que provisoire et quelque peu aléatoire. Les décisions prises au début des années 90, mal étudiées et trop rapides, en direction du livre et du cinéma ont fini par détruire toute entreprise de revitalisation de ces deux disciplines artistiques. On ne peut, dans ces conditions, faire abstraction de l’environnement. Certes, la situation du théâtre est critique, mais il serait peu opératoire de l’assimiler à une entreprise matérielle. Ainsi, nos propositions partiront de l’idée du théâtre comme service public. D’ailleurs, les expériences européennes adhèrent à cette réalité, d’autant plus que le théâtre et les autres arts produisent du sens, des biens symboliques. Il serait donc urgent de mettre un terme à cette confusion trop longtemps entretenue qui fait des théâtres d’Etat des entreprises à caractère industriel et commercial. Il faut savoir que le théâtre est un lieu essentiel de la culture nationale et qu’il ne pourrait, même s’il affiche constamment complet, être bénéficiaire. Les grands théâtres d’Europe, par exemple, comme le Piccolo en Italie ou Le théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine ou la Comédie française, vivent, grâce aux subventions étatiques. Certes, ces établissements disposent d’un cahier des charges, d’un programme précis et aussi de recettes, mais celles-ci ne suffisent nullement au financement des activités. Ces théâtres incarnent, en quelque sorte, la mémoire et l’âme de leurs sociétés.

C’est pour cette raison que l’intervention de l’Etat est décisive pour la prise en charge de l’activité théâtrale dans tous ses volets : « professionnel », « amateur », « privé », « universitaire », « scolaire »… Ainsi, il est temps que l’environnement immédiat considère le théâtre et les autres arts comme des éléments essentiels dans la définition de notre identité et la construction d’une image positive de l’Algérie. Les APC et les APW, comme d’ailleurs les universités, pourraient être partie prenante d’une réactivation de l’art dramatique en Algérie, d’autant plus qu’il fonctionne aisément comme un instrument didactique. L’association des collectivités locales, de l’université, de l’école et des structures culturelles est impérative pour permettre au théâtre de s’ancrer durablement dans l’univers culturel algérien. 

 

 

 

 

1-Organisation générale du théâtre public

 

L’entreprise théâtrale, traversée par les multiples scories de décisions administratives souvent en porte à faux avec la réalité, a déjà depuis de nombreuses années connu ses limites. Les théâtres décentralisés n’arrivent plus, faute de renouvellement et de bonne gestion, de produire un travail de qualité. D’ailleurs, perclus sous le poids d’une lourde machine administrative, l’entreprise occulte dangereusement sa vocation d’animation et de production des spectacles. Nous avons souvent affaire à des entreprises fermées, sans animation sérieuse et prenant rarement des initiatives. Certes, les bâtiments cherchent surtout à réussir la gageure de distribuer la masse salariale qui broie la grande partie du budget alloué à l’entreprise.

Les théâtres publics ne pourraient s’en sortir qu’en reconsidérant sérieusement leur fonctionnement, c’est-à-dire articulant leur organisation autour de la production et la diffusion, convertissant ainsi une partie du personnel administratif dans le département de la promotion et de la diffusion. Comme les théâtres en Europe, et même en Tunisie et au Liban, le secteur de la production et de la promotion constituent les éléments-clé de l’entreprise.

Notre proposition s’articule autour d’une sorte de décentralisation interne, c’est-à-dire engendrant la mise en œuvre de deux ou trois unités de production relativement autonomes dirigées par un metteur en scène devenant ainsi un véritable patron de cette structure disposant au sein du théâtre public de son budget et de son équipe artistique, de ses bureaux. Le directeur général du théâtre deviendrait un véritable administrateur, facilitant les actions des différentes unités, permettant une meilleure promotion des différents spectacles produits, comme il est appelé à rentabiliser le bâtiment en programmant différentes activités comme prestataire de service et en encourageant un dialogue avec les amateurs, les troupes privées et les universitaires. 

Chaque unité, dotée d’une certaine autonomie, est appelée à appliquer un véritable cahier des charges, à mettre en œuvre un programme annuel clair et à recruter comme contractuels des comédiens jugés aptes à être distribués dans la pièce à réaliser. Le responsable artistique est tout simplement le metteur en scène (un employé ayant le statut de metteur en scène) qui pourrait faire appel pour des spectacles particuliers à des metteurs en scène en dehors de l’établissement, nationaux ou étrangers. Cette structure pourrait, avec l’accord préalable de la direction générale, entretenir des relations avec d’autres partenaires, programmer des activités à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement. Il pourrait s’agir de travaux d’animation, d’organisation de colloques ou de festivals, de formation…

Tout le personnel, à l’exception de ceux déjà percevant un salaire du théâtre, est recruté sur contrat dont la durée est discutée avec le responsable de l’unité qui signerait des contrats de diffusion avec la télévision et les autres médias ou entreprises. Il a la faculté d’encourager son personnel en fonction des entrées (recettes) que ferait l’unité. L’unité est libre de ses décisions dans ce sens, comme elle pourrait recourir à des emprunts à l’intérieur même de l’établissement.

Certes, cette structure dispose d’une autonomie, mais devrait être sérieusement soutenue par la direction qui devrait avoir un droit de regard sur le fonctionnement de cette unité qui ne devrait pas outrepasser les règles inscrites dans son cahier des charges.

