Google
Recherche WWW Recherche sur Votre site
Feed 

                   La question linguistique dans le théâtre algérien

Par Brahim Ouardi

Maître de conférences

 

        Comme point déjà discuté, il faut revenir à l’histoire de la pratique théâtrale pour pouvoir comprendre la question. Il est évident que la langue doit être réfléchie et posée d’une manière objective. Si le théâtre doit exister, c’est par rapport à un public. La question du récepteur n’a jamais été, sereinement, posée puisque le théâtre en Algérie devait obéir à une logique politique qui se situait loin de l’art scénique

             Le problème linguistique ne se limite pas uniquement au théâtre, mais il s’étend aussi aux autres genres littéraires. C’est ainsi qu’une polémique s’est installée entre les arabophones et les francophones. Cette querelle n’étant pas du tout de l’ordre du littéraire, mais manifestait une certaine logique qui déterminait un rapport de force au sein même du pouvoir.

             La décision politique d’arabisation et l’installation de commissions de suivi de l’application des textes, portait la querelle à son paroxysme. La déclaration du romancier algérien de langue arabe Tahar Ouattar, après l’assassinat de Tahar Djaout en est le parfait exemple.

             Pour ce qui est de l’écriture dramatique, il faut remarquer, d’abord, qu’elle existe dans les trois langues : l’arabe, le français, le tamazight. Les différentes expériences théâtrales dans ces langues ne posent, en réalité, aucun problème. Cependant, les pouvoirs exercent une certaine censure sur le choix de la langue et la thématique développée dans la pièce. Pour faciliter la programmation, il faut, en premier lieu que la pièce soit écrite en langue arabe et doit, en second lieu traiter de thème relevant de la politique officielle. En d’autres termes, il y a une sorte de discours ambivalent qui, officiellement, n’interdit aucune représentation, mais sur le plan pratique, la censure demeure au niveau de la programmation et de la liberté de se produire.

              Par conséquent, la question se pose d’une manière plus discrète. La langue, qui est un choix politique, est l’élément clé dans la pratique théâtrale. Mais, avec l’intégrisme, c’est l’art dramatique en général qui été pris pour cible. Ainsi, les dramaturges Algériens de langue dialectale ont été la cible des assassinats; l’assassinat de Abdelkader Alloula et de Azzeddine Medjoubi. 

             D’autres dramaturges Algériens ont choisi de quitter l’Algérie et de s’installer en France. Ces derniers ont pu réaliser des expériences dans un pays où la pratique théâtrale présente une autre réalité. Ils ont vécu une expérience dans une autre langue et ont pu aussi découvrir un autre public. Ils se sont produits même dans d’autres pays et c’est ce qui leur a permis de voir une autre conception de la question de la langue. Ainsi, lors d’un voyage au Canada, le dramaturge Slimane Benaissa (1992) découvre une autre population qui a un rapport différent à la langue française. Dans une interview, le dramaturge dit :

 

 Du Canada, je n’ai connu que le Québec francophone. Les Québécois ont développé une réflexion intéressante. Ils revendiquent le français comme leur langue, sans l’influence française, ils se défendent même contre une telle influence. Cela m’a rappelé un peu la situation   linguistique de notre pays et les conflits qui ont beaucoup  plus d’intensité que là-bas, n’empêche que le Québec connaît des similitudes avec notre théâtre, puisqu’il assume aussi l’aspect politique en plus du coté littéraire et esthétique [1].

 

          À partir de cette citation, on peut voir la question de la langue comme la perçoit Assia Djebbar, comme étant à la fois un obstacle et une sorte de délivrance. Lise Gauvin( 2004) note dans La Fabrique de la langue :

 

   La romancière constate que le français a été pour elle une tunique de Nessus, synonyme à la fois de libération et d’obstacle. Libération parce que cette langue a permis l’écriture et son dévoilement […] Obstacle parce que ce dévoilement, cette « mise à nu » et cette jouissance du corps révélés grâce à la langue comportement ainsi leurs  versants négatif, à savoir une nouvelle forme de voile ou la conscience d’une distance, d’une impossibilité à rendre certains registres d’émotions dans ce qui reste malgré tout la langue de l’autre.  (288)                                      

                                               

          Cette réflexion permet de revenir sur les rapports entre les écrivains algériens et la langue française.  

