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L’université ou la grande illusion

 

Comme lors de chaque rentrée, les responsables n’arrêtent pas d’évoquer le grand flux de nouveaux étudiants exigeant plus d’efforts pour caser tout le monde comme si la vie de l’université se réduisait à cet aspect qui est, certes, important, mais reste accessoire par rapport à la tragique désorganisation d’une université toujours en quête d’une illusoire stabilité. Le discours, redondant, ponctue toutes les déclarations. Comme par enchantement, le problème sera vite réglé, mais on ne se libère pas de la fâcheuse tendance à oublier la vraie fonction de l’université. L’établissement supérieur perd ainsi sa vocation première et se voit draper d’oripeaux vieillots et marqués du sceau de l’ineffable. Les conflits d’arrière-garde prennent le dessus dans un univers trop peu séduit par les relents de l’inventivité et de l’imagination. Le neuf pourrait provoquer démêlés, conflits et désaveux. Et on continue à distribuer des diplômes qui se dévalorisent vite, ne résistant pas à l’usure d’un temps factice qui laisse à la porte du chômage plus de 99% de sortants et qui posent sérieusement le problème de la qualité d’un enseignement au rabais. L’étudiant sait à quoi s’attendre à la porte de sortie. On a, semble t-il, trouvé la miraculeuse solution du LMD (Licence, Master, Doctorat), calqué sur le système européen, qu’on a cherché à discuter après avoir déjà pris la définitive décision de l’appliquer. Les résultats, inconsistants, pour le moment se font tragiquement sentir.  La lecture des programmes et du contenu des enseignements proposés reste très discutable surtout si on le confronte aux données sociologiques algériennes. L’Algérie n’est pas l’Europe. L’absence manifeste de conditions de travail décentes neutralise toute possibilité de changement. Déjà, avec une licence de quatre années, de nombreuses filières ne s’en sortent pas, le niveau des étudiants et le manque tragique d’enseignants ne permettent pas logiquement d’adopter les contours d’un système qui exige des moyens considérables. Mais il est possible de partir de ce système pour tenter de transformer radicalement les choses sans chercher à satisfaire les uns et les autres.

Aujourd’hui, malgré les incessants appels à de profondes réformes, l’université reste trop silencieuse, marquée par un corps enseignant décidément amorphe et une armée d’étudiants dont trop peu réussissent à construire une phrase correcte en arabe ou en français. Certes, le nombre des étudiants est considérable, mais n’excuse nullement la passivité des pouvoirs publics qui promettent depuis fort longtemps des réformes qui tardent à venir. Chaque ministre qui vient évoque des réformes virtuelles sans aller au fond des choses mettant un terme à un système rentier qui encourage la médiocrité. Cette situation catastrophique, les douloureuses années 90 et l’absence de compensation matérielle aux méritants ont incité des centaines d’enseignants, souvent, ayant produit des travaux scientifiques sérieux, à quitter le pays pour des universités européennes ou canadiennes. Les autres se sont retrouvés dans des universités du Golfe, moins exigeantes sur le plan scientifique.[1]Jusqu’à présent, l’université algérienne compte de grandes compétences, souvent marginalisées, produisant des textes et des travaux de grande valeur.