La direction du théâtre coordonne et supervise ainsi les activités des unités, met à la disposition de ces structures des bureaux, les locaux, les équipes techniques, l’équipement et facilite son fonctionnement. L’équipe administrative centrale sera réduite, ne comportant que les employés nécessaires à la bonne marche de l’entreprise. Les autres fonctionnaires seront versés dans deux secteurs centraux dans cette nouvelle configuration : diffusion, promotion et documentation, formation et relations publiques. Comme les effectifs « techniques » ne sont pas importants, les membres de l’équipe technique travailleront avec les unités en présence en fonction de leurs besoins. Ces structures pourront aussi recourir à des techniciens en dehors de l’établissement si le projet à réaliser l’exige.

La direction s’occupera également, en collaboration avec le ministère de tutelle, de la formation des personnels techniques et artistiques. Des stages de recyclage pourraient être organisés. Il y aurait deux types de formation : l’une, interne, l’autre, externe, c’est-à-dire en dehors de l’établissement. Il pourrait être fait appel à des instructeurs nationaux ou étrangers pour animer des cycles de perfectionnement.

1-Promotion et relations publiques

C’est le service le plus important du théâtre public. Sa fonction essentielle est de permettre la mise en œuvre d’une meilleure communication et la promotion des différents produits de l’entreprise et des travaux proposés par les unités artistiques. Aussi, est-il amené de se rapprocher des médias et de la presse et de chercher tous les moyens possibles lui permettant d’attirer le public en organisant des rencontres avec la presse, dans les lycées, les universités, les usines, avec la participation active des unités productrices des spectacles. Son objectif est tout simplement de vendre le produit réalisé par les différentes unités.

Le théâtre devrait voir ses prérogatives être élargies et fonctionner comme espace autonome pouvant rayonner sur toute une région tout en ayant une sorte de consonance nationale.

 

2- Recrutement

Le recrutement se fera par voie contractuelle. Les agents déjà permanents ne changeront pas de statut, sauf s’ils sollicitent un départ volontaire. Le responsable de l’unité, ayant le grade de metteur en scène, est seul habilité à engager des comédiens ou d’autres agents pouvant éventuellement participer à la réalisation du spectacle.

La formation permanente est obligatoire pour tout le personnel. Il est aussi possible que des membres de l’équipe se chargent, mandatés par l’unité, de la formation dans des établissements extérieurs ou de l’organisation de cycles à l’intérieur du théâtre.

3-Lecture, réalisation et comités de lecture

La grille de 1974 semble aujourd’hui dépassée ; elle est à l’origine de graves dysfonctionnements. Elle a, certes, permis, en son temps, une certaine avancée, mais a, par la suite, engendré un trafic négatif qui a considérablement appauvri la production culturelle. Souvent, le comédien se convertit en auteur et en metteur en scène gagnant ainsi deux cachets. Cette manière de faire a encouragé tout simplement la médiocrité. Les comédiens s’étaient mis à réaliser deux écritures (dramatique et scénique) en des temps-records, souvent incapables de mettre en œuvre un cahier de régie ou de mise en scène. Il est temps de revoir ce fonctionnement et de mettre en place des comités de lecture indépendants de la structure de production. Celle-ci soumet textes dramatiques et livrets de mise en scène à cette commission qui décide, en dernière instance, de l’acceptation ou du rejet du projet.

Les deux opérations (écriture dramatique et écriture scénique) devraient être distinctes. La commission pourrait examiner des textes venant de tous les horizons, pas uniquement des théâtres. D’ailleurs, le fonds d’aide à la production artistique devrait subventionner les textes et les mises en scène ayant obtenu une évaluation positive de ce comité.

 

4-Ouverture au monde extérieur et formation

Le théâtre public devrait s’ouvrir particulièrement aux troupes « privées », aux amateurs et aux formations universitaires. Ainsi, il pourrait encourager ces groupes en leur permettant de répéter dans ses locaux, d’utiliser parfois, en cas de besoin et en fonction de la disponibilité des moyens, ses équipements et son personnel technique, moyennant une participation financière symbolique. Des contrats d’animation et de formation pourraient être signés avec des universités, des établissements scolaires ou des collectivités locales.

La formation est un élément fondamental de l’entreprise théâtrale. Des stages de recyclage et de perfectionnement devraient être organisés périodiquement.

 

 

  

 

            

 

 

      

2-Théâtre « privé » ou « coopératif »

 