Le théâtre de langue française et la francophonie

 

          Le théâtre de langue française a son histoire car il a existé en tant qu’expression artistique dont la voix est la langue française. Peut –on confondre la littérature en tant que tel et la francophonie comme projet politique. À ce propos  Christiane Achour (1985) écrit :

 

 Confondre toute cette littérature avec la francophonie, mouvement économico -culturel, réactionnaire et néo-colonial, c’est au contraire l’implanter plutôt que l’exclure ; alors qu’une étude, une mise en valeur du fonctionnement de ces textes ne nous montre pas une « francophonie » paisible et rassurante mais bien au contraire, un enfantement douloureux et contradictoire d’œuvre qui, soit bâillonnent leur culture originelle pour reproduire la culture apprise, imposée, la culture « institutionnalisée » (n’est-ce pas le cas d’œuvre en arabe à l’heure  actuelle ?) Soit utilisent cette culture imposée pour dire, à leur façon, par brides, murmures ou clameurs, leur langue, leur culture, leur Histoire la distance inéluctable qui s’établie entre elles et la culture centraliste, dominatrice de la métropole. (537-538) 

 

 

 

            Insérer le théâtre dans ce contexte ne peut que le mettre dans une situation plus complexe comme pour certain romancier. Mais, il est nécessaire de rappeler que certain dramaturge ont connu la scène grâce aux différentes institutions de la francophonie.

 Il est bien connu que le théâtre de langue française est bien représenté et peut donner un souffle nouveau  à l’art de la scène en Algérie. Durant la période coloniale, on ne peut nier l’apport de ce théâtre dans la sensibilisation du public à la question algérienne. Il a contribué à l’explication des objectifs de la révolution. Mais après l’indépendance, des divergences ont émaillé entre les différents animateurs de l’action théâtrale. Ils ne s’entendaient sur les choix à entreprendre pour assurer un avenir à l’art dramatique.

  Les positions de N. Aba étaient claires puisqu’à maintes reprises, il défendait les trois langues : l’arabe, le tamazight et le français. Dans une conférence, l’auteur de La Récréation des Clowns regrettait les choix de l’Algérie concernant l’obligation de l’utilisation de la langue dans la création artistique.

 La langue française a permis aux écrivains algériens de s’exprimer librement et surtout de pouvoir travailler dans un environnement adéquat. Le travail entrepris par ces écrivains peut être scindé en deux.

 Tout d’abord, on peut parler des écrivains qui ont choisi leur exil. Ils sont partis avant octobre 88.  À ce titre, on cite N. Aba dont les pièces de théâtre n’ont pas été montées, mises à part quelques unes.

Ensuite, on peut citer une autre catégorie d’auteurs qui vivent en France et connaissent la société française depuis longtemps. Ces écrivains nés en France ne connaissent pas la réalité de la société française et font un théâtre destiné au Algériens vivant en France, des immigrés. Le langage utilisé n’est en fait pas loin de la langue française. C’est le français des banlieues  comme l’utilise Aziz Chouaki dans une virée.

D’une manière générale, ce théâtre repose, sur le plan thématique, sur les rapports entre l’Algérie et la France. Sur le plan de la forme, il faut dire que le théâtre a évolué puisque les Algériens ont pu s’adapter aux différentes formes qui sont utilisées dans le monde. Lorsque Fellag choisi de jouer un One Man Show, c’est aussi pour répondre à  l’attente d’un public français prêt à rire devant des situations tragiques vécues par les Algériens.

Dans ce théâtre, les auteurs algériens ont pu utiliser la langue française dans le but de dénoncer ce qui se passe en Algérie. Leurs drames mêlés au drame collectif sont source d’inspiration qui, en plus de l’expérience des dramaturges français, ont su montrer la voie à un théâtre algérien.

Ce théâtre existe maintenant en France grâce à certains organismes qui ont pris en charge la publication et la production des pièces. C’est ainsi que des coopératives se créent et adaptent des pièces d’auteurs universelles pour dépanner le stade de la critique du quotidien que vivent les Algériens. Ils utilisent la guerre française pour participer aux différentes manifestations théâtrales organisées par plusieurs organismes. La coopérative de théâtre « Ibdae [2] » [création] vient de participer à la 10ème édition du festival international, espace scénique théâtral amateur francophone «Fiesta », qui s’est tenu dans la ville de Perne, en Russie. La coopérative a obtenu le prix du meilleur rôle masculin, décerné au jeune comédien Missoum  Amine, qui interprète le rôle principal dans la pièce intitulée « L’Autre ». Il s’agit d’une satire adaptée du roman Le Neveu de Rameau de Denis Diderot.