Il reste qu’aujourd’hui, l’Algérie tourne avec moins de moins de 4000 enseignants de rang magistral et une vingtaine de milliers de maître-assistants et d’assistants[2]. Ce qui est largement insuffisant. Cette dramatique réalité est aggravée par le recrutement de milliers de vacataires ayant pour diplôme une simple licence.[3] Comment, dans ces conditions, l’université algérienne pourrait former des étudiants brillants ou tout juste moyen. Déjà, le niveau des enseignants prête, dans de nombreux cas, sérieusement à équivoque. Il faut aussi savoir que les conseils pédagogiques se réunissent très rarement. Ce qui engendre de sérieux malentendus. Il arrive parfois que les uns et les autres s’interrogent sur la fonction des enseignants et leurs relations absentes avec les étudiants comme si la raison d’être de l’enseignant n’était pas l’étudiant qui a fortement appris à entreprendre une seule gymnastique, celle d’attendre et de quémander les notes. On ne comprend pas pourquoi n’arrête t-on pas cette inflation d’examens qui finit par désarçonner les plus hardis. C’est vrai que toute tentative de remettre en cause ces « acquis » étudiants mobiliseraient une kyrielle d’organisations qui crieraient vite à la remise en question de la démocratisation de l’enseignement. Les différents ministres qui se sont succédé à la tête du ministère de l’enseignement supérieur ont souvent joué le rôle de pompier, cherchant à satisfaire tout le monde. On se souvient des conférences nationales organisées à l’époque de Abdelhak Brerhi qui fonctionnaient exclusivement comme des espaces de parole. Le courage manquait. Les étudiants et les enseignants conviés parlaient, gueulaient parfois, et repartaient, avec l’impression du devoir accompli.

Mais il n’est nulle trace dans ces conférences d’autocritique, ni de remise en question de cette situation rentière qui affadit lourdement l’univers. Les jeux sont truqués, les pouvoirs publics comme de très nombreux enseignants semblent se satisfaire d’une réalité qui sauvegarde les privilèges du grand nombre et pénalise lourdement les compétences. Ainsi, il est des professeurs qui ressassent le même cours depuis leur recrutement, d’autres reproduisent tout simplement le cours de leurs professeurs. D’autres dispensent le programme qu’ils veulent à tel point que pour le même module, on pourrait avoir trois ou quatre programmes différents en fonction du nombre des professeurs dispensant la matière. Le drame de la qualification reste posé dans la mesure où des professeurs et des maîtres de conférences assurent des cours et dirigent des thèses ou des mémoires ne correspondant nullement à leur spécialité.

Mais qui se soucie de la qualité dans des universités où on ouvre des spécialités sans aucun spécialiste comme la traduction ou la communication par exemple ? [4]Le ministère distribue les habilitations sans prendre la peine de vérifier les documents remis ni la validité des enseignements et la qualification des enseignants. Des mémoires de magister et des thèses de doctorat sont dirigés par des enseignants étrangers à la spécialité. D’autres sont de véritables touche à tout. Ce qui pose souvent le problème des mémoires et des thèses soutenus, dans de nombreux cas,teintés de plagiat. Dans les années quatre vingt, Algérie Actualité avait dénombré une dizaine de thèses et de mémoires où de nombreuses pages étaient tout simplement tirées d’ouvrages dont les auteurs sont parfois très connus. Cette pratique semble marquer le secteur des lettres et des sciences humaines, mais aussi les sciences exactes. On se souvient des universitaires japonais qui s’étaient plaints à l’administration d’une université algérienne contre le vol de leur travail par un enseignant algérien. [5]

La chose scientifique est dévalorisée dans une université marquée par la primauté de l’espace administratif  et le mépris par les pouvoirs publics de l’enseignant qui n’a même pas le statut de dernière roue du carrosse.[6] D’ailleurs, l’administration centrale semble trop passive, fragilisant ce corps hétéroclite, dans sa majorité amorphe et d’un affligeant conservatisme, en mettant en place un système de rente s’accommodant parfois avec l’illégalité. Ainsi, la distribution des bourses ressemblant étrangement aux fameux bénéfices de la révolution agraire, pénalise lourdement les réels méritants. Ne serait-il pas plus juste d’accorder ces émoluments qu’aux seuls enseignants possédant un projet et ne pouvant pas trouver leurs documents ou leur matériel en Algérie. Il est aussi ridicule de distribuer annuellement des allocations à des enseignants qui n’ont pas soutenu leur thèse ou leur mémoire depuis des lustres. Ne faudrait-il pas limiter une fois pour toutes le nombre d’années. Il serait utile d’exiger au retour de chaque mission un rapport détaillé pour chaque bénéficiaire qu’examinerait sérieusement l’instance scientifique.