Ces dernières années, une autre forme d’organisation est apparue, articulant son existence légale autour de textes régissant le système coopératif agricole. Certes, ce type de fonctionnement au niveau culturel a existé à un moment donné en France et en Italie. Le statut régissant, par exemple, le théâtre du soleil dirigé par Ariane Mnouchkine, tire sa force de textes consolidant la loi de 1901, mais renforcé par cette dimension coopérative. Ce n’est donc pas nouveau. Mais chez nous, les textes sont ambigus, imprécis et manquant sérieusement de clarté. C’est d’ailleurs, pour cette raison, que de nombreux notaires ont refusé de notifier des actes portant « coopératives théâtrales ». Tout a commencé par une idée de Abdelkader Alloula qui donna naissance à la première coopérative, celle du 1er Mai qui est la seule à avoir paradoxalement une dimension nationale. Il faut savoir qu’il a existé en Algérie des troupes qui fonctionnaient sans aucune règle juridique, celles de Hassan el Hassani (TTP) et de Slimane Bénaissa. Ne serait-il pas temps de clarifier les choses en mettant en œuvre un texte législatif sur les coopératives ou en organisant les nouvelles troupes en SARL comme en Tunisie, mais en facilitant le fonctionnement et l’organisation, compte-tenu de la spécificité de l’activité théâtrale. Ainsi, seraient exonérées de taxes et d’impôts ces structures qui devraient présenter un cahier des charges clair. Ces groupes bénéficient de l’aide de l’Etat au même titre que les théâtres publics. Ainsi, pourraient-ils présenter leurs projets, avec textes dramatiques et livrets de régie, comme d’ailleurs les structures publiques, à la commission du Ministère de la culture qui décide de l’attribution de l’aide. Ces formations pourraient bénéficier de l’aide des collectivités locales (APC et APW) et d’autres institutions.

 

3-Théâtre amateur et théâtre universitaire

 

Le théâtre amateur qui est le véritable moteur de l’activité théâtrale devrait être sérieusement encouragé par les pouvoirs publics. Il fut un temps, notamment dans les années 60-70 jusqu’au début des années 80, où chaque ville avait sa troupe de théâtre. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui d’autant plus que les collectivités locales ne semblent pas concernées par les questions culturelles. Même à l’université qui se caractérise par une absence presque totale d’activités et de débats culturels, le théâtre est désormais aux abonnés absents. Même le seul département de théâtre d’Oran ne dispose pas d’une troupe de théâtre. Ce qui est tout à fait paradoxal. Il serait intéressant et utile de multiplier les festivals et les rencontres et d’inciter les théâtres publics à encourager les initiatives des amateurs en les soutenant sérieusement au niveau de la formation et de la prise en charge de leurs répétitions. Les APC et les APW ont un sérieux rôle dans ce domaine. Le festival national du théâtre amateur, unique laboratoire et lieu de rencontre des amateurs depuis une quarantaine d’années devrait être fortement soutenu par les pouvoirs publics.

A côté du théâtre amateur pourraient être encouragées des rencontres entre les universitaires, les « professionnels » et les amateurs. L’implication de l’université dans la mise en place d’un théâtre universitaire est primordiale. Ainsi, les COUS et les clubs littéraires et artistiques pourraient prendre en charge la constitution de troupes à l’université, soutenues et encadrées, si nécessaire, par des « professionnels ». La nécessité de la mise en place de groupes interministériels (culture, collectivités locales, jeunesse et sports, éducation, enseignement supérieur et formation professionnelle) n’est plus à démontrer. Chaque commune devrait posséder sa troupe amateur.

Le théâtre pour enfants ou « jeune public » se caractérise par son absence des contrées de nos théâtres alors que c’est un espace extrêmement important dans la formation de l’individu et la constitution d’un public de théâtre. Chaque théâtre devrait ouvrir une section « théâtre jeune public ». La relation théâtre-école est fondamentale, d’autant plus que le théâtre est un instrument didactique primordial. En Tunisie par exemple, le théâtre est enseigné dans les écoles depuis 1963.

 

4- Formation et recyclage

Comme nous l’avons déjà souligné et comme l’ont constaté les membres du jury de la dernière édition du festival national du théâtre professionnel, les membres des troupes manquent sérieusement de formation. Aussi, est-il nécessaire de multiplier les sessions de recyclage à l’intérieur et à l’extérieur des établissements. Il serait peut-être possible d’inviter des instructeurs étrangers et nationaux et de faciliter le perfectionnement de nos comédiens et de nos techniciens dans des théâtres et des centres de formation étrangers. Se pose, certes, la question du niveau scolaire de nombreux éléments qui rendrait tout recyclage quelque peu délicat, mais le recrutement de jeunes diplômés ou possédant un bagage culturel quelque peu conséquent est à même de régler ce problème. Il est indispensable de penser sérieusement à la formation du personnel technique (lumière, son, costume, maquillage, décor, maquette…) et artistique. La création d’une section « métiers de la scène » dans des centres de formation professionnelle pourrait peut-être pallier l’insuffisance de nos théâtres en personnels techniques. Un autre problème très sérieux caractérise les théâtres publics, c’est l’absence d’une formation spécifique des personnels administratifs et de gestion. Ce qui engendre de graves désagréments dans les établissements culturels.

 

THEATRE A L’ISMAS ET A L’UNIVERSITE

 Parler du théâtre à l’université sans évoquer les conditions d’émergence et d’exercice de cet art relèverait selon nous d’une entreprise quelque peu faussée.

 Certes, le thème de la formation théâtrale revenait comme un leitmotiv dans les discours officiels, mais ne touchait nullement une université aphone, vivant en autarcie. Des étudiants sont envoyés à l’étranger poursuivre des études d’art dramatique. En 1973, le gouvernement prit l’absurde décision de fermer l’unique école d’art dramatique, ce qui condamna pendant une certaine période le théâtre à vivre dans la marge du professionnalisme. Aucun enseignant de l’université d’Alger où se trouvait cette école, créée en 1964, n’assurait des cours dans cet établissement. Comme si enseigner dans ce type de structures était considéré par les professeurs d’universités de l’école comme dégradant. 