Pour éclaircir cette idée du rapport ou du retour de nos jeunes dramaturges, il est intéressant de voir les différentes questions qui se rapportent à la langue française aujourd’hui. Cela signifie que la langue française résiste en Algérie grâce aux hommes de culture même si elle a été malmenée par les responsables politiques. N. Aba (1992-1993) affirme :

 

 En supprimant les écoles maternelles, premier vecteur de la langue française, en déplaçant le lycée Descartes du cœur d’Alger à une ban ale et très lointaine banlieue de la capitale où il s’est perdu dans l’anonymat, le pouvoir F.L.N a fait une  aux Islamistes une concession majeure, d’où devait inéluctablement découler ,deux années plus tard, la fameuse loi qui étendait l’usage de la langue arabe à tout les niveau de la vie algérienne ,assortie de surcroît ,en cas d’infraction ,de sanction plus ou moins grave. Rien de plus normal des lors, que les Islamistes formés, rémunérés, encouragés par des pays arabes anglophones en viennent à exiger tout bonnement le remplacement du français par l’anglais.  (16-17)

 

Il ajoute (16-17) en mettant en cause l’application des textes relatifs à l’emploi de l’arabe :

 

 Cette exigence ubuesque, qui ne tenait compte ni des réalités à court de langue terme, ni des traumatismes qu’elle provoquerait chez l’enfant –déjà malmené par un arabe classique à l’école, différent de celui qu’on parle chez lui –se serait réalise si, entre temps, l’armée algérienne n’avait opère, in extremis, une césarienne et sauve un enfant qui allait périr étouffé. Une chance à la démocratie.

 

         Ces rapports entre le théâtre et la langue ne peuvent être réfléchi en dehors d’une orientation plus globale. Autrement dit, la question est liée à la liberté et la démocratie en Algérie. L’étouffement dont souffre l’artiste algérien a mené à se diriger vers un espace et une langue avec qui il a une histoire.        

Le théâtre algérien en France

         En cette phase difficile pour l’art dramaturgique, les Algériens se tournent vers la France pour trouver un espace de liberté qui leur offre les moyens de mettre en œuvre leur projet. Les dramaturges se sont installés en France pour reprendre des pièces d’auteurs algériens et pour monter des spectacles destinés au public français et surtout profiter des moyens techniques qu’offrent les salles de théâtre en France et la possibilité de publier.

         Les compagnies de théâtre, par divers réseaux, se sont mis à travailler, à monter des pièces pour un public qui n’est pas le leur, un public différent, habitué à un théâtre exigeant  beaucoup de moyens. Les compagnies se sont mises à répondre à l’attente du public français en montant des spectacles et en traduisant des pièces.

         Au niveau de l’édition, il faut dire que la différence existe, car en France, les possibilités de publication, se présentent souvent par l’apport des différentes associations et de personnalités influentes dans le milieu.

Perspectives

 

L’histoire politique et culturelle de l’Algérie a permis à l’art dramatique de fonctionner. L’expérience théâtrale a montré des limites, car durant des décennies, cet art est resté lié au politique. En plus de cette question, la question des théâtres est un des problèmes importants que couvrait cette activité. Dans son article intitulé Des planches en radeau, Ahmed Cheniki (2007) écrit :

 

 Cette plongée dans la pratique théâtrale d’après 1962, mais à peine de visite les lieux établis et les  limites de cette expérience trop marque par  l’archaïsme les textes prolongés en 1963 et en 1970 ne représentent  plus aux attentes des hommes de théâtre. Aujourd’hui, le public est  absent pour des raisons liées essentiellement à la question et la formation.

 

 

On oublie les pièces de valeur d’auteurs connus comme Kateb Yacine, Alloula, Benaissa, et bien d’autres, qui se caractérisent par la recherche d’un discours théâtral, remettant en question une pratique théâtrale qui reste en dessous des attentes et des moyens octroyés pour les productions en comparaison avec celles qui sont subventionnées par le ministère de la culture et qui sont d’un niveau esthétique et artistique faible

    

  Ahmed Cheniki  ajoute :

 

 Jamais la réalité n’a connu plus extraordinaire pauvreté que ces dernières années. Point de discussion certes, chaque fois qu’une occasion ponctuelle se présente (Année de l’Algérie en France ou Alger, capitale de la culture arabe) une agitation sans pareille voit le jour, comme pour bénéficier de certains subsides 

 

         Seul l’État peut aider à la transformation de cette pratique théâtrale, en faisant du théâtre un véritable service public. Ainsi, d’autres lieux peuvent contribuer à hausser le niveau en intégrant l’art dramatique au milieu social. Le monde universitaire et les différentes collectivités peuvent contribuer au développement de cet art. 