Mais souvent le conseil scientifique a pour fonction de comptabiliser, calculette en bandoulière, les points pour permettre à des centaines d’enseignants de bénéficier de ces bourses. L’université se muerait en agence de voyages. Les responsables bénéficient automatiquement de cette allocation sans passer par le cap de la sélection. Drôle d’université qui oublie sa fonction première en se métamorphosant en un lieu distributeur de prébendes. La course aux bourses st légendaire. Et le conseil scientifique qui n’est que consultatif s’intéresse rarement au côté scientifique à tel point que des colloques sans fin, avec des sujets généraux, sont organisés permettant exclusivement aux uns et aux autres de bénéficier d’attestations à présenter à la commission universitaire nationale. Il arrive souvent qu’un enseignant intervienne dans de nombreux colloques en changeant tout simplement le titre de sa communication. L’attestation servirait à un futur dossier pour une éventuelle promotion à un grade supérieur. La thèse subit de sérieuses frappes chirurgicales se démultipliant en plusieurs morceaux publiés dans des revues encore trop peu performantes, permettant à l’auteur de gagner de nombreux points et de postuler à une promotion où être enfant de chahid ou moudjahid  permet à l’heureux élu de remporter la victoire en glanant des points et des années et de devenir professeur ou maître de conférences.Les jurys de complaisance sont légion.  Quelle confusion ! Quel amalgame ! Quand le scientifique épouse l’Histoire, la fausse couche n’est pas loin.

La recherche reste encore peu présente dans un univers où trop peu de professeurs ont publié des ouvrages scientifiques, hors des textes à comptes d’auteurs. L’absence d’une structure sérieuse de publication universitaire ne règle pas la question lancinante de l’édition. On ne sait pas si l’OPU (Office des publications universitaires) existe toujours. Elle serait inscrite aux abonnés absents de l’université. Les laboratoires et les projets de recherche restent encore des espaces peu marqués par les jeux de la performance et de la qualité. Si dans les années soixante-dix et quatre vingt, malgré toutes les contraintes, il existait à l’université des voix intellectuelles, aujourd’hui, nous avons affaire à des reproducteurs du savoir. D’ailleurs, souvent les articles des universitaires sont prisonniers de leurs sources livresques et de leurs références bibliographiques ignorant le plus souvent le terrain ; pour parler de l’Algérie, il faudrait passer obligatoirement par des médiations théoriques livresques. L’universitaire manque souvent d’autonomie et de liberté.

Dans ce contexte peu reluisant, est-il possible de parler de l’existence d‘une université nationale ? Les universités fonctionnent souvent comme de véritables chantiers où les rats dialoguent ostensiblement avec une poussière et un manque légendaire d’hygiène et de propreté. Les moyens matériels (ronéo, photocopie, micro-ordinateurs…) ne sont pas mis à la disposition des enseignants et des étudiants appelés à se débrouiller dans des établissements supérieurs où toute activité culturelle est répudiée, exclue. Ni ciné club, ni théâtre, ni espaces littéraires et de débats. Les bibliothèques sont tellement vides que de nombreux enseignants obtiennent des bourses pour se documenter dans des bibliothèques étrangères comme la bibliothèque El Assad de Damas qui n’est d’ailleurs pas très fournie et se fournissent en articles dans des revues pirates moyennant paiement. Ce ne sont pas les interminables réunions qui suppléeront au grave déficit sur le plan scientifique et pédagogique.

Souvent, quand on parle du problème de la qualité de l’enseignement, on jette la pierre aux étudiants comme s‘ils étaient les seuls à gripper une machine depuis longtemps défaillante. Les étudiants savent bien, qu’une fois les études terminées, la rue les attend ou ce rêve trop illusoire de prendre babor l’Australie pour paraphraser l’ami Fellag. Déjà, à l’université, ils vivaient une sorte de perpétuel ennui que n’arrangeait pas du tout l’absence de livres dans des bibliothèques trop peu fournies.