S’occupant exclusivement de la formation de danseurs et de comédiens dont deux promotions sortirent en 1967 et 1968, la section « Art Dramatique » assura la formation d’une trentaine de comédiens. Le contact avec le TNA (Théâtre National Algérien) était régulier. D’ailleurs, tous les élèves ont été recrutés dans les théâtres d’Etat. Après sa réouverture à la fin des années quatre vingt, l’établissement a acquis un caractère universitaire et recrutait ses élèves, comme à l’université, parmi les titulaires du baccalauréat. Son objectif est de former pour les structures théâtrales des techniciens (metteurs en scène, scénographes), des comédiens et des critiques dramatiques. Les enseignants sont pour la grande majorité des techniciens (metteurs en scène, scénographes, chorégraphes ou critiques) et titulaires de diplômes acquis en Russie, dans les autres pays de l’Est ou en Belgique. L’institut revient donc à sa vocation initiale, mais rencontre de sérieuses difficultés (encadrement insuffisant, ambiguïté du statut, insuffisance des moyens financiers et matériels). Le passage au statut universitaire ne permet pas de recruter comme enseignants des artistes. Ce qui limite les relations directes avec le monde artistique, même si les contacts avec le TNA (Théâtre National Algérien) sont ordinaires.  La transformation en ISMAS risquerait peut-être de marginaliser la section « théâtre ».

Il existe un département de théâtre, l’unique, dépendant de la faculté de lettres de l’Université d’Oran. Ouvert en 1987 par des enseignants de lettres arabes, ce département fonctionne comme un espace marginal de la faculté de lettres. D’ailleurs, tous les enseignants ont une formation exclusivement littéraire ou sociologique. Ce qui va condamner cette structure à avoir une orientation littéraire et à se fermer aux structures théâtrales extérieures. L’absence de contacts avec le monde artistique réduit la marge de manœuvre de ce département censé former en quatre années des critiques dramatiques dans un pays où la production théâtrale est aléatoire. Les médias pourraient-ils recruter des « critiques » pour couvrir des activités théâtrales trop peu fréquentes? Réponse évidente : NON. Ainsi, de nombreux étudiants choisissent de poursuivre des études de post-graduation ou se convertissent dans la communication et le marketing. Les travaux critiques consacrés à l’art scénique, par manque de documentation et d’outils spécifiques d’analyse, sont souvent sommaires, peu approfondis. Le département de lettres françaises consacre un module semestriel au théâtre. Trop peu de travaux universitaires ont été réalisés. Le peu de textes dramatiques édités ne peut que rendre la tâche trop difficile pour les chercheurs souvent habitués à des textes figés. La représentation saisie comme mouvement ne peut les intéresser.

Les conservatoires d’art dramatique pourraient peut-être contribuer à la formation de cadres techniques et artistiques.

 

5-Aides de l’Etat, subventions et collectivités locales

Comme le théâtre est un service public, l’Etat devrait soutenir sérieusement la production théâtrale en usant d’aides directes et indirectes. Ainsi, le fonds d’aide à la production théâtrale accorderait son aide aux projets présentés par les théâtres publics et « privés ». Tous les dossiers (cahier de régie, texte dramatique) devraient être examinés par une commission constituée de spécialistes reconnus et qui attribueraient des subventions aux projets les plus sérieux, indépendamment de l’instance émettrice (théâtre public, privé ou amateur). L’aide à la diffusion est aussi importante. Au-delà de la subvention accordée, le ministère devrait acheter les droits de diffusion de dix représentations de chaque pièce retenue par la commission. Les collectivités locales, à travers leurs commissions culturelles, apporteraient un soutien régulier aux troupes en diffusant notamment les spectacles dans leurs communes.

Ce serait une bonne chose si on encourageait les traductions et les reprises des œuvres théâtrales algériennes et si on instituait, à l’instar de nombreux pays étrangers, les aides à l’écriture, à la mise en scène et à la production ainsi que l’ouverture de résidences permettant à des auteurs et à des auteurs dramatiques d’écrire leurs œuvres. Ces résidences d’une durée ne dépassant pas six mois permettront à des auteurs et à des metteurs en scène de monter un projet.

Il ne pourrait pas y avoir de réactivation de l’entreprise théâtrale algérienne si l’environnement extérieur restait sourd aux appels du théâtre. Les collectivités locales, les secteurs de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation, le département chargé de la jeunesse et des sports sont concernés par la mise en œuvre d’une nouvelle politique théâtrale. Les Maisons de la culture, les centres de jeunes, les établissements scolaires et universitaires devraient participer à cette action de reprise en charge de l’activité théâtrale.

Les festivals considérés comme de véritables baromètres de la production théâtrale apporteraient une sorte d’éclairage singulier de l’espace théâtral et contribueraient à la fabrication d’un discours sérieux et d’une image représentative de la pratique scénique.

 

6-Communication et documentation

Les théâtres devraient avoir une stratégie de la communication très agressive. La question du public est sérieuse, elle nécessite la mobilisation de toutes les énergies créatrices des établissements artistiques. Le travail de communication commence bien avant le démarrage des répétitions. Tournées dans les lycées, rencontres avec d’éventuels spectateurs dans des espaces publics, déplacements, contacts avec les médias, les moyens audiovisuels et la presse, défilés… sont autant d’actions à entreprendre par les équipes chargées de la promotion du spectacle. Cette politique de relations publiques, absentes de nos établissements culturels, est primordiale pour la diffusion d’une pièce et sa réussite.