         Mais l’amélioration s’articule aussi sur des points que, jusqu'à présent n'ont pas été pris en charge.

         Tout d’abord, il est important de considérer le théâtre comme une écriture qui se fait en deux étapes : la première doit être la formation à l’écriture dramatique, autrement dit, le théâtre en tant que genre doit être enseigné dans sa spécificité.

La deuxième doit prendre en charge la formation à la mise en scène qui n’est qu’une réécriture du texte premier. Les normes conventionnelles de l’écriture théâtrale devant être respectées.

De plus, l’écriture théâtrale en Algérie est confrontée au problème de l’édition, l’histoire enregistre très peu de pièces publiées avant l’indépendance, les pièces éditées sont réalisées dans des maisons d’édition étrangères et uniquement en français. Malheureusement, ces textes n’ont jamais connu les planches. Après l’indépendance, le politique intervient avec l’arabisation et favorise des textes écrits en arabe classique, au détriment de l’arabe populaire. La plupart de ses publications sont restées à l’état de textes.

         Les problèmes sont liés au genre lui-même ; les éditeurs ne veulent pas courir le risque de publier un ouvrage s’il risque de ne pas être vendu. Le public n’aime pas lire une pièce de théâtre, il préfère la vivre. Dans un article de presse, Saliha Aoues (1990) note : « Sur 300 à 400 titres pas un seul manuscrit porte sur le théâtre, ce n’est pas un genre qui a des adeptes côté auteur côté  lecteur. » (6)

 

         On s’attelle alors à l’adaptation pour qu’il y ait production et que les différents théâtres puissent vivre. Dans une interview, M’hamed Benguettaf (1990) affirme que:  « C’est l’inquiétude et le souci d’un écrivant mais pas d’un homme de théâtre, le dernier écrit peut être joué,  pour donner  une âme à son écriture, le plus important c’est de remplir les planches. » (5-6)

 

         Si la question de l’édition est présente comme étant un problème, elle peut aussi être une solution. Cela signifie qu’il est important  dans un premier temps, de réfléchir à la réédition des pièces écrites durant la guerre de libération, pour que ses auteurs ne soient pas oubliés et dans un deuxième temps, donner la possibilité à cette génération de public pour pouvoir constituer un répertoire. Ahmed Benguettaf ajoute (1990) à propos de cette question qui est toujours d’actualité :

 

 L’idéal serait bien sûr de porter la  publication les œuvres à succès dans un premier temps. Et prier les autres par la  suite. C’est honneur pour nous auteur, une   curiosité pour le public et un rôle non négligeable pour l’éditeur. Avec le nouveau paysage politique actuel, si l’occasion s’est offerte au écrit politique pourquoi pas aux aussi aux écrit théâtraux.  (5-6)

 

 

 

 

Références bibliographiques

 

-ACHOUR, Christiane. Abécédaires en devenir, idéologie coloniale et langue française en Algérie. Alger : Éd.  Entreprise algérienne de presse, 1985.

 

-GAUVIN, Lise. La fabrique de la langue, de François Rabelais à Réjean Ducharme. Paris : Éd. du Seuil, collection Points, 2004.

 

-ABA, Noureddine. « La francophonie dans le contexte actuel de l’Algérie. » La revue de l’institut méditerranéen de la communication. HIVER 1992-1993- n° 7, p. 16-17.

 

-AOUES, Saliha. «  Le théâtre est t-il une écriture ?  » In : Horizon, Lundi 29 Janvier 1990.

 

-BENGUETTAF, M’hamed. «  Le théâtre est t-il une écriture ?  » In Horizon, Lundi 29 Janvier1990,

p. 05.

 

-CHENIKI,  Ahmed. « Les planches en radeau » In : El Watan, jeudi 04 janvier 2007



[1] Interview réalisé par Hayet Kerboua, In supplément culturel, El Watan du 13 octobre 1992.

 

[2]   La coopérative Ibdae crée en 2004, compte déjà plusieurs distinctions à l’échelle nationale et internationale,

In   le quotidien d’Oran, rubrique culture, du samedi 12 avril 2008, p. 20.


 
 



Créer un site
Créer un site