Il est peut-être temps de réfléchir sérieusement à un statut spécifique de l’université tout en définissant les contours de cette structure sans laxisme ni jeu de passe-passe en l’ouvrant sans complexe à des compétences étrangères. L’université est un espace élitaire exigeant un fonctionnement particulier ; l’enseignant aurait ainsi une place de choix dans une société qui apprendra à le respecter s’il entreprenait une sorte d’autocritique libératrice. D’ailleurs, la mise en place des différentes écoles doctorales algéro-française de français ou d’informatique et euro méditerranéenne de traduction  est une expérience qui pourrait apporter énormément à l’enseignement de ces spécialités et permettre un enrichissant échange, mais il faudrait que ces structures soient régulièrement interrogées, avec un un sérieux bilan critique. Comme d’ailleurs, les écoles doctorales algériennes.



[1] De nombreux enseignants sont partis s’installer à l’étranger, pour des raisons matérielles et salariales. D’autres n’ont pu supporter la médiocrité ambiante. Dans ce cas, pourquoi, ne cherchera t-on pas à exiger publications et travaux scientifiques devant être examinés pour les différentes promotions des enseignants par des commissions scientifiques paritaires mixtes constituées d’Algériens et d’une partie d’étrangers connus pour leurs compétences. Ainsi, mettra t-on fin au soupçon de copinage, de complaisance et de cafouillage des commissions qui se retrouvent parfois avec des portions d’une thèse comptabilisés comme « publications ». Même, les conseils scientifiques des revues existantes, souvent complaisantes et trop peu performantes, pourraient faire un véritable bond en avant si elles s’ouvraient aux compétences étrangères.

[2] La situation présente encourage des pratiques peu normales comme ces enseignants qui courent interminablement après un trop plein d’heures dites complémentaires. D’autres, certes minoritaires, qui accordent plus d’importance à un boulot à l’extérieur qu’à celui de l’université. A propos, de nombreuses critiques marquent les différentes facultés et beaucoup s’interrogent sur le statut réel des avocats-enseignants à l’université. Il n’y a pas d’heures de consultation, pourtant indispensables, pour suivre sérieusement les étudiants.

[3] N’est-il pas temps, surtout avec l’embellie financière de ces dernières années, de recruter des enseignants étrangers qui pourraient apporter une contribution très positive à l’enseignement et réduire graduellement le nombre des associés et des assistants et de ces avocats, trop occupés par ailleurs pour assurer correctement des cours. Les facultés de droit posent sérieusement problème ces dernières années.. Ces derniers devraient bénéficier d’une année sabbatique pour terminer leur mémoire et bénéficier du statut  de maître-assistant. Ou peut-être, devrait-on réduire le nombre d’heures qu’ils assurent. A l’université, se trouvent des assistants, très brillants, qui n’arrivent pas à soutenir.

[4] Le problème des habilitations st extraordinairement flagrant. Des départements de traduction, de communication ou d’autres spécialités ont été ouverts, en l’absence de spécialistes. Ce qui est tragi-comique, c’est que ces départements ont eu l’autorisation d’ouvrir des magisters (les enseignements sont assurés essentiellement par des psychologues, des sociologues et des enseignants d’anglais et d’arabe). Qui va diriger les mémoires de Magister ? Ne serait -il pas plus sage e faire appel à des professeurs étrangers ?

[5] Nous avons assisté à les soutenances où le plagiat était flagrant, les étudiants ont remporté la palme de la plus haute mention. La constitution des jury de soutenance devrait sérieusement être réexaminées. Comme d’ailleurs, la question de la qualification. Certains professeurs et maîtres de conférences ont le don d’ubiquité.

[6] Les enseignants sont souvent considérés avec mépris par leur propre administration sans, le plus souvent, que ces derniers posent ce problème: pas de réponse à leur courrier, salles de cours très sales, mauvaise condition de réception, sans compter  un salaire qui reste très en deçà des attentes. L’université est en principe le lieu de l’élite, elle produit essentiellement des biens symboliques. Ce capital est, dans une instance médiate, appelé à se transformer en biens matériels. Elle devrait aussi être un espace de débats sérieux, contradictoires qui apporteraient la dimension intellectuelle peu présente dans nos établissements universitaires. Il faut reconnaître que trop peu d’universitaires lisent. C’est un véritable problème.


 
 



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