Autre chose : aucun théâtre ne dispose d’une bibliothèque ou d’un simple local de centralisation des archives (documents, décors, bulletins, prospectus, manuscrits…). Il est temps de faire du théâtre public un véritable centre de rayonnement culturel. Nous proposons un certain nombre d’actions nous permettant de mieux préserver certains pans de notre mémoire théâtrale. Il s’agit d’un projet de constitution d’un fonds documentaire.

 

PROJET DE CONSTITUTION D’UN FONDS DOCUMENTAIRE

EN ALGERIE

 

       La recherche sur le théâtre en Algérie est extrêmement périlleuse et incertaine. L’écueil le plus important demeure la rareté et l’éparpillement de sources documentaires viables. L’information est souvent ^partielle, partiale, donc tronquée. Ainsi, les chercheurs, les hommes de théâtre et les étudiants ne trouvent souvent pas des matériaux et des productions dramatiques pouvant les aider dans leurs recherches.

       Les chercheurs s’intéressant à ce champ ne cessent de se plaindre de cet état de choses qui limite considérablement l’efficacité et la portée de leurs travaux les condamnant souvent à se convertir en coureurs de fond(s) à la quête d’hypothétiques archives. Tous ceux qui ont eu à travailler sur l’art dramatique n’ont pas manqué de poser ce problème et d’insister sur les difficultés engendrées par cette grave carence au niveau documentaire.

       Jusqu’à présent, aucune structure spécialisée dans la collecte et la centralisation de l’information documentaire relative à la pratique théâtrale en Algérie n’existe. Ce vide documentaire est à l’origine de nombreux malentendus : informations fournies souvent partiales et incomplètes, manque de précision et de rigueur, conclusions hâtives…

       Notre lecture d’un certain nombre de travaux sur le théâtre, la littérature, les arts plastiques ou le cinéma nous a renseigné sur les dégâts engendrés par ce manque tragique de bases documentaires : réduction du champ d’investigation à la région à laquelle appartient le chercheur, généralisations abusives, regard réducteur, méconnaissance de la représentation artistique dans les autres régions (spécificités, itinéraires, tendances). La lecture réductrice de la représentation artistique est tributaire de cette dramatique carence au niveau documentaire.

       L’objectif essentiel de ce projet qui ne prétend nullement à l’exhaustivité, compte tenu surtout de la complexité de la tâche est de tenter de rassembler cette matière documentaire éparpillée un peu partout dans diverses institutions ou « enfouie » dans les tiroirs de bibliothèques et de fonds personnels. Regrouper, inventorier et collecter ce fonds, du moins ce qu’il en reste, permettrait aux chercheurs, aux étudiants et à ceux qui s’intéressent à la question une meilleure fluidité et une circulation plus transparente de l’information. Ainsi, les auteurs et les chercheurs francophones apprendront réellement à se connaître et à connaître sérieusement les expériences des uns et des autres. Ce travail est, nous semble t-il, fondamental. Il permettrait une meilleure connaissance de la pratique théâtrale et une analyse plus rigoureuse du fait scénique empêchant ainsi une confortable et paresseuse généralisation desservant le travail scientifique et privilégiant les clichés et les stéréotypes.

       Le temps presse d’autant plus que de nombreux témoins et acteurs, -de surcroît très âgés-, de la pratique théâtrale, risqueraient de disparaître en emportant, avec eux, les derniers pans d’une mémoire collective fragilisée et marquée par de nombreux « trous ». La difficulté majeure que rencontrerait cette action réside dans la difficile récupération de traces apparemment égarées, du siècle dernier. Pour y remédier, il serait utile d’interroger les journaux de l’époque susceptibles d’ apporter d’utiles informations sur les troupes, les animateurs, les conditions de représentation et le(s) public(s) de l’époque.

       Le ministère de la culture est à même de réaliser ce travail fondamental qui permettrait de mieux connaître l’itinéraire, le fonctionnement et l’organisation de l’entreprise théâtrale. Il existe des travaux sur les sources françaises du théâtre dans les pays arabes. Au Maghreb, les choses sont plus simples. Il existait des théâtres depuis 1859, année de la construction de l’Opéra d’Alger (l’actuel Théâtre National Algérien, TNA). Comme d’ailleurs à Tunis et à Rabat et dans d’autres villes. C’est la France qui fut à l’origine de l’adoption de l’art scénique. Il serait donc très utile de récupérer toutes les traces de ce théâtre. La part de Molière est foncièrement importante.

I-Origines et lieux

      Nos différents travaux sur l’art théâtral nous ont permis d’apprendre que les lieux où sont emmagasinés les documents se répartissent dans trois directions : textes publiés, institutions officielles et fonds personnels.

1-Documents publiés :

       Il est question de tous les textes publiés ou édités, c’est-à-dire de traces écrites : livres, journaux, thèses, mémoires, livrets de régie ou de mise en scène, chronique, etc.

       Nous savons aujourd’hui que depuis les débuts de l’expérience théâtrale dans les pays d’Afrique Noire et du Monde Arabe, plusieurs journaux ont consacré des comptes-rendus, des annonces publicitaires, des articles de fond ou des entretiens avec les comédiens, les metteurs en scène, les auteurs et les techniciens. Ces journaux pourraient nous fournir une considérable somme d’informations sur le fonctionnement de l’art théâtral, ses thèmes, ses animateurs, ses troupes, ses publics et d’autres éléments techniques introduits de manière graduelle comme le décor, les accessoires, la scénographie ou la mise en scène. Aussi, découvrirons-nous, l’importance des sources et des traces culturelles françaises dans l’itinéraire de la représentation théâtrale arabe et africaine. Il existe également des revues et des périodiques consacrés exclusivement au théâtre. Souvent de création récente, ces revues apportent des renseignements sérieux sur l’itinéraire des troupes et l’évolution de l’activité scénique. Nous avons eu la possibilité de consulter ce type de périodiques, anciens ou nouveaux, qui marquent un saut qualitatif dans l’information et la lecture du champ théâtral.

       Des ouvrages, des thèses, des mémoires et des études abordant des sujets relatifs à la représentation théâtrale et à l’impact du théâtre français existent. Même des livrets de régie ou de mise en scène, certes rares, sont disponibles. De nombreuses pièces africaines ont été jouées par des troupes françaises ou des collectifs d’immigrés en France. Les récits de voyageurs, notamment français, fournissent des informations intéressantes.

       Les pièces jouées ne sont souvent pas publiées. Ce qui les expose à la disparition et les rend difficilement récupérables. Quelques textes dramatiques ont été édités (Oswald, SNED).

 

2-Les institutions officielles

       Les archives du ministère de la culture, des théâtres, des troupes, de la bibliothèque nationale et des bibliothèques universitaires permettraient de recueillir de nombreuses informations sur le fonctionnement des structures scéniques et sur les relations qu’entretient le théâtre avec les instances politiques et sociales et la réception. Souvent non répertoriés ni classés, les documents doivent être valablement « dépoussiérés ». Nos recherches effectuées dans quelques théâtres ont bien montré la difficulté et la complexité de la tâche.

       Les Sociétés des auteurs en France et dans les pays arabes (Maghreb et Machreq) constituent des lieux où il est possible de découvrir une importante masse documentaire. Mahieddine Bachetarzi, un des promoteurs essentiels de l’art théâtral en Algérie affirmait dans un entretien qu’il nous avait accordé en 1985 qu’il existait à la SACEM 384 textes dramatiques d’auteurs algériens déposés à Paris.

       Les archives du ministère français des Affaires Etrangères à Paris et celles de Nantes comportent de nombreux documents relatifs à la pratique théâtrale en Algérie, notamment les fiches de police. Le fonds existant dans ces structures nous éclairerait évidemment sur le parcours de l’art théâtral, la censure et l’organisation générale. Aussi trouvera t-on sans doute des documents concernant les troupes, des rapports élaborés par l’administration, des fichiers personnels et diverses correspondances.

       Les théâtres ou d’autres édifices scéniques construits à la même époque ou récemment pourraient permettre la recension de nombreuses informations sur l’activité théâtrale (procès verbaux de réunions, bilans, correspondances, billetterie, etc.) Ces données fourniraient une idée plus ou moins précise sur le fonctionnement de ces structures et leurs relations avec les instances officielles et donneraient des indications sur la réception de la représentation théâtrale. Il est également possible de trouver d’intéressants documents audio-visuels, mais l’entreprise est quelque peu délicate et fragile d’autant plus que souvent, la documentation, n’est pas conservée, faute d’un intérêt particulier pour les questions culturelles. Il est extrêmement difficile de récupérer, par exemple, les pièces radiophoniques ou les entretiens et les émissions consacrés à cet art. Il est, par contre, possible d’exploiter les émissions sur le théâtre et les entretiens présentés par les télévisions et les radios françaises, arabes. Il est aussi utile de consulter les archives des différentes sessions de festivals organisés en Algérie ou à l’étranger (participation de troupes algériennes), de la presse (photographies, entretiens et articles) et des maisons d’édition.

 

3-Les fonds personnels

       Une bonne partie de la documentation est conservée par des particuliers ou des troupes. De nombreuses pièces, souvent non éditées, si elles n’ont pas déjà disparu, sont gardées dans des bibliothèques personnelles. L’absence de structures spécifiques de conservation a poussé des personnes physiques (individus) à conserver chez eux de nombreux documents ainsi sauvés d’une perte certaine. On pourrait y trouver des photographies, des coupures de presse, des documents personnels ou des manuscrits de pièces. La recherche documentaire, opération nécessaire, reste hypothétique  d’autant plus que la matière est éparpillée et répartie dans plusieurs lieux. Ces éléments épars, du moins une partie d’entre eux, s’ils sont récupérés, faciliteraient considérablement le travail des chercheurs et apporteraient une meilleure information sur l’art théâtral dans ces deux régions, sa genèse, ses conditions de production, son évolution, ses publics et son impact sur la sociétés algérienne.

 

II- Actions à entreprendre

    1-Récupértion des textes sur les formes populaires   

a)     Bien avant l’adoption du théâtre et la rencontre avec la France, existaient des formes populaires de représentation. Nous pouvons citer, entre autres, la halqa, le goual, le meddah, les Aissaoua, Boughandja,etc. Nous tenterons de retrouver des textes abordant la question de ces structures « traditionnelles ». Nous ferons une succincte présentation des ouvrages fondamentaux et des principales formes dramatiques populaires.

b)    Deuxième préoccupation : De nombreux théâtres romains existent. Très vastes, ces lieux de représentation étaient-ils exclusivement réservés aux Romains ou également ouverts aux autochtones ? Nous ferons un inventaire, avec un descriptif détaillé, des édifices théâtraux romains (photographies du lieu, aperçu historique, espace…)

     A travers le regroupement de toutes ces données et la recension de tous   ces ouvrages et ces articles, nous voudrions fournir une idée du spectacle « traditionnel » et des traces de la présence romaine.

2-Récupération des textes français joués et/ou édités

       En dehors des textes d’auteurs connus, les pièces françaises jouées dans les différents édifices scéniques ne sont pas souvent répertoriées, classées. Il existe des textes dramatiques d’auteurs qui résidaient durant la période coloniale en Algérie. Un certain nombre de pièces furent éditées notamment à Alger ou à Constantine à partir du dix-neuvième siècle.

       Une de nos missions est de retrouver ces textes et de faire un descriptif détaillé des pièces jouées et du public. La presse de l’époque et les archives des théâtres pourraient nous être d’un grand secours. Quelles étaient les pièces jouées à l’époque ? Les troupes de passage ou en tournée en Algérie présentaient des spectacles. Quel type de pièces avaient-elles interprété ?

       L’objectif est de récupérer les pièces écrites et/ou jouées par les Français. Certes, le problème est différent au Maghreb où les théâtres programmaient régulièrement des pièces françaises. Le théâtre de boulevard et le vaudeville dominaient la représentation. Nous tenterons également de récupérer des textes français abordant la question théâtrale. Ainsi, se dégagerait l’image de l’Algérie  produite par ces pièces. Nous recenserons les différents édifices théâtraux tout en fournissant d’utiles informations (photographies, présentation de l’espace, etc.) sur ces lieux.

3-Récupération des textes dramatiques algériens

       L’entreprise s’avère difficile, du fait surtout que de nombreuses pièces jouées ne furent jamais éditées. Certains auteurs détruisirent leurs textes, d’autres réécrivaient et revoyaient souvent leurs textes en fonction de la réaction du public. Les textes étaient parfois « écrits » sur scène. Les comédiens et les auteurs se suffisaient d’un simple canevas. Malgré tous ces avatars, de nombreux textes ont été édités. Les pièces non éditées pourraient être gardées par des particuliers (familles des artistes ou d’anciens comédiens), des sociétés d’auteurs ou dans d’autres institutions. Nous essaierons de retrouver les traces des textes non publiés et nous rassemblerons les pièces, notamment celles écrites en français.

4- Textes critiques sur le théâtre

       Nous réunirons les différents écrits sur la représentation théâtrale : articles, entretiens, annonces publicitaires…Il est également nécessaire de retrouver et de répertorier les ouvrages, les revues consacrées au théâtre, les thèses, les mémoires et les numéros spéciaux de revues consacrés au théâtre dans ces deux régions.

5-Les moyens audio-visuels

       Les radios et les télévisions présentent souvent des pièces, des émissions ou des entretiens. La récupération de cette masse documentaire est nécessaire. Cassettes audio ou vidéo de pièces, émissions et entretiens radiophoniques et télévisuels constituent des éléments importants de la mémoire du théâtre. L’ENTV et la radio et d’autres institutions audio-visuelles pourraient apporter leurs contributions. Nous tenterons de retrouver des photographies de troupes, des animateurs et des espaces de représentation.

6-Les moyens techniques et les manifestations diverses

       Pourquoi ne pas tenter de reproduire les décors des pièces représentatives du théâtre de l’ère francophone ? Il serait utile de récupérer les livrets de régie et de mise en scène disponibles.

       Des festivals ont été organisés un peu partout. Nous ferons une présentation de ces différentes manifestations et nous recueillerons les documents (articles de presse, notes officielles, brochures, bulletins des festivals…) relatifs aux sessions successives de ces rencontres.

7- Documents officiels

       Nous réunirons les documents officiels depuis la colonisation jusqu’à aujourd’hui : textes législatifs et réglementaires, discours sur le théâtre, notes officielles, orientations, etc.

8- Dictionnaire des édifices, des auteurs, des metteurs en scène, des scénographes, des décorateurs, des comédiens et des troupes

       Nous établirons un dictionnaire des principaux animateurs de l’action théâtrale d’avant et d’après l’indépendance. Notre travail fera connaître les troupes et les hommes de théâtre les plus importants de la pratique dramatique et scénique algérienne. Ce dictionnaire constituerait un outil essentiel pour les chercheurs.

 

 

En guise de conclusion

Ce projet, susceptible d’être réalisé, reste néanmoins ouvert à débats et propositions pouvant l’enrichir et lui apporter certaines améliorations. Ainsi, il demeure, comme tout travail, non exhaustif, c’est-à-dire marqué par les contingences d’une actualité théâtrale et culturelle trop peu brillante et caractérisée par une indescriptible aphonie et une absence flagrante d’échanges intellectuels et culturels sérieux.

Tout le monde s’accorde à affirmer la nécessité d’une profonde refonte de l’activité théâtrale et de la mise en œuvre d’une série d’actions visant à libérer l’entreprise théâtrale de situations négatives bloquant tragiquement son développement. L’absence de formation d’une partie du personnel et un manque flagrant au niveau culturel (auto-formation, lecture, connaissance superficielle des techniques rudimentaires de l’interprétation, de la mise en scène et des autres métiers du spectacle) rendent l’entreprise quelque peu ardue. Ce qui permet de dire que le domaine de la formation et le théâtre « jeune public » constituent les éléments-clé d’une transformation future de l’activité théâtrale. Mais ce qui est à déplorer très sérieusement, c’est le peu de présence féminine dans les métiers du théâtre. Ce qui reflète peut-être le retard culturel vécu par un pays comme l’Algérie où les femmes demeurent absentes des espaces culturels publics. N’est-il pas temps d’encourager les lycéennes et les étudiantes à pénétrer cet univers qui est paradoxalement peu ouvert à l’expression féminine.

Il faut également donner plus de possibilités d’expression aux danseurs qui ont d’ailleurs suivi une formation de qualité, mais qui, malheureusement végètent et se trouvent sérieusement marginalisés.

Eléments nécessaires à une redéfinition de l’activité théâtrale en Algérie

La gestion: a) de l'institution théâtrale, b) de la production et la diffusion, c) le choix du gestionnaire est primordial dans ce domaine. Si nous voulons réellement comprendre le problème de l'institution théâtrale en Algérie, il faudra se poser la question suivante: comment et par qui elle est gérée? Certains gestionnaires représentent un danger réel pour l'avenir de l'institution théâtrale.  

Législation: revoir les textes qui régissent l'institution théâtrale, et les compléter par des dispositifs juridiques qui englobent l'activité théâtrale publique et « indépendante ». 

La formation: à plusieurs niveaux: écoles spécialisées, universités, conservatoires, secteurs de l'éducation, il faut insister également sur la formation continue, qui touche tout les corps de la profession. Il faudrait insister sur la formation des journalistes qui exercent dans les rubriques culturelles, par l’organisation de stages de courte durée.

L'aide financière: définir une politique en matière  de subventions allouées au théâtre, il faut prévoir aussi la possibilité de diversifier ces subventions. Outre la contribution de l'Etat, il faut que le secteur privé participe à la création artistique dans ce pays (mécénat / parrainage)

Le fond documentaire:  pourquoi ne pas envisager la création d'un centre national du théâtre Algérien, surtout que le décret du 6 janvier 1963 fait allusion à cette structure.

Politique culturelle: absence totale d'une politique publique à l'égard de l'activité culturelle. Quel est le rôle du théâtre dans la cité?

 Bilan et évaluation:  le manque de rigueur dans la production et la diffusion théâtrale se traduit surtout par l'absence de structures qui veillent à l'évaluation des manifestations culturelles, (manque de transparence qui permet de dresser des bilans réels, comme c’est le cas de la fameuse Alger capitale de la culture arabe, et la subvention allouée au festival du théâtre professionnel ). Il est fondamental de faire connaître les budgets alloués à l’activité théâtrale et à ces manifestations. Jusqu’à présent, nous ne connaissons pas le budget consacré au festival national du théâtre professionnel.

-L'absence de publications, d'ouvrages et de périodiques spécialisées dans la domaine du théâtre. Il faut signaler la belle expérience de la revue El halka (trois numéros en 1971 et le quatrième en 1993) 

-L'organisation des festivals, colloques et séminaires sans but et sans problématique. Les membres des jurys doivent être reconsidérés. Ils devraient, au moins, fréquenter les théâtres et être à l’écoute de l’activité théâtrale.

-La prospection d'autres espaces de représentation et l'exploitation rationnelle des espaces culturels disponibles, , notamment les théâtres Romains.

 

 

 

 

1 Journal Officiel (J.O), N° 5-1 du 8 janvier 1963 portant sur l’organisation du théâtre algérien

[1] Il faut ajouter à cela cette dangereuse tendance de certains journalistes qui semblent quelque peu piégés par le TNA qui les emploie pour la confection de son bulletin et qui, de toute évidence, sont obligés de couvrir dans leurs journaux toutes les activités de cette structure en édulcorant tous les faits à tel point qu’en lisant certains journaux où exercent ces journalistes, nous avons l’impression que les pièces présentées sont d’une perfection absolue, dépassant les grands travaux proposés par les grands théâtres mondiaux. L’éthique nous incite à choisir une des deux instances : le bulletin ou le journal.

1 Un projet de film a toujours tenu à cœur le cinéaste algérien, Mohamed Lakhdar Hamina, c’est celui de tourner un long métrage sur l’Emir Abdelkader. La difficulté de la tâche et l’extraordinaire stature du personnage ont découragé le réalisateur( Palme d’or au festival de Cannes, 1975) qui n’a pas encore trouvé un scénario à  la hauteur de cet homme. C’est la crainte de dénaturer le combat de ce personnage qui semble freiner l’ardeur de Hamina qui ne veut pas jouer avec l’Histoire pour gagner de l’argent aux dépens  de personnages qui s’étaient sacrifiés pour la patrie. Ecrire une pièce de théâtre exige une maîtrise parfaite de l’écriture dramatique et des techniques scéniques, parce qu’un texte dramatique est fait pour être monté sur scène. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de ces « écrivains » de circonstance. 

1 Mahieddine Bachetarzi, in Mémoires, tome 1 Op.Cit, p. 400.


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